Il est accueilli par son ami leprince-électeur de SaxeFrédéric III le Sage auchâteau de la Wartbourg, où il compose ses textes les plus connus et les plus diffusés. C'est là qu'il se lance dans unetraduction de la Bible enallemand à partir des textes originaux, traduction dont l'influence culturelle sera primordiale, tant pour la fixation de la langue allemande que pour l'établissement des principes de l'art de latraduction.
Luther adopte vers la fin de son existence une attitude de plus en plusantisémite. En 1543, trois ans avant sa mort, il publieDes Juifs et de leurs mensonges,pamphlet d'une extrême violence où il prône des solutions telles que brûler lessynagogues, abattre les maisons desJuifs, détruire leurs écrits, confisquer leur argent et tuer lesrabbins qui enseigneraient lejudaïsme. Le philosophe allemandKarl Jaspers définit ce pamphlet comme« l'ensemble du programme nazi[3] ». Ces écrits et l'influence de Luther sur l'antisémitisme ont alimenté la controverse autour de son image.
La jeunesse du moine Martin Luther (1483-1546) à Eisleben, dans le comté de Mansfeld (Allemagne), c. 1850.
Martin Luther est né àEisleben (dans le comté deMansfeld, aujourd'hui enSaxe-Anhalt) le[4]. Il est le fils aîné de Hans Luder[5] et de Marguerite Lindemann (1459-1531). Son père, paysan d'origine, devient mineur dans unemine de cuivre de la région de Mansfeld, puis exploitant d'une mine de cuivre et d'unefonderie, ce qui lui permet d'acquérir le statut de bourgeois puis demagistrat. Martin Luther a plusieurs frères et sœurs, et se sent particulièrement proche de son frère Jacob[6]. L'enfance de Martin est décrite comme « difficile », ses parents se montrant très durs dans l'éducation de leurs enfants[7].
En 1501, à l'âge de dix-huit ans, il entre à l'université d'Erfurt, où il obtient un diplôme de bachelier en 1502 et une maîtrise en 1505. Il a alors l'intention d'étudier ledroit, comme le souhaite son père, dans la même université, mais il abandonne presque aussitôt, avec l'idée que le droit relève de l'incertitude[9].
Luther se sent attiré par lathéologie et laphilosophie, et exprime un intérêt particulier enversAristote,Guillaume d'Ockham etGabriel Biel[9]. Il est influencé par deux tuteurs, Bartholomæus Arnoldi von Usingen et Jodocus Trutfetter, qui lui apprennent à remettre en question les plus grands penseurs[9] et à tout analyser par l'expérimentation[10]. Cependant, la philosophie lui semble insatisfaisante, prometteuse quant à laraison, mais sans rapport avec l'amour deDieu. Pour lui, la raison ne saurait attirer les hommes vers Dieu, ce qui l'amène à une vision ambivalente d'Aristote en raison de l'importance que ce dernier accorde à la raison[10]. Selon Luther, la raison peut être utilisée afin de remettre en question les hommes et les institutions, mais non pas Dieu lui-même : l'homme ne peut étudier Dieu qu'à travers la révélation divine et, par conséquent, lestextes saints sont essentiels[10].
Il quitte l'université et entre dans uneconfrérie augustinienne àErfurt le[11]. Plus tard, il attribuera cette évolution à un événement : le, il retournait à cheval à Erfurt après un congé dans sa famille. Pendant unorage, lafoudre frappa près de lui. Par la suite, il avouera à son père sa peur de la mort et du jugement divin en s'écriant :« Au secours,sainte Anne, je vais devenir moine ! »[12] (ou« Sainte Anne, sauve-moi et je me ferai moine ! »). Il en vient à considérer son appel à l'aide comme une promesse qu'il ne pourra briser.
Cette préoccupation de lamort et dusalut sont caractéristiques du christianisme de lafin du Moyen Âge[13] : cette angoisse collective[14] — qui devient de plus en plus individuelle — porte, au-delà de la mort elle-même, sur le jugement de Dieu dans l'au-delà et la manière de s'y préparer[15].
Un ami impute cette décision à la douleur de Luther lors de la perte de deux de ses amis. Luther lui-même semble attristé. Il dit, le soir de son dîner de départ :« En ce jour, vous me voyez, et puis, plus jamais »[10].
Son père est furieux de ce qu'il considère comme du gâchis[16].« Le maître des Arts va devenir un fainéant », dit-il[17].
