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Mandragore

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Mandragora officinarum

Page d’aide sur l’homonymie

Pour les articles homonymes, voirMandragore (homonymie).

Mandragora officinarum
Description de cette image, également commentée ci-après
Mandragore officinale
Classification de Cronquist (1981)
RègnePlantae
DivisionMagnoliophyta
ClasseMagnoliopsida
OrdreSolanales
FamilleSolanaceae
GenreMandragora

Espèce

Mandragora officinarum
L.,1753

Classification APG III (2009)

Classification APG III (2009)
OrdreSolanales
FamilleSolanaceae

Lamandragore oumandragore officinale (Mandragora officinarum) est uneplante herbacéevivace, des pays du pourtourméditerranéen, appartenant à la famille dessolanacées, voisine de labelladone. Cette plante, riche enalcaloïdes aux propriétéshallucinogènes, est entourée de nombreuseslégendes, les anciens lui attribuant des vertusmagiques extraordinaires.

Noms

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Nom scientifique

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Dans la première édition deSpecies Plantarum en1753,Linné ne reconnaît qu'une espèce de mandragore qu'il nommeMandragora officinarum. Mais dans des publications ultérieures (1759, 1762), en raison de sa ressemblance avec labelladone (Atropa belladonna), il change d'avis et la dénommeAtropa mandragora[1]. AuXIXe siècle et au début duXXe siècle, les botanistes ont multiplié les descriptions de nouvelles espèces et sous-espèces du genreMandragora. La tendance ne s'est inversée qu'après 1950 et a abouti en 1998, avec la révision du genreMandragora proposée par Ungrichtet al.[1], à un genre ne comprenant que trois espèces : la Mandragore officinale (M. officinarum L.), la mandragore sino-himalayenne (M. caulescens C. B. Clarke) et une mandragore très localisée dans leTurkménistan,Mandragora turcomanica Mizg.

Étymologie

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Le terme français de « mandragore » vient du latinmandragoras, lui-même tiré du grecμανδραγόρας (mandragóras). Ces trois termes désignent la même plante dans ces différentes langues. L'étymologie du mot grec est obscure. Pour certains, le grec « mandragoras » viendrait du nom de la mandragore en assyriennam. tar. ira, morphologiquement « la drogue (mâle) de Namta », Namta étant un démon pestilentiel provoquant des maladies[2]. Pour d'autres, l'origine viendrait du sanskritmandros signifiant « sommeil » etagora signifiant « substance[1] ».

Synonymes

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Atropa mandragora L., 1759, nom. illeg.Mandragora foemina Garsault, 1764.
Mandragora mas Garsault, 1764.Mandragora acaulis Gaertn., 1791.
Atropa humilis Salisb., 1796.Atropa acaulis Stokes, 1812.
Mandragora autumnalis Bertol., 1820.Mandragora vernalis Bertol., 1824.
Mandragora praecox Sweet, 1827.Mandragora neglecta G. Don ex Loudon, 1830.
Mandragora microcarpa Bertol., 1835.Mandragora haussknechtii Heldr. 1886.
Mandragora ×hybrida Hausskn. & Heldr. 1886.Mandragora hispanica Vierh. in Osterr. 1915.

Propriétés

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Description

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Fruits

La mandragore méditerranéenne présente un important contraste entre la touffe et laracine. La plante, haute d'une trentaine de centimètres, dégage une odeur très forte. C'est une herbacée banale, pratiquement sans tige.

Laracine, brune à l'extérieur, blanche à l'intérieur, est du typepivotant, est souvent lignifiée et peut atteindre après plusieurs années des dimensions impressionnantes (jusqu'à 60 à 80 centimètres et plusieurs kilogrammes). Sa forme souventanthropomorphe (ses ramifications lui donnant une vague apparence humaine, avec untronc, des jambes et même — en étant imaginatif — une tête et un sexe), est à l'origine de nombreuseslégendes. On parlait autrefois de racines « mâles » et « femelles », mais cela ne correspond pas à une réalité botanique, la plante n'étant pasdioïque. Les vieux sujets peuvent s'enfoncer à plus d'un mètre dans la terre et sont donc difficiles à arracher.

Les feuilles sont grandes (au maximum 45 cm de long),elliptiques à obovales, molles, de forme et de taille très variables. Elles ont unlimbe entier à bord sinueux et sont étalées en rosette sur le sol[3].

