Unmatériau composite est unmatériau que latechnologie moderne a analysé comme unassemblage, ou un mélange hétérogène, d'au moins deux composants nonmiscibles. Le résultat possède des propriétés avantageuses que les composants seuls ne possèdent pas. On distingue trois éléments d'un composite : unematrice, des renforts (souvent des grains, ou des fils ou fibres, tissés ou non, ou encore unearmature solide), et (optionnellement) unecharge et desadditifs.
Il existe des composites artificiels dont les anciens, qui les utilisent depuis des temps préhistoriques, étaient bien conscients qu'ils devaient leurs propriétés favorables à leur fabrication avec deux composants, comme lestorchis ou les briques de terre et de paille ; mais il existe aussi des matériaux qui semblaient homogènes aux anciens (ou aux profanes) alors qu'ils apparaissent de nos jours, au niveau microscopique, comme des composites naturels, tels que l'os, le bois ou des roches comme legrès, ou artificiels, comme lesaciersdurs. Comme autres exemples de composites on peut citer de la poterie comme legrès cérame, lestissus imprégnés pour les rendreimperméables, des composites defibre de verre dans une matrice derésinepolyester (improprement appelésplastiques), lespneus (composite de caoutchouc renforcé de fils (d'acier, denylon ou autre), et lesbétons (béton deciment, ou debitume pour l'asphalte routier). Un tel composite peut à son tour servir de matériau de base pour fabriquer un autre composite, comme lebéton armé qui est composite avec une matrice de béton de ciment et des renforts d'acier. Ainsi les composites sont omniprésents. L'apport de la technologie moderne a été de mieux comprendre leur fonctionnement et leur fabrication, ainsi que de permettre de calculer à l'avance les propriétés du composite en fonction de sa composition et de son mode de fabrication. Néanmoins, la description fine des composites reste complexe du point de vue mécanique de par la non-homogénéité du matériau.
Un composite s'analyse dans la plupart des cas comme unearmature noyée dans unematrice, laquelle est en plus additionnée de diversescharges qui confèrent à la matrice (et donc au matériau dans son ensemble) des propriétés voulues . La répartition des rôles entre les composants n'est pas figée, mais en général l'armature tient le rôle structurel de supporter les principaux efforts mécaniques, tandis que la matrice assure la protection de l'armature, la cohésion de l'ensemble et certains efforts mécaniques.
Le renfort peut être seul au sein d'une matrice (composite homogène) ou associé à un renfort de nature différente (composite hybride).
Les fibres possèdent généralement une bonne résistance à latraction mais une résistance faible à lacompression.
Parmi les fibres les plus employées on peut citer :
lesfibres de verre qui sont utilisées dans le bâtiment, le nautisme et diverses applications structurelles peu chargées. Le coût de production de ces fibres est peu élevé ce qui en fait l'une des fibres les plus utilisées à l'heure actuelle ;
lesfibres de carbone utilisées pour des applications structurelles visant à obtenir une plus grande légèreté et une meilleure rigidité qu'avec la fibre de verre. Elles sont obtenues par lapyrolyse d'un précurseur organique ou non sous atmosphère contrôlée. Le plus utilisé de ces précurseurs est lepolyacrylonitrile (PAN). Le prix de ces fibres reste relativement élevé mais il n'a cessé de diminuer avec l'augmentation des volumes de production. On les retrouve dans de nombreuses applications dans l'aéronautique, le spatial ainsi que les sports et loisirs de compétitions (Formule 1, mâts de bateaux) ;
lesfibres d'aramide (ouKevlar qui est une dénomination commerciale) utilisées dans les protections balistiques comme lesgilets pare-balles ainsi que dans les réservoirs souples de carburant enFormule 1 ;
pour les composites d'entrée de gamme, un intérêt croissant est porté auxfibres végétales, comme lechanvre ou lelin (lin textile). Ces fibres ont de bonnes propriétés mécaniques pour un prix modeste, et sont particulièrement écologiques. On rencontre aussi des fibres depolyester, telles que letextilène.
La matrice a pour principal but de transmettre les efforts mécaniques au renfort. Elle assure aussi la protection du renfort vis-à-vis des diverses conditions environnementales. Elle permet en outre de donner la forme voulue au produit réalisé.
