L'emplacement du camp de concentration de Mauthausen a été sélectionné avec celui du deuxième camp de concentration de Gusen, en mars 1938[1].On construisit d'abord le premier camp de prisonniers à Mauthausen, mais il se développa avec le deuxièmecamp de Gusen I pour devenir l'un des plus grandscamps de travail enEurope occupée[2],[3]. En plus des quatre camps situés à Mauthausen et dans les environs deGusen, plus de 50 camps annexes, situés en Autriche et dans le Sud de l'Allemagne dépendaient du complexe de Mauthausen-Gusen et utilisaient les prisonniers comme main-d'œuvre. Parmi les camps annexes du KZ Mauthausen-Gusen se trouvaient descarrières, des fabriques demunitions, desmines, des usines d'armement et d'assemblage d'avions.
En janvier 1945, l'ensemble des camps dirigés depuis le bureau central de Mauthausen rassemblait plus de 85 000 prisonniers[4]. Le nombre total des victimes est inconnu mais la plupart des sources parlent de 122 766 à 320 000 morts pour le complexe dans son entier. Les camps formaient l'un des premiers grands complexes concentrationnaires nazis et furent parmi les derniers à être libérés par lesAlliés. Les deux camps principaux, Mauthausen et Gusen I, étaient les seuls camps du système concentrationnaire nazi en Europe classés « camps de niveau III », ce qui signifiait qu'ils étaient destinés à être les camps les plus durs à l'intention des « ennemis politiques incorrigibles du Reich[2] » dont les prisonniers n'étaient pas censés revenir. Mauthausen-Gusen était plus particulièrement destiné à l'élimination par le travail de l'intelligentsia des pays occupés par l'Allemagne lors de laSeconde Guerre mondiale[5].
Oswald Ludwig Pohl en 1947Heinrich Himmler visitant Mauthausen en 1941. Himmler est en train de parler avecFranz Ziereis, le commandant du camp.Plan de la "cave d'exécution" à Mauthausen
Le 7 août 1938, des prisonniers ducamp de concentration de Dachau furent envoyés dans la ville de Mauthausen près deLinz en Autriche pour commencer la construction d'un nouveau camp. Le site fut choisi du fait de la proximité d'une carrière degranite[4]. Bien que le camp soit, dès le départ, contrôlé par l'État allemand, il fut fondé comme une entreprise économique par une société privée. Le propriétaire de la carrière Wienergraben située à Mauthausen était une société DEST (sigle deDeutsche Erd- und Steinwerke GmbH). La société, une émanation deOffice central SS pour l'économie et l'administration dirigé parOswald Pohl, loua les terrains destinés à la construction du camp et acheta des terres près de Gusen dès le 25 mai 1938[1].
Un an plus tard, la société ordonna la construction du premier camp àGusen. Legranite extrait de la carrière avait été utilisé pour paver les rues deVienne mais les autorités nazies envisageaient la reconstruction des principales villes d'Allemagne en accord avec les idées d'Albert Speer et des autresarchitectes nazis[6], et de grandes quantités de granit étaient donc nécessaires. Les fonds pour la construction du camp de Mauthausen rassemblaient de nombreuses sources dont des prêts de laDresdner Bank, de l'Escompte Bank basée àPrague, du prétendu « fonds Reinhardt » issu des biens pris aux prisonniers des camps de concentration et de laCroix-Rouge allemande[4],[7].
Initialement, Mauthausen était uniquement uncamp d'internement pour les criminels dedroit commun, lesprostituées[8] et les autres catégories de « criminels incorrigibles[9] ». Le 8 mai 1939, il fut converti encamp de travail, principalement pour les prisonniers politiques[10].
LaDeutsche Erd- und Steinwerke GmbH (DEST) commença à acheter des terres à Gusen en mai 1938 pour établir un double camp de concentration à Mauthausen et à Gusen; toutefois, les travaux de construction ne commencèrent qu'à l'automne 1939. En 1938 et 1939, les prisonniers du camp improvisé de Mauthausen devaient se rendre chaque jour à la carrière de Gusen qui était plus productive que la carrière de Wienergraben[1]. À la fin de l'année 1939, le camp de Mauthausen, non fini, était déjà surpeuplé du fait du début de la guerre contre laPologne en septembre 1939. Le nombre de détenus était passé de 1 080 fin 1938 à plus de 3 000 un an plus tard. C'est à cette époque que la construction d'un nouveau camp « pour les Polonais » commença à environ 4,5 km deGusen. Le nouveau camp (par la suite nomméGusen I) devint opérationnel en mai 1940, mais les carrières de Kastenhof et de Gusen à proximité du nouveau camp étaient déjà exploitées par les détenus de Mauthausen depuis 1938/1939. Les premiers prisonniers furent placés dans les premiers baraquements (No. 7 et 8) le 17 avril 1940 tandis que les premiers transports de prisonniers, principalement des camps deDachau et deSachsenhausen arrivèrent le 25 mai[4]. Le nouveau camp de Gusen évita aux prisonniers de Mauthausen de réaliser les marches quotidiennes entre le camp et les carrières.
