Manuel Antonio Noriega Moreno, né le (la date de naissance officielle n'est cependant toujours pas confirmée — les dates avancées restent le mois de janvier, de l'année 1934, 1936 ou 1938)[1] et mort incarcéré dans son pays le, estde facto le chef de la république duPanama entre 1983 et 1989, date à laquelle il est chassé du pouvoir par lesÉtats-Unis lors de l'invasion du pays.
Il accède aux sphères du pouvoir en 1968 par un coup d'État orchestré avecOmar Torrijos. Après la mort de ce dernier en 1981, Noriega devient le nouvel homme fort du Panama en tant que chef des forces armées, position qu'il occupe de 1983 à 1989.
Dès les années 1950 jusqu'à avant l'invasion américaine, Noriega collabore étroitement avec laCentral Intelligence Agency (CIA). Le général panaméen est l'une des sources de renseignement les plus précieuses du pays, ainsi que l'un des principaux vecteurs d'armes, d'équipements militaires et d'argent illicites destinés aux forces decontre-insurrection soutenues par lesÉtats-Unis enAmérique centrale etdu Sud. Il est également un important trafiquant de cocaïne, ce que ses collègues du renseignement américain savaient depuis plusieurs années mais n'ont pas réussi à appréhender en raison de sa capacité à couvrir les opérations militaires en Amérique latine.
Durant les années 1980, il exerce le pouvoir sans avoir constitutionnellement le titre dechef de l'État. Détenu auxÉtats-Unis pour trafic de drogue etblanchiment, il est condamné par contumace pourmeurtres auPanama.
En 2017, il subit une intervention chirurgicale pour retirer une tumeur bénigne située dans son cerveau. En raison de son état de santé délicat, les autorités panaméennes l'avaient assigné à résidence à l'hôpital. Il est décédé à l'âge de 83 ans.
Originaire d'un quartier pauvre de Panama, il postule à une école de médecine, mais, du fait d'une priorisation des places pour les enfants issus des classes supérieures, il est refusé. Par le biais d'un ami, il rentre à l'école militaire de Chorrillos, située auPérou. En 1962, il quitte l'école et rejoint lagarde nationale. Quelques mois plus tard, en garnison àColón, il obtient le grade desous-lieutenant et rencontreOmar Torrijos, qui le nomme à la branche renseignement des forces publiques du panama, le futurG2[2]. Il a également reçu une formation de renseignement et de contre-espionnage à l'École militaire des Amériques à la base militaire américaine de fort Gulick auPanama, en 1967, ainsi qu'un cours spécialisé dans les opérations psychologiques (psyops) àfort Bragg (Caroline du Nord). La même année, il est recruté par laCIA pour laquelle il travaillera jusque dans les années 1980.
Photo prise de Noriega étant encore sur ses études avant de rejoindre lagarde nationale.
En 1968, il participe activement au coup d'État organisé parTorrijos en coupant la radio et le téléphone dans la province deChiriquí, le bastion du président en poste,Arnulfo Arias[2]. Il est ensuite promu à la tête duG2. Il utilise sa position pour éliminer de nombreux opposants, comme le prêtreHector Gallego(en)[2].
Il joue notamment un rôle d'agent double, en fournissant non seulement des informations auxÉtats-Unis, mais également à Cuba. Il ira jusqu'à vendre des informations à plus d'une dizaine de pays en même temps, tels que leNicaragua,Taïwan, laFrance,Israël, ou encore leRoyaume-Uni[2].
Le dirigeant du PanamaOmar Torrijos meurt dans un accident d'avion en 1981, et Noriega tire vite profit des luttes de pouvoir qui en résultent. Nommé à la tête de la garde nationale en 1983, il représente de 1983 à 1989 une personnalité incontournable pour tous lesprésidents panaméens successivement au pouvoir.
Il amasse une fortune personnelle s'élevant à 15 millions de dollars en participant au trafic de cocaïne, notamment en coopérant avec leCartel de Medellìn[2]. En 1984, il intervient durant les élections en faveur de son candidat. Il permet aux États-Unis de créer des postes d'écoutes au Panama et facilite les livraisons d'armes auxContras, des paramilitaires anticommunistes auNicaragua[3].
L'administration Reagan intervient pour empêcher le Congrès d’enquêter sur des allégations portant sur l'assassinat d'un opposant[4].
En septembre 1984, son principal opposant,Hugo Spadafora, se confie à propos du dictateur dans le principal journal d'opposition,La Prensa(en). L'article résonne dans tout le Panama, et l'affaire prend même une tournure internationale[2].
Il rencontre ensuiteSteven Kalish, un trafiquant notoire, et lui permet de blanchir de 25 à 30 millions de dollars[2].
Grâce à sa collaboration avec les cartels, Noriega amasse 350 millions de dollars : il s'achète alors des propriétés dans le monde entier[2].