Il existe aujourd'hui un grand nombre de matériaux composites que l'on classe généralement en trois familles en fonction de la nature de la matrice :
lescomposites à matrice organique (CMO) qui constituent, de loin, les volumes les plus importants aujourd'hui à l'échelle industrielle ;
lescomposites à matrice céramique (CMC) réservés aux applications de très haute technicité et travaillant à haute température comme le spatial, le nucléaire et le militaire, ainsi que lefreinage (freins céramique) ;
les résinespolyesters insaturés (UP) peu onéreuses qui sont généralement utilisées avec les fibres de verre et que l'on retrouve dans de nombreuses applications de la vie courante,
les résinesépoxyde (EP) qui possèdent de bonnes caractéristiques mécaniques. Elles sont généralement utilisées avec les fibres de carbone pour la réalisation de pièces de structure performantes (véhicules et voiliers de compétition, aéronautique),
les résinesvinylester sont surtout utilisées pour des applications où les résines polyester ne sont pas suffisantes. Elles sont issues d'une modification d'une résine époxyde et excellentes pour des applications de résistance chimique,
les résinesphénoliques (PF) utilisées dans les applications nécessitant des propriétés detenue aux feux et flammes imposées par les normes dans les transports civils,
Dans le cas des CMC (composites à matrice céramique), la matrice peut être constituée de carbone ou decarbure de silicium. Ces matrices sont déposées soit pardépôt chimique en phase vapeur (CVD) par densification d'une préforme fibreuse, soit à partir de résines cokéifiables comme les résines phénoliques (dans le cas des matrices de carbone).
Dans le cas des CMM (composites à matrice métallique) le matériau composite est constitué :
d'une matrice métallique (par exemple, aluminium, magnésium, zinc, nickel) ;
d'un renfort métallique ou céramique (par exemple, fils d'acier, particules de SiC, carbone, alumine, poudre de diamant).
Descharges (minérales, organiques ou métalliques) etadditifs sont presque toujours incorporés à la matrice. Leurs rôles sont d'une infinie variété : donner une couleur, protéger le matériau de dégradations de toute sortes (oxydation par l'air, attaques chimiques, abrasion mécanique, décoloration ou destruction par les radiations ou simplement la lumière, agression par des êtres vivants -- microbes, champignons --), conférer un état de surface ou des propriétés chimiques ou physico-chimiques, etc.
Lamise en forme des matériaux composites peut avoir lieu par des procédés manuels ou mécanisés. Dans l'ensemble, les outils nécessaires aux procédés mécanisés s'amortissent en produisant en moyenne et grande série ; c'est pourquoi les procédés manuels sont plus adaptés à la petite série du point de vue économique.
leMicarta est un composite de fibres (initialement coton ou papier) imprégnées à haute pression avec desrésines phénoliques durcissantes telles que laBakélite,
Le contenu de cette section est principalement tiré de l’œuvreÉloge du mixte : Matériaux nouveaux et philosophie ancienne deBernadette Bensaude-Vincent. Cet ouvrage écrit par une philosophe et historienne des sciences retrace l'histoire des composites depuis les interrogations des pensées fondatrices de l'antiquité jusqu'à 1998, année de sa parution[1].
Le mot « matériau » vient dulatin « mater » qui signifie mère, puissance génératrice. Engrec, ce mot est associé à « hulé » et « silver », termes désignant respectivement les différentes espèces debois et la forêt, puissance germinatrice.
À l’origine, ce mot possède donc une connotation sauvage. Il faut se confronter à lanature pour obtenir un matériau et pouvoir installer le monde organisé des humains. Les matériaux sont donc porteurs d’un grand défi[1].
Le mot « composite » vient du latin « compositus » qui signifie mélange. Il signifie également la combinaison de plusieursarts dans une même structure. Pour le cas des matériaux, il s’agit donc d’allier plusieurs matériaux aux propriétés diverses afin de n’en faire qu’un.
Par rapport à l’histoire humaine, l’appellation « matériau composite » est très récente. Pourtant, ces types de matériaux existent depuis longtemps, bien que sous une forme différente de celle connue depuis leXXe siècle.
L'un des premiers matériaux composites utilisé par l’être humain fut lebois. En effet, ce matériau naturel est composé d’une matrice (lalignine) et d’un renfort en fibre (cellulose), ce qui en fait un composite. Le bois possède diverses qualités (résistance, légèreté, maniabilité, etc.) et c’est ce qui lui a permis de devenir le matériau le plus utilisé de l’histoire humaine.
