Lemégléno-roumain, dit aussiméglénite (μογλενίτικη γλώσσα enGrèce,мъгленитски enMacédoine du Nord), est un groupe dedialectes parlés par une population appelée « Mégléno-roumains » dans les milieux académiques. Son statut est controversé. Certainslinguistes, par exemple le roumainAlexandru Graur(en), le considèrent comme une langue à part faisant partie deslangues romanes orientales, avec leroumain, l’aroumain et l’istro-roumain, mais la plupart des chercheurs y voient undialecte du roumain. Parmi ceux-ci il n’y a pas d’unité quant au statut du mégléno-roumain par rapport aux autresidiomes romans de l'Est[3].
Le mégléno-roumain est encore parlé par une population estimée à 2 800 personnes environ[1]. Ils s’appellent eux-mêmesvlaș[4] (ausinguliervla, avec la variantevlau̯) et ils identifient leuridiome en disant qu’ils parlentvlășește (adverbe). L’ethnonymevlaș « Valaques » est à l’origine unexonyme employé par les peuples voisins et adopté par les Mégléno-roumains[5]. Ils vivent dans la région grecque deMacédoine-Centrale, enMacédoine du Nord, enRoumanie et enTurquie.
Le mégléno-roumain est l’idiome roman oriental dont l’histoire et la moins connue, faute d’attestations anciennes. On suppose que ce fut le deuxième à se séparer duproto-roumain, après l’aroumain, auxXIIe – XIIIe siècle environ, lorsque seslocuteurs s’établirent dans la région de Mogléna, sur les rives duVardar, en venant du nord[3].
La première mention sur le mégléno-roumain est faite par lediplomate etphilologueautrichienJohann Georg von Hahn en1867. En même temps, il le distingue de l’aroumain en parlant de deux dialectes différents, sans les nommer[6]. Le linguisteallemandGustav Weigand(de) est le premier chercheur à étudier à proprement parler le mégléno-roumain. Pour le distinguer du daco-roumain, de l’aroumain et de l’istro-roumain, il l’appelle « Meglen » et c’est lui qui note et publie pour la première fois des textes dans cet idiome[7].
Le linguiste roumainOvid Densușianu considérait que les Mégléno-roumains étaient d’origine nord-danubienne et voyait leur idiome proche dudaco-roumain. Parmi les chercheurs actuels,Petar Atanasov(en), linguiste macédonien d’origine mégléno-roumaine, adopte la même hypothèse. Il considère que le mégléno-roumain garde les vestiges d’un stade archaïque du daco-roumain[8]. Au contraire,Sextil Pușcariu soutenait l’origine sud-danubienne des Mégléno-roumains, en classant leur idiome avec l’aroumain dans un sous-groupe oriental, et le daco-roumain et l’istro-roumain dans un sous-groupe occidental de dialectes du roumain. D’autres chercheurs roumains, telsTheodor Capidan(en) et Gheorghe Ivănescu pensaient que le mégléno-roumain forme avec l’aroumain un dialecte méridional du roumain. Les linguistes roumainsAlexandru Philippide(en),Alexandru Rosetti et Matilda Caragiu Marioțeanu voyaient eux aussi le mégléno-roumain plus proche de l’aroumain[3]. Ion Coteanu le considérait comme unevariété régionale de l’aroumain et celui-ci comme une langue autonome par rapport au roumain[3]. Il existe aussi l’hypothèse de l’origine complexe, daco-roumaine et aroumaine du mégléno-roumain[8].
Après les textes publiés par Weigand[9], d’autres recueils de littérature folklorique sont parus, publiés parPericle Papahagi(en)[10] et Ion Aurel Candrea[11]. Les plus récents sont les recueils de Dionisie Papatsafa[12] et de Dumitru Ciotti[13].
Il existe un seul ouvrage écrit non folklorique, une brochure sur l’élevage desvers à soie[14], avec unegraphie adapté de celle du roumain et des termesempruntés à celui-ci.
Entre 1862 et1912, il a existé sporadiquement chez les Mégléno-roumains des formes d’enseignement en roumain ou/et en aroumain, et l’emploi du roumain à côté dugrec ou à la place de celui-ci en tant que langue duculteorthodoxe[3].
Sur le nombre de locuteurs de mégléno-roumain il y a une estimation concernant seulement ceux de Grèce et de Macédoine du Nord, à 2 800 personnes[1]. Ils vivent surtout dans la région grecque de Macédoine-Centrale, où se trouve la région historique de Mogléna, dans lesdistricts régionaux deKilkís et dePella, dans les localitésL’úmniță (Σκρα – Skra),Cúpă (Κούπα – Koupa),Țărnaréca (Κάρπη – Karpi),Oșíń (Αρχάγγελος – Archagghélos),Birislắv (Περίκλεια – Périkléia)Lundzíń (Λαγκάδια – Lagkadia) etNắnti ouNǫ́nti (Νότια – Notia). En Macédoine du Nord, il y a des locuteurs de mégléno-roumain presque uniquement dans la ville deGevgelija, où est venue vivre la quasi-totalité des habitants du villageUmă (Хума – Huma) majoritairement peuplé de Mégléno-roumains[18].
Les événements historiques et les phénomènes sociaux ultérieurs ont déclenché le processus de perte de l’idiome, qui continue, dans les conditions où les locuteurs sont scolarisés, mais dans une autre langue que la maternelle. À cela s’ajoute le manque de prestige de lalangue maternelle aux yeux de ses propres locuteurs, surtout des jeunes, qui voient la possibilité de leur affirmation uniquement dans la langue de la majorité[20].
À présent il y a très peu de formes d’organisation culturelle ou d’une autre nature mégléno-roumaines qui œuvreraient à la sauvegarde de l’idiome, en comparaison avec celles qui existent pour l’aroumain et même pour l’istro-roumain. Il y a bien à Cerna (județ de Tulcea), le seul village à population majoritairement d’origine mégléno-roumaine de Roumanie, l’ensemble folklorique « Altona » et l’association « Altona » auxquels participent les élèves de l’école et collège Panait-Cerna, ces trois entités, ainsi que les familles s’occupant à cultiver l’héritage culturel mégléno-roumain[21]. Cependant, le mégléno-roumain est en voie de disparition, étant inscrit dans l’Atlas UNESCO des langues en danger dans le monde[22].