Comme à Mauthausen, le camp de Gusen utilisa ses prisonniers en tant que main-d'œuvre esclave dans les carrières de granit mais ces derniers furent également prêtés à diverses entreprises locales. En octobre 1941, plusieurs baraquements furent séparés du camp de Gusen par desbarbelés et transformés en uncamp de travail pour les prisonniers de guerre (allemand :Kriegsgefangenenarbeitslager). Le camp accueillit de nombreuxprisonniers de guerre principalement des officiers soviétiques.
Le « Jourhaus » – L'entrée principale du camp Gusen I, env.1941
En 1942, la capacité de production des camps de Mauthausen et de Gusen atteignit son maximum. Gusen fut agrandi pour inclure le dépôt central de laSchutzstaffel où de nombreux biens pillés dans les territoires occupés étaient triés avant d'être répartis dans toute l'Allemagne[11]. Les carrières et les entreprises locales avaient de plus en plus besoin de main-d'œuvre, car un nombre croissant d'Allemands était mobilisé dans laWehrmacht.
En mars 1944, le dépôt SS fut converti en un nouveausous-camp,Gusen II. Jusqu'à la fin de la guerre, le dépôt servit decamp de concentration improvisé. Le camp abrita entre 12 000 et 17 000 prisonniers qui étaient privés des commodités les plus élémentaires[2]. Les détenus de Gusen II ont travaillé à St. Georgen/Gusen à la construction et l'exploitation de l'usine souterraine d'aviationB8 Bergkristall(de)[1].
En décembre 1944, une annexe du camp de Gusen fut ouverte près de Lungitz et nomméeGusen III[2]. Les détenus de Gusen III ont été principalement utilisés dans une boulangerie pour les détenus et pour le stockage de pièces d'aéronefs nécessaires aux usines d'avions Messerschmitt à Gusen et à St. Georgen (usine souterraineB8 Bergkristall)[1]. Le nombre croissant de sous-camps ne permit cependant pas d'accueillir l’afflux de prisonniers, ce qui entraîna une surpopulation des baraquements de tous les sous-camps de Mauthausen-Gusen. De la fin 1940 à 1944, le nombre de prisonniers par lit passa de deux à quatre[2].
Carte des principaux sous-camps de Mauthausen-Gusen
Comme la production de tous les sous-camps du complexe de Mauthausen-Gusen était en augmentation croissante, le nombre de détenus et de sous-camps augmenta de même. Bien qu'initialement les camps de Gusen et de Mauthausen servissent principalement de source de main-d'œuvre pour les carrières locales, ils furent progressivement intégrés au sein de la machine de guerre allemande à partir de 1942. Pour accueillir le nombre croissant de prisonniers, des sous-camps (allemand :Außenlager) de Mauthausen furent construits dans toute l'Autriche. À la fin de la guerre, la liste incluait 101 camps, dont 49 importants[12]. Les sous-camps étaient divisés en différentes catégories selon leur principale fonction :Produktionslager pour les usines,Baulager pour la construction,Aufräumlager pour le nettoyage des villes bombardées par les Alliés etKleinlager (petits camps) où les prisonniers travaillaient spécifiquement pour la SS.