Premières utilisations des microscopes pour les composites.
Des physiciens, chimistes et autres scientifiques cherchent alors un moyen de transmettre cet art des matériaux précieusement gardé par les corporations. L’académie des sciences aura une très grande influence dans cette diffusion, notamment par le biais d’une collection d’ouvrages appelée « Descriptions des arts et métiers ». Son but est de promouvoir la technique et augmenter l’économie nationale. La science reste tout de même en retard par rapport aux entreprises, notamment à cause du coût exorbitant des recherches. Il est jugé préférable de miser sur les manufactures qui peuvent faire un grand nombre d’essais pour tenter d’obtenir des résultats.
AuXIXe siècle, larévolution industrielle change drastiquement le mode de fonctionnement des entreprises. Pour répondre aux nouveaux besoins techniques des productions à la chaine, des laboratoires d’essais et de recherches vont être systématiquement implantés dans les usines. Les recherches sont encore principalement empiriques et se soldent souvent par des erreurs.
Premières grandes utilisations des plastiques renforcés dans les coques de bateau.
Bien que son origine semble remonter à l'Antiquité, leplastique est réinventé en 1910 comme substitut à l’ivoire des boules debillard, mais ce n’est qu’à partir desannées 1930 que les scientifiques étudient lespolymères et les fibres, à la base duplastique et des matériaux composites. Les grandes recherches sur leplastique renforcé débutent, financées par les gouvernements et des investisseurs privés. Malgré les immenses investissements, les premiers produits fabriqués enpolymère ou en résine renforcée restent des exploits isolés et les applications dans la vie courante sont quasiment inexistantes.
En 1939, la fabrique française « Manufacture d’isolants et d’objets moulés » combine résine et fibre de verre. Tout d’abord utilisé pour renforcer les hélices d’avions et les cannes à pêche, ce matériau composite est ensuite utilisé dans la construction navale lors de laSeconde Guerre mondiale, puis dans l’aéronautique durant l'après-guerre. Avec leurs nombreux financements, lesÉtats-Unis, laGrande-Bretagne et leJapon sont les instigateurs du développement desplastiques renforcés en fibre de verre. N’ayant pas le savoir-faire pour mouler et utiliser les résines, les procédés de fabrication vont être très largement modifiés entre 1946 et 1951. Le moulage de la résine et le placement des fibres s'apparentent à de la haute-couture (tissage, drapage ettressage) et les ouvriers réapprennent un savoir-faire d'artisan.
Laguerre froide éclate. Pour répondre aux besoins de laconquête spatiale et de la course à l’armement nucléaire, l’URSS et lesÉtats-Unis développent des matériaux de haute performance alliant légèreté, résistances diverses et autres propriétés inédites. La rivalité entre les deux puissances permet une forte augmentation de la connaissance scientifique en matériaux composites. C’est à cette époque que naît auprès de la population l’image de la science motrice de l’histoire des matériaux composites[3], c'est-à-dire uniquement basée sur la recherche théorique en laboratoire, qui pousse parfois à laisser dans l'ombre les recherches empiriques initiales.
Les premières applications du plastique renforcé en fibre de verre ont lieu dans l’aviation civile et militaire dans lesannées 1960, puis dans la construction quelques années plus tard. En France, des associations professionnelles reconnaissent l’apparition d’un nouveau type de matériau. La production mondiale de plastique renforcé est de 666 000 tonnes en 1968 (dont plus de la moitié par les États-Unis)[4]. Les secteurs en consommant le plus sont la construction, le spatial et le naval. Il y a alors beaucoup d'espoir dans ces nouveaux matériaux aux propriétés inédites, notamment dans le secteur automobile et en vue d'une future diffusion de masse.
Toutefois, l’avenir des matériaux à haute performance est incertain dans lesannées 1970 car mis à part le plastique renforcé, ils restent trop chers.
Entre 1970 et 1980, le secteur des matériaux composites s’étend à la grande consommation. Les gouvernements définissent alors une politique de recherche & développement plus rapide que celle des grands programmes spatiaux et aident financièrement les entreprises. Le but est maintenant de généraliser les propriétés de ces matériaux de haute performance utilisés dans l’aéronautique pour obtenir des produits moins coûteux qui puissent être diffusés en masse.
