Max Jacob Alexandre naît le au 14, rue du Parc àQuimper[2], à l'entresol du café qui fait l'angle avec la rue Saint-François, dans une famillejuivevoltairienne[3] non pratiquante, ne serait-ce qu'en raison de l'absence de coreligionnaires[4] et desynagogue. Madame Alexandre, née Jacob, donne à ses trois cadets Jacob pour deuxième prénom (Gaston Jacob, Max Jacob, Jacques Jacob)[2].
Le grand-père paternel de Max Jacob, Samuel Alexandre est de nationalité allemande et de confession juive. Né à Neunkirchen en Rhénanie, probablement en 1811, il est le fils de Lazare Alexandre et de Julie Bernheim[7]. Il est issu de ces famillesashkénazes de l'ex-Cisrhénanie qui ont étéémancipées par laFrance révolutionnaire et ruinées par lesguerres napoléoniennes. Il immigre enFrance.
Samuel Jacob, s'établit comme marchand tailleur, rue du Parc à Quimper. En 1859, il propose avec succès des habits citadins portant des broderies qui feront sa renommée en faisant travailler en particulier les brodeurs bigoudens dans un contexte porteur pour la Bretagne. Dix de ses costumes traditionnels bretons (deScaër, dePloaré, dePont-L'Abbé, deKerfeunteun) seront présentés à l'exposition universelle de Paris en 1867, il y remporte une médaille d'argent[8],[7],[9]. Il fait fortune dans laconfection. Aidé de ses deux fils, il ouvre en 1870 plusieurs succursales, dont un magasin proposant toutes sortes d'objets pittoresques bretons, pratique des campagnes publicitaires.
Le père de Max Jacob, Lazare Alexandre, exerce le métier dekemener, c'est-à-diretailleur-brodeur. Dans laBretagne d'alors, c'est un métier estimé par les coquettes de Quimper et leurs maris bourgeois, mais, en raison de préjugés relatifs à la virilité, moqué par le peuple des campagnes et les enfants. Quand Lazare Alexandre[10] épouse en 1871 uneParisienne, Prudence Jacob[11], il est, dans l'entreprise paternelle, à la tête d'une équipe dedennerien neud,brodeurs travaillant à domicile. Les Jacob possèdent des ateliers deconfection àLorient, et c'est sous la marque « Jacob » que l'entreprise Alexandre développe sa notoriété.
Le, Samuel Alexandre et ses fils font changer leur nom à l'état civil[2] et adoptent officiellement lenom de famille « Jacob », sous lequel ils sont connus de leurs clients. « Jacob » a en outre l'avantage d'être, comme beaucoup de prénomsbibliques, unpatronyme typiquementcornouaillais. Max Jacob Alexandre a douze ans quand il devient Max Jacob.
Le pâté de maisons où habitent les Alexandre devant lesmarronniers qui bordent l'Odet (gravure de Louis Barroin,L'Odet et la cathédrale de Quimper, 1899). De sa chambre, Max Jacob voyait lacathédrale Saint-Corentin où il n'avait pas le droit de rejoindre ses camarades.
Vivant au premier étage d'une élégante maison neuve au 8, rue du Parc, le long de l'Odet, le petit Max passe à Quimper une enfance confortable, imprégnée de légendes et de la ferveurcatholique despardons qu'exaltent ladéfaite de 1870, laGrande Dépression, l'implication du clergé dans lerevanchisme et le « redressement moral », puis la politique de l'« esprit nouveau », notamment par le culte duSacré-Cœur. N'ayant pas reçu lebaptême, il souffre d'être exclu de cette vie fervente, particulièrement quand les processions défilent sous les six fenêtres du balcon. Il apprend l'orgue dans lacathédrale Saint-Corentin avec son professeur depiano.
Depuis son plus jeune âge, il manifeste unephobie deschiens même petits, peur irrationnelle qui le poursuivra toute sa vie, de sorte qu'il se fera mordre de nombreuses fois et que les animaux représenteront souvent dans sa poésie deslieux d'angoisse[16]. Dès l'âge de huit ans, il s'amuse à prédire avec assurance l'avenir de ses camarades et fait deshoroscopes. Il se moque des enfantsbretonnants et joue aux « rêves inventés ». Battu par sa sœur et son frère aînés, il ne trouve pas de consolation auprès d'une mère railleuse, toute à sa toilette, et restera très attaché à la petite dernière, Myrthe-Léa, qui a huit ans de moins que lui.
À treize ans, afin de soigner sa nervosité débordante, il est envoyé àParis consulterJean-Martin Charcot[17], lequel pratique unepsychothérapie fondée sur lasuggestion et utilise parfois l'hypnose. Il passe l'année scolaire 1890-1891 dans une maison de santé pour adolescents issus des milieux favorisés. Au retour de cette expérience parisienne, où la fréquentation des pensionnaires l'a sensibilisé aux beaux-arts et à la musique[17], il entame une scolarité des plus brillantes, conversant souvent en privé avec ses professeurs, collectionnant les prix enhistoire, ensciences naturelles, enallemand, enrhétorique. Il s'enthousiasme pourBaudelaire etJules Laforgue[18] et, avec ses camarades les plus exaltés, essaie de lancer desrevues littéraires qui fâchent leproviseur. En 1894, il obtient un huitième accessit auconcours général dephilosophie, et se voit proposer unebourse pourpréparer le concours deNormale, dans une classe du prestigieuxlycée Lakanal, à laquelle il renonce.
Étudiant dans le Paris de la Belle Époque (1895-1898)
Réformé en pour insuffisance pulmonaire au bout de deux mois[21] deservice militaire passé au118e de ligne[21] de Quimper, il attend la rentrée suivante dans une mansarde de la maison paternelle aménagée par lui[22], en s'adonnant avec rage au piano et audessin paysager. Au bout du premier trimestre de sa seconde année, en, il est conduit à démissionner de l'École coloniale. Renonçant aux rêves de voyages exotiques, il retourne pour quelques semaines à Quimper, où il retrouve son piano et son désœuvrement.
À vingt et un ans, attiré par le tourbillon de la fête parisienne, rêvant de devenir l'homme de lettres promis par leconcours général, il profite de samajorité, au grand dam de ses parents, pour retrouver Paris en, où un collègue l'héberge provisoirement. Tout en continuant ses études dedroit, passant d'une chambre misérable à l'autre,boulevard Arago puisrue Denfert-Rochereau, il tâche de gagner sa vie comme accompagnateur de piano, puis animateur d'un cours de dessin dans uneécole communale. En, il passe avec succès ses examens et reçoit son diplôme delicence de droit[23], optiondroit maritime, le.
En, Max Jacob, introduit par le peintre et amiFernand Alkan-Lévy auprès deRoger Marx et recommandé par celui-ci, commence à exercer commecritique d'art sous le nom de son grand-père maternel, Léon David, auMoniteur des arts[24], ce qui lui permet de parcourir les expositions. En, il est promurédacteur en chef[21] deLa Revue d'art[25], nouveau titre de cette revue, publiée parErnest Flammarion et reprise par Maurice Méry.
Celui-ci veille comme un père sur le jeune homme et Madame Méry reçoit à dîner le protégé de son mari. Installé dans la carrière dejournaliste, Max Jacob, alias Léon David, porte barbe etredingote. Il est devenu l'objet de la fierté familiale. Payé vingtfrancs, somme relativement considérable, par article hebdomadaire, il s'offre des cours de dessin à l'atelier dontJean-Paul Laurens a confié l'animation à ses élèves, à l'Académie Julian.
Le ton condescendant et le style pédant par lesquels les articles de Léon David proclament la fin duclassicisme agacent, au point que son directeur, Maurice Méry, se sent obligé de prendre la plume et de défendre l'indépendance de ses journalistes. Lassé du métier d'écrivaillon tirant à la ligne, exaspéré par un lectorat conformiste, Max Jacob démissionne à la fin[25] d'[24] et tombe malade. En, il revient prendre un poste desecrétaire de rédaction auSourire, une revuesatirique fondée par Maurice Méry quatre mois plus tôtet appartenant au même groupe de presseLe Gaulois[réf. nécessaire]. Il y publie quelques articles, dont certains signés du nom de sonrédacteur en chef,Alphonse Allais.
C'est àMontmartre, chezPedro Mañach, qu'en, après en avoir admiré une des toiles exposées chezAmbroise Vollard[27], Max Jacob, qui a laissé sa carte à chaque fois qu'il passait à la galerie avec un mot pour le peintre méconnu[28], fait la connaissance dePablo Picasso. Auprès du critique, de cinq ans son aîné, le jeune peintre fraîchement arrivé d'Espagne et dont le compagnon d'infortune,Carles Casagemas, perdu d'alcool, vient de se suicider, se familiarise avec le français et le Paris des arts.
Max Jacob, reconnu par la profession et estimé des peintres, mais déçu par sa« conquête de Paris », décide de tenter sa chance dans sa province. Ce qui le détermine à briser sa carrière, c'est la prise de conscience de l'écart entre la langue pratiquée par les journalistes et son projet initial de devenir écrivain. Il publie son dernier article dansLe Sourire le, un poème intitulé en forme de sourireEnterrement, trois jours avantNoël.