Le 17 septembre 1985, le corps de Spadafora, décapité et mutilé, est retrouvé dans un sac postal dans une rivière duCosta Rica[2].
LAV-25 de l'USMC devant les ruines d'un bâtiment des forces de défense du Panama le 20 décembre 1989.
En 1987, Manuel Noriega est l'homme fort du Panama, dont il est dirigeant de fait. Il bénéficie du soutien desÉtats-Unis et de bien d'autres pays. Il est ainsi fait commandeur de laLégion d'honneur parFrançois Mitterrand le, sur proposition du ministère des Affaires étrangères dugouvernement Chirac[5],[6].
Il est lâché par lesÉtats-Unis en 1987 et une cour américaine l'accuse detrafic de drogue et deracket en 1988. Le sous-comité du Sénat américain sur le terrorisme, les stupéfiants et les opérations internationales conclut[réf. nécessaire] alors que « la saga au Panama du général Manuel Antonio Noriega représente l'un des échecs les plus graves de la politique étrangère des États-Unis… Il est clair que chaque agence gouvernementale américaine qui avait une relation avec Noriega a fermé les yeux sur sa corruption et au trafic de drogue, alors même qu'il était en train de devenir un acteur clé au nom ducartel de Medellin (dont un des membres est le notoirePablo Escobar). « Noriega a été autorisé à établir la première « narcokleptocratie » de l'hémisphère » .
En plus de son rôle d'agent double, il est soupçonné d'avoir vendu des armes auxguerilleros pro-communistes d'Amérique latine[7] et au gouvernementsandiniste[8] dès la fin desannées 1970, les services de renseignement militaires américains tentant de l'espionner à partir de 1981, ignorant les activités de la CIA et vice-versa tandis que Noriega lui, tentait d'infiltrer les unités de renseignement américains au Panama[9].
Les relations avec Washington se détériorent encore plus à la suite de l'annulation de l'élection présidentielle de et de l'auto-désignation de Noriega en tant que président. Celui-ci déclara alors « l'état de guerre » envers les États-Unis.
L'avion d'affaires privé de Noriega, unLearjet 35, est détruit par unAT4 des SEALS le 20 décembre 1989. L'ordre initial était de le neutraliser avec le minimum de dommages[10].
Le président américainGeorge H. W. Bush prit alors pour prétexte l'exécution d'un soldat américain par des soldats panaméens pour ordonner l'invasion de Panama le, dans le cadre de l'opérationJust Cause. Les pertes militaires des deux côtés furent minimes, mais elles entraînèrent plusieurs centaines demorts civiles et l'exode d'au moins 20 000 personnes[6]. Après enquête, la Commission pour la défense des droits de l'homme en Amérique centrale estime entre 2 500 et 3 000 le nombre de civils tués, tandis que la Commission pour la défense des droits de l'homme au Panama estime ce nombre à au moins 3 500[11].
Human Rights Watch a estimé beaucoup moins à 300 morts civils lors de l'invasion, tandis que lesNations unies ont estimé à 500 morts civils[12],[13]. Les chiffres estimant des milliers de victimes civiles ont été largement rejetés au Panama[14]. Human Rights Watch a décrit la réaction de la population civile panaméenne à l'invasion comme « généralement sympathique »[15].
Les États-Unis collectèrent des informations décisives pour traquer Manuel Noriega par l'intermédiaire de l'entrepriseCrypto AG à laquelle le Panama s'en était remis pour ses communications confidentielles[16]. Réfugié dans lanonciature dePanama(en), Manuel Noriega se rendit le après un siège de plusieurs jours sous le vacarme assourdissant de musiquerock[17] selon un schéma de mise en œuvre demusique dans les opérations psychologiques. Il accepte de se rendre notamment grâce aux actions d'une agent de laDIA, Martha Duncan[18].
Le 29 décembre 1989, par 75 voix contre 20 et 40 abstentions, l’Assemblée générale de l’ONU condamna l'invasion du Panama[19].
Manuel Noriega fut condamné en1992 à 40 ans de prison ferme. Sa peine fut ensuite ramenée à 30 ans, puis réduite à 17 ans pour bonne conduite. Il vivait jusqu'en (avant son extradition en France) dans une prison deFloride, où il se convertit à l'évangélisme Born again en 1992[21].
Il aurait dû être libéré le, mais sonextradition a été réclamée par le Panama et la France, où une enquête pourtrafic de drogue était ouverte depuis 1989[22].
La fortune de Manuel Noriega a été évaluée à près de 60 millions d'euros par les autorités américaines, lors de son procès àTampa en 1992[réf. nécessaire].
Noriega a été incarcéré à laprison de la Santé, àParis.L'immeuble du quai d'Orsay dans lequel le dictateur panaméen possédait un appartement.