Source[5]. La diversité des matériaux composites est alors importante. De nombreuses missions sur les matériaux commencent aux États-Unis à partir desannées 1970 et se propagent en Europe dans lesannées 1980. C’est l’âge d’or des matériaux composites. On laisse libre cours à l’imagination, à la recherche et les développements ne sont pas limités budgétairement. Une « mission matériau » censée recenser l'entièreté des composites est lancée en 1982, mais le projet est abandonné car la quantité de matériaux la rend irréalisable[1]. Le grand public voit l’apparition de nouveaux matériaux de qualité créés sur mesure.« De préalable à tout geste technique, de contrainte pour tout geste technique, le matériau est devenu un objet lui-même à façonner, c'est-à-dire qu'il est devenu lui-même un objet technique, qu'il est désormais dessiné, conçu, élaboré et matérialisé »[6]. Désormais la matière possède une fonction.
Il est alors question de grande nouveauté car ces produits sont souvent présentés par les gouvernements ainsi que les producteurs de composites comme une conséquence directe des grandes aventures spatiales et nucléaires survenues pendant la guerre froide. Il faut toutefois nuancer le terme nouveau pour deux raisons. D'une part, les procédés de fabrication des composites sont en partie inspirés d'un savoir-faire plus ancien. D'autre part, le concept de mélange et de fonctionnalisme à la base des matériaux composites est omniprésent dans lanature et ce concept n'est donc pas complètement nouveau.
Sur une période de trente ans (1950-1980), le développement des composites se traduit par l’explosion desPME (30 000 employés dans les matériaux composites dont 5 % dans les matériaux haute performance)[1]. L’identité de ces professionnels des matériaux n'est pas clairement définie car ce secteur a subi une redéfinition globale demandant un effort supplémentaire en amont de la production et un savoir-faire supplémentaire pour les ouvriers, ce qui s’oppose à la production en chaine. Le métier de chaque acteur n’est plus clairement défini. De nombreux scientifiques migrent vers l’industrie tandis que les ouvriers acquièrent des connaissances physiques ou chimiques.
Des écoles d’ingénierie et des universités dispensent des formations spécialisées de haut niveau(bac +4 ou +5). Cependant, comme une partie des travailleurs ont au plus une formation de technicien, ils se forment sur le tas, en entreprise. Par rivalité économique, ces dernières ne divulguent que très peu les connaissances ainsi acquises et le savoir se transmet lentement[7]. Pour les acteurs de ce domaine, il n’y a pas de formation préalable dans les matériaux. On l’acquiert en faisant de la physique, de la chimie et par l’expérience pratique.
Les matériaux composites vont permettre de faire revivre un artisanat voué à disparaitre. Des ouvriers acquièrent ainsi une technique extrêmement précise qui est difficilement intégrable dans une production à la chaine. Bien que la production automatisée en série reste, pour les promoteurs du composite, un idéal à atteindre pour le plein développement de ce secteur, le savoir tacite accumulé par le travail artisanal et l’expérience sont tout de même reconnus comme des facteurs d’innovation non négligeables. C'est notamment cette accumulation de gestes, de consciences professionnelles et de trouvailles qui ont pu simplifier et optimiser le travail ou encore diminuer le risque de défaut. Cependant, cette production artisanale est lente et couteuse, ce qui rend les entreprises de composites moins concurrentielles face à l'industrie des matériaux non-composites. Pour y remédier, les entreprises vont réussir à séparer la production en deux phases : une première phase artisanale de préparation durant laquelle les ouvriers préparent un semi-produit et une seconde phase de moulage en continu plus facilement automatisable durant laquelle ce semi-produit est achevé[7].
La forte hausse du développement des matériaux composites de la fin desannées 1980 (+10 %/13 % de production) laisse place à une importante diminution au début desannées 1990 (−4,5 %)[8].
En effet, larécession du début des années 1990 oblige les gouvernements à couper les budgets alloués à ce domaine. De plus, ils réalisent que les performances restent chères par rapport à l’utilisation courante et que les grands projets (notamment laconquête spatiale et l'utilisation dunucléaire) n’ont pas eu les retombées escomptées. Il y a peu d’application directe dans la vie courante. Cette technologie sur mesure ne semble pas encore compatible avec la diffusion de masse, bien qu’elle continue à être utilisée dans plusieurs domaines, notamment lesport de haut niveau, l’automobile ou encore l’aviation.