Rentré à Quimper, Max Jacob, à vingt-cinq ans, s'essaie à divers métiers, dont celui demenuisier. Son espoir d'obtenir par relation un poste de petit fonctionnaire ayant été déçu, il retourne à Paris, où il trouve à louer une chambrequai aux Fleurs. Il se retrouve sans soutien et multiplie les emplois à l'essai. En 1902, il est clerc d'avoué,précepteur, employé de l'Entrepôt Voltaire.
En, Pablo Picasso, rencontré quinze mois plus tôt et reparti àBarcelone en janvier, revient à Paris. Les deux crève-la-faim s'entendent pour partager la chambre que Max Jacob loueboulevard Voltaire, dans le quartier de larue Popincourt deCasque d'or et desApaches. Ils y dorment à tour de rôle, le poète la nuit, le peintre le jour[29]. Cette surexploitation pratiquée par lesmarchands de sommeil est tout à fait habituelle dans unParis haussmannien peuplé d'ouvriers. Pour payer sa part, Max Jacob accepte tout travail. Il vend deshoroscopes dans lespalaces, à des femmes dudemi-monde et à leurs clients, de faux princes russes[30].
C'est la misère noire. Plutôt que de se nourrir, Max Jacob dépense avec ses amis le peu de pension qu'il reçoit de son père en mauvais vin auLapin Agile et autresguinguettes. Il survit grâce à de petits métiers, balayage, garde d'enfants… Déguisé en disciple del'École de Pont-Aven, il porte le costumeglazic de son Quimper natal, s'initie enautodidacte[30] à lapoésie et à lagouache, et essaie de vendre ses œuvres le soir dans les cafés du quartier interlope deMontmartre. De Barcelone, Pablo Picasso lui conseille de renoncer à Cécile Acker[36] et lui suggère d'écrire pour les enfants.L'Histoire du roiKaboulIer et de son marmiton Gauwain lui rapporte cent francs[37] et un début de reconnaissance, le livre servant de prix scolaire[38].
En 1904, il est employé à lacentrale d'achat que son cousin Gustave Gompel possède, Paris-France, mais son incompétence fait interrompre l'expérience au bout de huit mois. Il abuse en effet de l'éther, source de son inspiration. En novembre, Picasso lui présente un critique avant-gardiste,Guillaume Apollinaire. La rencontre a lieu dans un bar de larue d'Amsterdam, l'Austin's Fox[39]. LeJournal des Instituteurs publie de lui, en quatre épisodes, un conte pour enfants,Le Géant du Soleil.
En 1905, il se fiance[40] à Cécile Acker, mais lescrises mystiques de celle-ci[41] mettent un terme[35] au projet de ménage après seulement quelques mois[32]. Les anciens amants resteront liés[42] par une foimystique partagée[41]. Un soir de 1905, en rentrant ducirque Medrano avec Max Jacob, Pablo Picasso demande à celui-ci de poser[43]. Picasso sculpte dans la glaise ce qui, après l'ajout d'un bonnet debouffon, deviendra un de ses plus célèbresbronzes,Le Fou, mais le lendemain, du portrait, seul le sourire de son ami est conservé par l'artiste[43].
En 1907, Max Jacob s'installe dans une des chambrettes duBateau-Lavoir, au 7rue Ravignan, où Pablo Picasso etJuan Gris ont la leur. Trois ans plus tôt, quand Picasso s'y était installé, c'était Max Jacob qui avait donné le nom de « lavoir » à cetterésidence d'artistes sordide, dont l'escalier central évoque unbastingage, car il n'y a, dans toute cette maison qu'il appellera l'« Acropole du cubisme »[44], qu'un seul et unique point d'eau.
Pablo Picasso y est en train d'achever le manifeste ducubisme qu'estLe Bordel d'Avignon. D'aucuns ont voulu voir dans le portrait d'une des femmes du tableau celui de la grand-mèreavignonnaise de Max Jacob, qui a pu confier au peintre l'impression que lui inspirait durant son enfance ce personnage rude et austère[45]. Désormais la millionnaire américaineGertrude Stein et son frèreLéo, pilotés par celui qui ne se fait pas encore appelerPierre Roché, soutiennent Picasso. En revanche, lesgouaches de Max Jacob, queDaniel-Henry Kahnweiler expose, ne se vendent guère, mais la galerie de larue Vignon attire les amateurs de nouveauté et facilite les échanges intellectuels. C'est sans doute là que deux ans plus tard Max Jacob rencontreraFernand Léger. Quasi mendiant, il passe le soir dans les restaurants proposer ses poèmes aux clients.
Au printemps,Marie Laurencin, amie deBraque lancée par le collectionneur Roché, rencontre Picasso à la galerie deClovis Sagot, où elle expose. La bande du Bateau-Lavoir s'en trouve bouleversée. Elle est la seule jeune fille peintre, et non pas seulement unmodèle,Suzanne Valadon faisant déjà figure de Materfamilias . Max Jacob, qui accuse une différence d'âge, est à la fois séduit par Marie Laurencin[46], choqué par l'amour libre[47] et blessé d'être rejeté[48]. Le groupe se restructure autour des deux couples Laurencin-Apollinaire etFernande-Picasso, éloignant un peu plus Max Jacob de ce dernier. L'admiration pour Apollinaire n'est pas non plus réciproque. Quand celui-ci devient le principal animateur deLa Phalange, revue que dirigeJean Royère, il se garde bien de prévenir son ami poète[49]. C'est qu'il le considère, ainsi que Picasso, non comme un artiste, mais comme un compagnon loufoque, un peu stupide sinon complètement fou, mais sachant rire à propos[50],[51],[52].
Ah! L'envie me démange
De te faire un ange,
De te faire un ange
En fourrageant ton sein,
Marie Laurencin,
Marie Laurencin!
Chansonnette galante deMax Jacob, vers 1908.
Un soir de, en compagnie des deux couples, auxquels se sont jointsMaurice Princet et sa femme Alice, il expérimente lehaschich[53]. En juillet, c'est lui queFernande Olivier, rendue stérile par une « fausse couche », charge de ramener à l'orphelinat la petite Raymonde, âgée de treize ans, que le couple avait trois mois plus tôt envisagé d'adopter[54]. Seul Max Jacob avait prêté un peu d'attention à l'orpheline. Jalousie ou prévention maternelle, sa mère adoptive craignait désormais de la voir entraînée dans les fantasmes de Picasso. Celui-ci avait en effet commencé à dessiner l'adolescente nue.
Peu de temps après, à cause d'une chansonnette grivoise sur Marie Laurencin qu'il a composée et fait jouer dans un cabaret, Max Jacob manque de se faire casser la figure par Guillaume Apollinaire. Au printemps 1908, la fâcherie oubliée, celui-ci, qui a le sens des relations et de la publicité, ce que Max Jacob n'a pas, consent enfin, pour une fois, à l'occasion de la présentation de la nouvelle formule deLa Phalange, à le révéler au public[55], à le compter parmi les acteurs de ce qu'il appelleraL'Esprit nouveau[56] et à publier deux[57] de ses poèmes[58].
Seul face à ses démons, Max Jacob étudie, à la bibliothèque le jour et veillant la nuit, les textesmystiques, leZohar et quelques autres textes de laKabbale, lebouddhisme, l'astrologie, l'occultisme[37]. Toujours affamé[59], il ajoute à sa consommation d'éther, qu'il achète au litre, celle des tisanes dejusquiame, qui lui servent à invoquer lesdémons, mais ce qui lui arrive le, à l'âge de trente-trois ans, est d'une tout autre nature. Alors qu'il rentre de laBibliothèque nationale, l'image d'unange lui apparaît sur le mur de sa chambre au 7,rue Ravignan :« […] Quand j'ai relevé la tête, il y avait quelqu'un sur le mur ! Il y avait quelqu'un ! Il y avait quelqu'un sur la tapisserie rouge. Ma chair est tombée par terre. J'ai été déshabillé par la foudre[37] ! » Il entoure l'apparition d'un cercle tracé sur le revêtement du mur. Élevé dans l'athéisme, mais sensible aux racinesjuives de sa famille, il se convertit intérieurement aucatholicisme.
Il reste logé et habillé misérablement. Picasso, devenu riche, s'est installé dans un grand appartement bourgeois de laplace de Clichy, 11boulevard de Clichy, et a une domestique, mais refuse à son ex-compagnon d'infortune l'aide financière qu'il lui demande[65]. Toutefois, le peintre grave quatrecuivres pour illustrer le premier ouvrage proprementmoderne de son ami,Saint Matorel[66]. C'est le premier livrecubiste[67]. L'idée de l'éditeur,Daniel-Henry Kahnweiler, est de promouvoir l'art moderne en associant les peintres et poètes. Il récidivera.
Max Jacob a l'habitude de distribuer destalismans à ses amis. Un soir dechiromancie, en 1911, chez le couple Laurencin-Apollinaire, il prédit à celui-ci son destin tragique[68]. En septembre, l'affaire du vol de la Joconde rompt les amitiés. Pablo Picasso, dans une crise deparanoïaagoraphobique au cours de laquelle il rase les murs pour éviter une police imaginaire et s'enferme à triple tour, exclut celui qui est devenu son rival le plus talentueux,Juan Gris.
