
Leluxemburgisme (également orthographiéluxembourgisme) est un courant politiquecommuniste et révolutionnaire. Son nom dérive de celui deRosa Luxemburg, théoriciennemarxiste, figure de l'aile gauche duParti social-démocrate d'Allemagne, puis dirigeante de laLigue Spartakus et fondatrice duParti communiste d'Allemagne, avecKarl Liebknecht. Ils furent tous deux assassinés après l'échec de l'insurrection de Berlin, en janvier1919.
Le terme de« luxemburgisme » apparaît du vivant de Rosa Luxemburg[1], mais c'est principalement après sa mort qu'il est associé à des courants politiques se réclamant, à divers titres, de ses idées. Historiquement, le luxemburgisme apparaît moins comme un mouvement structuré que comme un courant intellectuel présent dans divers groupes — « gauchistes »,trotskistes,« libertaires » ouconseillistes — aux positions parfois opposées[2],[3].

Rosa Luxemburg, de son vivant, est une figure importante de l'aile gauche duParti social-démocrate d'Allemagne (SPD) ; elle avait également une influence importante sur les partis polonais (SDKPiL, avecLeo Jogiches) et hollandais (viaAnton Pannekoek). À compter de la guerre de 1914, elle est associée au courant« spartakiste » ; la « Ligue spartakiste » (Spartakusbund), fraction d'extrême gauche du SPD, rassemble des opposants au conflit. Outre Rosa Luxemburg, elle compte des personnalités commeKarl Liebknecht,Franz Mehring,Clara Zetkin,Paul Levi ouLeo Jogiches qui supervise la diffusion de sa presse clandestine. Après l'exclusion des spartakistes du SPD, la Ligue devient une tendance de l'USPD. Les spartakistes participent à larévolution allemande de 1918, et à la fondation duParti communiste d'Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands, KPD), du au.
Passionnément opposée à laPremière Guerre mondiale et défendant une optiqueinternationaliste, Rosa Luxemburg s'oppose en outre aux idées deLénine en matière d'organisation du parti. Elle se veut fidèle à la conception deKarl Marx selon laquelle« l'émancipation des travailleurs doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes » : à l'autorité centrale duparti, Rosa Luxemburg oppose lesgrèves de masse spontanées, qui expriment à ses yeux la capacité desouvriers à prendre leur propre destin en main. Elle désapprouve également l'idée d'insurrection armée, qui revient à déclencher artificiellement la révolution, et écrit en 1918 :« La révolution prolétarienne n'a nul besoin de la terreur pour réaliser ses objectifs. Elle hait et abhorre l'assassinat. Elle n'a pas besoin de recourir à ces moyens de lutte parce qu'elle ne combat pas des individus, mais des institutions, parce qu'elle n'entre pas dans l'arène avec des illusions naïves qui, déçues, entraîneraient une vengeance sanglante »[4]. Enfin, elle s'oppose de manière fondamentale aunationalisme, facteur de division, et considère que le groupe social des prolétaires ne doit pas correspondre à unenation, ni être défini en termes de citoyenneté, de race ou d'hérédité, mais s'identifier auprolétariat international, uni par un mode de vie commun ; pour elle, le régime socialiste dans lequel les individus seront liés par« l'harmonie et la solidarité » aboutira ainsi à la création d'une« nation » par consentement commun[5].
Le, soit deux semaines après la fondation du KPD, et à la suite de l'échec de larévolte spartakiste de Berlin, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassinés par des militaires ; Leo Jogiches est lui aussi assassiné en mars et Franz Mehring meurt la même année.Paul Levi, ancien compagnon de Rosa Luxemburg et défenseur de ses idées, occupe un temps la présidence du KPD, et se montre soucieux d'indépendance vis-à-vis des directives de l'Internationale communiste : il juge que le parti communiste doit adapter sa tactique au contexte de reflux de la vague révolutionnaire en Europe, et propose un programme commun entre le KPD, l'USPD et les syndicats. Mais sa ligne est qualifiée d'« opportuniste » par ses adversaires au sein du parti, appuyés par Moscou. Dès le début de1921 il est contraint de quitter la présidence du KPD ; il est exclu du parti quelques mois plus tard, pour avoir critiqué latentative de coup de force de mars 1921, et plus largement la politique de l'Internationale communiste[6].
Les idées de Rosa Luxemburg sont ensuite revendiquées, à divers degrés, par des courants marxistes de laGauche communiste, qui s'opposent à l'idée du parti strictement organisé et hiérarchisé prôné par Lénine. L'expression« luxemburgistes » était parfois utilisée, du vivant de Rosa Luxemburg, pour désigner les partisans de cette dernière[1] ; l'expression réapparaît ensuite vers1925, pour désigner et dénoncer les communistes opposés à la« bolchevisation » - soit à la reprise en main organisationnelle et à la pratique du centralisme bureaucratique - voulue par la direction de l'Internationale communiste. Le« luxemburgisme » est dès lors considéré comme une alternative aucentralisme démocratique duléninisme, doctrine imposée aux partis communistes par l'Internationale : il est sévèrement condamné par l'IC - au même titre que letrotskisme auquel il est vite assimilé ou amalgamé - en tant qu'orientation politique s'écartant de la théorie léniniste. En1931,Staline condamne à nouveau le« luxemburgisme », en affirmant qu'il a une parenté idéologique avec le trotskisme et lemenchevisme. Dès lors, et pour plus de vingt ans, Rosa Luxemburg est considérée comme une déviationniste enURSS et dans l'ensemble de la mouvance communistestalinienne[2].