Les recherches et l’intérêt pour ce domaine reprennent une fois la crise passée. Le nombre de matériaux composites est alors en constante expansion. La compétition entre les matériaux, la diversité des types de compositions ainsi que la perpétuelle évolution descahiers des charges nécessitent des outils de comparaison simples et efficaces. La rencontre avec l’informatique et la globalisation debases de données structurées permet de répondre à cette demande, notamment grâce à des logiciels de sélection des matériaux ou des procédés de fabrication, à des modules d'estimations des coûts et à des bases de données sur mesures. L'arrivée de l’intelligence artificielle et de laCAO (conception assistée par ordinateur) dans ce domaine va permettre des études de cas très précises et la création d'algorithmes génétiques permettant de trouver les meilleures solutions ou les meilleurs compromis pour chaque situation. Le choix est dès lors plus facile et plus adapté, ce qui permet une économie de matière et d'argent[9].
À partir des années 2000, les chercheurs s'intéressent à la structure des matériaux naturels car la plupart sont multifonctionnels (lapeau sert par exemple à la fois de barrière et de membrane). La richesse de ces matériaux se trouve dans la multitude des possibilités d'arrangements à l'échelle moléculaire[10].
Dans le domaine desnanotechnologies, les matériaux composites, porteurs d'utopie, permettent tout puisque les matériaux sur mesure peuvent être fabriqués atome par atome. Selon Mme Bensaude-Vincent,« La matière est tellement informée qu'une molécule elle-même devient une machine. »[6] Il est désormais question demachine moléculaire, d'une matière qui accomplit elle-même plusieurs fonctions. Dans ce domaine, le multifonctionnel est devenu un modèle.
Selon Mme Bensaude-Vincent, il y a un décalage entre les possibilités qu'ouvrent ces nouveaux matériaux et le discours des innovateurs du composite, notamment dans le domaine des nano et biotechnologies. Ces derniers raisonnent de façon très classique, c'est-à-dire qu'ils disent vouloir contrôler la matière, voire s'en affranchir alors que ce qu'ils font s'apparente plus à un partenariat avec la nature qu'à une domination[6].
La plupart des composites sont à base de polymères thermodurcissables, ce qui les rend difficilementrecyclables. Cette contrainte va donc à l'encontre dudéveloppement durable. On peut aussi voir de nouvelles recherches axées sur lesbiocomposites notamment avec des fibres issues de plantes ou de champignons comme lesmycomatériaux. Les biocomposites sont des matériaux formés par une matrice (résine) et un renfort defibres naturelles provenant usuellement des plantes ou de lacellulose (fibre de bois, chanvre, etc.). De plus, ils contribuent au respect de l'environnement car ils sontbiodégradables, utilisés dans l'ingénierie des tissus, des applications cosmétiques et de l'orthodontie. Ces biocomposites ne sont pas encore prêts à être mis sur le marché pour des secteurs de pointe. L'industrie française s'intéresse grandement à ce type de matériau.
Dans la pratique, les usages des matériaux composites sont nombreux. Parmi ceux-ci, il y a plusieurs domaines dans lesquels les applications sont diverses. Il y a par exemple l’automobile, l’aviation, la recherche spatiale ou encore lesport. Au niveau sportif, des équipements tels le ski, la raquette de tennis ou encore la canne de hockey peuvent être cités. De nouveaux objets comme lesprothèses ont aussi été grandement améliorés et ont servi aussi bien auhandisport qu’au quotidien de personnes souffrant de handicaps, permettant à certaines personnes de poursuivre leur activité professionnelle par exemple.
L’innovation dans lesport peut avoir plusieurs objectifs bien distincts : développer un sport, par exemple en augmentant le rendement et les performances ou en accroissant son caractère spectaculaire, créer de nouveaux sports grâce aux inventions technologiques ou encore ouvrir un sport à un plus grand nombre de pratiquants[12].
L’aspect financier et la concurrence entre les différentes entreprises peuvent également apporter un aspect négatif à ces grandes innovations. Si une entreprise investit sur la recherche dans les matériaux composites via un laboratoire ou un bureau d’étude, ses concurrents se voient contraints d’en faire de même sous peine de disparaître[13].
