Lalutte du Larzac (Luta del Larzac enoccitan) est un mouvement dedésobéissance civilenon violente contre l'extension d'uncamp militaire sur lecausse duLarzac qui dura une décennie, de1971 à1981, et qui se solda par l'abandon du projet sur décision deFrançois Mitterrand, nouvellement éluprésident de la République.
L'opposition s'est d'abord organisée autour de 103paysans locaux qui se sont soulevés contre l'expropriation de leurs terres à la suite du projet duministre de la Défense,Michel Debré (UDR), sous la présidencePompidou, d'agrandir lecamp militaire du Larzac de3 000 à17 000 hectares, ce qui aurait concerné une douzaine decommunes. En 1973, cinq ans aprèsmai 1968, entre 60 000 et 100 000 personnes de différents courants convergèrent vers le Larzac pour soutenir les paysans et former un mouvement hétéroclite qui livrera une « guerre d'usure »[1] aux pouvoirs publics. Les rassemblements et le réseautage national résultant de la convergence des luttes au Larzac seront le terreau de ce qui sera plus tard connu comme lemouvement altermondialiste français[2].
Deux villages emblématiques sont devenus célèbres pour les mêmes raisons deux ans avant le combat des paysans du Larzac contre l'extension du camp militaire. Lesagriculteurs résistant au projet de super-station de ski àCervières (Hautes-Alpes) et les bergers du village sarde d'Orgosolo, contraints detransférer leur bétail à cause d'un champ de tir font figure de précurseurs à la lutte du Larzac[3].
ÀOrgosolo, la mobilisation a causé le retrait du projet en seulement trois jours. Le prestige découlant de cette victoire relance la peinture murale dans une soixantaine de villages où avait lieu latranshumance en Sardaigne[4]. Le« mouvement muraliste »[4] d'origine mexicaine, porté par cette révolte des bergers sardes et qui s'est diffusé dans ces villages est devenu uneimportante attraction pour les visiteurs de la région, contribuant autourisme en Sardaigne.
ÀCervières (Hautes-Alpes), la mobilisation desagriculteurs et éleveurs emporte aussi la victoire après des manifestations et le soutien du vulcanologueHaroun Tazieff[5], avec l'abandon du projet de station de ski.
Le[6], lors d'un congrès de l'Union des démocrates pour la république (UDR), parti alors au pouvoir, àLa Cavalerie,André Fanton, secrétaire d'État à la Défense nationale, avait déjà évoqué une probable extension du camp militaire. Le député de l'AveyronLouis-Alexis Delmas, en pleine campagne électorale pour l'UDR déclare dans le journalLe Monde du :« PourMillau, qui a du mal à survivre, l'extension du camp est sans doute la dernière chance ». La liste UDR, qui soutient le projet d'extension, remporte lesélections municipales du 14 et 21 mars. Rapidement, la résistance s'organise[7].
Le, Michel Debré, ministre de la défense nationale à ce poste depuis le début de la présidence de Georges Pompidou en 1969, annonce formellement dans un entretien télévisé l'agrandissement du camp du Larzac, portant sa superficie de3 000 à17 000 hectares (de 30 à 170 km2), concernant douze communes aux alentours deLa Cavalerie et nécessitant l'expropriation partielle ou totale de leurs terres des familles d'agriculteurs.17 000 hectares représentent plus d'un sixième des100 000 hectares de la totalité desCausses du Larzac. Son argumentation dans les mois suivants présentera une« extension modérée » qui sera« non seulement très utile à la défense nationale […] » mais apportera à la région du Larzac un« apport économique positif » comme l'amélioration de l'électrification rurale, de l'adduction d'eau et de lavoirie[8]. L'extension du camp d'entraînement militaire, qui existe depuis 1902, est justifiée par la saturation des capacités d'accueil des camps militaires ainsi que par la volonté de disposer d'une force militaire proche duplateau d'Albion, lieu du site de lancement demissiles nucléairessol-solbalistiques de laforce de dissuasion nucléaire française[9].
« Qu'on le veuille ou non, la richesse agricole potentielle du Larzac est quand même extrêmement faible. Donc je pense qu'il était logique de considérer que l'extension du Larzac ne présentait que le minimum d'inconvénients. Alors la contrepartie c'est le fait qu'il y a quand même quelques paysans, pas beaucoup, qui élevaient vaguement quelques moutons, en vivant plus ou moins moyen-âgeusement, et qu'il est nécessaire d'exproprier »
— André Fanton, secrétaire d'État à la Défense[10].