Membre de l'ordre mendiant des Augustins[18], Martin essaie aucouvent des Augustins d'Erfurt de rechercher dans l'ascèse (mortifications, jeûnes, veilles) la promesse de son salut tout en restant persuadé qu'il n'y parviendra jamais. En même temps, il continue à étudier la théologie et bientôt commence à l'enseigner : ordonnéprêtre en 1507, il est désigné pour enseigner la philosophie au couvent d'Erfurt. Docteur en théologie en 1512, il occupe par la suite la chaire d'enseignement biblique à l'université de Wittemberg, ville où il est, à partir de 1514, prédicateur de l'Église. Enseignement, prédication et recherche personnelle sont désormais ses trois activités principales.
Certains font remonter les idées réformatrices de Luther à un séjour qu'il a fait àRome en 1510-1511 pour les affaires de son ordre. Ce n'est apparemment pas le cas, et les abus ecclésiastiques de l'époque ne semblent pas l'émouvoir outre mesure. Plus importants sont son obsession duSalut et ses travaux sur lesépîtres dePaul. Il ressent en lui de multiples tendances vers le mal, et toutes les pratiques que lui offre l'Église, messes, confessions, jeûnes, etc. ne lui permettent pas de se libérer de ce sentiment de culpabilité. C'est sa compréhension nouvelle de l'épître de Paul aux Romains — qu'il considère comme« l'Évangile sous sa forme la plus pure »[19] — qui lui procure le soulagement. Il écrira :« Alors je commençai à comprendre que la « justice de Dieu » est celle par laquelle le juste vit du don de Dieu, à savoir de la foi, et que la signification (de la lettre de Paul aux Romains au chapitre 1, 17) était celle-ci : par l'Évangile nous est révélée la justice de Dieu…, par laquelle le Dieu miséricordieux nous justifie par la foi… Alors je me sentis un homme né de nouveau et entré, les portes grandes ouvertes, dans le paradis même. À l'instant même, l'Écriture m'apparut sous un autre visage »[20]. Il se persuade de lavertu salvifique de la foi et que seule la confiance placée en Jésus qui aime l'humanité malgré lepéché originel qui l'entache libère vraiment[21]. Luther en arrive à se dire que l'homme doit accepter son état de pécheur et qu'il est fatalement imparfait devant Dieu, ce qui n'empêche pas lapénitence. En revanche, vouloir résoudre le problème dupéché par desindulgences susceptibles de se substituer en tout ou en partie à cette pénitence, le plus souvent monnayées, est pour lui une pratique incompatible avec lapiété ainsi qu'un danger d'éluder les vrais problèmes.
Le conflit avec lapapauté éclate en 1517, à propos de l'indulgence décrétée par le papeJules II et continuée sous lepapeLéon X pour financer la construction de labasilique Saint-Pierre, indulgence soutenue dans leSaint-Empire par l'archevêque-électeur de MayenceAlbert de Brandebourg. Le, Luther écrit à l'archevêque pour lui demander de ne pas cautionner cette indulgence et joint à sa lettre les95 thèses qui auraient principalement été inspirées par les abus du dominicainJohann Tetzel. Comme l'affirme son contemporainPhilippe Mélanchthon, le il aurait placardé sur les portes de l'église de la Toussaint de Wittemberg ses95 thèses condamnant violemment lecommerce des indulgences pratiqué par l’Église catholique, et plus durement encore les pratiques duhaut clergé — principalement de la papauté. Ces95 Thèses, également appeléesThèses de Wittemberg, sont imprimées à la fin de l'année. Il s'insurge contre l'instauration dedogmes tels que celui duPurgatoire. Dès lors, cette controverse entre théologiens (donc universitaires) devient une affaire publique et politique. Luther est dénoncé à Rome par l'archevêque Albrecht. Le pape Léon X lui ordonne de se rétracter par labulle pontificaleExsurge Domine, mais Luther la brûle en public et rompt avec l'Église catholique, en 1521. Un an plus tard commence contre lui un long procès qui aboutira à sonexcommunication.
Face à Martin Luther, Rome choisit l'affrontement, méconnaissant l'adversaire et sa pugnacité, et sans doute aussi la situation politique allemande[réf. nécessaire]. Le procès menant à son excommunication, loin d'affirmer le catholicisme, ne fait qu'accélérer le processus de laRéforme.
