Margaret Tobin Brown, née le àHannibal (Missouri) et morte le àManhattan (New York), est unemilitante etphilanthropeaméricaine. Issue d'une famille pauvre, dès ses dix-huit ans, elle part tenter sa chance dans leColorado et rencontre James Brown, qu'elle épousera. Devenu millionnaire à la suite de ladécouverte d'un filon d'or dans une mine d'Ibex Company, le couple entre dans la haute société et Margaret Brown, engagée et militante, se consacre au service des autres, notamment à travers la défense desdroits des femmes, des enfants et des mineurs du Colorado.
Elle en profite également pour voyager à travers le monde, et se rend à plusieurs reprises enFrance. Son amour pour ce pays la pousse à partir précipitamment enPicardie lorsqu'elle apprend le déclenchement de laPremière Guerre mondiale. Avec d'autres Américaines, elle soigne les soldats, action qui lui vaut de recevoir laLégion d'honneur. Il lui arrive aussi de se consacrer à sa passion pour lethéâtredramatique : elle interprète sur les scènes new-yorkaises et parisiennes le rôle de son idole,Sarah Bernhardt.
Cependant, Margaret Brown est surtout connue pour être l'une des rescapées dunaufrage duTitanic (le 15 avril 1912), une tragédie qui lui confère une renommée internationale. Sauvée à bord ducanotno 6, dans lequel elle déplore le comportement du quartier-maîtreRobert Hichens, elle participe ensuite à la création du Comité des Survivants. Un siècle après le naufrage, Margaret Brown est presque exclusivement surnommée l'« Insubmersible Molly Brown », bien qu'elle n'ait jamais été appelée ainsi de son vivant. Il s'agit d'une invention ducinéma hollywoodien, qui s'empare de son histoire pour en faire un mythe, parfois très éloigné de la vérité, notamment dans la comédie musicaleLa Reine du Colorado (1964) — mettant en scène l'actriceDebbie Reynolds dans son rôle[1] — et le drameTitanic (1997) — son rôle étant interprété parKathy Bates[2].
Margaret Tobin est née le, àHannibal, dans l'État duMissouri. Fille d'immigrants irlandais, John Tobin (1820-1899) et Johanna Collins (1825-1905)[3], elle a trois frères et sœurs, Daniel (1863), William (1869) et Helen (1871) ainsi qu'une demi-sœur, Catherine Bridget Tobin, par le premier mariage de son père et une autre demi-sœur, Mary Ann Collins, du premier mariage de sa mère. Ses parents se sont en effet tous les deux retrouvés veufs très jeunes. À leur arrivée en Amérique, ils intègrent une communauté decatholiques irlandais aux idéesprogressistes, une mentalité qu'ils transmettent à leurs enfants et dont Margaret Brown fait usage tout au long de sa vie[3].
Margaret Tobin est scolarisée jusqu'à l'âge de treize ans dans une école dirigée par sa tante, Marie O'Leary[4], puis part travailler dans une usine de tabac de la sociétéTobacco Company Garth pour aider à nourrir sa famille. Elle découvre les longues journées de travail, les bas salaires et les luttes de laclasse ouvrière. En 1885, alors âgée de 18 ans, Margaret Tobin et son frère Daniel suivent leur demi-sœur, Mary Ann Collins (qui vient de se marier avec unforgeron) àLeadville, une cité minière duColorado. Tandis que son frère travaille à lamine, elle trouve un emploi au magasin Daniels & Fisher Co dans lequel elle s'occupe du rayon tapis et rideaux[4].
C'est au cours de l'été 1886 qu'elle rencontre James Joseph Brown (1854-1922), de treize ans son aîné, qui est appelé simplement J.J[3]. Lui-même fils d'immigrants irlandais tout aussi pauvres que la famille Tobin, James Brown travaille à la mine en tant qu'entrepreneur. Margaret Tobin a toujours espéré se marier à un homme riche, mais épouse James Brown par amour. Elle disait :
« Je voulais un homme riche, mais j'ai aimé Jim Brown. Je réfléchissais à la façon de soulager mon père et comment j’avais décidé de rester célibataire jusqu'à ce qu'un homme se soit présenté, qui pourrait donner à ce vieil homme fatigué les choses que j'avais ardemment désirées pour lui. Jim était aussi pauvre que nous l'étions, et n'a pas eu plus de chance dans la vie. À cette époque, j'ai combattu contre moi-même. J'ai aimé Jim, mais il était pauvre. Finalement, j'ai décidé que je serais mieux avec un pauvre homme que j'aimais qu'avec un riche dont l'argent m'avait attiré. Ainsi, j'ai épousé Jim Brown[5] »
Margaret Tobin et James Joseph Brown se marient à l'église de l'Annonciation deLeadville le[3]. Le couple a deux enfants : Lawrence Palmer Brown, né le à Hannibal, et Catherine Ellen Brown, née le à Leadville[4].