Les autorités sont d'autant plus motivées à procéder à cette extension à cet endroit que le Larzac était une région très peu peuplée : elle a été durement touchée par l'exode rural et a perdu les deux tiers de sa population entre1866 et1968[1]. Les autorités affirment qu'il n'y a que 23 exploitations peu rentables qui devront être totalement expropriées et que leurs propriétaires seront relogés et indemnisés. Les paysans concernés arguent que les données des autorités sont datées et qu'elles ne prennent pas en compte l'arrivée des « néo-ruraux » qui, depuis 1965, rénovent des fermes laissées quasiment à l'abandon, en en améliorant le rendement. En outre, la méthode de comptage ne concerne que les propriétés totalement expropriées, sans compter celles où on laisse un lieu de vie pour les habitants en expropriant leur terrain de travail, ce qui concernerait en tout entre cinquante et soixante exploitations[11].
De fait, en 1971 environ 90 000 moutons étaient en pâturage sur le plateau ; un cinquième du cheptel, près de la moitié de la production de lait concernant 108 paysans étaient menacés par le projet d'extension[12]. En outre, les éleveurs de brebis et producteurs deroquefort, attachés à leurruralité, contestent que l'agrandissement du camp soit créateur d'emplois parce qu'« il s'agit que d'un camp d'entraînement où les unités ne feront que passer »[13] et doutent de quelconques retombées positives.
La première manifestation d'envergure a lieu le àMillau où 6 000 personnes se rendent à l'appel desfédérations départementales des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA)[7],[9].
Au départ la lutte, quoique très locale, était déjà très diverse. Outre les paysans implantés depuis des générations et à qui« on va prendre la terre de leurs parents, de leurs grands-parents », se trouvaient là les nouveaux exploitants agricoles, plus jeunes, parfois très endettés auCrédit Agricole depuis leur projet d'installation[14]. Bien que les désaccords entre eux soient nombreux, beaucoup sont membres de laJeunesse agricole catholique (JAC) devenuMouvement rural de jeunesse chrétienne ou/et de laFDSEA. Léon Maillé, 25 ans à l'époque, raconte :« j'étais un paysan ordinaire : je votais à droite, j'allais à la messe, j'étais un indigène, pure souche ! »[15]. Les institutions catholiques locales deviendront un soutien qui rassemblera les gens : le, l'évêque de Rodez prend position contre l'extension du camp[16].
Malgré les divergences, 103 paysans, sur 108 concernés, signent un accord entre eux, le, selon lequel ils resteront solidaires dans leur lutte et que« pas un agriculteur ne sera chassé contre son gré… »[15]. C'est le « serment des 103 » appelé aussi « pacte des 103 »[17]. Pour la fête nationale, le, 20 000 personnes[9] et 70 tracteurs manifestent àRodez.
Aux paysans vont bientôt s'ajouter des militants de tous bords, séduits par le voletantimilitariste de la contestation, en premier lieu desquels desgauchistes, desmaoïstes, desouvriers et des syndiqués de laCFDT, alors proche de ladeuxième gaucheauto-gestionnaire.
Le seul parti représenté est leParti socialiste unifié (PSU), lui aussi membre de la deuxième gauche, ainsi que quelques représentants de laLigue communiste,trotskyste. Desnationalistes occitans sont également présents pour protester contre un« génocide culturel de l'Occitanie par le colonialisme intérieur »[18]. L'Association de sauvegarde du Larzac et de son environnement, créée en 1971 et présidée par l'instituteur deNant à la retraite, Henri Ramade, revendique toutefois son caractère «apolitique»[7].
Ensuite,« leschevelus, marginaux ethippies de tout poil »[19], éloignés des partis et syndicats, vinrent grossir les rangs de la protestation. La présence de Mouvement pour le Désarmement, la Paix, la Liberté (MDPL), qui prônait l'amour libre, et de nombreuses femmesseins nus, conduisit à un choc culturel important avec les paysans, chrétiens pratiquants d'alors[20].
Le Larzac s'est ainsi inscrit dans larévolution sexuelle en France puisque de nombreusesféministes (dont leMouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception — MLAC — qui effectue un tour de France en caravane et arrive sur le plateau le[21]) prirent part à la résistance. Ceci conduisit à certaines critiques : ainsi, Michel Castaing[22], titra dansLe Monde du :« Le Larzac, vitrine de la contestation »[18].