Chaque village mégléno-roumain a sonparler, lesquels sont groupés de plusieurs façons. Il existe une division en deux groupes : les parlers de Umă et de Țărnareca, d’un côté, et ceux de L’umniță, Cupă, Oșiń, Birislăv, Nǫnti et Lundziń, de l’autre. Une autre division est faite en trois groupes, le parler de Lundziń étant considéré à part. Selon certains traits, on a établi d’autres oppositions aussi : le parler de Țărnareca par rapport à tous les autres, les parlers de L’umniță et Cupă par rapport aux autres, ceux de Umă et de Lundziń par rapport aux autres. Du point de vue desemprunts, on peut opposer les parlers de Grèce, de Macédoine du Nord et de Roumanie[23].
La transcription du mégléno-roumain n’est par unitaire parmi les chercheurs. Dans cet article, on utilise celle de Theodor Capidan. Description et transcription des voyelles mégléno-roumaines :
Ensyllabeaccentuée, dans plusieurs parlers, le correspondant de /ǝ/, ainsi que de/ɨ/ roumain, est /ɔ/ :lăsǫ́[24] (roumainlăsắ) « il/elle laissa »,lǫ́nă (roum.lấnă) « laine ».
Dans les parlers de Umă et de Țărnareca, /ǝ/ s’est conservé, y compris en tant que correspondant de /ɨ/ roumain :lắnă « laine ».
Dans le parler de L’umniță, /ɔ/ se réalise comme [o], par conséquent il correspond à /ɔ/ et à /ǝ/ des autres parlers, ainsi qu’à /ɨ/ du roumain :mónă vs.mǫ́nă,mắnă, roum.mấnă « main ».
La voyelle /ɛ/ coexiste avec ladiphtongue [e̯a] dans le parler de Lundziń (fę́tă / fe̯átă « fille ») et s’oppose à /e/ dans les parlers de Lundziń, de Cupă, de L’umniță, d’Oșiń et de Birislăv:vidém « nous voyons » vs.vidę́m « nous voyions ».
Les voyelles /a/, /e/, /i/, /o/, /ɔ/ et /u/ accentuées sont longues, sauf dans les parlers de Umă et de Țărnareca :āpu [aːpu] « eau »,cămēș [kǝmeːʃ] « chemises »,sīn [siːn] « sein »,sōră [soːrǝ] « sœur »,grǭn [grɔːn] « blé »,sūflit [suːflit] « âme ».
Au contraire du roumain, dans les mots hérités dulatin, les voyelles en syllabe pré-tonique se sont fermées :
a >ă:ăbínă roum.albină « abeille » ;
e >i:țitáti roum.cetate « cité » ;
o >u:purcár roum.porcar « porcher ».
Dans le parler de L’umniță, /ǝ/ en début de mot suivi de /m/ ou de /n/, se réalise comme [ạ]. C’est Capidan qui la transcrit ainsi, en la décrivant comme une voyelle entre /a/ et /ə/, plus proche de /a/[25]. Exemples :ạmpirát « empereur »,ạnțili̯ắg « je comprends ».
En syllabe post-tonique, les mêmes voyelles se ferment également, mais /a/ se conserve en tant qu’article défini :cásắ « maison » vs.cása « la maison ».
Il y a dans tous les parlers mégléno-roumains les diphtonges descendantes [aw], [ew], [iw] et [ow], ainsi que les ascendantes [ja], [je], [jo] et [ju]. Dans celles-ci, [w] est transcritu̯ et [j] –i̯.
Dans les divers parlers, il y a d’autres diphtongues aussi :
[e̯a] (Lundziń, Oșiń, Birislăv, Cupă) :fe̯átă « fille » ;
[wǝ] (L’umniță, Cupă) :fu̯ăc « feu » ;
[jǝ] (L’umniță, Cupă) :ạnțili̯ắg « je comprends ».
Quant à la transcription des diphtongues, il y a une petite différence entre P. Atanasov et Capidan, en ce sens que ce dernier transcrit lessemi-voyellese̯ eto̯ comme les voyelles correspondantes.
r roulé comme dans certaines variétés régionales du français
r
/f/
commef français
f
/v/
commev français
v
/s/
commes dans « soir »
s
/z/
commez dans « gaz »
z
/ʃ/
commech dans « chat »
ș
/ʒ/
commej français
j
/h/
commeh dans l’anglaishotel
h
/hʲ/
[h] suivi d’uny comme dans « yeux »
h’
/l/
commel dans « lit »
l
/ʎ/
à peu près commeli dans « lieu »
l’
Remarques :
En fin de mot, /l/ devient proche d’uneconsonne vélaire, transcriteł, par exemple danscał « cheval ».
La consonne /h/ ne s’est pas conservée dans les mots hérités et dans les emprunts anciens, par exemple dans le nom du village Umă, mais elle existe dans des emprunts plus récents, par exemple danshutel « hôtel ».
Les oppositions /d͡z/ : /z/ et /d͡ʒ/ : /ʒ/ se conservent seulement à Țărnareca. Dans les autres parlers, les affriquées se sont fricativisées :frundză / frunză « feuille (d’arbre) »,džoc / joc « jeu ».
Évolutions phonétiques différentes du latin au roumain et au mégléno-roumain
Ladésinence-i asyllabique [ʲ] demasculinpluriel desnoms et desadjectifs, ainsi que la désinence de la2epersonne du singulier de l’indicatifprésent tombe après les consonnes [p], [b], [f], [v] et [m], celles-ci restant inchangées :lup roum.lupi « loups »,fitšór roum.feciori « gars, garçons »,ạntréb roum.întrebi « tu demandes ».
Dans les parlers de Umă et de Țărnareca, cette désinence précédée des groupes de consonnes dont le second élément est [t͡s], [d͡z], [t͡ʃ], [d͡ʒ], [ʃ] (à Țărnareca [ɡʲ], [ɲ], [ʎ] aussi), devient [ǝ] :múl’ță « beaucoup de »,arșă « brûlés »,dorńă « tu dors ».
