D’un point de vue géologique, hydrographique et historique, la mer Caspienne est une mer résiduelle del’océan ou mer Paratéthys. C’est la plus grandemer fermée du monde. Elle a la même origine que lamer Noire et lamer d'Aral. Durant lePliocène, l’ancienneParatéthys se subdivisa en plusieurs mers intérieures qui finirent par ne plus être reliées les unes aux autres. Ce fut notamment le cas de lamer de Pannonie, une mer intérieure qui occupait l’actuelleplaine pannonienne. La plupart de ces mers fermées disparurent à la fin duPléistocène. À présent, seules lamer Noire, la mer Caspienne et lamer d'Aral subsistent. Elles gardent les caractéristiques géologiques, hydrologiques et même, sur certains points, biologiques de base de la mer océanique dont elles sont issues, modifiées au fil des millions d’années, pour les deux dernières, par leur enclavement et leur alimentation constante eneau douce, tandis que la première au contraire a reçu récemment (il y a 7 000 ans) d’importants apports d’eau salée méditerranéenne.
La salinité de la mer Caspienne est d'environ 12 grammes de sel par litre d’eau, soit le tiers de lasalinité de la plupart des mers ou océans (38 grammes de sel par litre enMéditerranée, 35 dans l'Atlantique). La salinité varie de 10 grammes au niveau de l’embouchure de laVolga, à 350 grammes dans l’immense bassin naturel de concentration deKara-Bogaz-Gol dont l’eau ne cesse de s’évaporer, remplacée au fur et à mesure à travers l’étroite passe qui la relie à la Caspienne.
La mer Caspienne se situe 27,6 mètres en dessous du niveau des océans[22].
Elle s’isole de l’ancienneParatéthys il y a environ 5,5 millions d'années, en raison dusoulèvement tectonique duCaucase et de la baisse du niveau des océans (régression marine). Lors de périodes climatiques chaudes et arides, la Caspienne a pu s’assécher en partie, déposant dessédiments comme lahalite, qui furent recouverts par des dépôts éoliens. La mer se serait ensuite remplie de nouveau lorsque le climat et l’eau douce des fleuves environnants l’ont permis. Le niveau de la mer Caspienne fluctue au cours du temps, selon le climat, donc l’évaporation, et selon le débit de laVolga, son principal tributaire, lequel dépend de l’abondance desprécipitations sur l’ensemble de son très étendubassin versant. Le niveau de la mer est descendu et monté de nombreuses fois au cours des siècles : par exemple, les sources de l’Antiquité la décrivent plus étendue au nord qu’aujourd’hui, et reliée à lamer d'Aral par un chenal aujourd’hui à sec à travers l’actuelTurkmenistan ; celles duMoyen Âge décrivent une montée des eaux provoquant l’inondation des villes côtières deKhazarie, comme celle d’Itil.
Le niveau de la mer Caspienne oscille saisonnièrement et annuellement, mais il a baissé de 3 mètres de1929 à1977 pour ensuite remonter de 3 mètres (ou 1,5 m selon le rapport Dobris[23]) de1977 à1995 pour à nouveau diminuer[4]. Depuis 1995, le niveau a baissé de 2 mètres et le littoral a reculé de 20 à 30 kilomètres dans la région d’Atyraou[24]. Le littoral iranien est aussi unécotone particulièrement mouvant. Les causes de ces variations ne sont pas encore complètement comprises, mais elle pourrait être liée au phénomèneENSO[25] ; des perturbations nord-atlantiques plus fréquentes modifient lapluviométrie en Russie, en lien avec les cycles de l’oscillation nord-atlantique. Dans ce contexte, une tendance continue à la baisse de niveau, unesalinisation aveceutrophisation sont attendues[4].
Ces phénomènes font de la Caspienne un lieu intéressant d'étude des causes et effets duchangement climatique qui affecte l'ensemble du globe[26].
Les prélèvements d'eau liés à l'activité humaine sont également une cause importante de la diminution du niveau de l'eau. Pour les années 2021, 2022 et 2023, le niveau de la mer diminue d'environ 23 cm par an[27].
Les fleuvesVolga,Oural,Koura etEmba se jettent dans la mer Caspienne. La Volga assure à elle seule 80 % des apports en eau douce de la mer Caspienne. Une grande partie de l'Europe de l’Est, drainée par la Volga, appartient au bassin versant de la Caspienne.
Les eaux de la Caspienne sont en mouvement continuel cyclonique, c'est-à-dire qu'elles suivent une rotation antihoraire. L'essentiel des courants est, comme pour les vagues, influencé par le vent. Une grande partie des courants, qui partent du Nord et descendent vers le sud, sont impulsés par le débit de la Volga. Les écarts de température entre le nord et le sud de la Caspienne causent des écarts de densité qui alimentent les flux de surface dans les secteurs centre et le sud de la mer, et causent destourbillons cycloniques.