Ce ralliement de personnes de sensibilités différentes fut à son comble pour un rassemblement le 25 et au lieu-ditRajal del Gorp (« Source du Corbeau » enoccitanrouergat), un cirque natureldolomitique au nord-ouest deLa Cavalerie, et la marche sur le Larzac organisée par les Paysans-travailleurs. Entre 60 000 et 100 000 personnes[9] (cette dernière estimation selon les organisateurs[23]) venant d'un peu partout en France et en Europe convergèrent pour la première fois vers le Larzac. Outre la présence de nombreux orateurs, on remarquait celle de représentants des luttes révolutionnaires au Chili et en Grèce, le premier encore gouverné pour quelques jours parSalvador Allende et le second étouffant sous la chape de plomb de ladictature des colonels (1967-1974), ainsi que d'Italie, alors plongée dans lesannées de plomb. Enfin, deux représentants de l'Armée républicaine irlandaise (IRA) proclament leur solidarité,« quels que soient les moyens choisis », avec les paysans du Larzac. Un militantréunionnais s'en prend à la politique française dans les départements et territoires d'outre-mer. Lors de cette manifestation, la présence policière était minimale, avec seulement un hélicoptère de la gendarmerie survolant le rassemblement.
« La France ne se mobilise pas pour savoir si lanationale 9 sera ou non sous le tir des canons trois mois par an et 325 tonnes de roquefort sacrifiées. 80 000 personnes ne se rassemblent pas d’un peu partout sur le Larzac par œcuménisme vague ou par charité chrétienne : elles se rassemblent parce que les14 000 hectares convoités par l’armée sont le lieu de représentation d’un débat philosophique fondamental, parce qu’en cette affaire, c’est d’eux-mêmes qu’il s’agit, de leur avenir, du monde où ils veulent vivre »
— Michel Le Bris, auteur deLes Fous du Larzac (1975)[24]
Un an plus tard, le 17 et, encore plus de monde se mobilise pour la seconde édition duRajal del Gorp : plus de 100 000 personnes (selon les organisateurs[23]) se rendent sur le plateau pour une fête des moissons intitulée « Moisson Tiers-monde ». Lors de cette manifestation, le premier secrétaire duPS,François Mitterrand, se fait « caillasser » par des militantsmaoïstes (et desagents provocateurs en civil[10]) qui contestaient sa présence.
Le 13 et se déroula un nouveau rassemblement d’environ 50 000 personnes (selon les organisateurs[23]) auRajal del Gorp, suivi d'un défilé d’une centaine de tracteurs sur lesquels prennent place desappelés du contingent, cagoulés et en uniforme (comités de soldats).
Ayant lieu en été, ces grands rassemblements non violents prenaient des allures defestivals, même si l'accent était davantage à la protestation qu'à la fête. Il y eut quelques concerts oubœufs comme celui deGraeme Allwright au hameau de Montredon (commune deLa Roque-Sainte-Marguerite) en 1973, qui créa plus tard une chanson intituléeLarzac 1975. De par leur ampleur, ces rassemblements ont eu un impact important dans lescontre-cultures des années 1970 en France et en Europe. José Bové parlera de « Woodstock français »[25].
Le, untroupeau de soixantebrebis est conduit par des paysans du Larzac sur les pelouses duChamp-de-Mars à Paris, en prétextant auxgendarmes mobiles qui les interrogent un tournage publicitaire pour leRoquefort[7].
À la suite de la signature du décret déclarant d'utilité publique13 500 hectares du causse du Larzac par lepréfet de l'Aveyron, Georges Badault, le, le collectif décide de monter vers Paris. La marche débute le et fait halte àRodez,Saint-Flour,Clermont-Ferrand,Nevers etOrléans[7] pour rencontrer les comités d'accueil, tenir des meetings et des conférences de presse afin d'éviter l'expulsion[26]. La marche rencontre des difficultés à cause d'interdictions de manifester décrétées dans chaque ville du parcours. Au départ équipés de 26 tracteurs, ils seront bloqués, après une semaine de marche, à Orléans par lesCRS. Alors que laFDSEA en la personne deRaymond Lacombe (président de la section aveyronnaise) voulait renoncer devant la mise en demeure policière,Bernard Lambert, un ancien députéMRP, qui incarne le courantPaysans-Travailleurs proche duPSU, va trouver de nouveaux tracteurs prêtés par des paysans des environs d'Orléans afin que la marche des « 26 du Larzac » puisse arriver à son terme, à Paris[7].