L'excommunication et la mise au ban du Saint-Empire
En, Martin Luther est convoqué àAugsbourg, où le cardinalCajetan,nonce apostolique, est chargé d'obtenir sa rétractation. Peine perdue. Après cet échec, Léon X décide d'adopter une attitude plus conciliante : il nommeKarl von Miltitz nonce apostolique et le charge de remettre àFrédéric le Sage, dont Luther est le sujet, laRose d'or qu'il convoite depuis trois ans, espérant ainsi le convaincre de faire cesser les attaques de Luther contre la pratique desindulgences. Les et, Miltitz rencontre Luther àAltenbourg. Il obtient de sa part l'engagement de ne plus s'exprimer sur la question des indulgences et promet de son côté d'imposer le silence à ses adversairesJohann Tetzel etAlbert de Brandebourg. À la suite de cette entrevue, Luther écrit au pape une lettre qu'il remet à Miltitz. De nouvelles rencontres ont lieu entre les deux hommes, le àLiebenwerda puis en àLichtenburg, près deWittenberg, mais la rupture avec Rome est déjà consommée. C'est qu'entretemps Luther a aggravé son cas : en, lors de sa controverse avecJohann Eck (Disputatio de Leipzig), qui sera l'organisateur de laContre-Réforme dans l'Empire, il met en cause l'infaillibilité desconciles. En, Rome publie la bulleExsurge Domine le menaçant d'excommunication, tandis que ses livres sont brûlés. Luther réagit en brûlant, le, à la fois la bulle pontificale et ledroit canonique. L'excommunication, désormais inévitable, est prononcée le (bulleDecet Romanum Pontificem).
Reste maintenant à mettre Lutherau ban duSaint-Empire, ce qui ne peut se faire qu'après accord des États de l'Empire. Dans ce but, l'empereur du Saint-Empire romain germanique (etroi d'Espagne),Charles Quint, un jeune homme de21 ans parlant surtout le français mais très mal l'allemand, convoque Martin Luther en devant ladiète de Worms (Rhénanie-Palatinat). Un sauf-conduit lui est accordé afin qu'il puisse s'y rendre en toute sécurité. Mais face au souverain, Luther refuse à nouveau de se plier aux exigences de l'Église, et il proclame notamment :
« Votre Majesté sérénissime et Vos Seigneuries m'ont demandé une réponse simple. La voici sans détour et sans artifice. À moins qu'on ne me convainque de mon erreur par des attestations de l'Écriture ou par des raisons évidentes — car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu'il est évident qu'ils se sont souvent trompés et contredits — je suis lié par les textes de l'Écriture que j'ai cités, et ma conscience est captive de la Parole de Dieu ; je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni honnête d'agir contre sa propre conscience. Me voici donc en ce jour. Je ne puis faire autrement. Que Dieu me soit en aide[22]. »
Aussitôt sa condamnation prononcée, l'électeur de Saxe Frédéric III le Sage, craignant qu'il ne lui arrive malheur, l'« extrait » : plus précisément, des hommes de confiance de Frédéric III enlèvent Luther alors qu'il traverse la forêt de Thuringe le[23], à l'époque où il réside auchâteau d'Altenstein, chezBurghardIIHund von Wenkheim, Frédéric III le met à l'abri dans lechâteau de la Wartbourg, près d'Eisenach. Luther y demeure jusqu'au sous le pseudonyme dechevalier Georges. C'est ici qu'il commence sa traduction de la Bible, d'abord celle duNouveau Testament. La tradition veut qu'il ait laissé une trace de son passage : un jour où le diable venait une fois de plus le tourmenter, l'empêchant de travailler, il lança son encrier contre le démon, ce qui occasionna une tache sur le mur, encore visible aujourd'hui. Après moins de deux ans de clandestinité, il revient de son propre chef aucloître de Wittemberg, qu'il ne quittera plus guère désormais, et où il ne sera plus vraiment inquiété.
La Réforme se répand dans les principautés voisines, façonnant une sorte d'unité allemande que Charles Quint ne peut combattre, empêtré qu'il est dans sesguerres contre la France.
Les détracteurs de Martin Luther lui ont souvent fait grief de ce soutien des princes en lui reprochant d'avoir instauré une religion qui n'est pas celle du peuple. Ils lui reprochent surtout son comportement pendant laguerre des Paysans allemands (1524-1525), révolte provoquée par la misère mais liée aussi à la question religieuse et à des préoccupations proches des siennes (plusieurs chefs du mouvement sontanabaptistes). En, en des termes très durs dans le texteContre les meurtriers et les hordes de paysans voleurs, Luther se prononce pour une répression impitoyable de la révolte. Il y aura en tout plus de 100 000 morts. Pour Luther, se révolter contre son souverain équivaut à se révolter contre Dieu lui-même : Dieu a donné à certains le « privilège » de gouverner et, même quand ils se révèlent injustes, Dieu n'a pu se tromper. Si le peuple est gouverné par un souverain cruel, il s'agit d'une punition divine.