La fleur a unecorolle formée de cinq pétales soudés à la base (campanulée) de 12-65 mm de long, de couleur blanc verdâtre, bleutée ou violette. Les5 étamines sont fixées à la partie inférieure de la corolle. La floraison se fait de septembre à avril, suivant l'abondance des pluies. Pour Ungricht et coll. « Il est évident qu'il n'y a véritablement qu'une période étendue d'activité reproductive allant de l'automne au printemps. En fait, c'est seulement durant les mois les plus chauds de l'été que le cycle s'interrompt. Lorsque les conditions sont favorables, le même individu peut fleurir deux fois dans l'année, comme l'attestent les annotations des herbiers, en particulier des formes cultivées dans les jardins botaniques »[1]. Il faut donc renoncer à la distinction faite par Sprengel en 1825, entre une mandragore de printemps (M. vernalis) et une autre d'automne (M. automnalis).

La mandragore donne naissance à desbaies jaunes ou rouges à maturité, de trois à cinq centimètres de diamètre, globuleuses à ellipsoïdes. Ces fruits juteux sont comestibles en quantité modérée[4]. Les graines de 2,5 à 6 mm de long, sont réniformes, jaunes à brun clair.

Distribution

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La mandragore est originaire dubassin méditerranéen[1] :Afrique du Nord :Algérie,Maroc,Tunisie ; Europe méridionale (Italie,Grèce, ex-Yougoslavie,Espagne,Portugal) etProche-Orient (Palestine,Israël,Jordanie,Liban,Syrie,Turquie,Chypre). On ne la trouve ni en France continentale, ni en Corse. Elle croît dans les bois ouverts, les oliveraies, les jachères, les bords de routes et les ruines. Cette plante est devenue très rare, même dans son aire d'origine. Les populations sont dispersées dans le domaine et certaines sont même vulnérables, comme celles du nord de l'Italie.

Culture

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La mandragore demande pour se développer un sol profond, non pierreux, frais, sans être excessivement humide. Le sol doit être extrêmement riche, un compost de feuilles et de fumier très décomposé par exemple. L'exposition doit être ensoleillée.

Lessemis se font en automne, dans des pots suffisamment hauts, ou en pleine terre ; lesubstrat doit rester frais, et lagermination, pas toujours facile, a lieu en mars l'année d'après. La plante rentre en repos en juin et juillet, toutes les feuilles disparaissent alors (il faut impérativement marquer l'emplacement des plantes dans le cas d'une plantation en pleine terre).

Un moyen efficace de faire germer les graines consiste à lesstratifier, en les plaçant simplement dans le bac à légumes d'unréfrigérateur trois jours avant le semis. Cela permet aussi de les semer en début d'année avec pratiquement 100 % de germination.

Propriétés pharmacologiques

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Les analyses[5] des différentes parties de la mandragore méditerranéenne ont donné lesalcaloïdes tropaniques :Les alcaloïdes sont pour la plupart des esters d'un alcool tropanique et d'un acide. L'alcool tropanique peut être : letropanol ou le scopanol (= scopoline), un tropanolépoxydé c'est-à-dire avec un pont oxygène. Ces alcaloïdes ont la propriété de se transformer assez facilement les uns en les autres.

Il a été trouvé :R, S-hyoscyamine (atropine), 0,2 %, la plus grande concentration d'atropine se trouve dans la racine durant la floraison (Bekkouche at al 1994),hyoscyamine, norhyoscyamine,apotropine, belladonnines (présentes dans la racine sèche mais non décelées dans la racine fraiche),scopolamine (ou L-hyoscine), scopanol,3α-tigloyloxytropine, 3,6-ditigloyloxytropane,calystégines A3, A5, B1, B2,B3, B4, C1 (plus concentrés dans les feuilles que dans les racines)

  • autres alcaloïdes :

cuscohygrine (=mandragorine), composé présent chez les daturas, belladone et dans la feuille de coca

herniarine,ombelliférone, angelicine, scopolétine, scopoline, acide chlorogénique

  • composés volatils des fruits

butyrate d'éthyle 22 % (odeur d'ananas),hexanol 9 % (à l'arôme herbacé),acétate d'hexyle 7 % (odeur fruité, de fines herbes),composés soufrés, 7 %