Manuel Noriega est condamné parcontumace en France en 1999 à dix ans d'emprisonnement pour blanchiment d'argent et à une amende de 75 millions defrancs français de l'époque à la suite d'un ordre d'extradition signé le ; il est également condamné au Panama à deux peines de vingt ans de prison pour le meurtre de deux opposants politiques :Hugo Spadafora, en 1985, et le commandantMoises Giroldi(en), en 1989[23].
Alertée, en 1989, par les services américains qui enquêtaient sur le recyclage de l'argent de la drogue, ladirection nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) avait signalé à la justice le fonctionnement de comptes bancaires ouverts en France par Manuel Noriega et plusieurs de ses proches.
Dès 1986, des sommes importantes ont, en effet, été déposées par le clan Noriega, sa femme, deux de ses filles et lesambassadeurs du Panama en France et en Grande-Bretagne, ainsi que par leconsul général de Panama àMarseille sur des comptes ouverts à laBNP, au CIC, auCrédit lyonnais et auBanco do Brasil. À Marseille, sa fille Sandra exerçait les fonctions de consul général de Panama[24].
Un juge a gelé tous les avoirs de l'ancien dictateur, soit plusieurs dizaines de millions de francs, et a découvert que la famille Noriega avait également investi dans l'achat de trois appartements dans les beaux quartiers de Paris[25] :quai d'Orsay pour environ 5,4 millions de francs,quai de Grenelle etrue de l'Université[26].
Lemandat d'arrêt international lancé, le par le juge Fiévet contre l'épouse de l'ancien dictateur, suspectée d'avoir participé au blanchiment de l'argent, est toujours en cours[27].
Le, il est condamné par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de 10 ans de prison et une amende de 75 millions de francs pourblanchiment d'argent issu de la drogue, ses avocats maîtreOlivier Metzner et maître Yves Leberquier, insistant sur l'aspect politique de ce procès, sur l'immunité de son client à l'époque des faits par ailleursprescrits, à son passé d'agent rémunéré par la CIA[30], assortie de la confiscation de 2,3 millions d'euros, plus un million d'euros de réparations à l'État du Panama, partie civile[31]. Il était libérable en 2011.
Le, un décret d'extradition vers le Panama a été notifié à Manuel Noriega par les autorités françaises[32]. Il est extradé par la France à destination de son pays le. Il y est immédiatement emprisonné dans le cadre d'accusations deviolation des droits de l'homme.
En 2017, les autorités panaméennes l’autorisent à se faire hospitaliser pour se faire opérer d’unméningiome ; à la suite de cette opération réalisée le, il doit subir unetrachéotomie[33] et tombe dans lecoma. Noriega meurt sans avoir repris connaissance dans la nuit du au[6].
Noriega fait une apparition dans deux missions du jeu vidéoCall of Duty: Black Ops II , dans lequel il collabore un premier temps avec la CIA pour capturer l'antagoniste principal du jeu, et un deuxième où il trahit les États-Unis. Par conséquent, l'ancien dictateur intente en 2014 un procès contre Activision pour avoir utilisé son image et son nom sans permission, réclamant des dommages et intérêts[34]. Le tribunal donne finalement raison à Activision, lepremier amendement de la Constitution des États-Unis protégeant touteœuvre de l'esprit[35].
Manuel Noriega est surnommé au PanamaCara de piña « Face d'ananas » du fait de la peau de son visage fortement grêlée[36].
Le rappeur américainN.O.R.E., ou Noreaga, tient son pseudonyme de Manuel Noriega.
↑Eric Alterman, « Le retour du « secrétaire d’État aux sales guerres » : La droite dure à la manœuvre au Venezuela »,Le Monde diplomatique,(lire en ligne)
↑LawrenceYates,The US Military Intervention In Panama: Operation Just Cause December 1989 - January 1990, Washington DC, Center of Military History United States Army,
↑Central American Human Rights Commission,Report of Joint CODEHUCA–CONADEHUPA delegation, january–february 1990.
↑JohnLindsay-Poland,Emperors in the Jungle: The Hidden History of the U.S. in Panama, Duke University Press,(ISBN0-8223-3098-9,lire en ligne),118
↑« Manuel Noriega, Dictator Ousted by U.S. in Panama, Dies at 83 »,The New York Times,(lire en ligne, consulté le)
↑LarryRohter, « Panama and U.S. Strive To Settle on Death Toll »,The New York Times,(lire en ligne, consulté le)
↑Human Rights Watch World Report 1989, Human Rights Watch,, « Panama »
↑« Manuel Noriega condamné à sept ans de prison à Paris »,Le Point :« Nous dénonçons une décision à connotation politique qui complait sans doute aux autorités américaines. On continue d'assister à un règlement de comptes … M. Noriega ne comprend absolument pas la décision. Il croyait que la France était un pays où les droits de la défense étaient respectés ».