Les auteurs duDictionnaire critique du marxisme (1982) jugent cependant qu'« il n'y a pas de luxemburgisme », au sens oùRosa Luxemburg n'a pas élaboré de système idéologique élaboré, qui pourrait fournir une doctrine alternative au léninisme. Sur de nombreux points - fidélité aumarxisme,socialisation desmoyens de production, lutte contre les« contre-révolutionnaires », hostilité aux compromis de lasocial-démocratie avec labourgeoisie - Rosa Luxemburg est en effet en accord avec Lénine. La divergence majeure entre Rosa Luxemburg et Lénine concerne l'organisation duparti, Lénine insistant sur la cohésion doctrinale, la discipline et l'importance de l'organisation, tandis que Rosa Luxemburg met au premier plan la démocratie interne et la liaison avec les masses. D'autres désaccords concernent d'une part la question nationale - Lénine affirme ledroit des peuples à disposer d'eux-mêmes, tandis que Rosa Luxemburg, qui défend uninternationalisme radical, considère ce mot d'ordre comme bourgeois ; et d'autre part la paysannerie - Lénine préconise l'alliance des ouvriers et des paysans, tandis que Rosa Luxemburg se méfie des attitudes rétrogrades des paysans. Par ailleurs, on a parfois voulu trouver un fondement idéologique au luxemburgisme dansL'Accumulation du capital, ouvrage dans lequel Rosa Luxemburg théorise une limite absolue ducapitalisme, qui sera condamné du fait de ses contradictions internes le jour où il recouvrira tout le globe et ne pourra plus absorber d'autresmodes de production[2].
Les courants se réclamant du luxemburgisme se distinguent par la revendication d'une certainespontanéité révolutionnaire du prolétariat, l'attachement à la démocratie ouvrière et à la démocratie interne, ainsi que par la critique de la question nationale et du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ». L'inspiration luxemburgiste a été revendiquée dans lesannées 1930 en Allemagne parPaul Frölich et une partie duSAPD ; avant et après-guerre en France parRené Lefeuvre,Alain Guillerm,Daniel Guérin ou encoreDaniel Singer. C'est notamment à partir desannées 1960 que l'inspiration de Rosa Luxemburg et de ses idées est à nouveau revendiquée par un ensemble de courants, opposés au communisme autoritaire d'inspiration soviétique[2], et qui voient dans le« luxemburgisme » un modèle politique qui respecterait la volonté des« masses » et concilieraitsocialisme etdémocratie[7]. D'idéologies diverses, les groupes qui s'en revendiquent ont cependant de Rosa Luxemburg des visions divergentes : certains en font une apôtre de la liberté pour tous, une« citoyenne du monde », voire une« libertaire » ; d'autres voient en elle le défenseur inconditionnel d'uneRépublique des conseils, contre le centralisme imposé par lesbolcheviks. Cependant, si Rosa Luxemburg s'est, au moment de larévolution allemande, prononcée pour le pouvoir desconseils ouvriers, elle n'a pas théorisé leur rôle ni leur fonction[2].
Lecommunisme de conseils, qui n'a, par définition, pas vocation à s'incarner dans des organisations structurées, est marginalisé dès1921[8] et les internationales fondées par des groupes liés à laGauche communiste n'ont qu'une existence éphémère. Malgré son aura auprès de certains intellectuels et militants, le luxemburgisme n'a, historiquement, qu'une influence réduite et c'est autrotskisme, courant issu du léninisme, qu'il revient de constituer la principale tendance communiste anti-stalinienne[9]. Alors que le luxemburgisme est dénoncé par l'Internationale communiste,Rosa Luxemburg elle-même est, après laSeconde Guerre mondiale, réhabilitée au sein dubloc de l'Est ; elle fait en particulier l'objet d'un« culte » enAllemagne de l'Est - régime dont plusieurs dirigeants, commeWalter Ulbricht etWilhelm Pieck, sont eux-mêmes issus des rangs spartakistes, mais convertis ensuite au stalinisme. La mémoire de Rosa Luxemburg se trouve donc, durant laguerre froide, honorée par les mêmes responsables communistes qui avaient auparavant interdit ses écrits, et par des régimes politiques dont l'idéologie est opposée à celle de la tendance luxemburgiste[10].
Les luxemburgistes se retrouvent aujourd'hui, en France, au sein de différents courants communistes et syndicaux. Ils y défendent les principes de ladémocratie directe, de la lutte collective pour l'abolition du capitalisme et dusalariat, et se réclament notamment deKarl Marx,Rosa Luxemburg,Karl Liebknecht,Clara Zetkin, et parfois deAnton Pannekoek,Herbert Marcuse, ouGuy Debord. Les idées de Rosa Luxemburg demeurent revendiquées par des tendances politiques très diverses et parfois opposées ; l'historien léninisteGilbert Badia juge pour sa part que le luxemburgisme« appauvrit toujours la pensée de Rosa Luxemburg, et ne rend nullement compte de la personnalité si riche de cette révolutionnaire »[2].
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