Mauthausen-Gusen en tant qu'entreprise commerciale
La production de Mauthausen-Gusen était supérieure à celle de tous les autres grands camps de travail dontAuschwitz,Flossenbürg,Gross-Rosen ouNatzwiller-Struthof, que ce soit en quantité ou en profits dégagés[13]. La liste des sociétés employant des détenus de Mauthausen-Gusen était longue et incluait à la fois des entreprises de taille nationale et des petites sociétés locales. Certaines parties des carrières furent transformées en ligne d'assemblage pour la sociétéMauser. En 1943, une usine souterraine fut construite à Gusen au profit de la compagnieSteyr. Dans l'ensemble, 45 grandes entreprises participèrent à l'exploitation et firent duKZ Mauthausen-Gusen l'un des camps nazis les plus rentables ; il dégagea un bénéfice de 11 000 000 Reichsmarks[14],[15] pour la seule année 1944 soit environ 140 millions d'euros de 2011. Parmi elles[13] :
Prisonniers de guerre soviétiques cadavériques, 1941-44
La principale fonction du camp continua en parallèle de son rôle économique. Jusqu'en 1942, il fut utilisé pour l'emprisonnement et l'exécution des opposants politiques réels ou imaginaires[3],[19]. Le camp servait les besoins de la machine de guerre allemande et pratiquait également l'extermination par le travail. Si les détenus étaient trop malades ou faibles pour travailler, ils étaient transférés dans lerevier (Krankenrevier, dispensaire) ou dans les autres lieux d'extermination. De 1938 à 1941, le camp ne possédait pas dechambre à gaz mais, à partir du printemps 1940, les prisonniers malades étaient transférés auchâteau de Hartheim[20] qui se trouvait à 40 km du camp. Ils y étaient exécutés par injection létale et incinérés dans lecrématoire du camp. On construisit, en octobre 1941, dans une cave, une chambre à gaz dotée d'un système d'aération. LeZyklon B était livré par la firme Slupetzky à Linz. La dernière opération de gazage eut lieu le 28 avril 1945, et on estime à environ 4 000 le nombre de victimes ainsi exécutées. On utilisa à partir de 1942 unGaswagen, un camion à gaz dont le pot d'échappement était branché à l'intérieur du véhicule pour asphyxier les occupants, qui faisait la navette entre Mauthausen et Gusen[21],[22].
6 000 prisonniers nus attendant la « désinfection » dans la cour de Mauthausen à la suite d'une épidémie de typhus, ce qui permit aux prisonniers de créer les premiers foyers de résistance : la désinfection durant des heures et aucun SS ne se trouvant parmi eux.
Au début de 1940, un grand nombre de Polonais furent transférés dans le complexe de Mauthausen-Gusen. Les premiers groupes étaient composés d'artistes, de scientifiques, d'enseignants et de professeurs d'université[4],[24] arrêtés lors de l'Intelligenzaktion qui désignait l'élimination de l'élite polonaise[25]. Gusen II fut nomméVernichtungslager für die polnische Intelligenz (« Camp de destruction de l’intelligentsia polonaise ») par les Allemands[26].
Plus tard dans la guerre, les nouveaux prisonniers étaient issus de toutes les catégories d'«indésirables», mais les personnes éduquées et les prisonniers politiques formaient la majorité des détenus. Durant la guerre, de nombreux groupes derépublicains espagnols furent également transférés à Mauthausen et ses sous-camps. La majorité d'entre eux avaient fui en France après la victoire deFranco et furent capturés par les forces allemandes après labataille de France en 1940 ou livrés par les autorités duRégime de Vichy. Le plus important groupe espagnol arriva à Gusen en janvier 1941[27]. Les Espagnols portent un triangle bleu marqué de la lettre « S » pourSpanier[28]. Au début de l'année 1941, presque tous les Polonais et les Espagnols furent transférés de Mauthausen à Gusen[29]. À la suite du déclenchement de l'opérationBarbarossa en 1941, les camps accueillirent un grand nombre deprisonniers de guerresoviétiques qui furent gardés dans des baraquements séparés du reste du camp. Ces prisonniers furent les premiers à être gazés dans la nouvelle chambre à gaz au début de l'année 1942. En 1944, des Juifshongrois ethollandais furent transférés au camp[30]. Enfin, 243 homosexuels déportés à Mauthausen au titre duparagraphe 175 ont pu être identifiés, dont moins de la moitié survécurent[31].
Prisonniers faisant de l'exercice à « saute-mouton »
Tout au long de la guerre, le camp de Mauthausen-Gusen accueillit de petits groupes de prisonniers, principalement issus des autres camps de concentration allemands comme Dachau ou Auschwitz. Dans l'ensemble, durant les derniers mois de la guerre, 23 364 détenus des autres camps de concentration arrivèrent au complexe de Mauthausen-Gusen[32].
Beaucoup d'autres périrent durant lesmarches de la mort du fait de températures glaciales et de l'épuisement. La plupart de ceux qui survivaient à la marche moururent avant d'être enregistrés tandis que les autres recevaient des numéros qui avaient déjà été attribués à des prisonniers qui étaient morts[32]. Ils furent accueillis dans les camps existants ou dans le nouveau camp de tentes (allemand :Zeltlager) juste à l'extérieur de Mauthausen où 2 000 personnes devaient utiliser des tentes prévues pour 800 prisonniers et moururent de faim[33].
