LeManifeste des 121, titré « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », est signé par desintellectuels, universitaires et artistes et publié le dans le magazineVérité-Liberté. Le manifeste est né dans le sillage dugroupe de la rue Saint-Benoît. Il a été pensé puis rédigé parDionys Mascolo etMaurice Blanchot[1].
Cette déclaration a permis de regrouper des personnalités de divers horizons dans un espritlibertaire et plutôt orienté àgauche. Il est important pour l'histoire de lagauche et de l'extrême gauche en France.
« On ne réclamait plus seulement le droit du peuple à ne plus être opprimé, mais le droit du peuple à ne plus opprimer lui-même. »
Selon ses propres termes, le manifeste cherche à informer l’opinionfrançaise et internationale du mouvement de contestation contre laguerre d'Algérie. Les 121 y critiquent l'attitude équivoque de la France vis-à-vis dumouvement d'indépendance algérien, en appuyant le fait que la « population algérienne opprimée » ne cherche qu'à être reconnue « comme communauté indépendante ». Partant du constat de l'effondrement desempires coloniaux, ils mettent en exergue le rôle politique de l'armée dans le conflit, dénonçant notamment lemilitarisme et latorture, qui va « contre les institutions démocratiques ».
Le manifeste se termine sur trois propositions finales :
La liste des premiers signataires[3] :
Ils sont rejoints par une seconde liste de signataires[4]
Le manifeste est publié le dansVérité-Liberté. Ce magazine est consacré à divulguer toute information interdite ou filtrée par lacensure sur laguerre d'Algérie. Il est géré parPaul Thibaud. Son comité de rédaction comporte les journalistesRobert Barrat etClaude Bourdet, l'historienPierre Vidal-Naquet, le mathématicienLaurent Schwartz, l'écrivainVercors etJean-Marie Domenach de la revueEsprit[5]. Le journalTémoignages et documents, qui réédite pendant la guerre d'Algérie les textes censurés, publie aussi le manifeste ainsi que les réactions duParti communiste français et duParti socialiste unifié[6]. Le manifeste devait aussi paraître dans le numéro d'- desTemps modernes, mais censuré, fut remplacé par une double page blanche, suivie de la liste des signataires.
Le, Jérôme Lindon déclare dansParis-Presse :« Je préférerais mille fois voir mon fils déserteur que tortionnaire[7]. »
Le journal clandestinVérités pour, sous-titréCentrale d'information et d'action sur le fascisme et la guerre d'Algérie, est proche duRéseau Jeanson. Il donne souvent la parole àJeune Résistance, un mouvement d'insoumis et de déserteurs, et publie leManifeste des 121[3] ainsi que des articles plus radicaux puisqu'ils considèrent que la désertion est un devoir[8].
De nouveaux signataires du Manifeste rejoignent les premiers. Ils sont au total deux cent quarante-six[9].
La revueRoutes de la paix (qui a pris plusieurs autres noms), installée enBelgique et diffusée enFrance, à laquelle participe le militantpacifiste belgeJean Van Lierde, réédite le manifeste[10].
Les réactions sont d'autant plus vives que le manifeste est publié sciemment alors que se déroule le procès desporteurs de valises duRéseau Jeanson. La défense veut alors faire citer à la barre tous les signataires. Après un premier refus, le tribunal accepte la comparution de vingt d'entre eux[11]. Quelques jours plus tard, leconseil des ministres réagit en modifiant parordonnance certains articles ducode de procédure pénale et du code dejustice militaire et empêche ainsi notamment l'audition de témoins non cités avant les procès[a].
Les autorités sont habilitées par la loi du« à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales[12]. »
Le gouvernement publie plusieursordonnances qui aggravent les peines frappant la provocation à l’insoumission, à ladésertion et aurenvoi de livret militaire, le recel d’insoumis et les entraves aux départs des soldats. Les fonctionnaires apologistes de l’insoumission et de la désertion seront plus sévèrement réprimés[b],[c]. Legénéral de Gaulle, sévère pour « les serviteurs de l'État », insiste pour que les intellectuels bénéficient d’une plus large liberté de pensée et d'expression. Vingt-neuf personnes sont inculpées pour incitation de militaires à la désobéissance et provocation à l'insoumission et à la désertion[d],[e],[f],[g].Jean-Paul Sartre et d’autres signataires réclament vainement leur propreinculpation[f]. La revueLes Temps modernes est saisie. Elle contenait la liste des signataires du manifeste et d'autres articles sur laguerre d'Algérie[h]. Le journalisteRobert Barrat est incarcéré pendant16 jours[i].« Robert Barrat, écroué àFresnes ! Cette geôle va-t-elle recevoir, comme il y a seize ans, les meilleurs et les plus purs ? », écritFrançois Mauriac dans son bloc-notes deL'Express[j]. Finalement, lesinculpations tournent court.