La mer Caspienne offre aux pays riverains de l'ouest et du sud une influence maritime très appréciable, de type méditerranéenne, très proche à bien des égards de celle de lamer Noire, diffusée par les vents puissants qui balayent la région, et régulée par les chaînes de montagnes voisines.
EnAzerbaïdjan, le climat n'est tempéré que le long du littoral caspien, le reste du pays connaissant des situations et des températures plus extrêmes. Le climat est subtropical etsemi-aride dans les parties centrales, orientales, et dans le sud-est du pays. Et il est continental dans l'ouest et froid dans les montagnes azerbaïdjanaises.
En Russie, leDaghestan méridional bénéficie aussi d'unclimat pontique similaire à celui des côtes de la Mer Noire. Les pluies présentent un maximum d'automne le long des côtes de la mer Caspienne.
À l'est en revanche, contrairement auLenkoran azerbaïdjanais, auDaghestan méridional et aux rivages iraniens, le littoral turkmène apparaît comme un milieu hostile du fait des vents défavorables, qui limitent l'influence de la Caspienne : il est faiblement peuplé, et sa principale ville est le port deTürkmenbaşy (ancienneKrasnovodsk), qui fut fondé dans le cadre de la conquête tsariste à la fin duXIXe siècle.
Le climat de la mer Caspienne n'est pas homogène. Les grandes différences entre leclimat méditerranéen de France et celui detype pontique de la Caspienne sont d'ordre hygrométrique et thermique. À l'ouest et au sud de la Caspienne, ce climat est humide l'été. À l'est de la Caspienne,« les hivers sont beaucoup plus froids, et même dans le sud azerbaïdjanais vers 40° de latitude ». Il y a environ trois mois de jours de gel par an à Yalta, et un manteau neigeux continu de deux mois, janvier et février. Les vagues d'air froid continental, voire arctique, glissent facilement l'hiver jusqu'à la mer Caspienne à 40° de latitude. L'effet d'abri au sud de laChaîne Taurique et du Caucase occidental donnent naissance à des températures moins basses à latitudes égales au bord de la mer Noire[29]. La banquise peut même recouvrir le nord-est de la mer durant l'hiver.
La mer Caspienne est très poissonneuse. On y trouve dessterlets, dessaumons, et surtout desesturgeons (grands esturgeons), qui fournissent ducaviar. « La pêche fait vivre toute une population de pêcheurs, notamment aux environs d'Astrakhan, où l'on fabrique du caviar renommé »[30]. Depuis les années 1980, lasurpêche ayant entraîné lapullulation de méduses de l'espèceMnemiopsis leidyi, le développement dumarché noir et de ladésintermédiation à la suite de lachute de l'URSS, ainsi que la pollution des eaux à l'origine de la « myopathie de l'esturgeon », ont diminué fortement les populations d'esturgeons et expliquent la quasi-disparition de l'industrie du caviar de Béluga en mer Caspienne[31].
Le fait que la mer Caspienne soit une mer résiduelle fermée issue d'un très ancien océan en fait à la fois un musée maritime à ciel ouvert et un écosystème fermé autonome et complexe. « On a notamment compté dans les eaux de la Caspienne une cinquantaine d'espèces de poissons endémiques qu'on ne rencontre pas dans les autres mers. Les coquillages sont peu nombreux à cause de la faible salinité des eaux. Il y a aussi des phoques »[30].
Les profondeurs de la mer recèlent encore d'importantes ressourcespétrolières.
Ses littoraux permettent l'existence d'untourisme balnéaire pour tous les pays riverains. Ils offrent un front de mer àBakou, la plus importante ville duCaucase. Les longues plages de sable duTurkménistan ou du nord de l'Iran sont traditionnellement très appréciées par les touristes étrangers et les locaux. En Iran, la capitale est beaucoup plus près de la Caspienne que de l'océan Indien, et les plages deBabolsar ont longtemps été fréquentées par la bonne société deTéhéran. Aujourd'hui, les habitants se regroupent àChalus etRamsar, leurs stations balnéaires favorites.
La mer Caspienne est,de facto, un axe de circulation maritime international et un espace stratégique militaire majeur. Elle est « la grande voie de communication entre la Russie, le Caucase, l'Iran et le Turkménistan. Plusieurs compagnies de navigation entretiennent un trafic régulier sur ses eaux. »[30].
Après ladislocation de l'URSS et l'indépendance des républiques d’Asie centrale, le statut de la mer Caspienne est resté flou durant plus de deux décennies[3].