En, au terme de deux années d'études, leCommentaire des Évangiles de Max Jacob est prêt à être imprimé[62]. Selon laDoctrine, depuis la fin des temps évangéliques,Jésus Christ, comme celui-ci l'a annoncé dans sondiscours d'adieu, intervient auprès des croyants par l'intermédiaire de l'Église qu'il a fondée et de sessaints, pour être les seuls interprètes duParaclet, et non directement par desapparitions de lui-même. Sous peine de passer pourhérétique, Max Jacob doit renoncer à le publier. Il n'en restera que quelques échos dans des conférences qu'il donnera, notamment chezPaul Poiret le et àMadrid en[69]. Le manuscrit, remanié et refusé par Gallimard[70] en[71], est archivé à laBibliothèque Doucet[72]. Une version posthume sera publiée en 1947.
De 1913 à 1921, Max Jacob habite au bout de cette impasse deMontmartre,no 17rue Gabrielle (au fond, à hauteur des lanternes).
À partir de la mi-, Max Jacob est hébergé par Pablo Picasso dans le grand appartement bourgeois de la place Clichy[73]. Six mois plus tard, il a achevéMémoires apocryphes, mise en scène de personnages animés par l'inconscience, mais le manuscrit, tropavant-gardiste[74], est refusé parFasquelle, malgré le soutien de Paul Poiret[75]. Il ne sera publié qu'en 1920 sous le titreCinématoma.
L'Ancienne Maison Delcros, 3 rue des Évadés de France à Céret.
C'est avec un Juan Gris, resté brouillé avec Pablo Picasso, qu'en 1913 Max Jacob séjourne àCéret, dans leVallespir. Il y réalise une série de dessins du village. À son retour, il quitte définitivement sa chambrette du Bateau-Lavoir déserté. Il emménage seul à l'autre bout de la rue, auno 17rue Gabrielle. Le numéro d'août deLa Phalange a publié cinq de ses poèmes, ce qui provoque une colère mémorable de Guillaume Apollinaire, qui n'a pas été consulté[76].
En 1914, il achève parLe Siège de Jérusalem,« drame injouable »[38] illustré par Pablo Picasso etEugène Delâtre, le cycle de la transcription de son itinéraire spirituel[78] commencé en 1911 à travers le personnage deSaint Matorel, auquel il ajoutera uncodicille en 1921. Le, il a unevision duChrist, durant une séance de cinéma. Il en aura d'autres[79]. Deux mois après sa vision, le, Max Jacob, âgé de trente-huit ans, reçoit enfin lebaptême sous lepatronage deCyprien aucouvent de Sion,rue Notre-Dame-des-Champs, Pablo Picasso étant sonparrain[80]. Il pense pouvoir partager sonmysticisme avec le magnétiqueAmedeo Modigliani, mais celui-ci, comme Picasso précédemment, préfère se tourner vers les femmes.
« Au lieu de femme un jour j'avais rencontré Dieu. »
Le, il est[89] avec Jean Cocteau,Ruby, et Pablo Picasso au chevet de Guillaume Apollinaire, quand celui-ci expire à l'hôpital sous le tableauApollinaire et ses amis qu'avait peint Marie Laurencin en 1908 et qu'ils ont dressé dans la chambre pour évoquer les amours croisées d'antan. Le lendemain, auSacré-Cœur, il entend :« N'ayez pas peur »[90], parole duChristtransfiguré s'adressant à ses disciples, et dessine lavision qu'il a du défunt devenu ange« comme un oiseau à tête d'homme au-dessus. Était-il mort […] ? »[90].
Un mélancolique dans les Années folles (1918-1920)
En 1920, Max Jacob participe à l'érection de la fictiveRépublique de Montmartre.Francis Poulenc lui commandeQuatre poèmes. Lesmélodies seront achevées en et créées le, mais la mode est versatile plus que jamais et le compositeur, délaissant lapolyphonie, les reniera moins d'un an plus tard[93].
En 1925, il est àRome pour leJubilé, où, hébergé parPaul Petit, il retrouve son amiJean Grenier. Si un de ses plus importants ouvrages,Les Pénitents en maillots roses, parait, il n'arrive pas à achever unroman,Les Gants blancs[99]. À court d'argent, il est sur le point de vendre les lettres qu'il a d'Apollinaire et dePicasso, mais se ravise[99].
La Chanson de Marianne, mise en musique et chantéeaprès-guerre parJacques Douai, est un des dix-huit poèmes publiés en 1925[101].
En, Max Jacob fait la connaissance dePierre-Michel Frenkel, incarnation deThomas l'imposteur[102] qui vit de l'argent que lui donnent pour un tour de piste les dames fréquentant lesdancings[103]. Max Jacob éprouve pour cet étudiant de vingt ans de l'« infection » et pendant deux mois entreprend de le convertir à la méditation religieuse mais il finit par céder au charme du« diable »[103],[104],[105],[106].
Pour celui-ci, le quinquagénaire nourrit une passion[107] littéralementpéderastique, mêlanthomosexualité et éducation intellectuelle, qui transcenderait l'amour charnel et, contrairement à celui-ci, ne réduirait pas le partenaire à un objet de jouissance, mais désirerait son élévation[108]. Max Jacob se conforte dans cetamour mystique conçu comme unesublimation de l'amour charnel par l'enseignement duLivre de l'Ami et de l'Aimé de Raymond Lulle, qu'il a traduit en 1919, et par l'exemple d'Anne Catherine Emmerich, dont lesvisions ont été publiées à l'occasion de son second procès enbéatification. Cetteéthiqueplatonique partagée avec Cocteau heurte l'idéalgrégorien dechasteté et les milieuxbien-pensants. À l'occasion de la publication parJean Cocteau du recueilOpéra, son amimaritanisteJulien Lanoë dénonce l'hypocrisie qu'il y aurait à confondreange etéromène[109].« Lareligion catholique repose sur une distinction : celle de la chair et de l'esprit. La religion de Cocteau repose sur uncalembour : elle profite de ce qu'un seul mot (le mot "amour") désigne la passion charnelle et la communion spirituelle pour embrouiller l'un et l'autre […][110]. »
De son côté,Jean Cocteau se plaint d'être l'objet de brimades, et effectivement, Max Jacob ne modère pas sa sévérité à l'endroit de la poésie de sonéphèbe de trente-huit ans. Leur relation orageuse[107], plus épistolaire que physique, s'interrompra en 1928[111] pour sombrer définitivement dix ans plus tard quand Jean Cocteau viendra séjourner àMontargis, à quelques kilomètres deSaint-Benoît, en compagnie deJean Marais[107].
Au cours de cette année1926,Pierre Reverdy, ami de quinze ans ayant rompu avecCoco Chanel, se retire définitivement à l'abbaye de Solesmes. Inversement, Max Jacob a acquis suffisamment de notoriété, reçoit assez de revenu de ses éditeurs, dont la prestigieusemaison Gallimard auprès de laquelle il s'est deux ans plus tôt imprudemment engagé à écrire deux romans en échange d'une mensualité de cinq cents francs, pour envisager de mettre un terme à sept années de retraite. Il reste obsédé par la figure deRobert delle Donne, qu'il revoit àParis[113].
[...] mon Dieu joli. Je tiens tes bras entre mes bras et mon corps sur ton corps. [...] Tu es encore plus beau qu'auparavant, chéri [...]. J'aime à sentir ton corps dans mes bras [...]. Ton ventre est dur aussi. [...] Je suis amoureux de ton cadavre et je vois combien je t'aimais sans le savoir [...] jeune homme plus que charmant, plus que séduisant [...].
Au début de septembre de la même année, c'estParis qui vient à lui en la personne deMaurice Sachs[115], secrétaire deJean Cocteau rencontré chez celui ci à l'automne 1925. Maurice Sachs courtise lui aussiRobert delle Donne[116], lequel lui a trouvé un poste dans l'hôtel Vouillemot que possède son père 15rue Boissy d'Anglas. Max Jacob avait donné une importante somme d'argent au jeune homme en échange de deux précieuxboutons de manchettes, que le premier ne savait pas avoir été dérobés par le second au patron de celui-ci[117]. Les deux hommes ont passé ensemble les deux derniers mois du printemps àParis[118]. Durant les deux mois et demi de cet automne 1926 qu'il passe chez de Max Jacob, àSaint-Benoît-sur-Loire, l'accompagnant dans deux courts voyages, Maurice Sachs apprend par l'exemple la discipline du métier d'écrivain, et l'objet du larcin qui a scellé leur « amitié », les boutons de manchettes, sont restitués à André delle Donne[117].