Comme dans les autres camps de concentration, tous les prisonniers n'étaient pas égaux. Leur traitement dépendait largement dusystème de marquage nazi des prisonniers de même que de leur nationalité et de leur rang au sein du système. Leskapos, prisonniers désignés par l'administration pour surveiller leurs camarades, recevaient des rations supplémentaires et dormaient dans des pièces séparées dans la plupart des baraquements.Himmler ordonna la construction d'unbordel qui fut ouvert en 1942 et était destiné à récompenser les kapos[34].
Bien que Mauthausen-Gusen ait été principalement un camp de travail pour hommes, un camp pour femmes fut ouvert à Mauthausen en septembre 1944 avec des prisonnières issues d'Auschwitz. Par la suite, la majorité provenait des camps deRavensbrück,Bergen-Belsen,Gross-Rosen etBuchenwald. Il y eut également une soixantaine de gardiennes dans tout le complexe comme àHirtenberg,Lenzing (le principal sous-camp pour femmes en Autriche) etSankt Lambrecht.
Les statistiques disponibles sur les détenus de Mauthausen[35] datant du printemps 1943 montrent qu'il y avait 2 400 prisonniers âgés de moins de 20 ans, représentant 12,8 % de l'effectif total de 18 665. À la fin mars 1945, ce nombre passa à 15 048 sur 78 547, soit 19,1 %, et reflète l'utilisation accrue d'adolescents polonais, tchèques, russes et des Balkans comme main-d'œuvre forcée avec la poursuite de la guerre[36]. Juste avant la libération du camp, les statistiques concernant les moins de 20 ans faisaient état de 5 809 civils, 5 055 prisonniers politiques, 3 654 Juifs et 330 prisonniers de guerre soviétiques[35].
Orchestre du camp avec Wilhelm Heckmann à l'accordéon, 1942
Comme d'autres camps, Mauthausen possédait unorchestre de détenus, composé de musiciens tenus par les SS de jouer régulièrement desmarches militaires ainsi que de la musique populaire ou sérieuse en diverses occasions comme lors des départs des déportés au travail, au retour deskommandos le soir, lors de visites officielles, lors de l'exécution d'un détenu ou pour la distraction des gardiens et officiers[37]. Y figurait leténor et accordéoniste allemandWilhelm Heckmann qui a contribué à la formation de cet orchestre de prisonniers[38]. Selon les témoignages, un violoncelle et des guitares auraient été fabriqués dans la menuiserie du camp. Si ces instruments ont disparu, il reste aujourd'hui une contrebasse fabriquée dans le camp par plusieurs détenus affectés à la menuiserie. À l'intérieur de l'instrument figure une inscription manuscrite du détenu Emil Wirbel indiquant que l'instrument aurait été entrepris par l'Autrichien Johann Rothweil en décembre 1942. Plus plate qu'une contrebasse conventionnelle, ses bois ne sont pas ceux utilisés traditionnellement par les luthiers pour les instruments à cordes. La touche est en bois teinté et la pique en métal a été remplacée par une pique en bois.
Rapatriée avec des détenus tchèques après la guerre, la contrebasse est aujourd'hui conservée au mémorial de Terezín[39].
Bien qu'il ne fût pas le seul camp de concentration allemand destiné à l'extermination par le travail (Vernichtung durch Arbeit), Mauthausen-Gusen était l'un des plus sévères et des plus violents. Les conditions de travail étaient jugées particulièrement dures même selon les standards des camps de concentration[40],[41],[42]. Les prisonniers ne souffraient pas seulement demalnutrition, de surpeuplement des baraquements et de violences permanentes de la part des gardes et deskapos[29], mais devaient aussi effectuer des travaux très durs[21]. Le travail dans les carrières était « réservé » aux prisonniers coupables de prétendus « crimes » dans le camp comme ne pas avoir salué un Allemand.
Le travail dans les carrières, dans une chaleur étouffante ou par des températures de−30 °C[29], entraînait des taux de mortalité particulièrement élevés[42],[43]. Les rations alimentaires étaient limitées et durant la période 1940-1942, le poids moyen des prisonniers était de 40 kg[44]. Les rations alimentaires journalières estimées à1 750 kilocalories durant la période 1940-1942 passèrent à environ 1 300 sur la période 1942-1944. En 1945, les rations étaient encore inférieures et n'excédaient pas600 à1 000 kilocalories par jour, moins du tiers de l'énergie nécessaire à un travailleur standard de l'industrie lourde[2]. Des milliers de détenus moururent de faim.