Initiateur d’une quête théologique personnelle, préférant l'augustinisme à lascolastique, axée sur l'Écriture et la figure majeure du Christ, et mettant l'accent sur le salut par la foi, excommunié, Martin Luther se retrouvede facto à la tête d’un grand mouvement religieux qu’il lui faut organiser rapidement pour éviter tout débordement. En 1522 àWittemberg, pendant que lui-même était retenu auchâteau de Wartbourg, l'enthousiasteAndreas Bodenstein von Karlstadt avait profondément éradiqué de la messe toutes les allusions sacrificielles, pratiqué la communion sous les deux espèces et incité à mépriser les dévotions populaires et les images.Luther n'en demandait pas tant : selon lui, il importait d'éviter de heurter les faibles, seule la parole persuasive était de mise.[réf. nécessaire]
Bien que spontanément conservateur, et ne voulant pas qu'on se réclame du nom de luthérien mais de celui de chrétien, Luther fait évoluer la nouvelle Église dans un sens qui l’éloigne de plus en plus des traditions romaines. Soucieux de mettre la religion chrétienne à la portée de tous, il la dote d’outilspédagogiques[24], avec, à l’usage du peuple,Le Petit Catéchisme (1529), et, pour les pasteurs, leGrand Catéchisme, il promeut l'usage de lalangue vernaculaire dans les offices religieux et met au point leschorals, des chants liturgiques simples à apprendre tant du point de vue des paroles que des mélodies. Il prononce la suppression dessacrements non « évangéliques » (seuls sont conservés lebaptême et l’eucharistie, bien que la pratique de laconfession subsiste dans de nombreux endroits), la suppression — pour des raisons tant théologiques que morales — desvœux monastiques et ducélibat des prêtres, l'élection des pasteurs par des communautés locales, l'allemand comme langue liturgique (1526), etc.
Concernant ses rapports avec les autres courants de la réforme protestante, Luther s'oppose àUlrich Zwingli (avec qui la rupture est définitive aucolloque de Marbourg, en 1529) mais finit par se réconcilier avec les Strasbourgeois (ainsi que Bâle et Augsbourg), avec laconcorde de Wittemberg.
Bien que désapprouvant les moines qui s'étaient hâtés de quitter son propre couvent de Wittenberg, Luther, au terme d'une réflexion critique sur les vœux monastiques, affirme la sanctification de la vie conjugale et se marie lui-même en 1525 avec une ancienne religieuse,Catherine de Bora. Le couple aura six enfants. Ce sera en 1534 que Martin Luther achèvera l'écriture de saBible. En 1544, leroyaume de Suède devient officiellementluthérien. En 1559,ÉlisabethIre instaure l'anglicanisme, enFrance, on assiste au premiersynode desÉglises réformées.
Lachasse aux sorcières et sorciers exista dans les régions tant protestantes que catholiques romaines de l'Europe centrale, pendant et après la Réforme. Luther, et plus tardJean Calvin, y apportèrent leur soutien. Ils se fondaient sur les mots de la Bible (Exode 22:17)« tu n'accepteras pas de laisser vivre une sorcière ». Luther alla jusqu'à en parler dans certains de ses sermons (celui du WA 16, 551f., et aussi WA 3, 1179f, WA 29, 520f). Dans celui du, il dit :« vous ne devez pas avoir de pitié pour les sorcières, quant à moi je les brûlerais » (WA 22, 782 ff.). Il estimait que lasorcellerie était un péché allant à l'encontre du deuxième commandement.
Au cours desguerres austro-turques (1521-1543), Luther instrumentalise la menace de l'impérialisme ottoman pour servir ses visées politico-religieuses. Il faut, selon lui, vaincre d'abord les« Turcs de l'intérieur », c'est-à-dire lespapistes, pour être en mesure de repousser leGrand Turc de Constantinople, ces deux fléaux n'étant que deux incarnations différentes de l'Antéchrist.
Toutefois, avec lesiège de Vienne, le danger commence à peser sur l'Europe centrale, et son attitude se met alors à évoluer. Dans un nouveau pamphlet :Vom Kriege wider die Türken, il affirme que le pape n'a jusque-là fait qu'utiliser la menace ottomane comme prétexte pour faire de l'argent et vendre desindulgences. Luther explique l'échec des résistances à l'expansion ottomane par la doctrine augustinienne des deux royaumes : il n'appartient pas à l'Église de faire la guerre ou de la diriger : allusion à peine voilée à l'évêque hongroisPál Tomori, qui, en tant que général, est alors responsable de ladéfaite de Mohàcs ; la résistance contre les Turcs est l'affaire des seules autorités temporelles, auxquelles chacun doit se soumettre, mais qui n'ont aucune prérogative en matière de foi. Cette argumentation anéantit toute possibilité d'appeler à unecroisade. Luther ne justifie la guerre contre les Turcs que dans la mesure où il s'agit d'une guerre défensive et appelle à des tractations réciproques.