Une estimation a porté à 50 milliards de barils la quantité de pétrole (dont 13 milliards de barils au Kazakhstan) et à 300 mille milliards de mètres cubes de gaz, deux ressources situées sous une faible profondeur d'eau, mais difficiles à valoriser en raison du fait que ces hydrocarbures sont présents sous haute pression, de plus l'eau de cette région gèle en hiver, ce qui rend l'extraction plus difficile[3].
D'importantes flottes militaires de type océanique stationnent dans ses eaux (frégates,patrouilleurs,dragueurs de mines, etc.), héritières en partie de laflotte soviétique de la Caspienne. La plus grande puissance militaire de la région est laRussie. La base principale de la flotte russe est située àAstrakhan et sa zone opérationnelle recouvre toute la mer. La flotte russe est composée d'unités de surface, d'unités de soutien et de recherche et de sauvetage en mer, de forces aériennes, de troupes de défense des côtes et d'unités spécialisées pour la logistique technique. Ses principales missions sont « la protection des intérêts de la Russie dans la région de la Caspienne et la lutte contre le terrorisme »[34].
En 2011, le commandant en chef de la Marine russe a annoncé que, d'ici 2020, la flottille russe de la Caspienne serait dotée de 16 nouveaux navires de guerre. En 2012, le commandant adjoint de lamarine iranienne, le contre-amiral Abbas Zamini, a indiqué que l'Iran avait l'intention de mettre à l'eau des sous-marins légers dans la mer Caspienne[35].
En, après 20 ans de négociations sur les enjeux de l'exploitation partagée des fonds marins, du pétrole, du gaz, du poisson et ducaviar (vendu jusqu'à 25 mille dollars le kilogramme, en 2018), cinq pays (Azerbaïdjan, Iran, Kazakhstan, Russie et Turkménistan) lors d'un sommet régional tenu àAktaou (Kazakhstan) ont signé laConvention sur le statut de la mer Caspienne, un accord historique définissant un nouveau statut pour la mer Caspienne[3]. Ce cadre a permis au Turkménistan et à l’Azerbaïdjan de réaliser sur le fond de la Caspienne legazoduc qu'ils projetaient depuis des années (pour ne plus dépendre des gazoducs russes ou chinois)[3]. La Russie a perdu son monopole sur le transport du gaz mais obtenu (comme l'Iran) qu’aucune puissance étrangère ne dispose de base ou de vaisseau militaire sur la mer Caspienne[3].
L'Iran a la plus petite part de littoral et de mer, mais porte un projet maritime et ferroviaire et un projet de traité international de corridor nord-sud la reliant à la Russie au sud, et aux pays riverains vers l’Inde et l’océan Indien[3].
Par ailleurs la Russie autorise depuis 2017 l'Iran à faire passer des bateaux par la Caspienne puis par la Volga et lecanal Don-Volga pour qu'ils accèdent à la Mer Noire et de là à la Méditerranée[36].
La question du statut juridique de la mer Caspienne
Ses dimensions et sasalinité font qu’on la dénomme toujours « mer », mais ses statuts scientifique et surtout juridique prêtent à débat, car elle n’a actuellement pas le statut officiel demer, mais bien celui delac (plus précisément, le plus grand deslacs salés), ce qui n’est pas sans poser de problèmes tant d’un point de vue juridique que scientifique. Objet des convoitises des pays riverains, ceux-ci souhaitent, en effet, qu’elle soit considérée comme unemer intérieure, la répartition des eaux territoriales et des richesses sous-marines ne se faisant pas de la même façon.
Le problème du statut juridique de la mer Caspienne demande un traitement spécifique, séparé de son statut scientifique[37]. Il est l'objet d'un grand nombre d'études universitaires et d'articles critiques à travers le monde[38]. Bien que la mer Caspienne soit, sur le plan strictement juridique, considérée aujourd'hui comme un lac salé et non une mer, son statut a fait l'objet d'une longue discussion car« les États riverains ont pris des positions diverses au fil de leur histoire, en fonction de leurs intérêts et des problèmes posés ».« À cet égard l’examen des documents publiés par les États riverains aux Nations Unies est tout à fait significatif et donne des indications précieuses sur la pratique des États ».« Alors que la Russie part de l’idée que la mer Caspienne est un lac et non pas une mer, le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan et le Turkménistan fondent leur position sur l’hypothèse que le droit de la mer, codifié en 1982, est applicable ».« Le gouvernement iranien, qui n’emploie les qualificatifs ni de « lac » ni de « mer » pour désigner la mer Caspienne dans les documents publiés aux Nations Unies, insiste quant à lui sur la spécificité de cette étendue d’eau et de son régime juridique »[37] :« La mer Caspienne est une étendue d’eau qui, par son caractère unique, présente une importance capitale pour les États riverains. Ces États sont conjointement responsables de son utilisation, de la mise en valeur de ses ressources naturelles et de la préservation de l’environnement »[39].
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