Dans un premier temps, les jeunes mariés vivent à Stumptown, une cité minière fondée en 1876 qui abrite une petite communauté irlandaise. Lesmineurs et leurs familles vivent ici pour être à proximité des mines, mais dans des conditions souvent précaires, surtout durant l'hiver lorsque la neige, abondante dans le Colorado, rend impraticable la route qui relie Stumptown à Leadville[3].
En 1891, James Brown commence à travailler pour laIbex Company, une compagnie alors nouvellement créée. Il devient le surintendant des différents puits de mines, dont le puitsno 1, appeléLittle Johnny, d'où est extrait de l'argent[6].
La maison de Denver, achetée par les Brown en 1894. C'est désormais un musée consacré à « Molly ».
Afin de stopper les nombreux effondrements des galeries souterraines, James Brown met au point un procédé avec du bois et des ballots de foin pour soutenir les voûtes. La méthode se révèle efficace et les mineurs ont désormais la possibilité de creuser en profondeur plus en sécurité, tant et si bien qu'ils découvrent des gisements d'or. Les dirigeants d'Ibex Company deviennent rapidement très riches et ils cèdent 12,5 % desparts de la société à James Brown, ainsi qu'un siège auconseil d'administration, pour le récompenser[4].
La mine connaît une période prospère jusqu'à lapanique de 1893 où l'abrogation duSherman Silver Purchase Act fait s'effondrer le prix de l'argent. Les mines de Leadville ferment les unes après les autres. Little Johnny est abandonnée à son tour et Stumptown se vide de ses habitants jusqu'à ce qu'elle soit définitivement désertée en 1914. De nos jours c'est une des nombreuses villes fantômes des États-Unis où subsistent quelques bâtiments en bois[7]. Cette même année, les Brown (dont la fortune s’élève désormais à 5 millions de dollars) s'offrent leur premier voyage au cours duquel ils passent àChicago pour visiter l'exposition universelle. À leur retour en 1894, ils achètent une maison à Denver, surPennsylvania Street, en plein cœur du prestigieux quartier deCapitol Hill. En plus du couple et de leurs enfants, la nouvelle et grande maison de Denver accueille aussi leurs parents respectifs, ainsi que les trois filles de Daniel Tobin, le frère de Margaret Brown, qui est devenu veuf quelques années après son mariage[8]. Cinq ans plus tard, en 1898, James Brown donne le nom de sa femme à la maison[9].
En 1902, les Brown entreprennent un tour du monde, en commençant par l'Irlande où James Brown envisage sérieusement de revenir passer sa retraite. Le couple se rend ensuite enFrance, puis enRussie, auJapon, et bien d'autres destinations. Lors d'un passage enInde, Margaret Brown s'intéresse tout particulièrement au système descastes[3].
Cependant les voyages ne suffisent plus à consolider le couple et après vingt-trois ans de mariage, Mrs Brown découvre que son mari la trompe. D'un commun accord, ils décident de se séparer en 1909. Elle reçoit un règlement en espèces et obtient la possession de la maison de Denver. James Brown s'engage également à lui verser 700 dollars par mois afin qu'elle puisse continuer ses activités et ses voyages[3]. Ils ne seront jamais officiellement divorcés, aussi Margaret Brown conserve-t-elle le nom de son mari tout en gardant contact avec lui. Elle devient veuve en 1922 lorsque James Joseph Brown meurt d'une crise cardiaque à l'hôpital de Nassau à New York, sa fille Helen à ses côtés[10].
Le fils de Margaret Brown, Lawrence Palmer Brown, (mort le), et son fils, Lawrence Palmer Junior, lèguent par la suite toutes les photos familiales au musée consacré à sa grand-mère. La fille de Lawrence Junior, Muffet Laurie Brown[11], fait quant à elle des recherches sur la vie de son arrière-grand-mère. C'est l'une des premières de sa famille à collaborer avec les historiens duTitanic. Elle a d'ailleurs rédigé la préface de la biographie de Margaret Brown écrite par Kristen Iversen et publiée en 1999[12]. La fille de Margaret Brown, devenueMme Benziger à la suite de son mariage en 1913, a quant à elle vécu jusqu'à l'âge de 97 ans, avant de mourir le àGreenwich dans leConnecticut[4].