Un an plus tard,Maurice Sachs confie àJacques Paul Bonjean, qui deviendra avecPierre Colle l'agent de Max Jacob, une édition de luxe de quarante dessins de celui-ci,Visions des souffrances et de la mort de Jésus Fils de Dieu. Max Jacob est amoureusement[119] fasciné par Maurice Sachs. Il voit en lui le futur grand romancier français[115] mais il lui reproche d'aimer d'autres hommes et de s'intéresser moins à sa personne qu'au profit qu'il tire de ses œuvres[120]. Cet amour sans retour vire à la haine la plus noire quand Maurice Sachs publie son premier roman, en 1935. L'auteur, non sans manifester quelques relents d'antisémitisme, y caricature sous les traits d'un escroc en littérature, César Blum, le parangon du vice manipulant les sentiments des jeunes gens qu'il séduit pour son profit personnel.
Il passe deux années de suite ses vacances àTréboul, à l'hôtel Ty Mad, où le rejoignent sur la plage des amis artistes, telCharles-Albert Cingria. Le port deDouarnenez et la société des marins lui offrent une atmosphère moins pesante que celle, bourgeoise et conformiste, voirehomophobe, de sonQuimper natal. C'est là, en, qu'il retrouve le coupleFrancis Rose etFrosca Munster accompagné de leur amant,Christopher "Kit" Wood, un peintre de vingt-neuf ans, qui a fait de lui un célèbre portrait, et auquel les amis de Max Jacob, qui a confessé àCharles Vildrac ses habitudes des jeunesagents de police[126] moustachus[127], prêtent une relationhomosexuelle avec le poète de cinquante quatre ans[128]. Moins d'un mois plus tard, Christopher Wood, matériellement et moralement ruiné par sestoxicomanies, se suicide devant les yeux de sa mère àSalisbury, en se jetant sous le train entrant en gare.
« Je suis un petit vieux bonhomme chauve, coquet, aimable, très raide au fond, très catholique, torturé par les péchés, buveur, bien portant, vantard, gaffeur, susceptible, astrologue assez bête, amoureux, aimant les petites gens et ne fréquentant hélas que les grands. »
En 1932, pour une des dernières soirées données à lavilla Noailles parAnna de Noailles,Francis Poulenc conçoit à partir d'extraits choisis et recomposés duLaboratoire central, qui a consacré le poète dix ans plus tôt, unecantate profane,Le Bal masqué.
[...]
Après la mort de mon amour, oh ! de longs mois après, la douleur et la joie d'avoir aimé (t'aimè-je encore ?) après l'obscur charnier des ruptures sanglantes, et morte et mort et toi en moi et moi en toi, et morte et mort, moi que voici et toi là-bas, je te parlai, ô l'angélique, je te parlai de cette visite dans la neige à la porte de ta maison en ce Paris de velours blanc, pierre de lune, ombre et lumière en chaque rue.
« Je savais que vous êtes fou, car tous les médecins vous le diront, les plus vrais fous sont les plus calmes. »
Et morte et mort, et toi en moi et moi en toi, et morte et mort, moi que voici, et toi là-bas
Ballade de la visite nocturne, un des plus célèbres poèmes de Max Jacob[136]. La « femme » en question pourrait êtreRené Dulsou.
Sa notoriété lui vaut les sollicitations de jeunes poètes qui l'importunent, telEdmond Jabès, mais auxquels il s'astreint de prodiguer ses conseils agacés[145]. Elle lui vaut aussi depuis une dizaine d'années l'opprobre de la pressecatholique, ce qui le met au désespoir[146]. Il y a loin de Max Jacob àPaul Claudel ouFrançois Mauriac. Dix ans plus tôt, il appuyait chaleureusement le pamphlet deJulien Green[147] dénonçant l'hypocrisie catholique[148]. Pour surmonter l'hostilité desconservateurs, il compte dès 1934 sur l'appui du jeuneAbbé Morel dans la rédaction d'uneanthologie catholique qui obtienne l'imprimatur mais le projet, repris maintes fois sous de nouvelle formes jusqu'à la veille de sa mort, n'aboutira pas[149].
Dévalués parla crise, ses revenus, malgré les sept millefrancs de rente obtenus en à la suite de l'accident automobile d', ne lui permettent pas, comme il l'envisageait initialement, de maintenir un train de vie parisien, d'autant plus qu'ayant omis de déclarer cette pension il est poursuivi par le fisc. Le, il apprend que René Dulsou, qu'en deux ans et demi il a fervemment tenté de convertir à la prière, le trompe[138].
Max Jacob avant guerre, en promenade aux alentours de l'abbaye de Fleury.Statue Notre-Dame-de-Fleury, où Max Jacob priait.Au sol dans la chapelle, en avant droit de l'autel, est gravée cette indication « Max Jacob priait... ».
René Dulsou l'ayant quitté en[137] pour un Lou[153], Max Jacob, sans désespérer dans un premier temps de retrouver son amant[154], revient àSaint-Benoît-sur-Loire en 1936. Sa retraite y sera définitive. Pensionnaire de l'inconfortable hôtel Robert, il y adopte une vie quasi monastique[155], en suivant la règle de saintFrançois de Sales. Ilcommunie tous les matins[156], assiste très régulièrement à lamesse[155], uniquement celle des domestiques[37], etparticipe à son service[156]. On le voit souvent enprière devant la statue de laSainte Vierge ou sur lechemin de croix[156]. Pris initialement pour un original très parisien, sa dévotion exemplaire lui procure l'amitié de nombreux villageois et provoque même desconversions[156]. Il accomplit desretraites parmi les raresbénédictins dépêchés à la restauration de l'abbaye de Fleury, qui est désertéedepuis 1903. La tâche lui est confiée de faire visiter auxpèlerins de passage l'ancienneabbatiale qui abrita lesreliques de saintPaul Aurélien, premierévêque duFinistère, et il rédige unguide touristique à leur intention. Il entretient une volumineuse correspondance, écrit beaucoup, en particulier de longuesméditations religieuses qu'il rédige de très bon matin[155] et qui attestent unefoi fulgurante.
Le, il est à Quimper pour l'enterrement de sa mère. Quand il retourne dans sa ville natale, les années suivantes, il accompagne un ami médecin dans ses consultations auprès desréfugiés de la guerre d'Espagne[99].
Christ en bronze doré par le sculpteur Henri Navarre.Saint Sébastien en terre cuite par le sculpteur Henri Navarre, à la sortie de Saint-Benoît sur la gauche, en direction de Sully-sur-Loire.
À droite de la statue Notre-Dame-de-Fleury, la chapelle où Max Jacob priait. Dans cette chapelle, au fond à droite, une croix en bois, avec un Christ en bronze doré, réalisé par le sculpteurHenri Navarre (1885-1971). Ce sculpteur installa son atelier au hameau des Places en 1921. On lui doit aussi le saint Sébastien en terre cuite de l'oratoire du même nom, à Fleury, en direction de Sully-sur-Loire, à gauche à la sortie de Saint-Benoît.
À l'annonce de l'entrée des troupes allemandes dans Paris, le, une cousine de Max Jacob, Noémie Gompel, se suicide àBiarritz. Dès l'automne sont mises en œuvre à Quimper les « lois » d'aryanisation promulguées par lerégime de Vichy. Le magasin d'antiquités de Gaston Jacob, l'oncle du poète, est placardé d'une affiche « JUDE »[169]. Le propriétaire affiche sur la vitre de la boutique « Liquidation - Profitez des derniers jours »[169]. En octobre, Max Jacob se rend à la sous-préfecture deMontargis pour se faire inscrire sur un registre de recensement des Juifs alors que lespréfets n'ont pas reçu de consignes à ce sujet. À la suite de l'édiction de la« loi » du, laSociété des gens de lettres le raye de la liste de ses adhérents. Il ne peut plus percevoir sesdroits d'auteur.
Le vendredi est opérée à Paris par lapolice française la troisième rafle antijuive, la « rafle des notables ». Sept cent quarante trois citoyens sont arrêtés, dontRené Blum et Lucien Lévy,bijoutier qui est le beau-frère de Max Jacob. Au début de l'année 1942, celui ci se cache pendant un mois àOrléans chez les Tixier, belle famille de son ami peintre et sympathisantcommuniste[173]Roger Toulouse, où il trouve confort et réconfort[28]. Le, Lucien Lévy meurt aucamp de Royallieu, àCompiègne, d'où partiront leles premiers déportés raciaux qui auront jusque là survécu à leurs épouvantables conditions d'internement. En mai, Max Jacob assiste à Quimper à l'enterrement de sa sœur aînée Julie-Delphine,tuberculeuse tuée par le chagrin le.
maintenant les enfants se moquent de mon étoile jaune.
Heureux crapaud, tu n'as pas l'étoile jaune.
Max Jacob,Amour du prochain, 1943[174], poème que l'auteur se récitait[175] « auDrancy »[176].
Avant laguerre, Max Jacob recevait deMarie Laurencin une abondante correspondance signée« Ta douce Marie »[177], sur laquelle son exemple de piété aura une influence radicale, puis, comme d'autres amis, telMarcel Jouhandeau, elle a cédé à un certainantisémitisme. À partir de, bouleversée par le port rendu obligatoire de l'étoile jaune[178], elle lui adresse des colis, nourriture, cigarettes, tricots, couvertures, qui l'aident à survivre[179].