L'« escalier de la mort ». Les prisonniers devaient porter de lourds blocs degranite sur les 186 marches jusqu'au sommet de la carrière.
Les détenus des camps de Mauthausen, Gusen I et II avaient accès à un sous-camp séparé pour les malades appeléKrankenlager. Malgré la présence d'environ 100 médecins eux-mêmes prisonniers[45], ces derniers n'avaient accès à aucun médicament et ne pouvaient effectuer que les actes de premiers secours[4],[45]. Par conséquent, le « camp hospitalier » comme l'appelaient les autorités allemandes, était en fait un mouroir dont peu de prisonniers ressortaient vivants.
Les marches de L'« escalier de la mort ».
La carrière de granite de Mauthausen se trouvait à la base du terrible « escalier de la mort ». Les prisonniers devaient porter des blocs de pierre grossièrement taillés atteignant souvent 50 kg au sommet des 186 marches de l'escalier. De nombreux prisonniers épuisés s'effondraient et entraînaient la chute de ceux se trouvant derrière eux[46]. Les gardes SS ordonnaient parfois aux prisonniers de se mettre en rang le long d'une falaise appelée « mur des parachutistes » (allemand :Fallschirmspringerwand)[47]. Sous la menace d'une arme, chaque prisonnier avait le choix entre être abattu et pousser le prisonnier devant lui[12]. Une telle brutalité n'était pas isolée et les prisonniers furent victimes de nombreuses autres méthodes :
quelque 3 000 prisonniers moururent après avoir été forcés de prendre une douche froide et de rester nus à l'extérieur par un temps glacial[48] ;
en février 1945, 400 malades venus ducamp de Sachsenhausen sont laissés nus par -10 °C et aspergés d’eau froide puis les SS massacrent au gourdin ou à la hache les survivants[49].
fusillés
notamment selon la méthode de latoise contre laquelle se pose le prisonnier croyant être mesuré, qui est abattu d'une balle dans la nuque par un fusil dont le canon est enfoncé dans un orifice caché dans le mur[49].
expériences médicales :
Aribert Heim, surnommé « docteur la Mort » par les prisonniers, resta sept semaines à Mauthausen, ce qui lui suffit pour mener ses « expérimentations »[50].
Karl Gross, autre médecin nazi, infecta des centaines de prisonniers avec lecholéra et letyphus pour tester ses vaccins. Entre février 1942 et avril 1944, plus de 1 500 prisonniers moururent des suites de ces expériences[51].
sortie forcée du camp afin de les abattre en prétendant qu'ils s'échappaient[54].
Après la guerre, l'un des survivants, Antoni Gościński rapporta 62 méthodes d'exécution des prisonniers[48]. Hans Maršálek estima que l'espérance de vie des prisonniers arrivant à Gusen passa de six mois entre 1940 et 1942 à moins de trois au début de 1945[55].
Paradoxalement, avec la croissance du travail forcé dans les différents sous-camps, la situation de certains prisonniers s'améliora significativement : les rations de nourriture diminuaient, mais l'industrie lourde nécessitant des ouvriers qualifiés, certains (principalement polonais et français) furent autorisés à recevoir des colis alimentaires de la part de leurs familles[56].
L'évasion de prisonniers de guerre soviétiques en février 1945 constitue un événement unique dans l'histoire du camp ; elle donna lieu à une chasse à l'homme où tous les fugitifs devaient être exécutés, appelée plus tard par les SSMühlviertler Hasenjagd, « chasse aux lièvres du Mühlviertel », fidèlement reconstituée dans le film d’Andreas GruberHasenjagd – Vor lauter Feigheit gibt es kein Erbarmen (La chasse aux lièvres - pas de pitié par lâcheté). Avec 123 000 spectateurs en Autriche, il fut le plus grand succès du cinéma autrichien en1994.
L'arrivée des déportés se fait par la porte d'entrée et aussitôt, si c'est un petit groupe, ils viennent directement sur cette place; si c'est un grand convoi, ils passent entre la baraques et les cuisines pour venir se mettre en rang par cinq dans cette cour, au garde à vous.
Sur cette place, nous allons apprendre le premier supplice de cet univers concentrationnaire : l'attente. Nous attendrons pour aller à l'appel, nous attendrons à l'appel, nous attendrons pour aller au travail, nous attendrons pour aller à la nourriture, nous attendrons pour aller dormir. L'attente ... mettez-vous ça dans la tête, la première maladie du déporté a été l'attente...