À Cherbourg Margaret embarque d'abord sur leNomadic avant de pouvoir monter à bord duTitanic.
Plus indépendante que jamais depuis sa séparation avec James Brown, Mrs Brown en profite pour voyager. Le, elle embarque à bord de l'Olympic,sister-ship duTitanic, pour se rendre enEurope et retrouver sa fille qui étudie à l'université de laSorbonne, àParis[13]. Durant le mois de février les deux femmes partent visiter l’Égypte[13] et c'est auCaire qu'elles rencontrentJohn Jacob Astor en compagnie de sa nouvelle jeune épouse, Madeleine. Le couple, qui est en voyage de noces, lui parle duTitanic, le luxueux paquebot sur lequel ils ont réservé leurs billets de retour à l'occasion de son voyage inaugural. Pendant son séjour Margaret Brown se fait prédire l'avenir par un voyant et celui-ci l'avertit de ne pas prendre la mer car elle y sera en danger[14]. Cette remarque l'amuse, car pour rentrer en Amérique elle est bien évidemment obligée de prendre un bateau. Malgré tout, elle achète un petit talisman en jade représentant une momie et censé lui porter chance[15].
Elle rentre en France en même temps que les Astor et s'installe dans un grand hôtel parisien de laplace Vendôme[16]. Cependant une nouvelle vient modifier ses projets lorsque le, Margaret Brown apprend que son petit-fils, Lawrence Palmer Junior, est malade[17]. Elle décide aussitôt de rentrer et achète un billet, qu'elle paye 27 livres sterling, 14 shillings, sur le premier bateau à destination desÉtats-Unis, leTitanic[4].
Le, elle monte dans le train transatlantique au départ de lagare Saint-Lazare et arrive quelques heures plus tard à lagare transatlantique de Cherbourg. Comme de nombreux autres passagers, elle est obligée de patienter davantage que prévu car leTitanic, ayant rencontré un incident à son départ deSouthampton, est finalement parti avec un peu de retard. Il arrive en rade de Cherbourg à18 h 35, plus d'une heure après l'horaire initialement prévu. Mrs Brown embarque à bord duNomadic, le transbordeur de première et deuxième classe, qui la transporte jusqu'au paquebot. Ses bagages, dont trois caisses d'antiquités égyptiennes qu'elle destine au musée d'art de Denver[18], sont quant à eux placés sur leTraffic avec les passagers de troisième classe. Alors qu'elle monte à bord duTitanic, une de ses amies, Emma Bucknell, qui est aussi du voyage, lui dit qu'elle a un mauvais pressentiment à propos du paquebot. Margaret Brown lui répond qu'elle s'inquiète pour rien[15]. LeTitanic repart à20 h 10, en direction deQueenstown[19].
Une cabine de première classe semblable à celle que Margaret Brown occupait pendant la traversée.
Bien que Kristen Iversen indique dans sa biographie de Margaret Brown que la cabine de cette dernière se trouve sur le pont B[20], de nouvelles recherches permettent cependant de penser que durant la traversée, Margaret Brown occupe en réalité la cabine E-23, située au pont E sur le côté tribord. Elle décrit d'ailleurs elle-même sa cabine comme une pièce pouvant accueillir trois personnes, ce qui correspond à la description de la cabine du pont E, et non à celle du pont B[13].
Durant les quatre jours de la traversée, Mrs Brown profite de lapremière classe la plus luxueuse de l'époque, laquelle propose différentes activités telles que des séances de sport augymnase, ou des innovations comme lesbains turcs. Elle a également pu se rendre ausalon de lecture principalement destiné aux dames, tout comme elle a sûrement apprécié lecafé parisien où se retrouve toute la mondanité du paquebot, et où les conversations vont bon train. À bord, Margaret Brown côtoie ainsi les personnalités de son époque. Elle retrouve notamment le couple Astor, les plus riches des passagers, mais aussiBenjamin Guggenheim le magnat du cuivre,Charles Melville Hays le magnat duchemin de fer américain,Cosmo Edmund Duff Gordon un grand propriétaire terrien accompagné de son épouseLucy qui est créatrice de mode pour l'aristocratie, et bien d'autres encore[21]. Margaret Brown reconnaît également quelques membres du personnel, dont lecapitaine Smith et l'hôtesseViolet Jessop, qu'elle avait rencontrés trois mois plus tôt à bord de l’Olympic[22].