Il survit aussi grâce à la diligence du relieurPaul Bonet, qui lui envoie, avec un billet glissé entre les pages, les éditions de ses propres ouvrages à illustrer pour quelques riches collectionneurs[180]. Un Max Jacob, ainsi illustré, doré et relié, décuple sa valeur[180].
Pour son soixante sixième anniversaire, le, Max Jacob reçoit la visite de deux gendarmes français venus vérifier qu'il respecte l'assignation à résidence qui pèse sur les« Juifs » et qu'il porte effectivement l'étoile jaune. Imposée le précédent par undécret d'application d'une ordonnance allemande, il la laisse au vestiaire jusqu'en. Il la porte alors pour ainsi dire « zazou », non pas découpée et cousue sur la poitrine mais dessinée sur son bandeau et recouvrant lerevers du veston, sous la boutonnière marquée de lalégion d'honneur[172]. Les enfants dans la rue se moquent de cette étoile. Il n'a plus le droit de voyager, ni même d'écouter la messe à l'abbaye[28], l'accès aux monuments historiques étant désormais interdit aux « Juifs ». Il est régulièrement contrôlé à son domicile, par les gendarmes, lesgestapistes, lesmiliciens.
Son frère aîné Gaston, arrêté une première fois en août, l'est de nouveau à Quimper ce même mois de décembre puis déporté deCompiègne le versAuschwitz[181], où il estgazé à son arrivée, le 16, mais la famille reste dans une angoisse entretenue par l'ignorance de cette fin rapide[182], ce qui est précisément l'effet théorisé et recherché par le chef de la Gestapo,Heinrich Himmler. La maison familiale est saccagée et les souvenirs dispersés. Il chantonne« j'suis l'bouquet, j'suis l'bouquet, j'suis l'bouc émissaire »[183].
Son amiJean Moulin, organisant laRésistance sous la couverture d'un marchand d'artniçois, adopte entre janvier et le pseudonyme de « Max », en souvenir de leur rencontre à Quimper et au manoir de Coecilian chezSaint-Pol-Roux[150] au début desannées 1930, rencontre restée d'autant plus vive dans son esprit[188] que Saint-Pol-Roux est mort dans des conditions qui ont révolté tous ses amis. « Max » représente toute la synthèse culturelle de la France la plusavant-gardiste en même temps que la plus ancrée dans son histoire telle que la chante à sa façonAragon dansLa Diane française, et tout ce que l'Allemagne nazie honnit de l'« art dégénéré ».
Max Jacob assista la messe de sept heures à la chapelle de l'hospice, actuelle mairie, avant sa déportation.
Maison àSaint-Benoît-sur-Loire, place du Martroi, où Max Jacob, chassé de la pension Robert, louait à partir de à Madame Persillard, veuve de soixante-sept ansinsomniaque etanorexique, un petit deux pièces du premier étage, et où il sera arrêté.Plaque dans la salle de la mairie indiquant la dernière messe à laquelle Max Jacob assista.Plaque commémorative en l'honneur de Max Jacob dans l'ancien camp de Drancy
Le jeudi, trois jours après l'exécution des « terroristes » de l'Affiche rouge, deux jours après l'incarcération deRobert Desnos et deRené Lacôte àFresnes, Max Jacob, après avoir assisté à la messe de sept heures à la chapelle de l'hospice, actuellemairie, passe à laposte prendre le courrier, qui lui donne des nouvelles de l'emprisonnement de son contact au sein du réseauLa France continue[181]. À onze heures, trois membres de la Gestapo d'Orléans se présentent pour la troisième fois en deux jours à son domicile, et, cette fois là, l'y trouvent[189]. De la rue, rien ne transparait de l'arrestation qui ne dure pas plus d'une heure[181]. Sont présents un invité, le docteur André Castelbon venu deMontargis pour la semaine[190], sa logeuse, un voisin, auxquels il transmet l'adresse d'un ami à prévenir qui travaille àRadio Paris, l'occultiste et illustrateurConrad Moricand, ce qu'ils feront sans délai. Ils lui donnent précipitamment, dans la voiture qui l'emporte, un caleçon, un couvre-lit.
Lui qui est fragile des poumons depuis l'enfance, gros fumeur, qui pis est, il est emprisonné quatre jours dans la glaciale prison militaire d’Orléans, à l'emplacement de laquelle se situe l'actuel palais des sports. La femme de son amiRoger Toulouse, Marguerite Toulouse, dont il avait été le témoin de mariage[28], s'y présente chaque jour pour lui transmettre nourritures et vêtements, ce que les officiers lui refusent[181]. Max Jacob s'emploie à s'occuper des malades et à divertir ses soixante-cinq codétenus[181]. Il leur chante desairs d'opéras, dont un irrésistibleÔ Vaterland ! Ô Vaterland !, air qui clôture en allemandLe Petit Faust d'Hervé[181]. Le lundi28 février, lecommissaireRousselot, prévenu quatre jours plus tôt, vient tenter de le délivrer mais quand il arrive à la prison, les prisonniers n'y sont plus[181].
Le matin de ce, mal en point[181], Max Jacob est emmené avec soixante-deux autres détenus en train via lagare d'Austerlitz auJudenlager de Drancy[191], qui est gardé par la gendarmerie française sous la direction d'Alois Brunner. Dès son arrivée en fin d'après-midi,« l'Orphée Orphelin aux confins de l'enfer »[192] est affecté au contingent qui doit remplir le prochainconvoi qui partira le7 mars pourAuschwitz[181]. Le zèle des arrestations des derniers jours vise à rentabiliserces convois. Le matricule 15 872 est torturé moralement par l'absence de sa sœur cadette Myrthe-Léa, qu'il espérait retrouver à Drancy. Au greffe du camp, il dépose les 5 520 francs qu'il a emportés et la montre en or[181] deFilibuth. Il se voit attribuer une paillasse, escalierno 19. Dès le lendemain, il écrit à l'abbé Fleureau,curé de Saint-Benoît-sur-Loire,« Je remercie Dieu dumartyre qui commence », et, grâce à la complaisance desgardes mobiles[193], fait parvenir des messages à son frère Jacques, à son relieurPaul Bonet, àAndré Salmon, àJean Cocteau[194], àConrad Moricand.
Je dirais de Max Jacob que c'est un grand poète si ce n'était pas un pléonasme, c'est poète tout court qu'il faudrait dire, car la poésie l'habite et s'échappe de lui, par sa main, sans qu'il le veuille. Avec Apollinaire, il a inventé une langue qui domine notre langue et qui exprime les profondeurs. Il a été le troubadour de cet extraordinaire tournoi où Picasso, Matisse, Braque, Derain, Chirico s'affrontent et opposent leurs armoiries bariolées. De longue date, il a renoncé au monde et se cache à l'ombre d'une église. Il y mène (à Saint-Benoît-sur-Loire) l'existence exemplaire d'un paysan et d'un moine. La jeunesse française l'aime, le tutoie, le respecte et le regarde vivre comme un exemple. En ce qui me concerne, je salue sa noblesse, sa sagesse, sa grâce inimitable, son prestige secret, sa " musique de chambre" pour emprunter une parole de Nietzsche.
Dieu lui vienne en aide.
Jean Cocteau.
- PS : Ajouterai-je que Max Jacob est catholique depuis vingt ans ?"
À la demande de Georges Prade, Pablo Picasso reste en retrait et ne signe pas la pétition de Cocteau[181]. Une réunion est organisée le 27 chez André Salmon,rue Notre-Dame-des-Champs, pour faire le point[173]. Les amis de Max Jacob sont optimistes mais sans résultats immédiats, ils font circuler une pétition rédigée le 29 par Jean Cocteau. Marie Laurencin y ajoute sa signature et la porte personnellement à von Bose[179].Gerhard Heller, responsable de la censure à l'ambassade d'Allemagne et ami de la « peintresse », intervient auprès d'Otto Abetz et de la Gestapo, mais son intervention reste vaine. Le, celle d'Albert Buesche reçoit un bon accueil[173]. Un jour plus tard, le dimanche à vingt et une heure trente[196], Max Jacob, entré en agonie vers neuf heures[197], meurt à l'infirmerie de lacité de la Muette deDrancy, où règne ladysenterie, d'unarrêt cardiaque induit par lafièvre d'unepneumonie en murmurant« Juif ! Sale juif !… »[196].
« Il fait un peu plus noir et tu montes sans bruit Comme un boiteux du Ciel les marches de la nuit[198]. »
Il est trop tard quand le lendemain, avec une offre de prendre la place de Max Jacob[199], la pétition de Jean Cocteau, « indésirable » vilipendé parla presse collaborationniste et fiché par lapolice nationale commeanarchiste, est remise par Georges Prade au conseiller von Bose, qui transmet aussitôt à son supérieurKarl Klingenfuss(de) en poste àBerlin. Ce, laKommandantur, au terme de tractations dont il n'est resté aucune trace, contacte Charles Trenet par téléphone et lui annonce, cynisme des circonstances, que Max Jacob est enfin libre[195],[200].