Alcaloïdes tropaniques de la mandragore
Esters
NomFormuleDescription
(-)-HyoscyamineEster de tropane-3-α-ol et d'acide(-)-tropique
NorhyoscyamineEster de 3-α-nortropane et d'acide tropique
ApotropineEster de tropane-3-α-ol et d'acide apotropique
ScopolamineEster descopanol et d'acide tropique
Belladonnine
Autre alcaloïde
Cuscohygrine2-Propanone, 1,3-bis(1-methyl-2-pyrrolidinyl)-, (R*, S*)-

La plante est riche enalcaloïdes psychotropes (environ 0,4 % d'alcaloïdes totaux) et autres composantsnocifs. Ces substancesparasympatholytiques entraînent notamment unemydriase et deshallucinations suivies d'unenarcose. Il s'agit d'atropine, descopolamine (premier sérum de vérité), et surtout d'hyosciamine. En théorie, ces molécules peuvent être à l'origine d'uneintoxication mortelle.

Diverses présentations sont décrites pour l'utilisation de cette plante. Lesuc est extrait de la tige, des feuilles ou du fruit ; laracine est débitée en rondelles et présentée sous forme d'alcoolat dans duvin demiel ; les fruits peuvent être consommés séchés. De multiples vertusthérapeutiques lui sont attribuées.

Histoire

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Gravure deMandragora, XVIIIème

Par sa composition chimique, elle est notammentsédative et narcotique[6],antispasmodique,anti-inflammatoire (encataplasme),hypnotique ethallucinogène. Elle présente des propriétésaphrodisiaques[7] lui conférant une vertu fertilisante, et des propriétés sédatives dontPlaton parle dansLa République[8],[9]

Dans lecalendrier républicain français, le21e jour du mois deventôse, est officiellement dénommé « jour de la Mandragore ».Les effets hallucinogènes remarquables de la plante, ainsi que la capacité qu'ont ses principes actifs de pouvoir aisément traverser lapeau et de passer dans lacirculation sanguine, expliquent certainement pourquoi lessorcières duMoyen Âge, qui s'enduisaient lesmuqueuses et lesaisselles à l'aide d'un onguent à base de mandragore, entraient entranse. La plante était également utilisée par les guérisseuses, notamment pour faciliter lesaccouchements, mais aussi contre les morsures devipère. On trouve à partir duIXe siècle dans la littérature médicale la description de narcose par inhalation d'une« éponge soporifique ». Une série de recettes allant duIXe au XVIe siècle et provenant de divers pays nous sont parvenues. La plupart se trouvent dans des manuels de chirurgie ou dans des antidotaires[10]. L'antidotaire de Bamberg, Sigerist comporte de l'opium, de la mandragore, de la ciguë aquatique (cicute) et de la jusquiame. AuXIIe siècle, à l’école de médecine de Salerne,Nicolas de Salerne (Nicolaus Praepositus), pronait aussi dans sonAntidotarium l'usage d'une éponge soporifique[11] (spongia soporifera) dans certaines opérations chirurgicales.

En 1680, la mandragore est retrouvée dans la composition du baume Tranquille (du nom du cordonnier qui l'aurait inventé) pour les rhumatismes. Elle est associée à d'autres solanacées toxiques : lajusquiame noire, labelladone, lamorelle et lastramoine. La formule ayant évolué au fil des siècles, la mandragore n'est plus présente dans la version du codex de 1949[12]. La mandragore est utilisée dans lamédecine anthroposophique où elle apparaît dans une pommade contre les douleurs musculaires et dans leRheumadoron, une dilution homéopathique contre les rhumatismes[13].

La mandragore dans la culture

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Histoire des croyances

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Mandragores mâle et femelle. ManuscritDioscurides neapolitanus, Biblioteca Nazionale diNapoli, début duVIIe siècle.

En raison de la forme anthropomorphe (vaguement humaine) de sa racine et de ses composés alcaloïdes psychotropes, la mandragore a été associée depuis l'Antiquité à des croyances et des rituels magiques.