Dans le parler de Umă, la désinence-i se conserve à l’état vocalique [i] après tout groupe de consonnes ou semi-voyelle + consonne autre que ceux dont le second élément est [t͡s], [d͡z], [t͡ʃ], [d͡ʒ], [ʃ] :ál’bi ['aʎbi] « blancs »,núi̯bi ['nujbi] « tu rencontres ».
Dans les parlers de Umă et de Țărnareca,u finale de mot qui suit un groupe de consonnes se conserve après tout groupe de consonnes (álbu roum.alb « blanc »,múltu roum.mult « beaucoup (de) »,rúptu roum.rupt « déchiré »), alors que dans les autres parlers et en roumain il existe seulement après les groupes dont le dernier élément est [l] ou [r] :áflu « j’apprends » (une nouvelle),sócru « beau-père » (père de l’époux ou de l’épouse).
En fin de mot, lesconsonnes voisées deviennent sourdes (vi̯et roum.văd « je vois »,ves roum.vezi « tu vois »,alp roum.alb « blanc »,rǫt roum.râd « je ris »), sans que ce soit en général marqué dans la transcription.
Lastructure grammaticale du mégléno-roumain diffère en partie de celle du roumain, d’un côté par certains traits archaïques, d’un autre à cause de l’influence de langues voisines.
Du point de vuemorphologique, le mégléno-roumain présente aussi bien des traitssynthétiques que des traitsanalytiques, ainsi que des influencesmacédoniennes[30]. L’aroumain aussi influence le mégléno-roumain, surtout son parler de Țărnareca.
[u] (dans chaque parler, après les groupes de consonnes dont le dernier élément estl our ; dans ceux de Umă et de Țărnareca, après tout groupe de consonnes) :sócru « beau-père »,chi̯éptu « poitrine ».
À la suite de la fermeture de [e] non accentuée, il y a des noms terminés en [i] tant au masculin qu’auféminin :múnti (masc.) « mont, montagne »,pustińitáti (fém.) « désert ». Les autres féminins se terminent en-ă :cásă « maison »,fátă « fille ».
Le pluriel
La forme de pluriel ne diffère pas de celle de singulier dans le cas des noms terminés en voyelle accentuée +p,b,f,v,ț,z,tš,ș,j,l’,i̯,ń our :lup « loup » –lup « loups »,fitšór « garçon » –fitšór « garçons ». La marque du pluriel des noms terminés en une autre consonne ou en une autre consonne +i est le changement de la consonne :i̯ed –i̯ez « chevreaux »,bărbát –bărbáț « hommes »,cał –cal’ / cai̯ « chevaux »,fráti –fraț « frères ». Le pluriel des noms terminés enri est marqué par la chute dei :l’épuri –l’épur « lièvres ».
Au pluriel des noms en-u [u], celle-ci change en-i [i] :sócru –sócri « beaux-pères »,u̯ócl’u –u̯ócl’i « yeux ».
Le pluriel des noms féminins en-ă est en général en-i :cásă –cási « maisons ». Dans certains de ces noms, la consonne ou les consonnes précédant-ă change(nt) :fúrcă –fúrchi « fourches »,gắscă –gắști « oies ». Les consonnes qui provoquent la chute de-i au masculin, le font également au féminin ;límbă –limb « langues ». Dans certains noms il y a aussialternance vocalique dans leradical :vácă –văț « vaches ».
Parmi les nomsneutres qui, comme en roumain, sont du masculin au singulier et du féminin au pluriel, il y en a qui ont une désinence spécifique pour le neutre,-ur:loc –lócur « lieux ».
La désinence de masculin pluriel-i [i] qui tombe dans les cas mentionnés plus haut, reparaît devant l’article défini :fitšóril’ « les garçons »,fráțil’ « les frères ».
Les noms empruntés auturc finissant en-a ou en-ă peuvent avoir au pluriel la désinence-z, la voyelle précédente étant accentuée :avlíi̯a –avlíur ouavlii̯áz « cours »,căsăbắ –căsăbắz « villes ».
L’expression des compléments est en général analytique.
Lecomplément du nom possesseur est exprimé dans la plupart des parlers aveclu, article défini à l’origine, devenu invariable, pratiquement unepréposition. Elle est utilisée au troisgenres et aux deuxnombres, aussi bien pour les noms propres de personnes que pour les noms communs. Ceux-ci sont munis d’unarticle s’ils sont du féminin ou du masculin singulier, pouvant être sans article s’ils sont au masculin pluriel :
cása lu
bărbátu un bărbát fe̯áta ună fe̯átă Piștól fráțil’ dráț fe̯átili
la maison
de l’homme d’un homme de la fille d’une fille de Piștol des frères des diables des filles
Il y a seulement dans le parler de Țărnareca des formes de complément du nom possesseur exprimées par ladéclinaison de l’article défini. Dans leur cas, le nom est précédé de l’article possessif, comme en roumain :ạu̯ țárlui fitšór « le fils de l’empereur »,tái̯fa a fe̯átil’ei̯ « le groupe de la fille ».
Lecomplément d’objet indirect d’attribution est exprimé avec la prépositionla, le nom étant en général sans article :la bărbát « à l’homme »,la fe̯átă « à la fille »,la Piștól « à Piștol »,la fráț « aux frères »,la fe̯áti « aux filles ».
Lecomplément d’objet direct n’a pas de marque, même pas celle qu’on utilise en roumain pour les noms de personnes (la prépositionpe) :Urdínă-l’ă ascheríl’ roum.Îi pune în rând pe soldați « Il met les soldats en rang ».
Lecasvocatif exprimé par des désinences existe en partie en mégléno-roumain, comme en roumain :ạmpirat « empereur » –ạmpiráti! ou, plus rarement,ạmpirátuli! « empereur ! » (masc.),sóră « sœur » –su̯ắru! « ma sœur !»