Jean-Louis Bory,Pierre Vidal-Naquet[k] et d’autres professeurs sont suspendus de leurs postes[l],[m],[n]. Par arrêté signé dePierre Messmer,ministre des Armées, le professeurLaurent Schwartz est révoqué de l'École polytechnique[o],[α].
Les artistes sont évincés des théâtres subventionnés[p] et sont privés desavances sur recette cinématographiques[q]. À laRadiodiffusion-télévision française (RTF) les signataires se voient interdire toute collaboration au sein d'un comité de réalisation, tout rôle, interview, citation d'auteur ou compte rendu d'ouvrage[r].En conséquence, de nombreuses émissions déjà enregistrées ou en projet sont annulées[s],[t],[13]. Des critiques littéraires et théâtraux refusent de participer à l’émission de radio deFrançois-Régis Bastide,Le Masque et la Plume, dont certains de leurs collègues sont évincés[u]. L'émission est sabordée par l'un des animateurs,Jérôme Peignot[14], et est suspendue pour six mois.Frédéric Rossif etFrançois Chalais font de même pour l'émissionCinépanorama[15]. François Chalais commente :« Il nous devient impossible de rendre compte de l'ensemble de l'actualité cinématographique. SiMarilyn Monroe vient à Paris, je ne pourrai même pas la présenter aux téléspectateurs car elle me parlera de son prochain film tiré d'une œuvre deSartre[v]. » Leministre de l'Information décide alors que François Chalais doit cesser tous rapports avec la Radiodiffusion-télévision française[w]. La solidarité des réalisateurs et producteurs obtient la levée de l'interdiction[x].
Des personnalités[y] et des associations, notamment des syndicats[s],[z],[aa], défendent la liberté d’expression et s’opposent aux interdictions de travail[ab],[ac],[ad],[ae]. Des producteurs de télévision parmi les plus notoires se constituent en une association présidée parPierre Lazareff pour obtenir des « accommodements » aux sanctions disciplinaires[u].Claude Mauriac refuse« d'appartenir, fût-ce modestement, à un organisme dont les responsables font aussi peu cas de la liberté d'expression et du droit au travail ». Il démissionne du comité de télévision[u].
Ce n'est qu'en 1965 que le dernier fonctionnaire signataire du manifeste est réintégré. Il s'agit deJehan Mayoux, inspecteur primaire[af]. En 1939, il avait été insoumis et condamné à cinq ans de prison.Marie et François Mayoux, ses parents, antimilitaristes, auteurs d'une brochure pacifiste intituléeLes instituteurs syndicalistes et la guerre avaient été révoqués de l'enseignement et emprisonnés pour« propos défaitistes » pendant laPremière guerre mondiale[16].
LeCongrès pour la liberté de la culture, qui compte parmi ses présidents d'honneurJacques Maritain,Karl Jaspers,Theodor Heuss etLéopold Sédar Senghor, déclare« inadmissibles » les mesures gouvernementales prises contre les signataires[ag].
Une déclaration de solidarité avec les signataires du manifeste est approuvée par des intellectuels et artistes européens et desÉtats-Unis, dontFederico Fellini,Alberto Moravia etBertrand Russell,Norman Mailer,Seán O'Casey etMax Frisch,« parce que les opinions exprimées par les protagonistes de ce mouvement soulèvent des questions de principes universellement valables[ah],[15]. »
Des lauréats duprix Pulitzer écrivent aux signataires de la déclaration :
« De même que l'un de nos plus grands opposants, Henry David Thoreau, qui protestait contre l'esclavage et la guerre du Mexique, qu'il considérait comme impérialiste, nous défendons le droit « de refuser allégeance au gouvernement et de lui résister quand sa tyrannie et son incapacité sont si grandes qu'elles en deviennent insupportables. »[ai] »
Cinquante-deux universitaires américains dontAldous Huxley etHerbert Marcuse déclarent leur admiration aux signataires du« manifeste dirigé contre le service militaire en Algérie, en invoquant les impératifs de leur conscience[17]. »
LaFédération protestante de France qualifie de« légitime » et soutient le refus des combattants de participer à la torture. À ceux qui refusent le départ pour cette guerre, elle dit que l'objection de conscience paraît le moyen de rendre un témoignage clair.« Nous ne nous lasserons pas de demander pour l'objection de conscience un statut légal[18]. »
LaLigue des droits de l'Homme a toujours, dans le passé, condamné l'insoumission. Elle a aussi toujours réclamé un statut pour lesobjecteurs de conscience.