Ancienne Égypte et Proche-Orient

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Une plante représentée sur le trône deToutânkhamon pourrait être une mandragore[14] mais cette plante n'étant pas indigène en Égypte, il aurait fallu qu'elle y soit cultivée. Il existe une longue tradition, remontant au Moyen Âge, consistant à identifier à la mandragore une plante citée dans la Bible, sous le nom dedudaim[2].Dans le trentième chapitre de la Genèse (compilée vers -440), il est fait mention d'une plante appeléedûda'îm dans le texte hébreu. Léa, la première épouse de Jacob, avait cessé d'enfanter. Ruben, leur fils aîné, rapporte à sa mère desdûda'îm. Rachel, sœur de Léa, seconde épouse et la préférée de Jacob, demande à sa sœur de les lui donner. Celle-ci n'accepte qu'en échange de passer la nuit avec Jacob, à quoi Rachel consent. Léa concevra cette nuit-là et donnera plus tard naissance àIssachar en disant que Dieu lui a donné son salaire »[N 1],[15].

Le terme deDûda'îm pose toujours le problème de sa traduction aux herméneutes, en raison de sa proximité avecDavid, DWD,Doud, « bien-aimé »

Antiquité

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La mandragore,Dioscoride de Vienne,VIe siècle.

Les médecins grecs prescrivaient la mandragore contre la mélancolie et la dépression.Hippocrate, auVe siècle av. J.-C., conseillait« Aux gens tristes, malades et qui veulent s'étrangler, faites prendre le matin en boisson la racine de mandragore à dose moindre qu'il n'en faudrait pour causer le délire »[16].

Au rapport de son élèveXénophon,Socrate parle déjà des effets sédatifs de la plante[17],[18],[19] ;Théophraste, élève d’Aristote, rapporte que la racine traite les maladies de peau et lagoutte et que les feuilles sont efficaces pour soigner les blessures. Ses propriétés sédatives étaient connues puisqu’il dit qu’elle est bonne pour le sommeil[20],[21],[22].

Sur le site turc de l'antiqueMagnésie du Méandre, des fouilles ont dévoilé un espace réservé, dans le stade de la cité, aux préparateurs de potions à base de mandragore, qu'ils fournissaient aux athlètes[23]. AuIer siècle de notre ère, le médecin grecDioscoride en donne une description :« Il y a une espèce femelle, noire qui est appeléetridakias, qui a des feuilles plus étroites et plus petites que la laitue, d'une odeur puante et forte, étendues sur le sol, ainsi que des « pommes » semblables à celles du sorbier, jaune pâle, d'une bonne odeur, dans lesquelles il y a une graine semblable à celle de la poire… Les feuilles de l'espèce mâle et blanche, que certains appellentmorion, sont claires, grandes, larges et lisses comme celles de la bette. Ses pommes sont deux fois plus grosses, de couleur safran, dégagent une odeur agréable relativement forte. Les bergers en mangent et s'endorment pour un certain temps. Sa racine est semblable à la précédente, mais plus grande et plus blanche. Elle n'a pas de tige non plus… »[24].

Pline l'Ancien, naturaliste romain, en donne une description très proche à la même époque[25] :

« Il y a deux espèces : la blanche, considérée comme la mandragore mâle, et la noire, considérée comme la femelle, qui a des feuilles plus étroites que celles de la laitue, des tiges velues, et deux ou trois racines rougeâtres, blanches à l'intérieur, charnues et tendres, longues de près d'une coudée. Les deux portent des fruits de la grosseur des noisettes renfermant une graine comme un pépin de poire. »[26].

On a identifié[27] l'espèce mâle ou blanche àMandragora officinarum L. et l'espèce femelle ou noire àMandragora automnalis Bertol., espèce qui maintenant n'est plus qu'une forme possible deM. officinarum L.

Dioscoride énumère de nombreuses maladies où la mandragore est d'un grand secours. Un verre d'une décoction obtenue en faisant réduire la racine dans du vin est utile« quand on ne peut dormir, ou pour amortir une douleur véhémente, ou bien avant de cautériser ou couper un membre, pour se garder de sentir la douleur »[28]. La racine préparée avec du vinaigre guérit les inflammations de la peau, avec du miel ou de l'huile, elle est bonne contre les piqures de serpent, avec de l'eau, elle traite les écrouelles et les abcès. Le jus fait venir les menstrues et précipite l'accouchement. Prudemment, Dioscoride met en garde contre la toxicité de la plante « Toutefois, il faut se garder d'en boire trop, car il [le jus] ferait mourir la personne ».

