| Massacre de la route Málaga-Almería | |
Un groupe de réfugiés pendant la Débandade. | |
| Type | Attaque sur des civils lors de l'évacuation de Málaga. |
|---|---|
| Pays | |
| Localisation | Route Málaga-Almería, aujourdhui N-340A |
| Cause | Bombardements depuis des bateaux et des avions |
| Date | 8 février 1937 |
| Bilan | |
| Morts | Entre 3.000 et 5.000 civils. |
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Lemassacre de la route Málaga-Almería, aussi connu sous le nom deLa Desbandada (La Desbandá endialecte andalou), fut une attaque sur descivils et desmiliciens républicains, menée par lesinsurgés entre le 6 et le 8 février 1937 dans les provinces deMálaga et deGrenade, en Andalousie,Espagne, pendant laguerre civile espagnole[1].
Après la victoire du parti rebelle lors de labataille de Málaga, celui-ci a attaqué, depuis la mer et l'air, les milicesanarcho-syndicalistes et la colonne de civils qui fuyaient Málaga vers la province d'Almería, le long de la route Málaga-Almería[2],[3]. L'évacuation de civils, qui constituaient une caravane de 100.000 à 150.000 personnes, s'est soldée par un bilan de 3000 à 5000 morts. Ce massacre a été l'épisode le plus sanglant de la guerre civile à Málaga et l'un des pires de tout le conflit.
Le massacre a eu une grande répercussion internationale grâce aux témoignages du médecin canadienNorman Bethune, qui l'a décrit comme «deux cents kilomètres de misère», et au reportage photographique deRobert Capa.
Actuellement, la route Málaga-Almería est nommée N-340A et son ancien tracé passe par le centre des localités de la côte de laAxarquía, de Málaga et deGrenade.

Pendant laSeconde République, Málaga s'était caractérisé par la force dumouvement ouvrier, en particulier de laCNT et duParti Communiste d'Espagne, qui aux élections de février 1936 avait obtenu le premier député de son histoire dans cette province: Cayetano Bolívar, ce qui a valu à Málaga, à cette époque, d'être surnomméeMálaga la Rouge. Pendant ces années, une violence politique constante due à la polarisation sociale a donné lieu à un certain nombre d'événements violents, tels que l'incendie de couvents.
Après lesoulèvement militaire du 18 juillet 1936 contre la République, la ville de Málaga et une grande partie desa province sont restées sous contrôle républicain en raison de l'action des milices ouvrières qui ont réussi à étouffer le coup d'Etat. Pendant les premiers mois de guerre, Málaga a été pratiquement isolée du reste du territoire de laRépublique, puisque la seule voie terrestre qui la rattachait au reste et qui n'était pas aux mains des rebelles était la route d'Almería, laquelle était vulnérable aux bombardements maritimes, ce qui rendait difficile l'envoi de soldats et de provisions à la province. Par ailleurs cette route se trouvait coupée, début 1937, par des inondations àMotril. C'est pour cela que les autorités deMálaga ont agi en de nombreuses occasions au marge des décisions du gouvernement républicain.

Le 13 janvier 1937 l'aviation insurgée bombarde le port et la ville deMálaga. Selon la presse franquiste, le bombardement en combinaison avec le feu d'artillerie depuis une unité de l'Armée a fait 300 morts et 1000 blessés. Il y eut en plus plusieurs incendies dans le port et la ville. Le 14, la presse franquiste signalait le déplacement des troupes républicaines vers le front d'Estepona, par où attaquaient les rebelles. En effet, le communiqué officiel franquiste informait le 14 janvier de l'entrée des troupes nationalistes àEstepona, avec de nombreuses victimes ennemies. Le 15 janvier,San Pedro Alcántara, localité proche deMarbella, fut occupée par les troupes franquistes; elle tomba deux jours plus tard, le dimanche 17 janvier.
Le 17 janvier 1937 le généralQueipo de Llano a pris les premières places importantes de cette offensive sur laprovince de Málaga, en occupantMarbella par l'ouest et, depuisGrenade, l'armée rebelle a prisAlhama et les territoires proches. Lors de ces deux attaques simultanées il n'y eut pratiquement pas de résistance de la part des républicains, et elles provoquèrent un premier exode de civils vers la capitale de Málaga. Apparemment, les autorités républicaines avaient sous-estimé l'importance de ces mouvements et n'avaient pas envoyé de renforts suffisants. Pourtant,Queipo de Llano a confirmé dans son allocution du 20 janvier le bombardement républicain deMarbella etAlgeciras, preuve de la contre-attaque républicaine.
Dans le nord de la province, leschemises noires italiennes ont réuni neuf bataillons, soit environ 10.000 hommes. De son coté, la République comptait àMálaga 12.000miliciens organisés par les partis politiques et les syndicats, mais seulement 8.000 fusils et peu de munitions et d'artillerie.