« Elle constate aujourd'hui que dans les conditions actuelles de la guerre d'Algérie, l'insoumission est devenue pour certains jeunes une forme de l'objection de conscience. D'autre part la Ligue proteste contre les ordonnances les plus récentes du gouvernement et contre les poursuites engagées contre les signataires de la déclaration dite « des 121 »[aj]. »
Le Manifeste des 121 provoqua un contre-manifeste, leManifeste des intellectuels français pour la résistance à l'abandon, paru le dans les quotidiensLe Figaro etLe Monde et le dans l'hebdomadaireCarrefour, dénonçant l'appui apporté au FLN par les signataires du manifeste des 121 — ces« professeurs de trahison » — et défendant l'Algérie française. Il soutient l'action de la France et de l'armée en Algérie (« L'action de la France consiste, en fait comme en principe, à sauvegarder en Algérie les libertés (…) contre l'installation par la terreur d'un régime de dictature »), taxe le FLN de« minorité de rebelles fanatiques, terroristes et racistes » et dénie« aux apologistes de la désertion le droit de se poser en représentants de l'intelligence française ». Ce contre-manifeste est signé, entre autres, par lemaréchal Juin et six autres membres de l'Académie françaiseHenry Bordeaux,Pierre Gaxotte,Robert d'Harcourt,Henri Massis,André François-Poncet etJules Romains[ak],[19].
Le Monde observe :
« Il est caractéristique que les auteurs de cette profession de foi sont pour la plupart des hommes ayant déjà une longue carrière, tandis que la « nouvelle vague » littéraire, cinématographique et nombre de ses « maîtres à penser » figuraient parmi les signataires de la « déclaration des 121 ». […]
Seuls les communistes se tiennent soigneusement à l'écart de ces divers courants parce qu'ils refusent aussi bien d'admettre l'insoumission que d'adhérer à l'appel pour une paix négociée et qu'ils entendent limiter l'action de leurs militants au cadre du Mouvement de la paix[al]. »
Six associations d'anciens combattants (l'Union nationale des combattants d'Alexis Thomas,Rhin et Danube, les Anciens de la2e D.B., Flandre-Dunkerque, les Anciens desForces françaises libres, les Anciens ducorps expéditionnaire français d'Italie) appellent à manifester à Paris dans le calme et le silence, le,« en réponse à l'appel à l'insoumission et à la trahison ». D'autres associations rejoignent la manifestation ainsi que des élus commeJean-Marie Le Pen et des jeunes militants d'extrême droite. Six mille personnes manifestent à Paris[20],[am],[i],[an].
Louis Aragon, bien qu'il n'ait pas signé le manifeste, publie le dansL'Humanité unelettre ouverte à l'Association des écrivains combattants dans laquelle il écrit :« Vous adjurez le pouvoir de poursuivre les 121 avec une implacable rigueur. Rayez-moi de vos registres[21],[22]. »
Jean-Jacques Servan-Schreiber est le cofondateur du magazineL'Express. Il y a défendu des positionsanticolonialistes et dénoncé latorture en Algérie ce qui lui a valu descensures et des saisies. Deux ministres accusent son livre témoignageLieutenant en Algérie[23] de démoraliser l'armée et detrahison[24]. Jean-Jacques Servan-Schreiber, dans uneLettre d’un non-déserteur, dénonce« les maîtres à penser de la gauche qui incitent leurs disciples à s’engager dans la voie de la désertion et de l’aide au FLN… Ceux qui enverront des garçons dans les cachots de la justice militaire pour déserter auront sans doute droit à nos yeux à moins d’indulgence encore que les usurpateurs du pouvoir. J’ai été clair, je l’espère[25]. » Le numéro deL'Express qui contient cette lettre est saisi à cause de sa référence auManifeste malgré sa réprobation[12].