Une nouvelle marche est organisée le où 18 paysans ont marché 710 km en 25 étapes depuis le Larzac. Ils furent soutenus tout le long du trajet par des paysans de la FDSEA et des riverains qui les hébergent. À leur arrivée, 40 000 personnes défilent aux portes de Paris, le centre-ville étant bloqué par les CRS : ce sera la plus grande manifestation de l’année. Un succès malgré la présence de provocateurs en civil. Surtout, les paysans, accompagnés du jeune député PS deParis,Paul Quilès, obtiennent de leur entretien avec le candidat à la présidentielleMitterrand la promesse de « ne pas les oublier »[27] qui se révélera décisive pour la conclusion de leur lutte.
Le, 74 membres de plusieurs familles du Larzac, montés pour une action sous la tour Eiffel, campent sur leChamp-de-Mars. Expulsés au bout de cinq jours, ils continuent leur séjour sur une péniche prêtée par la commune deConflans-Sainte-Honorine jumelée avecCosteraste (un lieu-dit où se trouve uneferme sur le Larzac). Cette campagne de jumelage a débuté en 1979 : ainsi 14 municipalités de l’Hexagone sont jumelées avec des fermes du plateau :
Le, le fondateur de laCommunauté non violente de l’Arche située dans l’Hérault à proximité du Larzac,Lanza del Vasto, âgé de 75 ans, commence unegrève de la faim de 15 jours àLa Cavalerie, sur le Larzac. À cejeûne sont associés des paysans, des habitants de Millau et les évêques de Montpellier et de Rodez.
Labergerie du lieu-ditLa Blaquière (commune de Millau) a aussi fait date dans l'histoire du Larzac. L'éleveur de brebis Auguste Guiraud avait une bergerie de pierre en ruine sur sa propriété de laquelle il devait être exproprié. Il décide d'en construire une nouvelle avec l'Association pour la promotion de l'agriculture sur le Larzac (APAL) pour pérenniser son élevage et réaliser un coup médiatique. Ils posent la première pierre le et construisent la bergerie conformément auplan d'occupation des sols en vigueur mais sanspermis de construire officiel. De nombreux bénévoles viennent prêter main-forte à la famille[28], et l'APAL décide de donner à certains cinqfrancs la journée comme salaire. Malgré de nombreux conflits entre les travailleurs et les éleveurs, la construction de la bergerie est finalement terminée le[29] et inaugurée le.
Une affiche « Ne payez pas vos impôts comme des moutons » invite à soustraire au moins trois pour cent de ses impôts au bénéfice de la résistance des paysans à l’extension du camp. En six ans, plus de cinq mille personnes versent ainsi leur contribution à l'Apal[30],[31].
Pour changer l'image d'un « Larzac peuplé de quelques vieux paysans », une école est ouverte sur le plateau le. Les écoliers locaux, qui devaient auparavant se rendre à Millau, y ont été scolarisés.
Christian de La Malène, députégaullisteUDR deParis, acquiert en 1966 le domaine de Baylet, d'une superficie d'environ 270 hectares, dont la majeure partie sera incluse dans le périmètre prévu pour l'extension ducamp militaire du Larzac. Les paysans qui refusent l'extension sous-entendent là une volonté de spéculation. Publiquement, en 1973, ils labourent et ensemencent les terres. Cette action collective« doit être interprétée comme la volonté de mettre en valeur une terre laissée inculte », déclare le Comité des paysans[32],[33].
Durant tout le conflit, de nombreux militants et sympathisants achètent – sous forme de parts non rémunérées – de petites parcelles des terres visées par les expropriations. De 1973 à 1981, 3 500 militants se sont approprié 6180 parts. Il s'agissait de compliquer le processus d'expropriation par le fait que chaque propriétaire devait légalement signer pour rendre celle-ci effective[34], et certains de ces propriétaires habitaient à l'étranger.
Le, 22 militants et paysans s'infiltrent dans le camp militaire pour y détruire 500 dossiers relatifs à l'enquête parcellaire avant expropriation. Après leur action, les militants sont arrêtés sur place et traduits le lendemain en justice au tribunal de Millau. Ils y sont condamnés à des peines allant de six mois de prison avecsursis à trois mois ferme. Le, plusieurs paysans sont libérés et leurs peines sont suspendues pour trois mois pour cause desécheresse. Les autres condamnés sont mis en liberté provisoire le. La peine maximum effectivement purgée n'aura été que de trois semaines[35].