Pline signale aussi des indications proches de celles de Dioscoride. L'usage comme narcotique et analgésique revient toujours :

« On conserve les feuilles dans la saumure, et elles ont plus d'effet sinon le suc des plantes fraîches est un dangereux poison ; et encore, ainsi conservées, leurs propriétés nocives portent à la tête, même par la simple odeur… L'effet soporifique varie avec les forces du sujet ; la dose moyenne est d'uncyathe. On la fait boire aussi contre les serpents et avant les incisions et les piqûres pour insensibiliser. »

Théophraste signale aussi des propriétés aphrodisiaques[29] etDioscoride indique qu'elle servait à confectionner des philtres[30].

À côté de ces observations très pertinentes (connaissant maintenant les composés actifs de la plante), on trouve dans les textes d'autres considérations très déconcertantes pour nous. Par exemple, Théophraste indique que lors de la cueillette il faut« tracer autour de la mandragore trois cercles avec une épée, couper en regardant vers le levant, danser autour de l'autre et dire le plus grand nombre possible de paroles grivoises »[31].

Ces pratiques étranges proviennent de l'histoire des sciences hellènes. De nombreux textes antiques étaient écrits par des philosophes, des naturalistes ou des médecins. Les naturalistes étudiaient les plantes pour elles-mêmes et insistaient sur l'importance de l'observation. D'autres, comme les médecins, s'efforçaient de concevoir une approche expérimentale permettant d'identifier correctement les plantes et d'observer leurs effets thérapeutiques sur les malades. La constitution de nouveaux domaines de connaissance scientifiques autonomes se fit donc en se libérant de la religion et de la magie. Mais après les conquêtes moyen-orientales d'Alexandre le Grand auIVe siècle av. J.-C., la pensée magique mésopotamienne et égyptienne fit une grande percée en Grèce.« À partir duIIIe siècle av. J.-C. précisément, la séduction de l'irrationnel sous des formes diverses commence à exercer des ravages jusque dans les milieux intéressés aux choses de l'esprit et à la connaissance du monde » (J. Beaujeu[32] ).

Les magiciens pensaient qu'il existait des relations intimes entre les différents objets et les différents êtres vivants. Pour eux, les plantes sont des êtres animés doués d'une âme, car étroitement soumises à l'action de divinités ou de forces astrales. Comme les médecins, ils désiraient soigner les malades mais ils avaient une tout autre conception de la maladie. Comme le dit Guy Ducourthial[27]« Ils considèrent qu'elle n'a pas de cause naturelle, mais qu'elle est envoyée aux humains par des divinités pour les punir de leurs fautes. Pour guérir les individus malades, ils prétendent pouvoir contraindre ces divinités à détourner l'influence néfaste qu'elles exercent sur eux, mais aussi « maîtriser » un certain nombre de plantes qu'ils ont sélectionnées, c'est-à-dire les soumettre à leurs injonctions et les obliger à abandonner leurs propriétés pour qu'ils puissent en disposer à leur gré. Pour atteindre leur but, ils doivent accomplir un certain nombre de gestes précis et souvent mystérieux, prononcer incantations et formules secrètes et réciter des prières particulières, notamment lors de la récolte des plantes qu'il faut effectuer à des moments particuliers ». Le cercle tracé autour de la plante crée un espace magiquement clos, enfermant la plante et permettant au magicien de s'en rendre maître.

Les rituels magiques donnés parThéophraste sont repris parPline l'Ancien, mais Dioscoride s'abstient d'en parler. En tant que plante magique, la mandragore est appeléekirkaia, en référence à la magicienneCircé. Lesastrologues ont attribué la mandragore au signe duCancer (karkinos), qui régit le corps humain de la poitrine au ventre[27]. Il en résulte qu'elle contrôle la rate, organe responsable des accès de mélancolie.

Moyen Âge occidental

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Arrachage d'une mandragore. ManuscritTacuinum Sanitatis, Bibliothèque nationale deVienne, v. 1390.