« Lesscoliastes futurs devront-ils débattre d’un mythe de Max Jacob ? Ce n’est pas impensable [...] [Son]martyre a favorisé la fabrication d’un Jacob degauche. En choisissant les textes on pourrait obtenir un suffisant Max dedroite. »
Le certificat de décès de Max Jacob déposé en préfecture le ne parvient à la mairie de Saint-Benoît-sur-Loire que le 13, Jean Cocteau et la plupart de ses amis, incertains quant à la rumeur, ayant jusque-là continué leurs démarches. Dès le, Pablo Picasso invite toute l'intelligentsia anti-nazie de Paris à venir chezMichel Leiris, son voisin, écouter sous le dernier portrait qu'il a fait deux ans plus tôt de Max Jacob, sapièceLe Désir attrapé par la queue[202].
En,Les Lettres françaises, en réponse aux injures deParis-Midi[203] et deJe suis partout[204], consacrent les deux tiers de leursune à un hommage dePaul Éluard intitulé, par référence aupoète assassiné, « Max Jacob assassiné »[205].Michel Leiris y ajoute un article.Louis Parrot évoque, par un poème de sa composition[206], la conceptionquiétiste de larésistance qu'avait le poète, un mélange d'autodérision exemplaire et d'amour sacrificiel du prochain[207], qui est plus que résister à la tentation de rejeter l'autre, s'identifier à lui et l'identifier à soi jusque dans ses turpitudes et abjections, comme lorsqu'il était allé serrer la main demiliciens tenant publiquement des proposantisémites et leur déclarer« Merci ! Et que Dieu vous pardonne ! »[196].
Des poèmes inédits de Max Jacob continuent d'être diffusés immédiatement après sa mort par les revues clandestines. Parmi d'autres, ils circulent dans lestalag XI-A d'Altengrabow,ronéotypés parGaston Ciel pour ses quatre-vingts exemplaires desCahiers littéraires XIA[208].
Pierre Seghers, dans son témoignage militantLa Résistance et ses poètes, le consacre comme père[211] de tous les « poètes casqués » de laSeconde Guerre mondiale et des générations futures[212].
La sépulture de Max Jacob àSaint-Benoît-sur-Loire.Ancien emplacement de la tombe de Max Jacob au cimetière parisien d'Ivry (division 44, ligne 24, tombe 27).
Comme tous les prisonniers décédés àDrancy, Max Jacob est enterré dans le cimetière d'Ivry[196]. L'inhumation est confiée à l'UGIF et a lieu le samedi.
Conformément au vœu du poète, qui voyait dans le paysage de Saint-Benoît-sur-Loire un tableaucubiste[122], la dépouille de Max Jacob repose depuis le dans le cimetière de ce village. La veille, les ossements étaient exhumés ducimetière d'Ivry, après accord de la veuve de l'exécuteur testamentairePierre Colle, mort à quarante ans un an plus tôt, et du dernier survivant de la famille du défunt, son frère Jacques[122]. Le transport s'est fait en camion militaire aux frais de l'État, au titre de la« restitution des corps des internés et déportés politiques ou raciaux ».
Synthèse de la vie de Max Jacob à l'entrée du cimetière.
La tombe est désormais ornée d'un portrait enbronze réalisé en1935 par son amiRené Iché.
Depuis, l'association édite un bulletin semestriel,Lettres et mots. Elle a publié pendant dix ans une revue annuelle,Les Cahiers Max Jacob[213], qui ont été édités de 1978 à 1991 par un département de l'université de Saint-Étienne sous le titreLe Centre de recherche Max Jacob avant d'être repris par l'association sous un format bisannuel. En mars de chaque année, elle organise à la Maison Max Jacob deSaint-Benoît-sur-Loire le Mois Max Jacob, événement inscrit à l'agenda duPrintemps des Poètes qui inclut spectacles, brigades d'Intervention poétique, poésie en appartement,café littéraire[213]…
Depuis 2010, le poète, compositeur et chanteurPaul Dirmeikis a mis en chanson des poèmes de Max Jacob :Nocturne,Le Départ,Cimetière,Le Mariage,La Roue du moulin.
En2012, le chanteur et poèteMelaine Favennec publie un album intituléÉmoi des mots, Melaine Favennec chante Max Jacob[214].
Le poèteBruno Doucey a publiéLe carnet retrouvé de monsieur Max, éd. Bruno Doucey, collectionSur le fil, 2015: Faux journal retraçant les dernières semaines de Max Jacob àSaint-Benoît-sur-Loire etDrancy.
À Quimper
La cour de la Maison Max Jacob àQuimper à l'été 2014.
« Gentil Quimper, le nid de mon enfance De lierre, ormeaux, roches tout tapissé[215] »
— Hommage de Max Jacob à saCornouaille, aux sources de laquelle, fuyant lesannées folles, il se retrouve et se reconstruit.
En 1989, le théâtre municipal[216] de la ville natale de Quimper, théâtre qu'il a évoqué en 1922 dans son drameLe Terrain Bouchaballe, prend le nom deThéâtre Max-Jacob. Un collège y porte également son nom.
Inaugurée en, la passerelle Max Jacob est un des dix ponts piétons sur l'Odet. Legarde-corps évoque les barbelés deDrancy et des vers extraits duCornet à dés sont gravés sur les rampes. Le dessin du portrait peintModigliani en 1916 apparaît àmarée basse sur le béton d'une des piles.
Les Rendez-vous de Max, lectures et rencontres mensuelles de poésie, sont accueillis depuis dans la maison d'enfance et de jeunesse de Max Jacob à Quimper,Chez Max (cour Max Jacob, 8 rue du Parc).
Personnage étrange cultivant ses mensonges autobiographiques et pratiquant l'autofiction, Max Jacob fascine ses contemporains et devient une légende de son vivant[219]. Comme l'a théoriséMarcel Duchamp et comme le réalisera l'alter ego de celui-ci,Henri-Pierre Roché, l'art, pour Max Jacob et ses amis, est un acte et la vie de l'artiste son propreready-made. Sept auteurs de l'entre-deux-guerres ont fait de lui un personnage de roman[220].
Le Mage Abel dansLe Voleur de Talan dePierre Reverdy, 1917.
Les apparitions posthumes du personnage de Max Jacob dans la littérature, le théâtre et le cinématographe ne se comptent pas. Outre le filmMonsieur Max mentionné plus haut, on note le premier volume enbande dessinée, intituléMax Jacob, de la série consacrée parJulie Birmant àPablo Picasso[221]
« J'admire profondémentMallarmé, non pour sonlyrisme, mais pour la situation divinement géographique de son œuvre[222]. »
Conçu à l'ombre d'Apollinaire et dans l'intimité dePicasso, levers libre de Max Jacob, par sa simplicité et sa profusion, inscrit irrévocablement lapoésie française dans l'art moderne[156]. Il le fait de façon fracassante, quoique encore confidentielle, quand, en 1917, pendant laGrande guerre, parait un recueil de poèmes, ou textes se donnant pour tels, élaborés durant la décennie précédente,Le Cornet à dés. 1917, c'est l'année oùLa Jeune Parque, chef-d'œuvre de l'académismemallarméen, révèlePaul Valéry.
« Par sa façon de présenter le mot, exactement comme undé, sur toutes ses faces et dans son volume [...], Max Jacob, ainsi que le fait très justement remarquerCarco, se rattachait aucubisme. » - Son discipleRené-Guy Cadou, en 1950[224].
En 1907, Max Jacob invente le terme decubisme et se fait le chantre, à l'instar dePierre Reverdy, d'une « littératurecubiste »[225], c'est-à-dire d’une écriture où lamétonymie, l'allitération, lacontrepèterie, lecalembour, l'allusion, l'aphorisme, l'ellipse, l'antithèse, laparataxe démultiplient les masquessignifiants[78]. Il s'en explique.« LeCubisme en peinture est l'art de travailler le tableau par lui-même en dehors de ce qu'il représente, et de donner à la construction géométrique la première place, ne procédant que par allusion à la vie réelle. Le cubisme littéraire fait de même en littérature, se servant seulement de la réalité comme d'un moyen et non comme d'une fin. »[226].
Cette distance, ou« marge », entre le poème, voire l'œuvre d'art en général, et ce qu'il représente, est un espace pour larêverie et procède d'unedistanciation qui est plus que l'effet de surprise brechtien[227], un choix affirmé de l'artiste de« situer »[228] son œuvre par rapport à la réalité qu'il décrit, qui peut être, par exemple, un degré défini d'abstraction, d'absurdité ou d'humour, seule libération possible du dérisoire et dutragique du monde et préalable à toutengagement[229]. Max Jacob appelle cet écart entre le mot et la chose la situation de l'œuvre[228]. C'est ce qui crée l'atmosphère de l'œuvre et, plus que lestyle, propre à l'auteur qui séduit, lui donne sa puissance intrinsèque, emporte le lecteur ou le spectateur[228]. C'est ce qu'il signale à l'exemplaire[230]Georges Simenon[231] commençant d'inventer sesromans policiers sans intrigues. C'est ce qu'il admire dans le précurseur duNouveau roman qu'estTropismes deSarraute, puis dans le premier romanexistentialiste qu'estL'Étranger[232] deCamus, auteur qu'il a soutenu depuis 1932 et qui lui a beaucoup pris.