Bien qu'elle ne soit pas issue de ce milieu et que sa fortune paraisse faible à côté de celle des milliardaires, Brown est parvenue à se faire une place dans ce milieu très privé et elle profite de la traversée qui se déroule à merveille.
Margaret Brown est en train de lire dans son lit lorsque leTitanic heurte l'iceberg à23 h 40. Plongée dans sa lecture, elle entend vaguement le bruit du choc sans y prêter attention, mais finit tout de même par sortir de sa cabine lorsque des bruits lui parviennent de la coursive. Comme il ne s'agit que de quelques hommes en pyjama qui discutent entre eux, elle retourne se coucher. Cependant à peine Margaret Brown a-t-elle repris son livre, qu'un homme frappe à sa porte. Il s'agit de James Robert McGough[23], l'occupant de la cabine E-25 qui se trouve juste en face[24]. Il vient la prévenir qu'il s’apprête à monter sur le pont avec un ami pour voir ce qu'il se passe et qu'elle devrait s'habiller pour se tenir prête à partir. En entendant ces propos, Margaret Brown ressort dans la coursive, mais une fois encore elle n'y trouve aucune agitation anormale susceptible de l'alarmer, aussi décide t-elle à nouveau de rentrer à sa cabine. En chemin elle passe devant un groupe d'hommes, sixstewards et unofficier, qui s'activent au-dessus d'une plaque en laiton. Elle l'ignore, mais sous cette plaque se trouve un système permettant de fermer manuellement lesportes étanches du pont F, qui se trouve juste en dessous. L'officier et les stewards sont en train d'essayer d'ouvrir la plaque afin de procéder à la manœuvre. Selon Margaret Brown, aucun d'eux ne semble nerveux. Deux autres rescapés, qui ont également assisté à la scène, confirment par la suite ses propos[13]. Peu après, McGough revient et l'informe qu'il est temps pour elle de prendre son gilet de sauvetage[25].
S'habillant en vitesse, Margaret Brown prend 500 dollars dans son coffre-fort et les met dans un petit portefeuille qu'elle accroche autour de son cou, puis elle enfouit son talisman en jade au fond de sa poche et s'empare de son gilet de sauvetage. En quittant sa cabine, elle laisse derrière elle ses livres, une importante garde-robe, treize paires de chaussures parisiennes[26] et plusieurs bijoux, dont un collier d'une valeur de 325 000 dollars[3].
Margaret Brown monte avec hâte sur le pont des embarcations et aide les autres femmes à évacuer le bâtiment avant qu'elle ne soit elle-même amenée à embarquer dans lecanotno 6[27] vers 1 heure, le deuxième mis à la mer à bâbord. Une fois à l'eau, elle et les autres femmes du canot se retrouvent confrontées à l'arrogance et l'égoïsme du quartier-maître,Robert Hichens, auquel lapasserelle a attribué le commandement de l'embarcation[28]. Parmi les occupants du canot, il y a une majorité de femmes. Elles sont environ vingt, tandis que les hommes sont seulement au nombre de cinq ou six, dont quatre hommes d'équipage. Quarante personnes de plus auraient pu y prendre place[29].
Hichens se montre particulièrement désagréable et à plusieurs reprises il refuse de revenir en arrière pour recueillir des naufragés, de peur que ceux-ci ne fassent chavirer le canot, malgré les demandes insistantes de Margaret Brown et d'Helen Candee qui ne parviennent qu'à l'énerver davantage[30],[31]. Pessimiste, il est persuadé qu'ils vont dériver plusieurs jours, sans eau ni biscuits, et se lamente :« Nous sommes condamnés[32] ! ». Margaret Brown lui reproche de ne rien faire alors que les femmes rament depuis des heures. Prostré à l'arrière du canot, sous prétexte de tenir la barre, Hichens est en effet l'un des seuls à ne pas ramer. Une autre passagère, Mrs Leila Meyer[33], l'accuse de s'être approprié des couvertures et une flasque d'alcool, qu'il a confisquée à son seul usage[34]. La tension est palpable.