Depuis le début du conflit enAlgérie, leParti communiste français soutient que la participation de ses militants au contingent de cette guerre coloniale est un gage de fonctionnement plus démocratique de l’armée. En,L'Humanité[ao] citeMaurice Thorez, secrétaire général du parti, qui, le, rappelait les principes définis parLénine :
« Le soldat communiste part à toute guerre, même à une guerreréactionnaire pour y poursuivre la lutte contre la guerre. Il travaille là où il est placé. S'il en était autrement, nous aurions une situation telle que nous prendrions position sur des bases purement morales, d'après le caractère de l'action menée par l'armée au détriment de la liaison avec les masses. »
L'Humanité ajoute :
« Cependant — est-il besoin de le dire ? — les communistes sont pour la libération, l'acquittement ou lenon-lieu des hommes et des femmes emprisonnés, traduits devant les tribunaux ouinculpés pour avoir, à leur façon, pris part à la lutte pour la paix. »
En, Thorez fait la même citation de Lénine[ap] dont l'usage est contesté par un groupe de militants du PCF dans le premier numéro deVérités anticolonialistes[26] en :
« Maurice Thorez dénature la pensée de Lénine en l'utilisant à contre-sens. (…) Lénine polémiquait avec un courantpacifiste qui prétendait aboutir à la suppression de la guerre par le refus de porter les armes ; solution de toute évidence utopique ou purement morale ; il n'entendait certes pas exclure par avance tout propagande pour l'insoumission ou pour ladésertion dans une situation donnée. Aveugle qui ne voit pas la séduction que cette propagande exerce sur la jeunesse et sa portée révolutionnaire sur les jeunes soldats d'Algérie. »
LeMouvement jeunes communistes de France (ou Jeunesse communiste) soutient un de ses membres,Alban Liechti[27], qui a refusé de servir en Algérie, mais le mouvement recommande de ne pas l'imiter. Pourtant, Alban Liechti est le premier desSoldats du refus, une quarantaine de soldats communistes réfractaires à la guerre d'Algérie qui seront pour la plupart condamnés à deux ans de prison et parfois soumis à de graves sévices.
Raymond Guyot, dirigeant du PCF, a été condamné en à quinze jours de prison pour« provocation de militaires à la désobéissance » et, pendant son service militaire, à soixante jours de prison dont quinze de cellule pour« activité militante ». Pierre Guyot, son fils et communiste comme lui, est condamné à deux ans de prison comme réfractaire. Au lendemain de sa libération, le, les Jeunesses communistes lancent un appel :
« C'en est assez de combattre en « pacifiant », de « pacifier » en combattant ! Nous ne voulons plus nous battre pour des phrases vides de sens[28]. »
À propos du Manifeste des 121, dansL'Humanité du[29], le Bureau politique du Parti communiste français« tout en ayant ses propres conceptions sur les formes de lutte les plus efficaces, à savoir la lutte des masses, ne saurait admettre que la répression s'abatte sur aucun partisan de la paix en Algérie… ».
Juste après le verdict du procès duRéseau Jeanson,Jean-Pierre Vigier, membre du comité central du PCF, publie dansL'Humanité du et contre l'avis de plusieurs dirigeants communistes, un article, unique en son genre, intitulé « Soutenir les condamnés, défendre les 121[30] » :
« Leur défense est l'affaire de tous les démocrates, de tous les républicains. (…) Malgré nos désaccords avec certains moyens choisis par les inculpés ou proposés par les 121, nous considérons que leur rappel a le mérite de contribuer au réveil de l'opinion et d'élargir le débat sur la nature de laguerre d'Algérie et les moyens d'y mettre un terme. »
Il précise :
« Le parti communiste ne peut approuver, sous quelque forme que ce soit, l'appel à l'insoumission et son organisation. On ne répond pas avec des gestes individuels de désespoir à un problème collectif qui ne peut se régler que sur le plan de la lutte des masses et d'une bataille politique groupant l'ensemble des forces démocratiques de ce pays[aq]. »
Toutefois, le, le secrétariat du comité central du parti autorise leSecours populaire français, qui est alors une de ses « organisations de masse », à organiser la« solidarité en faveur des fonctionnaires et artistes suspendus à la suite de leur activité pour la paix en Algérie, y compris ceux ayant signé l’appel des 121. Le Parti effectuera un versement à cette solidarité par l’intermédiaire du Secours populaire[31] »