Pendant ce temps-là, qu'est-ce que nous faisons ? Tranquilles, au garde à vous, les SS derrière nous, nous essayons de découvrir les lieux, de comprendre où nous sommes arrivés ; nous découvrons ces murs de granit, surmontés de cinq rangs de barbelés électrifiés, nous découvrons ces miradors qui sont gigantesques avec des grosses mitrailleuses dans chacun, nous sommes sous haute surveillance.
Pendant cette attente, nous recevons des coups: ce sont les SS qui donnent des coups de crosse, nous n'avons rien fait. Pourquoi nous cognent-ils ? Nous finissons par comprendre que ces coups, c'est pour nous montrer qu'ils ont l'autorité suprême, que nous leur devons l'obéissance absolue, que nous devons tout accepter, que nous ne sommes plus nous-mêmes, nous sommes leur Stück (Stück se traduit en français par: morceau), on ne compte pas les hommes, on compteein Stück.
Pourcentage approximatif des victimes par nationalitéDes victimes du travail forcé dans les carrières environnantes du camp de Gusen à Mulhausen, photographiées en 1945Crematorium de Mauthausen
Comme les Allemands ont détruit une grande partie des documents administratifs et donnaient souvent aux nouveaux prisonniers qui venaient d'arriver les matricules des morts[21], le nombre exact des morts à Mauthausen est impossible à calculer. Pour compliquer le problème, certains prisonniers de Gusen furent exécutés à Mauthausen et au moins 3 423 furent tués auchâteau de Hartheim à 41 km du camp. De même, des milliers furent tués dans des chambres à gaz mobiles[58]. Avant la libération des camps le 4 mai 1945, les SS détruisirent les preuves et seules 40 000 victimes ont pu être identifiées. Dans les jours qui suivirent la libération, le bâtiment administratif principal du camp fut occupé par des prisonniers résistants qui empêchèrent les autres prisonniers de l'incendier[59]. Après la guerre, ce bâtiment fut acheté par l'un des survivants qui le transmit aumusée national Auschwitz-Birkenau àOświęcim[60],[61]. Certains dossiers du camp de Gusen I furent pris par des prisonniers polonais qui les emmenèrent en Australie après la guerre[62]. En 1969, les documents furent donnés auservice international de recherches de la Croix-Rouge[58]
Les archives survivantes du camp contiennent les dossiers personnels de 37 411 prisonniers exécutés dont :
Le registre des morts du KZ Gusen contient également une liste additionnelle de 30 536 noms.
En plus des dossiers restants des sous-camps de Mauthausen, d'autres importants documents furent utilisés pour donner une estimation du nombre de victimes :
Charnier ouvert, 1939-1944
Un rapport de Józef Żmij, un prisonnier qui a travaillé dans l'administration du camp de Gusen I. Son rapport est basé sur des copies des rapports annuels réalisés entre 1940 et 1944 et sur les rapports journaliers rédigés par le commandant du camp entre le1er janvier 1945 et la libération.
Notes personnelles de Stanisław Nogaj, un autre prisonnier ayant travaillé à l'administration de Gusen.
Registre des morts rédigé par le médecin chef SS du camp de Mauthausen pour les sous-camps de Gusen (des documents similaires pour les sous-camps de Mauthausen furent détruits).
Du fait de ces sources parcellaires, le nombre de morts dans le complexe concentrationnaire de Mauthausen-Gusen varie considérablement de 122 766[64] et 320 000[48]. Le nombre de 200 000 est également fréquemment donné[65],[66]. Les historiens avancent le nombre de 55 000[21] à 60 000[67] morts pour les quatre camps principaux de Mauthausen et Gusen I, II et III. De plus, 1 042 prisonniers moururent dans les hôpitaux de campagne américains après la libération des camps[68].
Sur environ 320 000 prisonniers qui furent internés dans le complexe de Mauthausen tout au long de la guerre, seuls 80 000 survécurent[69].
Survivants cadavériques de Gusen peu après la libération du camp.