Un peu plus tard dans la nuit, le canotno 6 croise lecanotno 16 auquel Hichens décide de s'attacher, mais au bout de quelques minutes, Margaret Brown et les autres femmes du canot, frigorifiées, demandent à repartir pour pouvoir continuer à ramer et ainsi se tenir chaud. Hichens refuse et menace même de jeter à l'eau Margaret Brown si elle« ne la ferme pas[16] ». Choqué par les propos du quartier-maître, un homme lui fait remarquer :« Vous rendez-vous compte que vous parlez à une femme[35] ? » Finalement, le canotno 6 est détaché par les occupants du canotno 16 et les femmes reprennent les rames[36]. L'échange verbal entre Hichens et Brown fut tel que lesénateur Smith demande des précisions à ce sujet lors de lacommission d'enquête américaine[28]. Margaret Brown écrit elle-même par la suite :« Il y avait une créature dans notre canot, que je ne pourrais pas appeler un homme car rien, excepté ses vêtements, ne permettait de le qualifier comme tel, tant il était lâche[34]. » Cependant, si tous les occupants du canot ont condamné l'action d'Hichens, ils auraient certainement pu s'opposer sans difficultés à un homme isolé ; aussi cette unanimité est-elle parfois considérée comme exagérée[37].
Margaret Brown présentant un trophée au capitaine Arthur Henry Rostron, pour son service lors du sauvetage duTitanic.
À4 h 30, les passagers du canot aperçoivent des lumières au loin. Une nouvelle fois défaitiste, Hichens leur dit que ce n'est pas un bateau mais simplement une étoile filante, et qu'il ne sert à rien de continuer à espérer l'arrivée de secours. Pourtant,Frederick Fleet (le veilleur de nuit ayant aperçu l'iceberg) qui était jusque-là resté silencieux, annonce qu'il s'agit certainement duCarpathia, et c'est en effet le petit paquebot de laCunard Line qui apparaît à la lumière du matin. Comme les canots se sont dispersés et que la houle s'est levée, il faut un certain temps pour que leCarpathia parviennent à tous les récupérer. Le calvaire des occupants du numéro 6 se termine à6 h du matin, lorsqu'ils peuvent enfin quitter l'embarcation[38].
À bord duCarpathia, Margaret Brown envoie tout d'abord untélégramme à sa fille Helen, et cherche ensuite à se rendre utile[39]. Elle aide à réaliser les listes des rescapés comme interprète[40], en tant que francophone et germanophone, puis effectue ensuite une collecte auprès des rescapés de première classe et des passagers duCarpathia, au profit des émigrants qui ont tout perdu dans le naufrage et parvient à réunir 10 000 $[41]. À son retour sur la terre ferme, elle est acclamée comme une héroïne, et à un journaliste qui lui demande comment elle a survécu, Margaret Brown répond :« C'est la chance des Brown. Nous sommes insubmersibles[3]. »
Dans le même temps, apprenant le rétablissement de son petit-fils, elle décide de rester quelque temps à New York pour continuer à aider aux secours des naufragés[42]. Mrs Brown regrette cependant que son statut de femme ne l'autorise pas à témoigner à la commission d'enquête américaine, aussi fait-elle publier l'histoire de son expérience à bord duTitanic dans leHerald Newport, les 28, 29 et[13].
Le, en tant que présidente du Comité des Survivants qu'elle a contribué à créer[43], Margaret Brown remet aucapitaine Rostron une coupe en argent pour le remercier de son aide apportée aux naufragés, ainsi que des médailles à chacun des membres de l'équipage duCarpathia. Le lendemain, leNew York Times publie un article relatant les faits[44]. Mrs Brown offre également à Rostron le talisman en jade qu'elle avait acheté en Égypte pour qu'il lui porte chance[45]. Enfin, le, elle assiste à l'édification du mémorial aux victimes duTitanic àWashington[46].
Dans une interview qu'elle donne par la suite, Margaret Brown affirme qu'elle ne cautionne pas la règle visant à faire monter les femmes avant les hommes, et explique que si« les femmes demandent l'égalité des droits sur terre, pourquoi pas aussi en mer ? ». Mrs Brown pense que dans de tels moments, les familles ne devraient pas être séparées[47].
À la suite de son expérience dans lenaufrage duTitanic, Margaret Brown acquit une renommée nationale alors qu'elle n'était jusqu'ici connue que dans l’État du Colorado, et surtout à Denver. Elle devient une personnalité emblématique des rubriques journalistiques mondaines et de nombreux articles sont publiés sur les différentes actions qu'elle mène. Celles-ci sont nombreuses car Margaret Brown continue à se consacrer aux autres. À la demande des femmes des grévistes, elle intervient ainsi dans la grève des mineurs à Ludlow, puis s’investit dans lalutte des femmes pour le droit de vote avant de partir précipitamment en France pour venir en aide aux soldats blessés sur le front. La paix revenue, Margaret Brown prend du temps pour se consacrer à sa passion, lethéâtre[3].