Luther marque encore plus nettement cette distinction entre l'ordre spirituel et l'ordre temporel dans son « Appel à la mobilisation contre les Turcs » (Heerpredigt wider die Türken), publié à l', où il dénonce les ennemis du Christ (« Feinde Christi »), agite les signes eschatologiques duJugement dernier et fait un devoir aux chrétiens de« frapper sans crainte » (« getrost dreinzuschlagen »). Par ce ton nouveau, il entend ôter tout fondement aux reproches qu'on lui a faits de servir la cause des hérétiques en divisant la chrétienté[25].
C'est ainsi qu'à l'encontre de son précepte :« Brûler les hérétiques est contre la volonté du Saint Esprit » (« Ketzer verbrennen ist wider den Willen des Heiligen Geistes », 1519), il approuve la répression de l'anabaptisme. En 1535, princes catholiques et protestants de Rhénanie se liguent (Ligue de Smalkalde) pour écraser lathéocratie anabaptiste deMünster.
Luther publie encore d'autres pamphlets :Des Juifs et de leurs mensonges (Von den Juden und ihren Lügen, 1543),Contre la papauté de Rome, inspirée du Diable (Wider das Papsttum zu Rom, vom Teufel gestiftet, 1545).
Dans son ouvrageQue Jésus-Christ est né Juif, Luther reproche aux autorités catholiques d'avoir« traité les Juifs comme s'ils étaient des chiens et non pas des hommes », et il reconnaît que le judaïsme est bien plus« fermement fondé sur l'Écriture » que le christianisme médiéval. Il ajoute :« Si les apôtres, qui étaient aussi des Juifs, avaient agi avec nous, païens, de la même manière que nous, païens, agissons avec les Juifs, jamais aucun païen ne serait devenu chrétien »[26].
Martin Luther (1483-1546), huile sur toile de Lucas Cranach l'Ancien, 1528.
Luther a longtemps prêché une attitude humaine et tolérante envers les Juifs,mais uniquement dans la mesure où ils accepteraient de reconnaître Jésus-Christ. En soi, lejudaïsme est un crime à éradiquer et, si les Juifs ne se sont pas massivement convertis au christianisme, c'est parce qu'il leur a été mal enseigné.[réf. nécessaire]
Devant l'échec de ses tentatives en ce sens, Luther adopte vers la fin de son existence une attitude de plus en plus judéophobe[27],[28]. En 1543, trois ans avant sa mort, il publieDes Juifs et de leurs mensonges, pamphlet d'une extrême violence où il prône des solutions telles que brûler lessynagogues, abattre les maisons des Juifs, détruire leurs écrits, confisquer leur argent et tuer les rabbins qui enseigneraient le judaïsme. Ce type de position contribuera au maintien d'un fortantijudaïsme en Allemagne, qui servira de prétexte à l'antisémitisme sous leTroisième Reich[29],[30],[31],[32], époque où le pamphlet de Luther deviendra un livre à succès. Au sujet de ce texte,Karl Jaspers a pu écrire :« Là, vous avez déjà l'ensemble du programme nazi »[3].
Quelques mois plus tard, dansVom Schem Hamphoras und das Geschlecht Christi (Du nom de Hamphoras et de la lignée du Christ), Luther assimile les Juifs audiable.
Condamnés après la Seconde Guerre mondiale par quasiment tous les courantsluthériens, ces écrits, ainsi que leur influence sur l'antisémitisme postérieur, ont contribué à son image controversée[33].
Autour de 1529, l'actualité oblige Luther à se pencher sur l'islam. LesultanottomanSoliman le magnifique vient en effet d'assiéger une grande capitale européenne, Vienne, sans succès, mais l'alerte a été chaude. Or les Ottomans sont les alliés objectifs des princes protestants, en difficulté devant les forces catholiques ralliées par l'Empereur germanique lui-même,Charles Quint car celui-ci doit consacrer l'essentiel de ses forces militaires à la défense de ses frontières sud-est, et cela le conduira à devoir tolérer puis officialiser par laPaix d'Augsbourg la présence d'états protestants en Allemagne[34]. L’accusation de connivence entre les deux hérésies (musulmane et protestante), que ne manquèrent pas de formuler les apologètes catholiques, était grave et exigeait une défense en règle[35]. En urgence, Luther publia donc successivement sesÉcrits sur la guerre contre les Turcs (allemand :Schrift vom Kriege wider die Türken) et sonAppel à la mobilisation contre les Turcs » (allemand :Heerpredigt wider die Türken).