Durant les derniers mois de la guerre, le commandant du campFranz Ziereis se prépara à une possible offensive soviétique. Les prisonniers durent construire des obstacles anti-chars en granite à l'est de Mauthausen. Le camp accueillit également des prisonniers issus d'autres camps dont les sous-camps de Mauthausen situés en Autriche orientale. Le manque de nourriture déjà flagrant devint dramatique vers la fin de la guerre avec l'arrêt de la distribution des colis alimentaires par la Croix-Rouge. Les prisonniers transférés à l'« hôpital » ne recevaient qu'un pain pour vingt personnes et environ un demi-litre de soupe d'herbe par jour[70]. On ne sait pas pourquoi les prisonniers de Gusen I et II ne furent pas tous exterminés conformément aux ordres de Himmler ; le plan de Ziereis prévoyait d'emmener tous les prisonniers dans les tunnels des usines souterraines de Kellerbau et de détruire les entrées.
Le 28 avril 1945, sous le prétexte d'une alerte aérienne, quelque 22 000 prisonniers de Gusen furent emmenés dans les tunnels. Cependant, après quelques heures, tous ressortirent. SelonStanisław Dobosiewicz(en), auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire du camp, l'échec du plan allemand aurait pu être causé par la destruction des câbles de détonation par les prisonniers. Même si ce plan fut abandonné, les prisonniers craignaient que les SS veuillent éliminer les détenus par d'autres moyens. Par conséquent, les prisonniers préparèrent un plan visant à attaquer les baraquements des gardes SS pour s'emparer des armes s'y trouvant[71].
Le 3 mai 1945, les SS et les autres gardes commencèrent à se préparer pour l'évacuation du camp. Le jour suivant, les gardes de Mauthausen furent remplacés par des soldats duVolkssturm sans armes et par des unités improvisées formées d'anciens agents de police évacués de Vienne. L'officier de police responsable de l'unité accepta l'autorité de Martin Gerken, jusqu'alors le plus haut gradé parmi les kapos, commede facto le nouveau commandant du camp. Le travail cessa dans tous les sous-camps de Mauthausen et les prisonniers se préparaient à leur libération ou à la défense des camps contre un possible assaut des unités SS positionnées dans la zone[71]. Il y eut effectivement des attaques, mais elles furent repoussées par les prisonniers[8]. Gusen III fut le seul camp principal à avoir été évacué. Le1er mai, les prisonniers entamèrent unemarche de la mort versSankt Georgen mais reçurent l'ordre de retourner au camp quelques heures plus tard. L'opération fut répétée le lendemain, mais elle fut à nouveau annulée. Le 3 mai, les gardes SS abandonnèrent le camp et laissèrent les prisonniers livrés à leur sort[71].
Le 5 mai 1945, le camp de Mauthausen fut libéré par la11e division blindée de la3e armée américaine. À ce moment, la plupart des gardes SS avaient quitté le camp de Mauthausen, mais 30 qui étaient restés furent tués par les prisonniers[72] ; un nombre similaire fut tué à Gusen II[72]. Lesous-camp ducol de Loïbl fut le dernier à être libéré le 6 mai.
Après la capitulation de l'Allemagne, le complexe de Mauthausen-Gusen fut intégré au sein de lazone d'occupation soviétique de l'Autriche. Initialement, les autorités soviétiques utilisèrent certaines infrastructures des camps de Mauthausen et de Gusen I commecasernements pour l'Armée rouge. Les industries souterraines furent démantelées et envoyées en Union Soviétique. Après cela, entre 1946 et 1947, les camps furent abandonnés et de nombreux équipements furent démantelés par l'Armée rouge et par la population locale. Les forces soviétiques détruisirent les tunnels et se retirèrent de la zone à l'été 1947 et le camp fut cédé aux autorités civiles autrichiennes.
Le site ne devint unmémorial national qu'en 1949. Le 3 mai 1975, le chancelierBruno Kreisky inaugura le musée de Mauthausen[3].
À la différence de Mauthausen, la zone occupée par les camps de Gusen I, II et III a été utilisée pour la construction d'habitations après la guerre[75]. Aujourd'hui, il n'existe plus que deux baraquements de la SS, la maison du commandement et le crématoire, à proximité duquel un lotissement pavillonnaire a été construit dans les années 1950.
En 1989,Gerhard Skiba, maire de la ville deBraunau am Inn, commanda un bloc degranite de la carrière de Mauthausen, où tant de détenus moururent d’épuisement en y travaillant ou abattus par les gardes, au comité de Mauthausen. Il le fit installer en face de la maison oùAdolf Hitler est né. Sur la pierre figure cette inscription :« Für Frieden Freiheit und Demokratie nie wieder Faschismus millionen Tote mahnen » (Pour la paix, la liberté et la démocratie.Plus jamais le fascisme. À la mémoire de millions de morts).