Max Jacob est ainsi amené à se méfier de toute rhétorique[233] qui ne ferait pas la première place à la rigueur d'écriture que seul exige son objet et refuse de s'inscrire dans toutmouvement littéraire ouartistique, allant jusqu'à affirmer« Quelle bonne fumisterie que leCubisme et leCézannisme; il n'y a que l'amour qui compte, le reste est pour faire chef-d'œuvre; or le chef-d'œuvre n'est pas prévisible. »[234], autant dire uneffet de mode, ou du hasard. Pour la même raison, il n'intègre pas le groupe dessurréalistes, auxquels il reproche de manquer de cœur,« des mots sans les maux »[235].
« La lance qui a traversé la poitrine de Notre Seigneur Jésus-Christ est la flèche indicatrice du chemin que prennent les idées pour devenir valables. »[236]
En effet pour Max Jacob, non pas les artifices de l'écriture, telle que l'écriture automatique ou tout autre procédé, mais l'émotion, littéralement ce qui fait sortir de soi,« l'émotion est le tout des œuvres »[237]. Il précise toutefois que les uns sont la condition nécessaire de l'autre.« L'émotion ne se suffit pas à elle-même contrairement à ce que j'ai cru longtemps. Il faut de l'art! »[238]. Il demeure que« [...] l'union de l'esprit et de la matière [est] la vraie réalité pour le poète : la réalité spirituelle. L'émotion artistique est ainsi le signe que la vie prend conscience de la vie et y participe »[239].
Max Jacob compare cette émotion artistique, cetteélévation de l'âme suscitée par l'œuvre d'art, aucoup de lance donné auSacré-Cœur, ultimeplaie[240] par laquelle la divinité« faite homme » se sépare du cadavre et l'esprit, dupéché[241]. Il voit dans leSacré-Cœur le lieu d'une union de la matière et de l'esprit, de la sensibilité et de l'intelligence, qui se traduit en art par« l'intelligence concrète »[242], qui est l'intelligence des poètes[243]. Le poète donne de la vie aux idées et de l'esprit à la vie.
[...] Or, voici qu'à la Bibliothèque nationale je m'aperçois que je suis surveillé. Quatre employés s'avancent vers moi avec une épée de poupée chaque fois que je cherche à lire certains livres. Enfin un tout jeune groom s'avance: "Venez!" me dit-il. Il me montre un puits caché derrière les livres; il me montre une roue de planches qui a l'air d'un instrument de supplices : "Vous lisez des livres sur l'Inquisition, vous êtes condamné à mort!" et je vis que sur ma manche on avait brodé une tête de mort [...]
Générosité espagnole[251], exemple du « lyrisme »onirique de Max Jacob[252]
Admirateur deVigny[254], il le fait moins par une volonté de rompre avec leromantisme ou lesymbolisme que par la recherche du moment où la langue traduit undépassement de la conscience emportée par les sentiments[255]. Il appellelyrisme ce franchissement, propice à larêverie, de la limite du dicible par la sonorité de la langue, qu'il repère chez« le seul poète lyrique de langue française »[256],Apollinaire.« J'entends par l'éclat lyrique, cette folie, cette exaspération de plusieurs sentiments élevés qui, ne sachant comment s'exprimer, trouve un exutoire dans une sorte de mélodie vocale dont les amateurs de vraie poésie sentent les dessous, la légèreté, la plénitude, la réalité : cela est du lyrisme. Il y en a très peu de par le monde et très peu même chez les très grands poètes; il n'y en a pas chezHugo, ce rhéteur. »[257].
Il s'agit d'un lyrisme nouveau en ce sens qu'il ne s'exprime pas par le développement de laphrase ou de lastrophe autour du thème qui suscite l'émotion mais par le choix d'uneépithète qui ouvre l'imagination[254] sur un sensinconscient ou caché. C'est un lyrisme des idées mais un antilyrisme des mots. Cette avarice des mots[258], cet effacement deseffets de style et des artificesrhétoriques, vise à concentrer l'effort d'écriture, par des images concrètes, sur ce que Max Jacob appelle l'« idée trouvaille », et qu'il compare à unplafond[259] au-delà duquel la vision se perd. C'est l'univers spirituel du poète, ce qu'il est en tant qu'homme, et non pas seulement son art, en même temps que sa capacité à en faire un objet étranger à lui-même[260], qui donne à une œuvre du « plafond »[261].
Max Jacob,« purifiant la fascination idolâtrique pour emprunter un chemin de contemplation »[262], illustre et défend unart poétique où l'art« sans art »[263] tend à s'effacer devant la révélationmystique[264], latransfiguration[79] de l'être le plus quotidien et son indicible[264].
Dès 1922, comme le montrent ses lettres au futur historien du monde du cirque qu'estTristan Rémy[265], il se fait lepédagogue d'une poésie lyrique dont l'émotion est le but[266], le but premier du moins.« Lesurréalisme et l'antisurréalisme sont morts. La poésie (qui a pris et qui va prendre beaucoup d'importance) sera une poésie d'émotion, de suites et de variations syntaxiques dues au sentiments. »[267]. Son œuvre d'essayiste et d'épistolier se fait dès lors la source d'unmouvement littéraire plus sensible à la poésie du quotidien qu'aurôle politique du poète. Ce ne sera que durant l'Occupation, que cette jeune génération, qui, sans toujours suivre le maître dans ses constructions métaphysiques et religieuses, ne renie pas son héritagesymboliste[266], s'affirmera sous le nom d'École de Rochefort.
Première édition deCinématoma. Œuvre prête à imprimer en qui ne le sera qu'après la mort d'Apollinaire, elle illustre la théorie de la situation, dont Max Jacob voit tardivement l'illustration dansL'Étranger deCamus.
La Défense de Tartuffe, Société littéraire de France,Paris, 1919,213 p.[270].
nouv. éd., introd. & notes André Blanchet,La défense de Tartufe : extases, remords, visions, prières, poèmes et méditations d'un Juif converti.,Gallimard,Paris, 1964,299 p.
Lettres à Jean Colle 1923-1943- Mémoire de la ville (Douarnenez)-1996.
A.Ségal, Fragments de pensées et de vie littéraire dévoilés dans quelques lettres de Max Jacob à Tristan Rémy (1922-1923), Du Lérot, éditeur Tusson, Charente, 2014[276].
Max Jacob, le poète sacrifié, par Agnès Akérib, collection Scènes intempestives à Grignan, TriArtis Paris 2025, isbn 9782490198610.
M. Jacob,Visions des souffrances et de la mort de Jésus Fils de Dieu : quarante dessins de Max Jacob, avec un portrait de l'auteur par lui-même, Aux Quatre Chemins, Paris, 1928, 279 ex.
M. Jacob,Tableau de la Bourgeoisie,NRF,Paris, 1929,223 p.
M. Jacob,Saint Matorel, Le siège de Jérusalem, Les œuvres burlesques et mystiques de frère Matorel,Gallimard, Paris, 1936,300 p.
Apollinaire et sa muse, vers 1913, plume et encres noire et brune, lavis brun, gouache et crayons de couleur sur papier vélin, 21,6 x 16,4 cm ,musée des Beaux-Arts d’Orléans[277].
Crucifixion, vers 1928-1936 (1934 ?), plume et encre brune, lavis brun, pastel et gouache sur papier vélin, 20,9 x 27,3 cm,musée des Beaux-Arts d’Orléans[278].
Saules au bord de la Loire, 1938, plume et encre noire, gouache, crayon graphite et lavis d’encre sur papier vélin, 36 x 40,2 cm,musée des Beaux-Arts d’Orléans[280].
Vision de guerre, plume et encre brune, aquarelle et gouache sur papier marouflé sur carton, 20,6 x 26,7 cm,musée des Beaux-Arts d’Orléans[281].
« C'est le poète le plus simple qui soit et il paraît souvent comme le plus étrange. Cette contradiction s'expliquera aisément lorsque je dirai que lelyrisme de Max Jacob est armé d'un style délicieux, rapide, brillamment et souvent tendrement humoristique. »
« Il serait malaisé de trouver un esprit plus délié, plus rompu aux jeux de l'imagination et de l'eutrapélie. Ses souples qualités lui eussent permis de devenir un journaliste de belle étoffe, mais il eut[sic] eu quelque remords à marcher sur la route du succès facile. Il a préféré suivre le chemin ardu de « l'homme pur », ou si l'on aime mieux du poëte […]. Les poëmes en prose du « Cornet à Dés » sont variés, allégoriques, souvent anecdotiques, écritsdans un style précis, adroit et enjoué, mais ils n'illustrent pas en tout point la théorie de M. Max Jacob sur lepoëme en prose, parce que celle-ci ne fut définitivement constituée qu'après coup. »
« Max Jacob apportait aucubisme une ironie fluette, un mysticisme un peucharentonesque, le sens de tout ce qu'il y a de bizarre dans les choses quotidiennes et la destruction de la possibilité de l'ordre logique des faits. »
« Max […] avait un sens presque surnaturel du naturel, c'est-à-dire qu'il en décelait l'irrationnel avec une roublardise qui n'appartient qu'aux enfants ou aux prophètes […]. »
« Comme l'a écrit un de ceux-là, princes du verbe, et sous les doigts de qui semblent glisser d'eux-mêmes les fils du masque de l'Ego, j'ai nommé Max Jacob, poète, saint et romancier, oui, comme il l'a écrit dans sonCornet à dés, si je ne m'abuse : le vrai est toujours neuf. »
— Jacques Lacan en 1946 à propos du caractère toujours neuf des pensées fondatrices[288].