Le 3 février a commencé l'attaque définitive contre Málaga depuisRonda, les franquistes rencontrant alors une forte résistance. A Málaga la panique s'est propagée parmi les défenseurs et les civils craignant de rester isolés. Le 6 février les italiens ont pris les cimes de Ventas de Zafarraya, d'où ils dominaient toute retraite possible par la route d'Almería. Ce même jour était ordonnée la retraite pour toute la population civile de Málaga et, le lendemain, les troupes italiennes entraient dans les faubourgs. Le 8, toute la capitale était tombée aux mains de l'Armée rebelle.

Compte tenu de l'abandon de Málaga de la part du gouvernement deLargo Caballero, les autorités de la ville, pour organiser la retraite, décidèrent l'évacuation de toute la population civile. A Málaga la crainte de la répression se répandit, alimentée par le souvenir dumassacre de Badajoz[4]. Beaucoup de civils auxquels se mêlaient les miliciens armés ont entrepris la fuite par la route d'Almería. Celle-ci demeurait dans le territoire contrôlé par la République, même si elle était à la merci des bombardements depuis la terre, la mer et l'air[5].
On estime que ce furent des dizaines de milliers de personnes qui ont essayé fuir, bien que le chemin fût extrêmement difficile, tant à cause des bombardements que parce que la route se trouvait dans un état déplorable à la hauteur deMotril.
Ont participé au bombardement, outre la force aérienne franquiste, les bateauxCanarias (sous le commandement de Francisco Bastarreche),Baleares etAlmirante Cervera (sous le commandement du Capitaine de FrégateSalvador Moreno Fernández), ainsi que les tanks et l'artillerie nationalistes. L'escadrille aérienneEspaña, fidèle à la République, a tenté de défendre les fugitifs sans grand succès. La plupart des villages sur le chemin vers Almería n'ont pas aidé les populations en fute, par peur de représailles ultérieures de la part des rebelles, qui continuaient à avancer.
Toutefois cette peur a aussi poussé de nombreux habitants des villages de la côte à abandonner leurs maisons; tel est le cas deLagos, sur le territoire communal deVélez-Málaga, un ensemble de maisons face à la mer où quelques survivants ont situé les premiers bombardements de bateaux et de l'aviation contre la population innocente qui fuyait par la route. Le 8 février, un débarquement àTorre del Mar a aussi eu lieu, dans le but de couper la retraite des fugitifs.
L'un des principaux témoins du massacre fut le médecin canadienNorman Bethune, arrivé dans laprovince d'Almería avec son unité de transfusion de sang. Pendant trois jours lui et ses assistants Hazen Sise et T. C. Worsley ont porté secours aux blessés et ont aidé au transfert de réfugiés vers la capitale d'Almería. Cette expérience traumatique le conduirait à écrire le récitLe crime de la route Málaga-Almería: «Ce que je veux vous raconter est ce que j'ai vu moi-même dans cette marche forcée, la plus grande, la plus horrible évacuation d'une ville de notre temps...»[6].
« Alors nous étions passés à côté de tant de femmes et d'enfants affligés que nous avons pensé que le mieux était de revenir et commencer à mettre à l'abri les cas les plus terribles. Il était difficile de choisir lesquels emmener, notre voiture était assaillie par une multitude de mères frénétiques et de pères qui, bras tendus, portaient leurs enfants vers nous, j'avais les yeux et le visage enflés après quatre jours sous le soleil et la poussière. "Emmenez celui-ci", "regardez cet enfant", "celui-ci est blessé". Les enfants, bras et jambes enveloppés de haillons sanglants, sans chaussures, les pieds enflés jusqu'à deux fois leur taille, pleuraient inconsolables de douleur, faim et épuisement. Deux cent kilomètres de misère. Imaginez quatre jours et quatre nuits à se cacher de jour parmi les colonies, puisque les barbares fascistes les poursuivaient avec des avions; ils marchaient de nuit, regroupés en un torrent solide d'hommes, femmes, enfants, mules, ânes, chèvres, en criant les noms de leurs proches disparus, perdus dans la foule. »
De son coté Worsley a écrit son témoignage poignant dans le livreBehind the Battle (1939)[7]:
« La route était toujours pleine de réfugiés, et plus nous avancions, plus leur situation empirait. Certains avaient des chaussures en caoutchouc, mais la plupart avaient les pieds bandées de chiffons, beaucoup étaient pieds nus et presque tous saignaient. Ils composaient une file de 150 kilomètres de gens désespérés, affamés, exténués, comme un fleuve qui ne donnait pas signe de diminuer... Nous avons décidé d'emmener les enfants dans le camion, et dans l'instant nous sommes trouvés au centre de l'attention d'une foule affolée qui criait, priait et suppliait face à une telle apparition miraculeuse. La scène était saisissante: les femmes vociféraient alors qu'elle tenaient à bouts de bras les bébés nus, en suppliant, en criant et en pleurant de gratitude ou de déception. »
Un autre témoin oculaire du massacre fut le journaliste Lawrence Fernsworth, correspondant duTimes de Londres[7].
Le responsable du phare deTorre del Mar, Anselmo Vilar, remarquant que les attaquants utilisaient sa lumière comme référence pour les bombardements nocturnes, a décidé d'éteindre sonphare. Il l'a laissé éteint pendant deux nuits pour faciliter la fuite des réfugiés. Lorsque la zone a été prise par les rebelles, il a été arrêté et fusillé pour cette action[8].