En 2018, l'Australienne d'origine yougoslave, Annabelle Ciufo, offre au musée juif deSydney (SJM) la copie d'un album de photographies prises par l'officier responsable de laSS Erkennungdienst au camp de Mauthausen durant la Seconde guerre mondiale, sortie clandestinement du camp et transmise à la famille par un survivantserbe, son oncle Bogden Ivanovic. Certaines de ces photographies ont servi lors duprocès de Nuremberg en 1946[62],[76],[77].
Parmi les survivants se trouvaitFrancisco Boix, un photographe espagnol interné à Mauthausen. Boix est reconnu pour son œuvre remarquable de documentation visuelle des atrocités nazies commises au camp. Ses photographies, prises clandestinement pendant sa détention, sont des témoignages poignants de la brutalité et de l'inhumanité qui régnaient dans le camp. Ces images ont non seulement été cruciales pour la documentation des crimes nazis, mais elles ont également servi de preuves lors desprocès de Nuremberg.
L'héritage de Boix se perpétue à travers divers médias : le film "The Photographer of Mauthausen" (2018) retrace sa vie et son travail de documentation au camp, tandis que le roman "Le Photographe de Mauthausen", publiée en 2017, écrite par Salva Rubio et dessinée par Pedro J. Colombo s'inspirent de son courage et de son combat pour la vérité.
↑Oswald Pohl, en plus d'avoir été un haut-gradé SS, dirigeant de laDEST et de nombreuses autres sociétés et de diverses organisations nazies était également le directeur de laCroix-Rouge allemande. En 1938, il transféra 8 000 000 deReichsmarks à des comptes de la SS qui furent ensuite donnés à la DEST en 1939.
↑ Le nombre de prisonniers fait référence à la situation au début de l'année 1945 avant la réorganisation du camp et avant l'arrivée de nombreux trains d'évacuation et desmarches de la mort
↑Stanisław Nogaj,Gusen; Pamiętnik dziennikarza (Gusen : Memories of a Journalist), Katowice-Chorzów, Komitet byłych więźniów obozu koncentracyjnego Gusen,,p. 64
↑Tadeusz Piotrowski, "Poland's holocaust: ethnic strife, collaboration with occupying forces and genocide in the Second Republic, 1918-1947", McFarland, 1998,p. 25
↑"Człowiek człowiekowi… Niszczenie polskiej inteligencji w latach 1939-1945 KL Mauthausen/Gusen" Rada Ochrony Pamięci Walk i Męczeństwa, Warszawa 2009
↑Włodzimierz Wnuk,Byłem z wami (I Were With You), Varsovie, PAX,, « Z Hiszpanami w jednym szeregu (With the Spaniards in One Line) »,p. 100–105
↑Mustapha Harzoune, « Les républicains espagnols au camp de Mauthausen »,Hommes et migrations,no 1258,,p. 124-128
↑a etb(en)Henry Friedlander(en) (éditeur),Human Responses to the Holocaust Perpetrators and Victims, Bystanders and Resisters, Lewiston, New York, Edwin Mellen Press,(ISBN0-88946-901-6), « The Nazi Concentration Camps »,p. 33–69 as quoted inSybil Milton, « Non-Jewish Children in the Camps »,Annual 5 Chapter 2, Simon Wiesenthal Center,(consulté le)
↑Adam Myczkowski,Poprzez Dachau do Mauthausen-Gusen (Through Dachau to Mauthausen-Gusen), Kraków, Księgarnia Stefana Kamińskiego, 1947?,p. 31
↑. Ce dernier atteignit 58 % en 1941, à comparer à 36 % à Dachau et 19 % à Buchenwald sur la même période. Dobosiewicz, qui fit l'étude la plus complète, compara divers facteurs et ces estimations sont basées sur le nombre de prisonniers arrivés sur une année et le nombre de morts sur la même année.
Amical de Mauthausen y otros campos y todos las victimos del nazismo de España, Amicale nationale des déportés et familles de disparus de Mauthausen et ses kommandos (France), KZ-Gedenkstätte Mauthausen,La part visible des camps : les photographies du camp de concentration de Mauthausen : catalogue de l'exposition, Paris, Édition Tirésias,, 220 p.(ISBN2-915293-28-7)
Jean-Marie Winkler,Gazage de concentrationnaires au château de Hartheim. L'action 14f13 en Autriche annexée. Nouvelles recherches sur la comptabilité de la mort, éditions Tirésias - Michel Reynaud, Paris, 2010(ISBN978-2-915293-61-6)