Dans cet ouvrage, Luther critique d'abord longuement les principes de l'islam, estimant que le Coran est dépourvu de toute parcelle de vérité divine. Pour lui, si « le pape est l’esprit de l’antéchrist, le Turc est la chair de l’antéchrist » ; se présentant à visage découvert, le Turc est donc le moins dangereux des deux, sans être intrinsèquement meilleur[35]. Les connaissances de Luther sur le sujet étaient basées sur laRéfutation du Coran, un ouvrage polémique écrit vers 1300 par lefrère prêcheurRicoldo da Monte Croce, qui faisait alors la référence. En 1542, réalisant l'insuffisance de sa documentation, Luther écrivit une lettre au conseil municipal deBâle qui avait fait emprisonner l'éditeur de la traduction du Coran en latin par l'éruditthurgovienTheodor Buchmann, dit Bibliander pour que l'interdit sur ce livre soit levé. Grâce à cette intervention, la traduction commentée de Bibliander put paraître en 1543, préfacée par Luther. Ayant ainsi eu accès à une traduction plus précise du Coran, Luther relativisa certaines de ses critiques, mais en maintint néanmoins l'essentiel[36]. Toutefois, la conviction de Luther fut aussi d'appliquer à l'islam la même tolérance que celle accordée aux autres religions. Pour lui, laisser le Coran « parler de lui-même » permettrait de mettre en lumière les écarts entre l'islam et le christianisme et d'apporter ainsi aux musulmans une réponse chrétienne appropriée.
La publication des travaux de Bibliander déclenchera une prise de conscience chez les savants protestants de la proximité linguistique de l'arabe et de l'hébreu, de la valeur des textes musulmans, et, finalement, de l'intérêt d'étudier leCoran, la langue arabe et ses textes littéraires ou scientifiques. L'Université de Leyde, renforcée de l'apport duhuguenotScaliger, deviendra bientôt « La Mecque des études arabes », dotée d'un très riche fonds de manuscrits orientaux anciens[35].
Luther vit ses dernières années àWittenberg (maison de Luther). Il connaît plusieurs périodes dedépression et d'angoisse (1527, 1528, 1537, 1538) dues à la mort de sa filleMagdalena (Madeleine), née de son union en 1525 avec Katharina von Bora (Catherine de Bore), ou aux querelles entre protestants. Cependant, il n'a rien perdu de sa pugnacité. Son adversaire principal reste lepape, pour lequel il n'a pas de termes assez durs.
Martin Luther s'éteint après avoir confirmé sa foi, alors qu'il est àEisleben, sa ville natale, afin de régler un différend entre lescomtes de Mansfeld. Il est mort« probablement d'un accident vasculaire cérébral »[37].
Sa mort a été l'objet de controverses avec la publication en 1606 d’un écrit du franciscain belgeHenricus Sedulius(en), s’appuyant sur le témoignage de Rudtfeld, un serviteur de Luther. Celui-ci l’aurait retrouvé« pendu à son lit et misérablement étranglé »[38]. Cette version des faits, bien que reprise par le prêtre catholiquePaul Majunke dansLuther’s Selbstmord (1898), a été contredite par l'étude de l'historien catholique Nikolaus Paulus dansLuthers Lebensende. Eine kritische Untersuchung.
Luther a souffert de plusieurs maladies de son vivant, qui ont été bien documentées car il en parlait ouvertement[7]. Il souffrait ainsi degravelle, deconstipation chronique[39], detension artérielle élevée, et à partir de 1527, d'acouphènes parfois très violents que les médecins modernes interprètent comme signifiant qu'il souffrait potentiellement de lamaladie de Menière[7].
La théologie luthérienne est souvent résumée par les cinqSola/Solus :
sola scriptura : l' « Écriture seule » représente la source de toute foi et de toute connaissance que l'homme peut avoir de Dieu : c'est elle, par conséquent, qui constitue la norme critique de tout discours et de toute action chrétienne ;
sola gratia : la « grâce seule » compte sans qu'interviennent les tentatives de l'homme pour atteindre son propre salut ;
sola fide : c'est par la « foi seule », seulement si l'homme met sa confiance dans Christ, sans aucune œuvre de sa part, que l'on peut recevoir le salut ;
solus Christus : le « Christ seul », vraiment homme et vraiment Dieu, permet par sonsacrifice vicarial sur la croix la justification et la guérison qui sont transmises par l’Évangile et par le sacrement de l'Eucharistie. Ce dernier principe est le fondement des trois autres ;
soli Deo gloria (« à Dieu seul la gloire ») : ni le croyant ni aucun intermédiaire ne peuvent recevoir la gloire qui revient à Dieu.
Dans sa volonté de réhabiliter le corps et la vie, Luther rejette lavie monastique. Utilisant le mot allemandBeruf, qui signifie à la fois « vocation » et « profession », il affirme que la vocation de tout un chacun n'est pas de chercher Dieu dans un couvent mais de s'incarner dans le monde, dans une profession[40]. Théologiquement,« l'unique moyen de vivre d'une manière agréable à Dieu n'est pas de dépasser la morale de la vie séculière par l'ascèse monastique, mais exclusivement d'accomplir dans le monde les devoirs correspondant à la place que l'existence assigne à l'individu dans la société [Lebensstellung], devoirs qui deviennent ainsi sa « vocation » [Beruf] »[41].