DansFrance nouvelle[ar], hebdomadaire central du parti communiste,François Billoux écrit que l'immense masse des soldats du contingent a « pris une part active contre lecoup de force des généraux félons » du au. Il poursuit :« Ce fait illustre la justesse de la politique du parti ayant combattu les initiatives petites-bourgeoises du genre de celle du manifeste des 121 ou autres appelant à la désertion du véritable combat à mener. »
Après le cessez-le-feu, le comité central du Parti communiste français dénonce« la nocivité des attitudes gauchistes de certains groupements » qui« se sont refusés à tout travail de masse au sein du contingent et ont préconisé l'insoumission et la désertion[as]. » Les déserteurs et insoumis regroupés dans le mouvementJeune Résistance avait répondu à cette critique dès 1960 :
« Ceux qui nous reprochent aujourd'hui de n'être pas en prise sur les masses sont ceux-là mêmes qui, ayant officiellement prises sur elles, n'ont rien fait depuis des années pour les réveiller et qui s'efforcent depuis des mois de minimiser et freiner le mouvement dont elles sont enfin parcourues[32]. »
LeParti socialiste unifié (PSU) n'approuve pas l'insoumission individuelle mais soutient le refus de participer aux opérations de répression[at]. Son Conseil politique national affirme, en,« C'est parmi le peuple français, au sein de l'armée et non ailleurs, que se mène le combat[33]. »
« Le bureau du parti socialisteS. F. I. O. déplore et condamne l'aberration tragique de citoyens français qui, en se rendant de quelque façon que ce soit complices du F.L.N. ou en encourageant à l'insoumission, bien loin de contribuer à la fin de la guerre d'Algérie, travaillent à en assurer la prolongation et par conséquent la poursuite des excès qu'entraîne de part et d'autre ce douloureux conflit. Il dénonce, d'autre part, comme inadmissibles les mesures gouvernementales contraires à la liberté de la presse et au droit de libre expression garantis par la Constitution. »
« En particulier les ordonnances exposant les fonctionnaires à l'arbitraire ministériel, et créant une discrimination inacceptable entre citoyens, ne peuvent que soulever la réprobation unanime des démocrates[au]. »
LesJeunesses socialistes de laSFIO n'approuvent par l'insoumission mais déclarent la respecter et s'élèvent contre les sanctions prises à l'encontre de l'appel des « 121 ». Elles condamnent en outre avec une égale fermeté latorture et l'aide auFront de libération nationale[av].
L'assemblée des cardinaux et archevêques répond à l'anxiété des consciences des jeunes :
« On ne saurait recourir à l'insoumission militaire et à des actions subversives : ce serait se soustraire aux devoirs que créent la solidarité nationale et l'amour de la patrie, semer l'anarchie, enfreindre la présomption de droit dont jouissent, dans les cas incertains, les décisions de l'autorité légitime[aw]. »
Maurice Feltin,cardinal etarchevêque de Paris, prend position :
« N'oubliez jamais que c'est un devoir dicté par Dieu d'aimer votre patrie comme votre mère, et de savoir l'aimer jusqu'au sacrifice de sa vie. Il est des circonstances où l'on peut manifester qu'on l'aime autrement que par les armes, mais dans les moments de crise on ne doit pas discuter ce qui est indispensable pour maintenir sa patrie dans sa dignité. L'insoumission ne peut être que condamnée[ax]. »
Seizesénateurs catholiques répondent dans unelettre ouverte :
« Nos évêques ignorent-ils que le drame intérieur qui déchire la France a ses origines profondes dans une propagande communiste qui agit en France comme ailleurs d'une manière aussi sournoise que perfide ? Mais le plus grave est qu'elle atteint chez nous certains milieux catholiques, Votre Éminence en a eu la preuve avec l'insoumission d'un grand nombre deprêtres-ouvriers[ay]. »
Antoine Wenger, rédacteur en chef du quotidien catholiqueLa Croix, étudie« le devoir d'obéissance, ses exigences et ses limites » dans la guerre d'Algérie.
« Si des jeunes redoutent de se voir exposés à des actions contraires à la morale, qu'ils sachent qu'ils ont pour eux non seulement le droit, mais encore la loi : des instructions répétées du pouvoir ont interdit les actions déshonorantes comme la torture ou les massacres de prisonniers. S'ils craignent de n'avoir pas la force de résister à la pente fatale qui pousse l'homme à rendre le mal pour le mal, il convient de leur rappeler que c'est dans les situations difficiles que l'homme montre ce qu'il est, et que la grâce est donnée à qui la demande. »
Y a-t-il un droit à l'insoumission ? Non.