Lesarticles indéfinis sont, au singulier,un (masc.) etúnă (fém.). Contrairement au roumain, ils ne se déclinent pas. L’article indéfini plurielníști (varianteníștă) n’existe que dans certains parlers.
pour les noms terminés en consonne – plus rarement-l, plus souvent la voyelle de liaison-u- qu’on utilise devant celui-ci, devenue l’article proprement dit (fitšóru oufitšórul « le gars, le garçon, le fils »), mais à Țărnareca-lu :fitšórlu ;
pour les noms en-u –-u (dans ce cas la forme avec article se confondant avec celle sans article) ou-l :córbu(l) « le corbeau » ;
pour les noms en-i –-li :șárpili « le serpent » ;
au féminin singulier –-a qui remplace la désinence-ă ;cása « la maison » ;
au masculin pluriel –-l’ ou-i̯:cucóțil’ oucucóții̯ « les coqs » ; à Țărnareca-l’ă :fráțl’ă « les frères » ;
au pluriel féminin et neutre : –-li :măńli « les mains »,lócurli « les lieux » ; à Țărnareca-l’ă :măńl’ă,lócurl’ă.
L’adjectif qualificatif mégléno-roumain diffère quelque peu du roumain quant à sesdegrés de comparaison. Le superlatif relatif peut se former avec l’article démonstratif + l’adverbemai̯ + l’adjectif sans article (țéla mai̯ mári « le plus grand »), mais aussi sans article démonstratif et avec l’adjectif muni de l’article défini :mai̯ míca fę́tă « la fille la plus petite ». À Țărnareca, le superlatif relatif se forme avec lepréfixenai̯- emprunté au macédonien :nai̯márli di tóț « le plus grand de tous »[31].
Lesnuméraux cardinaux sont les mêmes qu’en roumain, y compris la formation des nombres plus grands que 10 :
1un (masc.),úna (fém.)
2doi̯ (masc.),dǫ́u̯ă / dǫ́u̯ / du̯áu̯ (fém.)
3tréi̯
4pátru
5ținț
6șási
7șápti
8u̯ópt
9nǫ́u̯/nǫ́u̯ă
10záți / ze̯áți / dzáți (la dernière variante à Țărnareca)
11únspreț / únsprăț
12dǫ́u̯spreț / dǫ́u̯sprăț
20dǫ́u̯zǫ́ț
21dǫ́u̯zǫ́tšiun
100úna sútă
1000úna míl’ă
2000dǫ́u̯ míl’
1.000.000un miliún
Ces noms de nombre peuvent être munis de l’article défini (en roumain, dans les mêmes cas, de l’article démonstratif) :pricázma lu dói̯l’ fráț roum.povestea celor doi frați « le conte des deux frères ».
Les numéraux ordinaux, sauf celui qui correspond à « premier », se forment en général en ajoutant aux cardinaux l’article défini-li sans distinction de genre, et en les faisant précéder par la prépositionla :la dǫ́u̯li ór « la deuxième fois »,la tréi̯li cáł « le troisième cheval ». Dans le parler de Țărnareca, la forme de l’article est-l’ă, et il y a une forme de féminin aussi :la tréi̯a dzúu̯ă grí « le troisième jour, il/elle parla ».Príma « premier » est hérité du latin, alors qu’en roumain c’est un emprunt au latin. À Țărnareca il lui correspond l’emprunt au grecprot, pro̯átă.
I̯ó s-mi dúc « Moi, je m’en irai » (litt. « Moi que m’emmène ») ;
Ạțmi ru̯ắg « Je t’en prie » (litt. « Te me prie ») ;
S-nă ubidím căsmétu « Tentons notre chance » (litt. « Que nous essayons la chance »).
À la troisième personne il n’a qu’une forme conjointe,si, avec la varianteți :
si ạnsurǫ́ « il se maria » ;
ạńți máncă « j’ai faim » (litt. « me se mange »);
sisi dúcă « qu’il/elle s’en aille » (litt. « que s’emmène »).
Dans le dernier exemple, le premiersi est laconjonction spécifique dusubjonctif. À cause de l’homonymie avec le pronom réfléchi, ce dernier peut manquer. Par conséquent, en fonction ducontexte,si dúcă peut signifier « qu’il/elle s’en aille » ou « qu’il/elle emporte (quelque chose) / emmène (quelqu’un) ».
Les formes disjointes peuvent être aussi bien des pronoms que des adjectifs, tandis que les formes conjointes sont seulement des adjectifs. Les adjectifs disjoints se placent le plus souvent devant le nom déterminé (contrairement au roumain), les formes conjointes étant toujours après le nom. Exemples ensyntagmes et en phrases :
Méu̯ fitšór tári ăi̯ « Mon fils est comme ça » ;
Dǫ́-ń l’a tǫ́l’ cǫ́ń ástăz, i̯ó si-ț l’a dáu̯ mél’ la tíni « Donne-moi tes chiens aujourd’hui, moi je te donnerai les miens à toi » ;
Ni tátă-ńu… ni tšítšăl’ mi̯ắl’ nú rau̯ spuvidátš « Ni mon père ni mes oncles n’étaient des confesseurs » ;
En tant qu’adjectifs, ces mots se placent presque toujours devant le nom déterminé, qui peut ou non être muni de l’article défini. Il arrive aussi que l’article soit attaché à l’adjectif. Exemples en syntagmes et en phrases :
țísta u̯óm (sans article) « cet homme » ;
țíșta cál’ (sans article) « ces chevaux » ;
Dáț la éstu óm tắnti pári (sans article) « Donnez tant d’argent à cet homme » ;
En mégléno-roumain il y a deux mots qui peuvent êtrepronoms interrogatifs ourelatifs, en gardant la même forme, les deux pouvant se référer aussi bien à des personnes qu’à des inanimés, indifféremment du genre et du nombre, en fonction du contexte :cári « qui, lequel, que » etțe / ți « quoi, que, qui, lequel ». Exemples :
Cári ăi̯ cóla, brá? « Qui est là, hé ? » ;
Vizú un u̯óm cari vinde̯á « Il/Elle vit un homme qui vendait » ;
Țí faț? « Qu’est-ce que tu fais ? » ;
mul’áre̯á țe ti ạnsuráș « la femme que tu épousas ».