Sans contact avec ses enfants, depuis la mort de James Brown et les problèmes liés à son héritage, Margaret Brown meurt seule dans son sommeil, à l'hôtel Barbizon de New York, le d'uneattaque d'apoplexie. L'autopsie du corps révèle la présence d'une grossetumeur cérébrale[40]. Elle est enterrée dans le cimetièreThe Holly Rood, dans lecomté de Nassau de l'État de New York, à côté de son mari James Joseph Brown[40].
Des grévistes de Ludlow, et leurs familles, devant le camp de tentes.
Durant les années qu'elle passe àLeadville et Stumptown, Margaret Brown participe bénévolement auxsoupes populaires qui viennent en aide aux familles de mineurs. En 1893, l'arrivée d'une fortune inespérée permet au couple de commencer une nouvelle vie, mais Margaret Brown n’a pas oublié d’où elle vient et comme sa nouvelle classe sociale lui permet de jouir d’un certain confort sans avoir besoin de travailler, elle décide de consacrer son temps libre au service des autres. Avec la crise minière, de nombreux bidonvilles fleurissent autour des villes etDenver n’est pas épargnée ; à nouveau elle aide dans les soupes populaires et les collectes de dons pour les familles des mineurs[3].
En, les femmes des mineurs de Ludlow, qui ont entendu parler de Margaret Brown à la suite dunaufrage duTitanic deux ans plus tôt, lui écrivent une lettre pour demander son soutien. Celle-ci est publiée dans leTimes de Denver, dont voici un extrait :« Nous avons entendu votre anxiété concernant les hommes de laguerre du Mexique et nous voulions vous faire part de nos hommes et de nos femmes dans notre propre guerre, ici, chez nous[3]. »
La grève ducharbon, organisée par lesyndicatUnited Mine Workers of America contre les sociétés minières, sévit dans le Colorado depuis 1913. Les grandes entreprises impliquées sont laColorado Fuel & Iron Company, laRocky Mountain Fuel Company, et laVictor-American Fuel Company, toutes trois détenues par la puissantefamille Rockefeller[48],[49]. À la suite du meurtre d'un délégué syndical, les mineurs de Ludlow se mettent en grève et écrivent une liste de revendications parmi lesquelles ils demandent une réduction du temps de travail et de meilleurs salaires pour justifier des conditions difficiles et rendues dangereuses par le non-respect des règles de sécurité de la part des sociétés minières. Les effondrements entraînent en effet régulièrement la mort de nombreuses personnes. Cependant toutes leurs demandes sont rejetées et les grévistes sont expulsés de leurs maisons avec femmes et enfants. Ils se relogent dans les collines environnantes sous des tentes prêtées par le syndicat. Rockefeller embauche des hommes de l'agence Baldwin Detective pour effectuer des raids dans les campements des grévistes, tandis que legouverneur du Colorado envoie la garde nationale pour tenter de calmer les émeutes. De nombreux grévistes sont tués[50].
Le, le leader de la grève est convoqué par la garde nationale sous motif d'un accord de paix, mais il est en réalité assassiné. Une violente altercation éclate entre les grévistes et les gardes nationaux. Ces derniers ouvrent le feu et incendient le campement. Une trentaine de personnes trouvent la mort du côté des grévistes, dont deux femmes et onze enfants. Cet événement, appelé le « massacre de Ludlow », alerte l’opinion publique et la grève prend une dimension nationale. Peu de temps après, Margaret Brown se rend à Ludlow et lutte pour maintenir un juste milieu, tout en refusant de se joindre aux radicaux. Avec d'autres femmes des syndicats de Denver, elle multiplie les manifestations et les discours sur les droits des mineurs, un sujet qu'elle connaît bien. Elle dénonce également les pratiques inacceptables de Rockefeller[3]. La grève finit par s’essouffler après plusieurs semaines etJohn Davison Rockefeller accepte finalement de faire des concessions. Un accord est signé entre les sociétés minières et les grévistes[51].
Des femmes de laNational American Women's Suffrage Association, devant laMaison-Blanche.