Deux exemples permettent d’illustrer cela. Tout d’abord leski alpin dans lequel l’innovation a pour but de développer le sport de compétition ou de loisir et, ensuite, lehandisport qui montre comment certaines avancées ont ouvert aux personnes souffrant d’un handicap l’accès à de nouveaux sports.
Le ski peut être considéré comme une poutre multicouche hétérogène composée de divers éléments[16]. Parmi ceux-ci, plusieurs sont faits, tout au moins en partie, en matériaux composites. Il y a notamment le noyau, partie centrale du ski, encore fait le plus souvent en bois lamellé-collé qui permet de mécaniser les fibres afin d’augmenter la performance. Pour les rendre plus rigides, les skis de courses peuvent être équipés de plaques en titane ou autres matériaux extrêmement rigides[17]. D’autres pièces que le noyau utilisent également la technologie propre aux composites. On peut citer en exemple une couche de composite avec un renfort fibre de verre/résine époxy au-dessus de la semelle ou encore des renforts en alliage d’aluminium combinés à ceux en verre/époxy[18].
Le ski est une structure extrêmement hétérogène puisqu’il est composé de plusieurs éléments de nature très différentes qui, eux-mêmes, peuvent être composés d’un ensemble composite.
D’autres équipements ont été étudiés afin d’augmenter les performances. Les casques, par exemple, sont confectionnés avec les matériaux ayant le moins de résistance possible à l’air et cela parfois en dépit de la perte de résistance donc de sécurité que cela engendre.
Plusieurs choses peuvent complexifier la recherche et l’utilisation de nouvelles technologies. Tout d’abord, le règlement sportif peut limiter les améliorations. C’est ce qui est arrivé au skieur canadienKen Read en 1979 à la suite de sa victoire dans la descente de Morzine-Avoriaz. Il fut disqualifié car sa combinaison hybride s’avéra non conforme aux normes de perméabilités autorisées par le règlement de lafédération internationale de ski[19]. Cela permet de voir l’un des aspects néfastes des avancées technologiques : l’innovation au service de la tricherie, c’est-à-dire utiliser de nouvelles technologies pour essayer de contourner les éventuelles failles du règlement. De plus, la performance n’est pas le seul aspect recherché par l’innovation. Le confort, par exemple, est l’élément essentiel du vacancier allant skier. Ce ne sont pas forcément les mêmes matériaux qui vont être utilisés dans le sport de pointe ou de loisir et c’est ce qui rend complexe la recherche pour les différentes marques ne pouvant pas agir sur tous les fronts simultanément. Pour finir d’illustrer cela, l’exemple de la sécurité évoqué précédemment est parlant. Dans le sport de pointe, certaines requêtes au niveau de la performance ont pu amener le développement de matériaux extrêmement aérodynamiques, parfois au détriment de la sécurité. Dans le sport loisir, c’est généralement l’inverse et la sécurité est l’un des critères primordiaux pour séduire le consommateur.
L’exemple du ski permet d’illustrer toute la complexité des avancées technologiques dans le sport et, en particulier, des matériaux composites. En plus d’avoir un équipement complexe composé de plusieurs composites différents, les propriétés recherchées varient énormément en fonction du type d’utilisation souhaitée.
Dans le cadre du handisport, la prothèse fait partie intégrante de la performance de l’athlète. Le composite n’est plus un objet « externe » au corps mais bel et bien un prolongement direct du corps de l’athlète. Cette substitution donne naissance à une catégorie d'humains définis comme « hybrides » (mélange decorps humain et detechnologie). L’hybridation produit une compensation adaptative et une attribution fonctionnelle du corps. Selon Henry Dougan, l’hybridation est bivalente :« Les processus d’hybridation perturbent les frontières fixées, ceux-ci peuvent provoquer des réactions brutales visant à renforcer des marqueurs essentialistes »[20] ou pourJean-Michel Besnier, la technique nous force à tout réinventer que ce soit l’humain, la morale ou bien les valeurs[21]. Faire corps avec la technique n’est plus seulement unhabitus mais bel et bien une réelle modification de soi. L’hybride est un mixte et un mélange confus car la délimitation entre la nature et l’artifice produit un trouble identitaire[22].