Cári en tant que COI d’attribution a une forme analytique (la cári « à qui, auquel »), mais il a une forme alternative synthétique de complément du nom possesseur (cúrui̯). Exemples :
La cári trițe̯á pri cóla, la tóț dădeá bustán « Il/Elle donnait du pastèque à qui passait par là » ;
Ve̯á un fráti la cári l’i rá núme̯a… « Il/Elle avait un frère dont le nom était… » ;
Dăráț un lúcru mușát și cúrui̯ lúcru ăs íi̯ă má mușát, … « Faites (chacun) une belle chose, et celui dont la chose sera la plus belle… »
cáfcu (emprunt au macédonien) « quel(le)(s), de quelle sorte » :Cáfcu tšóu̯li țér tu, Téghi̯u? « Quels chaussures veux-tu, Teghiu? » ;
cǫ́t (masc.),cǫ́ta (fém.) « combien, tant, autant » :Cǫ́t si țe̯áră, tú să-l’ dái̯ « Donne-lui autant qu’il/elle demandera »,Di cǫ́ta mai̯ bún nú si po̯áti « On ne peut pas mieux que ça » ;
cǫ́țva (masc.),cǫ́tiva (fém.) « quelques » ;cǫ́tiva búț di ápu « quelques tonneaux d’eau » ;
cutári « tel(le)(s) [et tel(le)(s)] »– Țí zúu̯ă să u fáțim núnta? – Zúu̯a cutári « – Quel jour qu’on fasse le mariage ? – Tel et tel jour » ;
i̯ér (emprunt au turc, avec les variantes atonese eti) « chaque »iér zúu̯ă /i zuu̯ă « chaque jour »,e săptămǫ́nă « chaque semaine » ;
i̯er-țí, e-țí « n’importe quel(le)(s) » :e-țí om « n’importe quel homme » ;
niscắn « un peu » :Rămási áncă niscắn « Il en resta encore un peu »,Zăstắi̯, si be̯áu̯ niscắn « Attends que je boive un peu » ;
níști…, níști « certain(e)s…, d’autres » :Níști cu sápa, níști cu cárte̯á « Certains travaillent la terre, d’autres s’occupent de livres » (litt. « Certains avec la houe, certains avec le livre » ;
sfáca / sfácă (emprunt au macédonien) « chaque » :sfácă u̯óm « chaque homme »,sfáca dzúu̯ă « chaque jour » ;
tári / ftári « un(e) tel(le) / de tel(le)(s), comme cela » :Méu̯ fitšór tári ăi « Mon fils est comme ça »,Si fę́si ftári grǫ́n,… « Il se fit un tel blé,… » ;
tắntu (sg.),tắnti (pl.) « tant » :Dáț-l’a la éstu óm tắnti pári « Donnez tant d’argent à cet homme » ;
tot / tut, to̯átă, toț, to̯áti « tout(e), tous, toutes » :Tót cunácu ársi « Tout le manoir brûla » ;
țivá « rien »– Țé mi vér, bré fărtáti? – Nú, țivá, țivá « Qu’est-ce que tu me veux, mon frère ? – Non, rien, rien. » ;
țivá-gode̯á (son deuxième composant emprunté au macédonien) « quelque chose » :Țéla si duțe̯á si spárgă țivá-gode̯á « Celui-là allait détruire quelque chose » ;
vrin, vrínă « un, une (quelconque), quelque » :vrină metšcă « une ourse ».
Le pronom réfléchisi peut être omis au subjonctif, à la troisième personne. Sa fonction est remplie par son homonyme, la conjonctionsi :si si dúcă /si dúcă « qu’il/elle s’en aille »,si spe̯álă « qu’il/elle se lave »,si bátă « qu’il/elle se batte ».
Le sens passif peut éventuellement être exprimé par la forme réfléchie, mais c’est rare. On lui préfère une construction active, par exemple au lieu delǫ́na si spe̯álă litt. « la laine se lave »,u spél’ lǫ́na litt. « tu la laves la laine ».
Le mégléno-roumain a emprunté au macédonien l’expression desaspects et desmodes d’action avec les moyens deslangues slaves, surtout des préfixes :
du- exprime l’aspectaccompli :… pănă núduárdi lumináre̯a, i̯o nú mor «… tant que la bougie ne brûle pas complètement, je ne meurs pas » ;
iz- aussi exprime l’accompli :Țéla purcáru laizbătú « Ce porcher le battit bien » ;
pri- exprime la répétition unique d’une action :Nú la pótpriflári « Je ne peux pas le retrouver » ;
pru- exprime le mode d’actioninchoatif :Al’pruuu̯ắ găl’ína « La poule commença à lui faire des œufs » ;
pu- exprime le mode d’action atténuatif :Di caputricú piștáru, i̯á cățǫ́ si-l’ dúnă « Après que le poissonnier s’éloigna un peu, elle se mit à les ramasser (les poissons) » ;
răz- / răs- est un préfixe inchoatif :Ca ạntrǫ́ ăn núntru, sirăsțăpǫ́ frátili « Quand il entra, le frère se mit à crier » ;
ză- aussi est inchoatif :Lúpu sizăbucurǫ́ « Le loup commença à se réjouir ».
Un même verbe peut recevoir plusieurs préfixes pour exprimer des aspects ou modes d’actions divers. Par exemple, le verbemăncári « manger » peut devenirzămăncári « commencer à manger » (inchoatif) oudumăncári « manger complètement » (accompli).
Il y a également dessuffixes spécifiques pour les aspects :-că- et-dă- pour l’inaccompli,-cn- et-dn- pour l’accompli[36]. Exemples de paires de verbes formées avec ces suffixes :
vicăíri –vicníri:Țéla picuráru lǫ́ să vicăi̯áscă… « Ce berger se mit à crier » –Și vicní țéla picuráru… « Et ce berger s’écria… » ;
budăíri –budníri:Cálu cățǫ́ si budăi̯áscă « Le cheval se mit à courir » –Si budní și i̯éł după tšítšă-sa « Il partit en courant lui aussi après son oncle ».
D’après le même auteur, l’indicatiffutur, leconditionnel présent et le conditionnel passé n’ont pas de formes spécifiques mais sont exprimés par des formes mentionnées ci-dessus et despériphrases.