— Jean Cocteau à propos de Max Jacob, qui se plaignait d'être considéré moins comme un auteur que comme un ami d'Apollinaire.
« Une question se pose au sujet de ses romans, si on peut appeler romans ces rapsodies étourdissantes dont les morceaux ne tiennent entre eux que par l'unité du fond et du ton. »
« Une autre caractéristique de l'univers démoniaque de Max Jacob [est] la présence des animaux. L'animalité est le domaine deSatan. Le monde animal représente la dégradation des formes humaines. Il y aurait de quoi remplir une arche avec toutes les présences animales qui grouillent dans les pages. Elles sont liées à unerépulsion personnelle de l'auteur : « Toi qui a si peur des bêtes, tu seras entouré des bêtes. » De là des démons à têtes d'animaux, puants, gluants. Les glissements, les frôlements entraînent une réaction de dégoût. L'animal révèle la secrètepossession […] »
— Étude didactique de 1972 faite en Sorbonne[292].
« Et j'admirais l'utilité de la moindre syllabe. Un mot changé, une virgule, et l'expérience était manquée. Max Jacob ne manque jamais ses tours deprestidigitateur. « Sautez à la corde en descendant l'escalier, vos pieds ne le toucheront pas. »[293] Une petite fille aux jambes de garçon volette en souriant à côté de la rampe. Ses nattes flottent comme une algue. Ralenti. Ce silence oblige à se taire. Max Jacob pose côte à côte sur la table au tapis rouge les objets les plus ressemblants : « L'enfant, l'éfant, l'éléphant, la grenouille et la pomme sautée. »[294] J'adorais cette chose là où je voyais enfin le contraire de l'arbitraire. »
« L'image : « Chaque brin d'herbe était un morceau de folie » est particulièrement frappante, grâce au procédé fréquemment employé par Max Jacob et les poètes modernes, qui consiste à créer une métaphore à partir du moule syntaxique de la définition : « ceci est cela ». L'utilisation d'une formule du langage rationnel et didactique parait garantir en elle-même une certaine authenticité, pour, en fait, énoncer un contenu parfaitement incohérent. »
« […] Que tout soit nouveau. […] Cette poésie est incantatoire, divinatoire, elle est débordement sur le futur. N'est-il pas significatif que les deux poètes les plus dévorés par ce feu intérieur, par cette nécessité de la « révélation de l'être », Max Jacob etAntonin Artaud, aient tous deux été passionnés d'alchimie et dekabbale, et tous deux adressé des prophéties à leur entourage ? Ici, la poésie rejoint la vocation divinatoire, qui arrache l'homme au monde des apparences et letransfigure. »
— Jean Marie Le Clézio en 1981 en préface auxDerniers poèmes[264].
« L'on a souvent répété que Max Jacob était bon, écrit-il en 1937. Oui, certes, il fut bon, très bon, mais il faut ajouter que cette bonté fut si entière qu'elle le portait à se montrer impitoyable dès qu'il s'agissait d'atteintes à la forme, la belle forme que dans son art prestigieux ne définit aucune loi. Il fallait faire comme lui: de la poésie pure et innocente avec ce qui bouge simplement dans la vie. Rester attentif, modeste et blanc. Les syllabes lancées en l'air, si l'astre qui vous guide est vigilant, retombent et marchent. Abolir l'orgueil, aimer ce qui est aimable, croire, croître. C'est cette simplicité qui l'a fait inimitable. »
— Charles-Albert Cingria , dans "Portraits", Lausanne, L'Age d'Homme, coll "Poche Suisse" 1994, p. 49.
« […] La poésie jacobienne emprunte très souvent les traits qui, depuis la Renaissance, caractérisent l’art baroque : le goût de la métamorphose, du masque et dutrompe-l’œil, le refus des frontières stables, la réversibilité desgenres et des codes littéraires, le jeu sur la disproportion et la dissymétrie, et enfin la passion des miroirs et des reflets. »
Quatre poèmes de Max Jacob pour quintette à vents et voix, dédiés àDarius Milhaud. Création le 7 janvier 1922 sous la direction du dédicataire à la Salle des Agriculteurs (Paris). Publication Salabert, 1995
- Est-il un coin plus solitaire
- C'est pour aller au bal
- Poète et ténor
- Dans le buisson de mimosa
Cinq poèmes de Max Jacob pour voix et piano (FP 59) dédiés à Suzanne Balguerie.Rouart, Lerolle (Salabert), 1932
Visions infernales pour baryton et piano dédiées àDoda Conrad. Publication Heugel, 1950. Création le 16 janvier 1948 chezMarie-Laure de Noailles par le dédicataire. Création publique le 28 décembre 1948 au Town Hall deNew York par le dédicataire et Erich Itor Kahn.
- Le Petit Paysan
- Exhortation
- Que penser de mon salut
- Régates mystérieuses
- Voyage
- Voisinage
Les pénitents en maillot rose, 5 Poèmes de Max Jacob pour voix et piano dédié àPierre Colle. Publication Heugel, 1949
↑Patricia Sustrac,Max Jacob : Biographie (enfance bretonne), Les Cahiers Max Jacob(lire en ligne),p. 112
↑ClaudeBourdet, GillesMartinet et Jean-MarieBorzeix,L'Aventure incertaine : de la Résistance à la Restauration, Éditions du Félin,(lire en ligne),p. 237
↑P. Picasso, « Mon cher et vieux Max [...] et toi et bien amouré de ta pas belle et pas très-fine 1 de famme marié ; o les amours. [...] il faut que toi la vexes beaucoup pas que comé ça ça passera plus vitte. [...] Adieu mon Vieux et je te ambrase. », Barcelone,, cité in Ch. Pelletier, op. cité.
↑ab etcJ. Warnod,Serge Ferrat et ses amis in présentation de la venteno 01330Hommage à Serge Ferrat - collection Haba et Alban Roussot, Arcturial, Paris,.
↑L. Aragon, « L'an deux mille n'aura pas lieu », inLes Adieux,Temps actuels,Paris,. :Le distique de Louis Aragon est une référence à Max Jacob et le cite au vers suivant, « Et me parvient par le porche parfois le rire insultant du crime arpentant le parvis » (Note de Hélène Henry, op. cité).
↑Jean Touzot,Journal de Jean Cocteau 1942-1945,p. 569,Gallimard, Paris, 1989.
↑ Dans son autobiographie,Histoires de ma vie, Éditions Albin Michel, 1975, page 153(ISBN2226001530),Jean Marais écrit que Jean Cocteau, voulant sauver son ami Max Jacob par tous les moyens, prit contact par l'intermédiaire deJosé Maria Sert avec l'ambassade d'Espagne, pour faire porter une lettre émouvante au chef qui s'occupait des prisons juives. Les amis de Max Jacob obtinrent sa libération… le jour de sa mort.
↑« Max Jacob est mort. Juif par sa race, breton par sa naissance, romain par sa religion, sodomiste par ses mœurs, le personnage réalisait la plus caractéristique figure de Parisien qu'on pût imaginer, de ce Paris de la pourriture et de la décadence dont le plus affiché de ses disciples, Jean Cocteau, demeure l'échantillon également symbolique. Car, hélas ! après Jacob, on ne tire pas l'échelle. », inJe suis partout,Paris,.
↑A. Ségal,Max Jacob : Fragments de pensées et de vie littéraire dévoilés dans quelques lettres de Max Jacob à Tristan Rémy (1922-1923), Du Lérot,Tusson, 2014.
↑FrancisDeguilly, « Max Jacob, Fragments de pensées et de vie littéraire dévoilés dans quelques lettres de Max Jacob à Tristan Rémy (1922-1923), édition présentée et commentée par Alain Segal, Tusson : Du Lérot éditeur, janvier 2014 »,Les Cahiers Max Jacob,vol. 15,no 1,,p. 125–125(lire en ligne, consulté le)
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↑Dominique Brême et Mehdi Korchane,Dessins français du musée des Beaux-Arts d’Orléans. Le Trait et l’Ombre, Orléans, musée des Beaux-Arts,(ISBN9 788836 651320), n°189
↑Dominique Brême et Mehdi Korchane,Dessins français du musée des Beaux-Arts d’Orléans. Le Trait et l’Ombre, Orléans, musée des Beaux-Arts,(ISBN9 788836 651320), n°190
↑Dominique Brême et Mehdi Korchane,Dessins français du musée des Beaux-Arts d’Orléans. Le Trait et l’Ombre, Orléans, musée des Beaux-Arts,(ISBN9 788836 651320), n°191
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