Le rituel d'arrachage de la mandragore change dès le début du Moyen Âge et peut-être même avant en Palestine. Le collecteur de mandragore qui entend le cri effroyable poussé par la plante lorsqu'il l'arrache du sol peut devenir fou et s'expose à la mort. On recommande ainsi de se boucher les oreilles avec de la cire, de l'attacher à un chien et attirer l'animal au loin, la malédiction s'abattant ainsi sur l'animal. Les textes[2] ajoutent même « que cette racine a en soi une telle puissance divine que, lorsqu'elle est extraite, au même moment, elle tue aussi le chien » (Herbarius Apulei, 1481). Le Quellec[2] fait remonter l'ancienneté de cette tradition au début duVIe siècle. En l'an 520, le manuscrit deDioscoride de Vienne est illustré de deux miniatures sur lesquelles on voit une racine de mandragore attachée au cou d'un chien mort, gueule béante.

AuIer siècle,Flavius Josèphe avait déjà décrit dansla Guerre des Juifs, VII, 6, 183, un rituel identique appliqué à l'arrachage d'une plante qu'il appellebaaras. La plante est cependant mal identifiée et il n'est pas certain qu'il s'agisse de la mandragore comme Hugo Rahner (1954) l'a supposé.

Les précautions lors de la cueillette sont aussi énoncées dans les écrits deParacelse (1493–1541). Pour se procurer la racine de mandragore si dangereuse, il fallait desrituels magiques. Celui qui arrache la mandragore sans précaution, s'il ne devient pas fou en entendant les hurlements de la plante, sera poursuivi par samalédiction.

Selon les divers écrits décrivant les rituels, on sait qu'ils se déroulaient les nuits de pleine lune. Les mandragores qui poussaient au pied desgibets étaient très prisées car on les disait fécondées par lesperme des pendus, leur apportant vitalité, mais celles des places desupplice ou decrémation faisaient aussi parfaitement l'affaire. Des « prêtres » traçaient avec un poignard rituel trois cercles autour de la mandragore et creusaient ensuite pour dégager la racine, le cérémonial étant accompagné deprières etlitanies. Une jeune fille était placée à côté de la plante pour lui tenir compagnie. On passait également une corde autour de la racine et on attachait l'autre extrémité au cou d'un chien noir affamé que l'on excitait au son ducor. Les prêtres appelaient alors au loin le chien pour qu'en tirant sur la corde il arrache la plante. La plante émettait lors de l'arrachage un cri d'agonie insoutenable, tuant l'animal et l'homme non éloigné aux oreilles non bouchées de cire. La racine devenaitmagique après lavage,macération etmaturation enlinceul ; elle représentait selon lathéorie de la préformation, l'ébauche de l'homme, « petit homme planté » ouhomonculus. Ainsi choyée, elle restait éternellement fidèle à son maître jouissant d'un talisman procurant santé, fécondité etprospérité prodigieuse. Elle était vendue très cher en raison du risque à la cueillette, et ce d'autant plus que la forme était humaine, de préférence sexuée par la présence de touffes judicieusement disposées. Le renom de cette plante tient à la convergence de deux facteurs : des racinesanthropomorphiques issues de la petite graine des hommes pendus, la destinant, selon lathéorie des signatures, à des potions et philtres magiques des sorciers ; une teneur en alcaloïdes puissammenthallucinogènes (Atropine,hyoscyamine,scopolamine, etc.), permettant aux sorcières de voler grâce à leurbalai magique. À noter qu'au Moyen Âge, époque où la pendaison est commune, il est possible que cette plantenitrophile se développait sous le gibet, grâce à l'azote apporté par le sperme des pendus à qui une strangulation violente occasionnait une ultime éjaculation[33].

En Europe, on trouve à partir duIXe siècle dans la littérature médicale la description de narcose par inhalation d'une « éponge soporifique » (« spongia soporifera »). Une série de recettes allant duIXe au XVIe siècle et provenant de divers pays nous sont parvenues. La plupart se trouvent dans des manuels de chirurgie ou dans des antidotaires[10]. La plus ancienne connue est celle de l'Antidotaire de Bamberg, Sigerist ; elle comporte de l'opium, de la mandragore, de la ciguë aquatique (cicute) et de la jusquiame. AuXIIe siècle, à l’école de médecine de Salerne, Nicolaus Praepositus, pronait aussi dans sonAntidotarium l'usage d'une éponge soporifique[11] dans certaines opérations chirurgicales. Elle était imbibée d'un mélange de jusquiame, de jus de mûre et de laitue, de mandragore et de lierre.