P. Atanasov[36] distingue en plus des formes ci-dessus, l’indicatif futur, le subjonctif plus-que-parfait, le conditionnel présent et le conditionnel imparfait. Il mentionne aussi la construction provenant du latinVOLO « je veux » + infinitif, ayant en mégléno-roumain la valeur duprésomptif passé.
L’infinitif a également une forme brève, sans-ri, rarement utilisée et, à la différence du roumain, sans lemorphèmea.
Emplois de l’infinitif :
Avec desverbes modaux:Ti póț dúțiri « Tu peux partir »,Trubăi̯á jutári țístu óm « Il fallait aider cet homme ».
Avec la prépositiondi, il a la valeur de l’adjectiffrançais dérivé du verbe avec le suffixe « -able/-ible » :Nú-i̯ di viruíri « Ce n’est pas croyable ».
Il dénomme l’action, à la façon du nom français dérivé du verbe avec « -age » ou « -ment » :Si údi lătrári di cắni « On entend un aboiement de chien ».
Il exprime, sous l’influence de constructions existant en macédonien, enalbanais et en aroumain, une action immédiatement antérieure à celle du verbe régent :
Únă culcári, zădurmíi̯ « Dès que je me fus couché, je m’endormis » (litt. « Une coucher, je m’endormis »);
Cu viníri cásă, si discălțắ și si culcắ « Dès qu’il fut rentré, il se déchaussa et se coucha » (litt. « Avec venir maison, … »).
L’indicatif imparfait ressemble beaucoup à celui du roumain, aussi bien dans sa forme que dans son emploi :
căntám « je chantais »
căde̯ám « je tombais »
băte̯ám « je battais »
durme̯ám « je dormais »
căntái̯
căde̯ái̯
băte̯ái̯
durme̯ái̯
căntá
căde̯á
băte̯á
durme̯á
căntám
căde̯ám
băte̯ám
durme̯ám
căntáț
căde̯áț
băte̯áț
durme̯áț
căntáu̯
căde̯áu̯
băte̯áu̯
durme̯áu̯
L’indicatif passé simple est beaucoup plus fréquent en mégléno-roumain qu’en roumain pour exprimer une action accomplie dans le passé, et il présente par rapport à celui du roumain certaines particularités de forme semblables à celui de l’aroumain.
Dans la langue parlée, ce temps verbal à une autre valeur que celle du passé composé. Le passé simple exprime un fait certain, dont le locuteur a été témoin :G’órg’i viní din América « G’órg’i est revenu d’Amérique » (litt. «…vint… »)[38].
L’indicatif passé composé se forme de manière analogue à celui du roumain, avec leverbe auxiliaireve̯ári « avoir » à l’indicatif présent, mais il a des valeurs spécifiques par rapport au passé simple, tout aussi fréquent. Ses valeurs sont exprimées par la place de l’auxiliaire : devant ou après le participe du verbe à sens lexical :
Devant le participe, l’auxiliaire est aux formes qu’il a lorsqu’il est employé avec son sens lexical, et il est accentué :
ám ái̯ ári vém / vi̯ém véț / vi̯éț / áu̯
căntát(ă) căzút(ă) bătút(ă) durmít(ă)
Le participe avecă, qui est normalement sa forme de féminin singulier, mais dans ce cas n’a pas ce sens grammatical, est une caractéristique des parlers de Umă et de Țărnareca.
Avec l’auxiliaire préposé, le passé composé exprime une action accomplie dans le passé, comme le passé simple, mais dont le locuteur n’a pas été témoin, constatant personnellement le fait à un moment ultérieur à son accomplissement :G’órg’i ári vinítă din América « G’órg’i est revenu d’Amérique »[38].
L’auxiliaire placé après le participe a des formes brèves, non accentuées :
căntát căzút bătút durmít
-am -ai̯ -au̯ -am -aț -au̯
Avec cette forme, le locuteur exprime le fait qu’il n’a pas été témoin de l’événement, il n’a pas constaté non plus son accomplissement à un moment ultérieur, mais qu’on le lui a relaté :G’órg’i vinít-ău̯ din América « (Il paraît que) G’órg’i est revenu d’Amérique »[38].
Remarques :
L’auxiliaire a des variantes de prononciation :-ăm, -ăi̯, -ău̯, -ăm, -ăț, -ău̯.
Les verbesintransitifs exprimant un mouvement peuvent être mis au passé composé avec l’auxiliaireíri également, le participe étant accordé avec lesujet. Cette analogie avec le français est une coïncidence, la forme verbale du mégléno-roumain étant une influence du macédonien. Exemple avec le verbeviníri « venir » :
sam / săm i̯eș ăi̯ / i̯ásti im iț sa / să
vinít vinítă viníț viníti
Il y a aussi unpassé surcomposé, avec l’auxiliaireve̯ári au passé composé + le participe du verbe à sens lexical. Cette forme exprime l’antériorité par rapport à un verbe au passé composé :Tu vút-ăi̯ măncát cǫn vinít-ău̯ i̯ắł « Tu avais mangé quand il est venu » (litt. « Tu as eu mangé… »)[23].
L’indicatif plus-que-parfait se forme tout à fait différemment qu’en roumain, où il est synthétique. En mégléno-roumain, il se forme comme en français, avec le verbe auxiliaire à l’indicatif imparfait + le participe du verbe à sens lexical. Cela aussi est dû à l’influence du macédonien. Exemple :
ve̯ám ve̯ái̯ ve̯á ve̯ám ve̯áț ve̯áu̯
căntát căzút bătút durmít
Le plus-que-parfait aussi peut se construire avec le verbeíri « être », y compris dans le cas des verbestransitifs, ce qui est une autre influence du macédonien. Exemple avec le verbemăncári « manger » :
Un autre moyen d’exprimer le futur est avec le verbe auxiliaireve̯ári « avoir » à l’indicatif présent + le verbe à sens lexical au subjonctif présent :am si véd « je verrai ».