Très tôt, alors que ses enfants sont encore jeunes, Margaret Brown s'engage dans la défense desdroits des femmes. Elle aide l'association américaine pour le droit de vote des femmes (National American Women's Suffrage Association) à s'établir dans le Colorado et dans le même temps, Margaret Brown devient membre du club des femmes de Denver (Denver Woman's Club), dont la mission est l'amélioration de la vie des femmes à travers l'éducation et laphilanthropie. En 1901, elle devient l'une des premières étudiantes à s'inscrire auprès de l'Institut Carnegie àNew York. Adoptant les attributs d'une femme de la société, Margaret Brown s'immerge dans le monde des arts et de la littérature, et devient également multilingue en français, allemand et russe[4].
Elle se joint auxprogressistes et aux réformateurs qui militent pour l’amélioration de la ville de Denver avec entre autres l’installation debains publics dans lepalais de justice, ainsi que l’aménagement de parcs publics. Comme la misère touche également de nombreux enfants, elle participe à la création de l’orphelinat de Denver et travaille en étroite collaboration avec Ben Lindsey[17], un juge réformateur et progressiste, pour la création d'un système de tribunal pour mineurs. Lindsey était lui-même engagé dans une lutte pour l’abolition dutravail des enfants. Toujours pour la ville de Denver, Margaret Brown participe à une levée de fonds pour financer les travaux de lacathédrale de l'Immaculée Conception, qui seront pour l'essentiel achevés en 1912[3].
Son investissement allant grandissant, Margaret Brown tente de se faire élire auSénat de l’État du Colorado en 1909. Cependant son initiative ne fait pas l'unanimité et les journaux du Colorado s'emparent de l'affaire. Elle ne bénéficie pas non plus du soutien de son mari car celui pense qu'« une femme ne doit apparaître que trois fois dans un journal, à sa naissance, à son mariage et à sa mort[3] ». Elle retire finalement sa candidature avant le scrutin final.
En 1914, elle part habiter quelque temps àNewport[52], dans leRhode Island, où se réunit toute la haute société américaine. C'est là qu'elle fait la rencontre d'Alva Vanderbilt Belmont, la présidente de l'Association du suffrage national des femmes américaines, avec laquelle elle s'implique à nouveau dans les droits des femmes. Elle rédige de nombreux articles à ce sujet, et notamment sur ce qu'elle a pu voir en France. En juillet de cette même année elle fait un discours lors de la conférence des « Grandes Femmes », dans lequel elle parle des conditions de travail des mineurs du Colorado[3]. C'est avec le soutien d'Alva Belmont, que Margaret Brown fait campagne pour la seconde fois aux élections sénatoriales. Soutenue par un grand nombre, elle renonce cependant à sa candidature et modifie ses projets lorsqu'elle apprend la déclaration de laguerre. Margaret Brown décide alors de repartir en France[3].
Tout au long de sa vie, Margaret Brown porta une affection particulière pour la France. Le lien étroit qui l'unissait avec ce pays débuta dès 1897, lorsqu'elle créa l'Alliance française de Denver, qui est encore active plus d'un siècle après[16]. Au début des années 1900, elle contribue à la publication des œuvres deMark Twain enbraille et en français. Elle se vante d'avoir bien connu le célèbre auteur desAventures de Tom Sawyer qui, comme elle, avait grandi à Hannibal et qui était l'oncle d'une de ses amies d'enfance[16]. Margaret Brown ne manqua jamais de passer par la France au cours de ses nombreux voyages à travers le monde. Ce fut notamment le cas en 1902 lorsqu'elle découvreParis en compagnie de James Brown, puis en 1912 juste avant l'épisode duTitanic.
En 1914, apprenant le début de laguerre en Europe, elle délaisse ses activités politiques en Amérique pour se rendre enPicardie. Margaret Brown se rend sur lefront pour soigner les blessés. Quelques années plus tard, en 1924 avec son amie,Anne Morgan,philanthrope américaine et fondatrice duComité américain pour les régions dévastées, elle participe à la création du Musée historique franco-américain dans lechâteau de Blérancourt, qui devient en 1931 le Musée national de la coopération franco-américaine[53]. L'année suivante, quelques mois avant sa mort, Margaret Brown reçoit la décoration de laLégion d'honneur pour services rendus pendant la guerre[54].
En temps de paix, Margaret Brown fréquentait les théâtres de Paris, en tant que spectatrice et comédienne. Grande admiratrice deSarah Bernhardt, elle rejoue sur scène les mythiques rôles de la célèbre comédienne[16]. Son interprétation deL'Aiglon rencontra un grand succès, autant à New York qu'à Paris[3], et c'est pour ce rôle que la France lui remit laPalme de l'Académie française le, une distinction qui lui alla droit au cœur[54].