L'Homme n'a qu'un seul guide infaillible pour trouver le bon chemin : la Parole de Dieu, l'Écriture seule, qui lui révèle le Christ. L'Homme est sauvé par la pure grâce seule et par le moyen de la foi seule. La religion est une affaire personnelle et non dictée par le pouvoir en place. Cettesotériologie repose sur le rôle de la Loi et de l'Évangile. La personne du Saint-Esprit par la Loi convainc l'Homme pécheur et le conduit vers la repentance, et l'Évangile fait naître la foi qui saisit le pardon, la vie et le salut que le Christ lui a acquis sur la croix.
Latraduction de laBible enallemand,langue vernaculaire, par Luther fut une de ses œuvres les plus importantes, un véritable événement dans l’histoire de l’Allemagne. Non seulement elle créa la littérature allemande moderne, et en donnant des principes généraux de sa traduction, assura au haut-allemand la suprématie sur tous les autres dialectes germaniques[43], mais elle fut un instrument puissant pour l’établissement du protestantisme. Elle a d'ailleurs exercé une large influence sur la traduction anglaise connue sous le nom deBible du roi Jacques[44]. L’hérésiarque, mis au ban de l’empire (1521) et retiré à la Wartbourg, après avoir établi que l’Écriture devait être l’unique source de la croyance protestante, voulut appliquer ses principes et placer aux mains de tous le livre sacré, traduit sur les textes originaux,« afin que le dernier des Allemands pût y lire ce qu’il devait croire ». Il fut aidé dans son œuvre par Mélanchton,Bugenhagen, Jonas, Aurogallus, Kreuziger et par quelques érudits juifs. Il se servit des traductions en langue vulgaire alors répandues en Allemagne. Lui-même avait étudié l’hébreu, autant qu’on le pouvait alors. Dans tout le cours de son travail, il eut sans cesse sous les yeux la traduction latine de l’hébreu par Sante Pagnino, les Septante pour l’Ancien Testament, l’édition grecque d’Érasme pour le Nouveau Testament, la Vulgate, quelques Pères latins, laGlossa ordinaria, les commentaires deNicolas de Lyre, etc.; mais son travail personnel fut considérable : il rapporte lui-même que, pour traduire Job, il passait quelquefois quatre jours entiers avec Mélanchton et Aurogallus à rendre en allemand deux ou trois versets de ce livre difficile. Le manuscrit de Job, des Psaumes et des livres de Salomon, rédigé de sa propre main et conservé à la bibliothèque nationale de Berlin, est surchargé de ratures : elles montrent avec quel soin il recherchait le mot propre. C’est ce que prouvent aussi les changements considérables qu’il fit dans les diverses éditions qui furent publiées de son vivant[45].
Luther employa douze années entières à sa traduction. Il la commença par le Nouveau Testament, parce que c’était la partie de l’Écriture la plus importante et la moins difficile ; il le traduisit tout entier à la Wartbourg, et le fit paraître in-folio, à Wittemberg, avec des gravures sur bois, en septembre 1522, sans indication d’imprimeur ni de date ; le nom de Luther lui-même n’y figure pas. Au début, Luther n'eut que peu d'égards pour leLivre d'Esther, l'Épître aux Hébreux, l'Épître de Jacques, l'Épître de Jude, et l'Apocalypse. Il appelle l'Épître de Jacques« une épître de paille » ; il estime que ces livres se réfèrent peu au Christ et à son œuvre salutaire. Il a également des paroles sévères à l'égard de l'Apocalypse, disant qu'il ne peut« en aucune manière ressentir que le Saint-Esprit avait pu produire ce livre ».
Il met en doute l'apostolicité de ces textes en rappelant que leur canonicité n'était pas universellement acceptée dans la première Église ; ce sont lesantilegomena. Cependant, Luther ne les retire pas de ses éditions des Écritures. Ses points de vue sur certains de ces livres changeront des années plus tard.
Luther choisit de placer entre l'Ancien et le Nouveau Testament ces livres qui sont ajoutés aux livres canoniques et se trouvent dans laSeptante mais sont absents destextes massorétiques hébreux. Il laisse largement leur traduction aux soins dePhilippe Mélanchthon etJustus Jonas. Ces livres ne figurent pas dans la table des matières de son édition de l'Ancien Testament de 1523, et on leur a attribué le titre d'« apocryphes ».
lamaison de Luther à Eisenach (Lutherhaus en allemand) est une maison patricienne à colombages située au centre-ville d'Eisenach où Luther fut accueilli par la famille Cotta durant sa scolarité entre 1498 et 1501.