Le moyen le plus fréquent d’expression du futur est la forme de subjonctif présent seule, le contexte étant nécessaire pour distinguer le sens de futur. Exemples :
I̯ó si va ’ncurún, ca napcúm si fáțiț făme̯ál’ « Je vous marierai pour que vous fassiez de nouveau des enfants » (litt. « Que je vous marie… »;
Táț, mul’ári, ca si ti turés ăn váli! « Tais-toi, femme, sinon je vais te jeter dans la vallée ! » (litt. «… que je te jette… »).
Le subjonctif présent ressemble beaucoup à celui du roumain :
să cǫ́nt « que je chante »
să lucréz « que je travaille »
să cád « que je tombe »
să bát « que je batte »
să dórm « que je dorme »
să sirbés « que je serve »
să cǫ́nț
să lucréz
să cáz
să báț
să dárm
să sirbéș
să cǫ́ntă
să lucre̯áză
să cádă
să bátă
să do̯ármă
să sirbe̯áscă
să căntǫ́m
să lucrǫ́m
să cădém
să bátim
să durmím
să sirbím
să căntáț
să lucráț
să cădéț
să bátiț
să durmíț
să sirbíț
să cǫ́ntă
să lucre̯áză
să cádă
să bátă
să do̯ármă
să sirbe̯áscă
Remarques :
Au premier groupe, toutes les formes personnelles sont identiques à celles de l’indicatif présent.
Au même groupe, les verbes qui ont à l’indicatif présent les désinences alternatives-um et-iș, les ont au subjonctif présent aussi :să ántru / să ántrum « que j’entre »,să ántri / să ántriș « que tu entres ».
La conjonctionsă a la variantesi qui, liée au mot suivant, prend la formes-. Le subjonctif peut donc se présenter comme suit :să mi dúc « que je m’en aille »,si ạncálic « que je monte à cheval »,s-na dúțim « que nous nous en allions ». La conjonction sous la formes- peut se voiser si elle est suivie d’uneconsonne voisée :z-vin « que je vienne ».
Le subjonctif passé se forme autrement qu’en roumain, avec l’auxiliaireve̯ári « avoir » au subjonctif présent[39] et le participe du verbe à sens lexical :
să / si
am ái̯ ái̯bă vém véț ái̯bă
căntát căzút bătút durmít
Selon Capidan[40] et P. Atanasov[36] il y a aussi unsubjonctif imparfait ayant la forme de l’indicatif imparfait utilisée avec la conjonctionsă / si :si căntám « que je chantasse ». D’après P. Atanasov il y a de plus unsubjonctif plus-que-parfait, de l’indicatif plus-que-parfait avec la conjonctionsă / si[36].
Le conditionnel présent se forme avec le verbe auxiliairevre̯ári « vouloir » à la troisième personne du singulier (vre̯á) qui reste invariable, et le subjonctif présent du verbe à sens lexical :vre̯á să cǫ́nt « je chanterais ».
On l’exprime également avec la forme de l’indicatif présent précédée de la conjonction d’origine macédonienneácu (variantecú) :ácu / cú cǫ́nt « si je chantais ». Une autre conjonction macédonienne sert à exprimer la même valeur, mais avec le subjonctif présent du verbe :túcu si cǫ́nt. En phrase :Túcu si-ń fácă țe̯ásti tšǫ́fti Dómnu u̯ói̯, cári si tre̯ácă pri u̯á, nú la lás nidát « Si le Seigneur me transformait ces corneilles en moutons, quiconque passerait par là, je ne le laisserais pas partir sans lui donner quelque chose ».
Le conditionnel imparfait[41] a la forme du subjonctif passé précédé de l’auxiliairevre̯á invariable :vre̯á să ám căntát « j’aurais chanté ».
Le passé de ce mode s’exprime aussi avecácu / cú + indicatif imparfait et avectúcu + subjonctif imparfait :ácu / cú căntám outúcu si căntám « si j’avais chanté »[40]. En phrase :Túcu si dám la tóț, la míni nu rămăne̯á țivá « Si j’en avais donné à tous, à moi il ne me serait rien resté ».
Le présomptif existe aussi en mégléno-roumain mais il se forme autrement qu’en roumain. Son présent se forme de l’infinitif du verbe à sens lexical précédé de l’auxiliairevă (troisième personne du singulier de l’indicatif présent devre̯ári « vouloir ») :I̯ăł vă tăl’ári le̯ámni cló « Il est peut-être en train de couper du bois là-bas ».
La forme du présomptif passé estvă +ve̯ári « avoir » + participe :Țe̯áști pipérchi să to̯áti ársi, vă ve̯ári căzútă brúmă « Ces piments sont tous brûlés, il aura tombé du givre ». Ce sens peut être exprimé avec l’auxiliaireíri « être » aussi :Vă íri culcát « Il se sera couché »[36].
Le gérondif est peu utilisé. Son suffixe hérité du latin est suivi d’un autre suffixe à trois variantes (-ăra,-ura et-urle̯á), dont l’origine est inconnue[42]. Exemples :plăngǫ́ndăra « en pleurant »,lăgǫ́ndura « en courant »,stiníndurle̯a « en soupirant ».
Sous influence macédonienne, l’ordre des mots dans legroupe nominal est en généraldéterminant ou/etépithète, ou bien complément du nom possesseur exprimé par un nom + nom déterminé :méu̯ stăpǫ́n « mon maître »,țísta drác(u) « ce diable »,unăno̯áu̯ă cásă « une nouvelle maison » ou « une maison neuve »,lu ạmpirátu íl’ă « la fille de l’empereur ».
L’adjectif démonstratif est le plus souvent suivi du nom avec article défini (țísta drácu « ce diable »,țe̯á vále̯a « cette vallée »,țíșta fráțil’ « ces frères ») mais parfois le nom est sans article :țísta drác.
À la différence du roumain, le COD exprimé par un nom de personne n’a pas de préposition :Să dărǫ́m ună cárti să la pę́ră fitšóru picuráril’ « Faisons une lettre, pour que les bergers tuent le garçon ».