Le, de nombreux procès ont lieu à Millau contre les paysans du Larzac pour insoumission, renvoi de livrets militaires, entrave à la circulation, etc. Au cours du procès, untroupeau de brebis est introduit dans le tribunal.
De septembre à, la préfecture signe les arrêtés d’expropriation des terrains de 14 communes. En riposte 150 tracteurs agricoles et 5 000 personnes vontlabourer les terrains de l’armée.
En, l’action derenvoi des papiers militaires commencée en 1972 continue et 1 030 livrets militaires sont déposés àStrasbourg à la présidence du Parlement européen ; 3 000 citoyens feront de même[36]. Une nouvelle enquête parcellaire est ouverte en.
L'organisation interne de la résistance avait à la base à sa tête un bureau formel. Quand les assemblées générales sont devenues de plus en plus fréquentes, un bureau composé de « quartiers » (Larzac-Est, Ouest, Nord, Sud et La Cavalerie) se retrouvait. Une règle à laquelle personne n'a dérogé pendant dix ans était que seuls les paysans et habitants du lieu avaient pouvoir de décision dans les assemblées générales. Laprise de décision par consensus a aussi été appliquée pendant tout le conflit, à l'exception des procédures de négociation avec l'État en 1977 qui ont été faitesdémocratiquement. Les réunions étaient d'une fréquence d'au moins une fois par semaine pendant les dix ans[23].
Le collectif a créé des liens avec d'autres actions de désobéissance civile en France sur le thème « Des Larzac partout ! ». En 1972 et 1973, des actions symboliques sont menées pour les ouvriers en grève à Millau. Une autre lutte contemporaine du Larzac sont lesLIP de Besançon et les deux mouvements d'opposition se soutiendront réciproquement. En l'été 1975, ils apportent aussi leur soutien en faveur despaludiers desmarais salants de Guérande.
Le collectif du Larzac soutiendra aussi lacause antinucléaire et soutiendra les résistances contre la construction de centrales àBraud etSaint-Louis en 1975. En 1980, une bergerie est construite sur le site duprojet de centrale nucléaire à Plogoff et les larzaciens y acheminent trente de leurs brebis[37].
On compte 150 comités Larzac[38] (coordinations locales de tous les mouvements militants qui relaient et diffusent les informations et organisent des manifestations locales) qui se créent en France et dans certaines villes européennes. Des porte-parole de ces groupes viennent tous les mois sur le plateau pour une réunion. Le se tient la journée nationale d’action organisée par les Comités Larzac : défilés, meetings, grèves de la faim mobilisent des dizaines de milliers de sympathisants.Jean-Paul Sartre, deux ans avant sa mort, enverra une lettre pour exprimer son soutien :
« Je vous salue paysans du Larzac et je salue votre lutte pour la justice, la liberté et pour la paix, la plus belle lutte de notre vingtième siècle. »
Le paraît le premier numéro du journalGardarem lo Larzac. Il comptera bientôt 4 000 abonnés et sera la gazette de la résistance.
La lutte du Larzac a également une dimensionoccitaniste : défense de l'Occitanie culturelle et de sa langue qu'est l'occitan, parfois en demandant l'autonomie voire l'indépendance[40].
Des référendums locaux seront organisés dans les communes environnantes (Millau,Creissels,La Couvertoirade) en. De 88 à 95 % des électeurs votent « non » à l’extension du camp.
Dans l'été 1979, des centaines de travailleurs bénévoles passent une partie de leurs vacances sur le plateau pour y remettre en état les infrastructures (téléphone, voies de communication, bâtiments).
En, la cour de cassation annule les 66 procédures d’expropriation.François Mitterrand est éluprésident de la République française le et déclare durant leConseil des ministres que le projet d'extension du camp militaire du Larzac est abandonné (conformément à sa promesse faite aux paysans larzaciens le à Paris[27]). Ensuite, pour certains des 450 propriétaires impliqués, tout change de nouveau. Certains remboursent l'État français et récupèrent leurs biens, d'autres, très peu, demandent que l'expropriation aille à son terme[41]. Une logique de spéculation s'était d'ailleurs produite dans les années 1970, favorisée selon l'avocatJean-Jacques de Félice, par des milieux de droite et d'extrême-droite : des responsables politiques avaient acheté des terrains sur le Larzac sachant qu'ils allaient être expropriés, en prévoyant que l'expropriation allait multiplier par 10 la valeur des terrains qu'ils avaient achetés à bas prix[42]. Finalement, il restera un solde de6 300 hectares de terres et bâtiments acquis définitivement par l'État. Cette unité foncière à vocation agricole est alors un cas unique en France parce que d'un seul tenant. Les terres n'ont jamais cessé d'être exploitées durant la lutte que ce soit par les 103, ou par les agriculteurs squatteurs[41].