Le est décrétéjour férié, l'Allemagne fête les500 ans de la Réforme de 1517[49]. Cette année est d'ailleurs l'objet de nombreuses célébrations en son honneur dans le pays[50]. Une figurinePlaymobil éditée à cette occasion connaît un succès inattendu avec plus de 750 000 exemplaires vendus en moins d'un an[51].
Opera omnia (1562).Martin Luther et ses livres. Gravure d'un auteur inconnu.
Écrits sur la traduction, texte établi et traduit par Catherine A. Bocquet, Les Belles Lettres, coll. Traductologiques, Paris, 2017(ISBN978-2-251-44754-4).
Gorgées d'évangile (anthologie), Bergers et Mages(ISBN2-85304-131-X).
Luther, les grands écrits réformateurs, GF-Flammarion, 1999(ISBN2-08070-661-6).
De la liberté du chrétien (Préface à la Bible), Seuil, 1996(ISBN2-02026-285-1).
Que Jésus est juif de naissance (1523)[lire en ligne]
Du serf arbitre (1525,De servo arbitrio), suivi deDiatribe d'Érasme sur le libre-arbitre, trad., présentation et notes Georges Lagarrigue, Gallimard, Folio, 2001(ISBN2070414698).
Œuvres complètes avec apparat critique ouédition de Weimar(en), 127 volumes publiés de 1883 à 2009, et divisées en quatre séries : Œuvre, Bible luthérienne, Propos de tables et Correspondance
Œuvres, publiée parLabor et Fides, aidée de l'Alliance nationale des Églises luthériennes de France et de la revuePositions luthériennes, depuis 1957. 20 tomes parus
↑Voir notamment les travaux deJean Delumeau etJacques Le Goff qui écrit :« Le Moyen Âge finissant bute contre le cadavre » ; cf.Jean-Pierre Deregnaucourt,La mort au Moyen Age : Les hommes et la mort à la fin du Moyen Age, Paris, Editions Jean-paul Gisserot,, 127 p.(ISBN978-2-87747-949-3,lire en ligne),p. 4-6.
↑Il est souvent qualifié à tort de « moine » ou de « moine augustin » ; cf.SophieHasquenoph,Histoire des ordres et des congrégations religieuses en France, du Moyen Âge à nos jours,Champ Vallon,,p. 19.
↑Philippe Charlier,Médecin des morts, Fayard/Pluriel,,p. 310.
↑FélixKuhn, « Les récentes polémiques sur la mort de Luther (18 février 1546) »,Bulletin historique et littéraire (Société de l'Histoire du Protestantisme Français),vol. 46,no 2,,p. 57-71(ISSN1141-0558,lire en ligne, consulté le).
↑Jean-Daniel Causse, « Luther et la question de la conscience. Problématisation et esquisse d'enjeux contemporains »,Revue d'éthique et de théologie morale, 293, mars 2017,p. 43-52.
↑Martin Luther,Das eyn Christliche versamlung odder gemeyne recht und macht habe, alle lehre tzu urteylen und lerer tzu beruffen, eyn und abtzusetzen, Grund und ursach aus der Schrifft,(lire en ligne) (Weimarer Ausgabe vol. 11,p. 408-416).
↑J. M. Göze,Sorgfältige und genaue Vergleichung der Original-Ausgaben der Uebersetzung der heiligen Schrift von Luther, von 1517 bis 1545, Hambourg et Leipzig, 1777-1778, 2 vol. in-4° ;Neue fur die Kritik und Historie der Bibelübersetzung Lutheri wichtige Entdeckungen, in- 4°, Hombourg, 1778 ;Neue und fur die Historié der Übersetzung Lutheri und die Kritik derseïben wichtige Entdeckungen, in-4°, Hambourg, 1782.
↑Compte-rendu.« Matthieu Arnold,La correspondance de Luther, Étude historique, littéraire et théologique, Mayence : Philipp von Zabern, 1996. XIV (= Veröffentlichungen des Instituts für Europäische Geschichte Mainz ; 168) »,Revue d'histoire et de philosophie religieuses,no 4,,p. 490-491(lire en ligne).
↑Table des matières du« Tome I » et du« Tome II » sur le site de La Pléiade.
Pierre Chaunu,Le Temps des réformes : La crise de la chrétienté, l'éclatement (1250-1550), Fayard, 1977.
Jean-Marie Mayeur, Charles Pietri, Luce Pietri, André Vauchez,Marc Vénard (dir.),Histoire du christianisme, t. 7 :De la réforme à la Réformation (1450-1530), Desclée, 1994.