Début de l'époque moderne

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Onguent des sorcières
Mandragora officinarum,Nicolas Robert, pour leRecueil des vélins de laBibliothèque de Louis XIV, 1676, BNF

On trouve aussi parfois la mandragore, la belladone et la jusquiame dans la composition d'onguents utilisés par lessorcières. Une croyance très répandue auxXVIe et XVIIe siècles, voulait que les sorcières s'enduisent le corps d'un onguent avant de s'envoler dans les airs, à cheval sur un balai ou une fourche, pour aller ausabbat. Il est suggéré que les effets des psychoactifs auraient été plus intenses si l’onguent avait été introduit dans le vagin , à l'aide d’un bâton ou d’un manche à balai[34].

Les accusations qui conduisaient les sorcières au bûcher comportaient deux composants : les maléfices et le pacte avec leDiable. L'action judiciaire s'ouvrait sur une plainte pour les maléfices répétées d'une jeteuse de sort qui était censée provoquer la mort de nouveau-nés, faire tomber la grêle sur les récoltes, etc. L'accusation d'assistance au sabbat n'apparaissait que plus tard, lorsque les juges ecclésiastiques s'emparaient du dossier. À l'époque, tout le monde croyait au Diable. Il ne faisait pas l'ombre d'un doute, qu'en concluant un pacte avec le Diable, la sorcière pouvait accomplir des maléfices redoutables et travailler à la ruine de l'Église et de l'État. Des dizaines de milliers de sorciers et sorcières furent ainsi envoyés au bûcher en toute bonne conscience des autorités. Seuls quelques scientifiques et médecins humanistes dénoncèrent ces persécutions et osèrent soutenir que le sabbat n'était qu'une illusion.

Le problème de la réalité du sabbat fut d'ailleurs posé à peu près en ces termes par des scientifiques dès leXVIe siècle, quant à savoir si la description d'assemblées démoniaques et de leur prodiges - vol, métamorphose en bête - a une réalité objective ou si elle est le résultat de la consommation de drogues hallucinogènes. Dès cette époque, un médecin et humaniste espagnol,Andrés Laguna, arrive à la conclusion que tout ce que croyaient faire les sorcières était le résultat de la prise de substances narcotiques[34], et donc que le sabbat était le produit de leur seule imagination. Laguna raconte, dans son commentaire deDioscoride (1555), comment, se trouvant en Lorraine, il fut le témoin de l'arrestation et de la condamnation à mort sur le bûcher de deux vieillards accusés de sorcellerie. Il se procura alors l'onguent qui avait été trouvé dans l'ermitage où ils vivaient pour tester l'effet d'un tel produit. Il fit enduire entièrement une de ses patientes insomniaque. Celle-ci tomba aussitôt dans un profond sommeil et se réveilla trente-cinq heures plus tard en disant à son mari en souriant qu'elle l'avait cocufié avec un beau jeune homme. Pour Laguna le liniment était fabriqué avec« des herbes au dernier degré froides et soporifiques, comme sont la ciguë, la morelle endormante, la jusquiame et la mandragore »[34].

Notes et références

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Notes

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  1. LaGenèse indique :
    • « Et Ruben s'en alla au temps de la moisson des blés, et trouva des mandragores dans les champs, et les apporta à Léa, sa mère. Et Rachel dit à Léa: Donne-moi, je te prie, des mandragores de ton fils.
    • Et lorsque Jacob revint des champs le soir, Léa alla au-devant de lui, et dit : Tu viendras vers moi; car je t'ai loué pour les mandragores de mon fils; et il coucha avec elle cette nuit-là. ».

Références

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  1. abcd ete(en)Ungricht S., Knapp S. and Press J.R., « A revision of the genus Mandragora »,Bull. Nat. Hist. Mus. London,vol. 28,no 1,‎,p. 17-4
  2. abc etdJean-Loïc Le Quellec, « La mandragore : « celle qui expulse » »,Actes du séminaire d'ethnobotanique de Salagon, Les cahiers de Salagon 11,vol. 3,‎ 2003–2004
  3. AuMaroc, pousse la variété jadis nomméeMandragora autumnalis, dont les feuilles sont velues et ondulées ; dans le nord de l'Italie et la Dalmatie, poussent des plantes aux fleurs blanches apparaissant au printemps. La plante a des caractères très variables dans son aire de répartition.
  4. (en) Viney D.E.,An illustrated flora of north Cyprus, Konigstein,.
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Voir aussi

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Dans les arts

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Bibliographie

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Liens externes

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