L’anticipation ou la reprise du COD par un pronom personnel conjoint lui correspondant sont plus fréquents qu’en roumain, étant pratiquées pour les inanimés aussi. Exemples :
Pidúcl’ulạu̯ bii̯ú sắndzili… pói̯aạu̯ tăl’áră pidúcl’ul « Le pou but le sang… puis ils tuèrent le pou » (litt. « Le pou le but le sang… puis le coupèrent le pou ») ;
Dǫ́-ńl’a tǫ́l’ cǫ́ń ástăz, i̯ó si-țl’a dáu̯ mél’ la tíni « Donne-moi tes chiens aujourd’hui, moi je te donnerai les miens à toi » (litt. « Donne-moi les tes chiens…, moi que te les donne les miens… » ;
Țí zúu̯ă său fáțim núnta? « Quel jour qu’on fasse le mariage ? » (litt. « Quel jour que le fassions le mariage ? ») ;
Bărbátuu ạnvărte̯áști cása « C’est l’homme qui assume les difficultés du ménage » (litt. « L’homme la fait tourner la maison »)[43]
Au degré comparatif, le terme de comparaison est introduit par la conjonctiondi et l’adverbemai̯ « plus » est devant le verbe plutôt que devant l’adjectif :Cárne̯a di curșútămai̯ nú-i̯ búnă di lu țérbu « La viande de chevreuil n’est pas meilleure que celle du cerf ». Au superlatif, c’est le mêmedi qui est devant le mot englobant le mot caractérisé :nai̯márli di tóț « le plus grand de tous ».
Lelexique mégléno-roumain conserve quelques mots de sonsubstratthraco-dace, la plus grande partie de son lexique de base est hérité du latin et il s’enrichit d’une part avec des emprunts des langues voisines, d’autre part avec des mots créés sur son propre terrain, surtout pardérivation.
Les mots provenant du substrat du mégléno-roumain sont supposés être ceux qui existent en albanais aussi. Leur majorité se trouve dans les autres idiomes romans de l’est également, par exemplenăprǫ́tcă / năprắtcă « orvet » etțap « bouc », d’autres seulement en mégléno-roumain, par exempledaș « agneau tenu près de la maison pour les enfants ».
Les mots hérités du latin sont moins nombreux qu’en aroumain mais plus nombreux qu’en istro-roumain[44]. La liste Swadesh de 207 mots du mégléno-roumain est à 90,33 % de cette origine. Certains mots hérités du latin ne se retrouvent pas dans les autres idiomes romans de l’est, par exempledărto̯ári « hachette » (<DOLATORIA),sirbíri (<SERVIRE) « servir, travailler »,urdinári (<ORDINARE) « ordonner, ranger ». En mégléno-roumain, le motcorp « corps » aussi est hérité, alors qu’en roumain il est emprunté avec la même forme au latin ou au français[45].
Les emprunts les plus anciens sont slaves, communs avec les autres idiomes romans de l’est, par exemplegol « vide, nu »,lupátă « pelle »,de̯ál, « colline »,drag « cher ». Les emprunts slaves ultérieurs sont d’origine macédonienne. On distingue parmi ceux-ci des mots plus anciens, utilisés dans tous les parlers, par exempletšítšă « oncle »,mátšcă « chat »,trăpíri « supporter » ; et plus récents, existant seulement dans les parlers de la Macédoine du Nord :bólniță « hôpital »,dóguvor « accord, contrat »,voz « train ».
Le mégléno-roumain a adopté des mots grecs aussi, mais moins nombreux que l’aroumain. Certains sont plus anciens et généraux, par exempleacsén / ăcsén « étranger » etpíră « flamme », d’autres sont plus récents et utilisés seulement en Grèce, par exemplefos « lumière »,dechéoma « justice » etrévmă « courant (électrique) ».
Les emprunts au turc sont les plus nombreux par rapport à ceux des autres idiomes romans de l’est[23], en général communs avec ceux du macédonien :báftšă « jardin »,isáp « compte »,itš « nullement ».
La plupart des suffixes sont d’origine latine. Certains sont appliqués à des mots communs avec les autres idiomes romans de l’est, d’autres à des mots communs mais sans que le dérivé soit présent en roumain, d’autres encore à des emprunts faits par le mégléno-roumain (les exemples sont dans cet ordre) :
-úră :bii̯utúră « boisson, le fait de boire »,măncătúră « nourriture, le fait de manger »,nărăntšătúră « le fait de donner des ordres ».
Les suffixes non latins sont adoptés avec des emprunts d’une certaine langue mais les productifs sont appliqués à des mots hérités et à des emprunts à d’autres langues également (exemples dans cet ordre).
Suffixes slaves anciens :
-án :vrăptšán « moineau »,mijlucán « frère entre le cadet et l’aîné » ;
La plupart des préfixes sont slaves. Certains n’ont qu’un sens grammatical, celui d’exprimer des aspects et des modes d’action (voir plus hautAspects et modes d’action), d’autres changent en même temps le sens lexical du verbe, tels :
nă- [măncári « manger » >nămăncári « (se) rassasier »] :Vę́ un izmichi̯ár ți nu pǫ́ti sănămănáncă di pǫ́i̯ni « Il avait un serviteur qu’il ne pouvait pas rassasier de pain » ;
ni- est négatif :nibún « fou » (litt. « pas bon »),lémnnidurát « bois non travaillé » ;
răz- exprime la séparation ou la distribution (dári « donner » >răzdári « distribuer »):Răzde̯ádi dǫ́u̯ă plățínț « Il/Elle distribua deux galettes (en tant qu’aumône) ».
↑L’ethnonyme « Valaques » est également adopté par une partie desIstro-roumains. Il peut créer des confusions, d’autant plus qu’il est utilisé par lesGrecs, lesSerbes et lesBulgares pour lesAroumains aussi, et par les Serbes et les Bulgares y compris pour lesRoumains de la vallée duTimok.
↑Catégorie de pronom-adjectif démonstratif prise en compte par les grammaires du roumain, qui comprend le pronom au sens de « l’autre, les autres » (cf. Avram 1997,p. 179).
Sala, Marius (dir.),Enciclopedia limbilor romanice [« Encyclopédie des langues romanes »], Bucarest, Editura Științifică și Enciclopedică, 1989,(ISBN973-29-0043-1)