Avant les années 1960, date à laquelle vont se dérouler les premiersJeux paralympiques officiels à Rome, la distinction n’est pas encore faite entre l’athlète valide et celui non-valide car la notion dehandicap reste encore mal définie dans le cadre sportif. Il était donc d’usage de voir desathlètes, quels qu’ils soient, participer aux mêmes épreuves sportives ; par exempleKároly Takács, tireur hongrois amputé de la main droite en (1948) ouGeorge Eyser, gymnaste unijambiste (1904). Ce n’est qu’après 1960 que la distinction est faite, mais celle-ci engendre tout de même des controverses.Dans les questionnements actuels sur les frontières de l’humain, le cas le plus connu est celui d’Oscar Pistorius, sportif sud-africain doublement amputé des jambes. Il doit être considéré comme une exception puisque bien qu’il ait deux prothèses, il court avec les valides et cela engendre de vastes controverses. Il s’agit donc d’un athlète handicapé ayant couru à la fois en handisport et avec les valides.
Il semble être l’incarnation même du développement de l’interventionbiotechnologique qui bénéfice elle-même des avancées liées aux matériaux composites, à tel point que ses performances seraient inégalables sans l’aide de latechnologie :
« La taille de ses prothèses augmenterait celle de ses foulées. Là où l’appareillage de ses adversairessimples amputés ne peut dépasser en taille la jambe valide, Pistorius est accusé d’avoir profité de sa double amputation pour se grandir artificiellement. »[23]
La controverse réside dans le fait que la performance potentiellement supérieure à celle des athlètes valides est possible uniquement avec un appareillage qui remplace une partie du corps de l’athlète. La situation autour de sa classification sportive démontre qu’Oscar Pistorius est un « mixte » problématique : il est à fois humain et machine. Son corps sportif est unehybridation dotée d’une prothèse composée de lames enfibres de carbone. En tant que « sportif handicapé » son hybridation technologique est une obligation liée à sa discipline mais peut être jugée trop importante en comparaison avec d'autres athlètes[24].
L’aide mécanique, possible notamment grâce aux développements des matériaux composites qui constituent les prothèses des athlètes, peut favoriser la création de « surhumains aux performances inégalables ». Le handisport est directement témoin de cette évolution mettant à profit différentes technologies.
Le comportement d'un matériau composite se décrit de la façon suivante, en utilisant le formalisme euclidien de lamécanique des milieux continus :
différents matériaux forment le composite (on parle de « phases », caractérisées par leurfraction volumique et leur géométrie) ;
à l'intérieur de chaque phase, le matériau peut se déformer et subir des contraintes. La déformation se fait selon laloi de comportement du matériau en question (que l'on connaît) : pour le cas élastique linéaire ;
il y aéquilibre des forces volumiques, soit, dans chaque matériaui : si l'on néglige la force de pesanteur devant les forces appliquées au matériau (pression, traction, cisaillement) ;
enfin, l'agrégation des comportements de chaque matériau simple, pour aboutir au comportement du composite, nécessite de décrire l'équilibre des forces entre deux matériaux « collés », en chaque point de leursurface de contact. Cette condition est que la force exercée par lematériau 1 sur lematériau 2 à la surface de contact (si désigne le vecteur unitaire perpendiculaire à la surface) doit être opposée à celle exercée par le matériau 2 sur le matériau 1. Ceci implique une certaine continuité du champ de contraintes : on doit avoir (en chaque point des surfaces de contacts des matériaux mélangés dans le composite). C'est par cette condition qu'intervient la microgéométrie du mélange dans la détermination du comportement du composite. Ainsi, en mélangeant des matériaux isotropes selon une géométrie non isotrope (fibres, feuilles, etc.), on obtient un composite non isotrope mais dont les propriétés mécaniques sont issues des celles des matériaux initiaux ;
ainsi, le matériau composite est décrit en chacun de ses points. La loi de comportement du composite qui en résulte doit pouvoir faire le lien entre les déformationsmicroscopiques et les contraintesmacroscopiques (c'est-à-dire leurs valeurs moyennes, car par exemple si l'on mélange un matériau mou et un dur, les déformations microscopiques seront très variables selon le matériau, et c'est la déformation globale que l'on observera à l'échelle du composite). Cette loi de comportement du composite est dite « effective » : on note dans le cas linéaire.