Revendue en 1932, à la suite de la mort de Margaret Brown, la maison de Denver accueille une nouvelle famille, avant d'être rachetée par Art Leisenring et de devenir un foyer pour jeunes filles rebelles durant les années 1960. C’est à cette même époque que Denver connaît une importanterénovation urbaine, et de nombreux bâtiments anciens sont détruits par les bulldozers. Craignant pour la maison, Leisenring crée un groupe de soutien avec d'autres citoyens, qui est ensuite incorporé à l’associationHistoric Denver Inc. Faisant appel aux médias et aux dons, finalement, l'association parvient à racheter la maison et entreprend une rénovation minutieuse du bâtiment. Afin de lui rendre sa splendeur des premiers jours, des analysesmicroscopiques des peintures sont réalisées, ainsi que des recherches architecturales à partir des photographies originales de la maison telle qu’elle était en 1910. À présent, c'est un musée consacré à la vie de Margaret Brown[9].
Le musée est une représentation parfaite de ce que pouvait être une maisonvictorienne et de la vie quotidienne qui s’y déroulait. Il conserve de nombreux objets ayant appartenu à la famille Brown et on peut notamment admirer un tableau représentant le naufrage duTitanic. Le petit-fils de Margaret Brown, Laurence Palmer Junior, a également fait don de toutes les photos de famille au musée qui en est aujourd’hui l’unique propriétaire[11].
Le « Molly Brown » est le nom d'une attraction du parc Disneyland.
De nos jours Margaret Brown est presque exclusivement connue sous le nom de « Molly » Brown, mais elle n'a en réalité jamais été appelée ainsi de son vivant. Ce surnom lui a été attribué par lecompositeur,Meredith Willson, qui trouvait que « Molly » était plus facile à chanter que « Maggie »[55], le vrai surnom de Margaret Brown. Willson réalisa unecomédie musicale sur la vie de Brown, qui connut un grand succès entre 1960 et 1962. Elle fut même adaptée au cinéma deux ans plus tard, par leréalisateur,Charles Walters, sous le titreLa Reine du Colorado. Cependant la comédie musicale et le film présentent une image faussée de Margaret Brown, puisqu’elle y est notamment montrée comme une orpheline[56]. Malgré tout, le film est l'un des trois plus gros succès cinématographiques de 1964 et aux yeux de tous, Margaret Brown devient « l'insubmersible Molly ».
Aussi,Molly Brown est également le nom donné par l'astronaute Virgil « Gus » Grissom à son vaisseau spatialGemini 3 (première mission Gemini habitée), probablement en souvenir - ironique - de sa première mission spatiale, à la fin de laquelle sa capsule Mercury avait coulé accidentellement dans l'Atlantique[réf. nécessaire]. En effet, le qualificatif courant de "Molly Brown" était "l'incoulable (ou l'insubmersible) Molly Brown" ("Unsinkable Molly Brown"), désignation complète de la comédie musicale à succès àBroadway. L'insigne de Gemini 3 montre d'ailleurs une capsule flottant dans l'eau, image explicite.
Le téléfilmS.O.S. « Titanic » (1979) deWilliam Hale offre quant à lui la vision d'une femme grossière et peu cultivée. Une scène du naufrage duTitanic, la montre même en train de menacerRobert Hichens avec une arme, ce qui est totalement faux. C'est dans le filmTitanic (1997), deJames Cameron, que Margaret Brown est la plus réaliste. Interprétée par l'actriceKathy Bates, qui lui ressemble physiquement, elle est présentée comme la femme cultivée et sûre d'elle qu'elle était. Parmi les passagers de première classe, Margaret Brown est l'une des seules à témoigner du respect pour le héros, Jack Dawson, passager de troisième classe. Cependant, James Cameron utilise également le prénom « Molly » pour nommer son personnage.
Dans un autre domaine, leMolly Brown est aussi le nom d'unbateau à aubes du parcDisneyland de Paris. L'attraction propose un tour d'une quinzaine de minutes durant lesquelles l'histoire de Margaret Brown est diffusée par haut-parleur au public. Une photo originale de Mrs Brown, prise à sa descente duCarpathia, est visible dans la vitrine de la bibliothèque du salon privé du bateau[11].
La version du 23 février 2012 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.