« Certes, l'autorité légitime ne jouit pas d'un charisme qui garantirait dans tous les cas la justice de ses décisions. Mais si le pouvoir n'est pas infaillible, la conscience individuelle l'est encore moins. Elle est en effet beaucoup plus exposée à se tromper, par suite de l'ignorance d'un grand nombre de faits et pour la raison que le jugement particulier s'inspire d'ordinaire de considérations moins générales et moins complètes[az]. »
Dans une interview à l'hebdomadaire allemandDer Spiegel,Françoise Sagan, signataire du manifeste, affirme qu'elle« ne donnerait jamais à un militaire le conseil dedéserter », mais qu'il convient de reconnaître à chaque soldat le droit de le faire« s'il a horreur de la guerre » et la force de supporter« qu'on le traite en lâche et endéserteur[ba]. » En représailles, l'Organisation armée secrète (OAS) plastique son domicile le, mais l'explosion ne fait que des dégâts matériels[bb].
Dans la nuit du au, des attentats visent notamment la librairie de l'hebdomadaire anticolonialisteTémoignage chrétien, le domicile deLaurent Schwartz, signataire du manifeste et membre ducomité Maurice-Audin, et le domicile des parents dugénéral de Bollardière qui avait demandé à être relevé de son commandement, en 1957, pour protester contre certaines méthodes de répression en Algérie[bc].
Une charge de plastic explose le au domicile du trésorier du magazineVérité-Liberté qui a publié le manifeste[bd].
Jérôme Lindon est très impliqué dans le Manifeste des 121. LesÉditions de minuit qu'il dirige publient plusieurs livres à propos des réfractaires et opposés à la guerre d'Algérie et à latorture qui y est pratiquée[34]. Pendant son procès pour incitation de militaires à la désobéissance dans le livreLe Déserteur de Maurienne (Jean-Louis Hurst), le domicile de Jérôme Lindon et sa maison d'édition sont victimes d'attentats de l'OAS[be],[bf].
Pierre Gaudez, président de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) déclare à propos de l'insoumission :
« Il ne nous appartient pas de condamner les modes d'action que certains choisissent ; mais il nous est apparu qu'en tant qu'organisation, une dernière carte devait être jouée du côté de l'action du type démocratique ou légal. »
« Parmi les étudiants, le mouvement d'insoumission s'amplifie de jour en jour ; si l'action que nous avons entreprise venait à échouer, alors c'est en grand nombre que des jeunes choisiraient, faute d'autres possibilités, l'action clandestine, l'insoumission, le refus ; déjà la pression à l'intérieur de l'U.N.E.F. atteint un point critique[bg]. »
Un manifeste plus modéré que celui des 121, l’Appel à l'opinion pour une paix négociée est publié ensuite. Ce document a été préparé par les dirigeants de syndicats d'enseignants et de l'Union nationale des étudiants de France, ainsi que par diverses personnalités commeRoland Barthes,Jacques Le Goff,Daniel Mayer,Maurice Merleau-Ponty,Edgar Morin,Jacques Prévert etPaul Ricœur. Il est publié dans le numéro d'octobre 1960 del'Enseignement public, organe mensuel de la Fédération de l'éducation nationale (autonome) puis dansLe Monde[35],[36],[37].
Paul Ricœur explique sa position :« Je ne conseille pas l'insoumission — et je dis pourquoi —, mais je refuse de condamner l'insoumission — et je suis prêt aussi à dire pourquoi devant un tribunal militaire, si quelque jeune me demande mon témoignage. […] Pour nous comme pour eux, c'est une guerre illégitime par laquelle nous empêchons le peuple algérien de se constituer en État indépendant comme tous les autres peuples d'Afrique[38]. »
Après la guerre,Laurent Schwartz déplore que laloi d'amnistie ait notamment« oublié » les insoumis et les déserteurs toujours emprisonnés ou exilés :
« Les tortionnaires, qui ont commis d'abominables crimes de guerre condamnés par la loi nationale et internationale, sont entièrement blanchis ; et des jeunes qui ont refusé la torture, qui l'ont dénoncée, qui ont refusé de servir dans une guerre inhumaine et injuste, alors que tant d'autres hommes ont été lâches, restent sanctionnés[bh]. »
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