Le front est resté fixé àAlbuñol jusqu'à la fin de la guerre civile[9]. Lorsque les fugitifs arrivèrent à Adra, il y a eu des troubles car la population est passée de 5.000 à 25.000 habitants. Les miliciens ont abattu ceux qui essayaient de s'emparer des véhicules duSecours Rouge et le 9 février a eu lieu un pillage de domiciles et d'entreprises. Le 11 février l'Escadrille Espagne quitteTabernas pour la défense de la retraite sur laCôte grenadine. C'est par le port d'Adra qu'a été menée l'évacuation vers Alicante, Valence et Barcelone[10].

Les estimations du nombre de fugitifs de Málaga sont confuses et difficiles. On évalue qu'ils furent entre 15.000 et 150.000. L'action de l'armée franquiste sur les fugitifs par la route d'Almería a provoqué entre 3.000 et 5.000 morts, des civils pour la plupart.Norman Bethune, duparti communiste canadien, a calculé que les déplacés devaient être environ 40.000 et les morts autour de 3.000[11],[12].
De même, la répression sur ceux qui étaient restés dans la ville a été la plus brutale depuis lemassacre de Badajoz, en août 1936. L'historienHugh Thomas évalue à environ 8.000 le nombre de fusillés et enterrés dans desfosses communes comme celles ducimetière de San Rafael, pour lesquels on a déjà obtenu les noms de 6.100 personnes.
Miguel Ángel Melero, professeur de l'Université de Málaga, reconnaît que sur cette fuite il est encore difficile d'établir des chiffres. Entre 200.000 et 250.000 déplacés - bien que certains les évaluent à 300.000, et entre 4.000 et 6.000 morts, selon Melero, qui explique:
«La fuite, l'exode... le génocide de la route de Málaga à Almería représente dans notre province l'épisode le plus tragique de la guerre civile, ainsi que l'un des plus connus et honteux qui eurent lieu en Espagne pendant le conflit armé de 1936-1939».
L'historien Antonio Nadal, l'une des sources utilisées pour déterminer le nombre de morts, a ultérieurement rectifié son interprétation de 1979, en remettant en question le récit prévalent et en critiquant l'usage politique et propagandiste de l'événement[13].
En février 2005 a été inauguré un monument commémoratif àTorre del Mar en souvenir des victimes du massacre, en présence de quelques-uns des survivants de l'exode. Depuis lors, tous les 7 février y est réalisée une offrande florale qui, depuis 2007, coïncide aussi avec l'arrivée d'uneMarche-Hommage aux Victimes de la RouteMálaga-Almería.
Ces dernières années ont eu lieu plusieurs actes en mémoire des victimes et des survivants, ainsi qu'une exposition photographique itinérante intituléeLe Crime de la route Málaga-Almería, basée sur le récit deBethune.
« Ce qui s'est passé sur la route de Málaga-Almería, je l'ai vu plus tard, et je le vois encore souvent au cinéma et à la télévision. Je crois que ce qu'ils ont fait à Málaga a été comme une répétition de ce qui ensuite est arrivé au cours d'autres guerres. Mais la première fois que la population civile a été ainsi attaquée et bombardée, ce fut nous, sur cette route: ils ont occupé Málaga et ils ont préparé un piège criminel à la sortie. »
— Rosendo Fuentes Ayllón. Survivante.
En 2012, laJunta de Andalucia a déclarée l'enclave lieu de mémoire historique. En 2022, pour le 85e anniversaire du massacre, une initiative a été lancée auCongrès d'Espagne pour la création d'un recensement des lieux d'importance historique spéciale comme la route N-340 de Málaga à Almería[11].
Au-delà des essais historiques, les événements de la route de Málaga à Almería ont été reflétés dans les trois principaux genres littéraires (fiction, théâtre et poésie).
L'écrivain françaisAndré Malraux a décrit cet épisode de la guerre civile espagnole dans un passage de son romanL’espoir (1937)[15].
La même année, le dramaturge allemandBertolt Brecht a écrit et mis en scène son oeuvreLes fusils de la dame Carrar (Die Gewehre der Frau Carrar, 1937), qui recrée les jours qui ont suivi la chute de Málaga et fait des allusions au massacre[16].
Dans la littérature espagnole, le romanLes derniers drapeaux d'Ángel María de Lera, qui a reçu lePrix Planeta 1967, retrace les événements sur une quinzaine de pages. Les romansLa Desbandá (Roca Editorial, 2005) deLuis Melero etLa Promenade des Canadiens deAmelia Noguera (Berenice, 2020) abordent cet événement, de même que le long poème “La route invisible” deRaúl Quinto, inclus dans son livreLa langue cassée (La Bella Varsovia, 2019)[17],[18],[19].
En 2024María Jesús Orbegozo a publié le romanL'exode de Málaga à Almería, avec un prologue deNieves Concostrina et des illustrations deMaría Rosa Aránega[20].
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