Le problème précédent ne se résout pas simplement, sauf dans le cas degéométries très simples (inclusions sphériques, fibres, feuilles empilées, ou de manière générale dans le cas d'inclusions de forme ellipsoïdale).
Des recherches visent à décrire le comportement du composite sans forcément en connaître la géométrie exacte, en essayant de borner l'énergie de déformation du composite (l'énergie de déformation d'un matériau test). On peut ainsi citer les bornes de :
Voigt et Reuss : les cas extrêmes de ces inégalités sont atteignables par des géométries de couches empilées. D'ailleurs, on retrouve ici un résultat constant de la physique : la résistance électrique d'un assemblage de résistances est la somme des résistances lorsqu'elles sont en série, ou est l'inverse de la somme des inverses quand elles sont en parallèle (résultat similaire également avec un assemblage de ressorts). La différence est qu'ici la loi de comportement n'est pas décrite par un scalaire (comme c'est le cas pour une résistance électrique ou une raideur de ressort), mais par une grandeur multidimensionnelle (letenseur d'ordre 4). Note : ici[Quoi ?] désigne la moyenne de[Quoi ?] sur tout le volume du composite ; et l'inégalité entretenseurs s'entend au sens où pour tout tenseur on a[Quoi ?] ;
La mécanique des composites est encore un domaine de recherche théorique active : comportement mécanique ou électrique, linéaire, non linéaire,viscoélastique, avec fissures ouplasticité,flambage, etc.
Une limite de cette modélisation est que l'on ne peut pas connaître de manière précise la microgéométrie d'un composite réel : il y a toujours des défauts ; mais la modélisation permet de décrire de manière assez précise la loi de comportement.
Un autre intérêt de cette recherche théorique entre la géométrie d'un composite et sa loi de comportement est le mode de réalisation d'un matériau dont les caractéristiques mécaniques ont été obtenues par une optimisation informatique.
↑Bernadette Bensaude-Vincent et Pierre Laszlo,Éloge du mixte : Matériaux nouveaux et philosophie ancienne,Hachette Littératures,,p. 186.
↑Wladimir Andreff,Le muscle et la machine : le dialogue entre le sport et l'innovation, Culture technique,(documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/31658/C&T_1985_13_39.pdf?sequence=1)
↑Wladimir Andreff,Le muscle et la machine : le dialogue entre le sport et l'innovation, Culture technique,(documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/31658/C&T_1985_13_39.pdf?sequence=1),p. 44
↑Nicolas Puget,La chimie et le sport. Chapitre 9. Performance d'un ski de course : structure composite et glisse sur neige,p. 213.
↑Wladimir Andreff,Le muscle et la machine : le dialogue entre le sport et l'innovation, Culture technique,(documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/31658/C&T_1985_13_39.pdf?sequence=1),p. 53
↑H. Dougan Henry, « Hybridation, promesses et limites »,Bulletin du Codesria, 2004,no 1 et 2.
↑J.-M. Besnier,Demain les post-humains, Une éthique à l’âge du clonage, Paris,Hachette Littératures, 2009,p. 35.
↑Andrieu, B. (2009),Quelle éthique pour les hybrides,L’humain, l’humanité et le progrès scientifique, Paris, Dalloz, 75-93.
↑Jones, C. et Wilson, C. (2009),Defining advantage and athletic performance: The case of Oscar Pistorius,European Journal of Sport Science, 9 (2), 125-131.
Bensaude-Vincent B. et Laszlo P.,Éloge du Mixte : Matériaux nouveaux et philosophie ancienne,Hachette Littératures, 223, mars 1998.
Andrieu B.,Quelle éthique pour les hybrides, L’humain, l’humanité et le progrès scientifique, Paris, Dalloz, 2009, 75-93.
Marcellini A., Vidal M., Ferez S. et de Léséleuc É.,La chose la plus rapide sans jambes : Oscar Pistorius ou la mise en spectacle des frontières de l'humain, Politix, 90(2), 139-165, 2010,DOI10.3917/pox.090.0139.
Serge Étienne, Laurent David, Émilie Gaudry, Philippe Lagrange, Julian Ledieu et Jean Steinmetz, « Les matériaux de A à Z - 400 entrées et des exemples pour comprendre », Dunod, 2008.
Michel Dupeux, « Aide-mémoire de science des matériaux », Dunod, 2005.