Dès l'abandon du projet d'extension, les paysans étudient un moyen juridique pour la gestion des6 300 hectares tout en favorisant les nouvelles installations agricoles au lieu de l'agrandissement usuel des fermes existantes. Il prend la forme d'une Commission intercantonale pour l'aménagement foncier du Larzac (CIAF) et d'une Commission Communale d'Aménagement Foncier (CCAF), créées en dans chacune des douze communes. Ces commissions choisissent des candidats à l'agriculture portant des projets nécessitant une grande main-d'œuvre, dans le but d'accroître la population et d'amplifier la vie sociale[41].
Elles permettent le dénombrement des terres disponibles, la répartition et leur classement agronomique. Le rythme de travail est d'une réunion tous les mois.2 800 hectares seront donnés à de nouvelles exploitations. Cela débouchera sur 22 exploitations nouvellement créées en plus du maintien des 103. Des échanges de terres entre paysans ont aussi lieu, créant des îlots cohérents autour des sièges d'exploitation existants avant la lutte. Durant environ 2 ans, la discussion reste collective avec toujours cet esprit de groupe[41].
Puis, après une réflexion commencée en, ce Larzac queBernard Lambert, mort le, appelait le « laboratoire foncier »[43] se concrétise véritablement le avec la création de la Société civile des Terres du Larzac (SCTL)[44] dans un but de gestion des terres du Larzac par un organisme indépendant du pouvoir d’État.
Le conseil de gérance, composé de 11 membres, assume les charges, les impôts fonciers, le lien avec laMSA, etc. Le, les6 300 hectares de terres et bâtiments sont confiés par l'État français à la SCTL parbail emphytéotique de 60 ans[45].
Depuis, la SCTL continue de gérer le territoire resté agricole du projet avorté d'extension du camp militaire du Larzac. Progressivement s'est posée la question de la reconduction du bail au terme des soixante années écoulées car les investissements sont lourds pour un nouvel installé dans l'agriculture et la génération de la Lutte voit sa retraite arriver. Leministre de l'agricultureStéphane Le Foll a signé le, avec trois des gérants de la société civile des terres du Larzac, le prolongement du bail emphytéotique jusqu'en2083[46]. Cet événement a donné lieu à des heurts entre la gendarmerie et certains membres de la SCTL d'un côté et des personnes des comités ZAD (zone à défendre) aveyronnais qui souhaitaient que soit posée à cette occasion au ministre la question duprojet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, autre lieu de lutte symbolique[47]. Cet événement symbolise pour certains la fracture entre l'ancienne génération de LA lutte (celle contre le camp militaire) et la nouvelle qui aspire à en mener d'autres.
Quant aucamp militaire du Larzac, créé en 1902, étendu sur3 000 hectares, la fermeture envisagée dans lesannées 2010[48] n'est pas décidée[49]. En2015 de nouvelles oppositions de la population locale ont lieu contre l'installation d'un régiment de laLégion étrangère[50].
Alors que la lutte a commencé par une mobilisation notabiliaire et proche d'une réaction dite de « nimby » d'une élite locale, les fabricants de Roquefort, elle a pris rapidement une grande ampleur. Selon Sylvie Ollitrault, directrice de Recherche au CNRS-Science Politique, elle est même devenue« fondatrice de l'identité des mobilisations écologistes françaises et a fait écho aux registres d'action des écologistes œuvrant à un niveau international[51] ».
La revueGardarèm lo Larzac[52] (« Nous garderons le Larzac » enoccitan), qui paraît régulièrement depuis 1975, est devenue ainsi un symbole dumouvement altermondialiste français. Le mouvement a aussi contribué à populariser des figures de proue commeLanza del Vasto, fondateur desCommunautés de l'Arche et fortement inspiré par la spiritualité chrétienne, ou Guy Tarlier[53] et,a posteriori,José Bové.
La teneur de laLoi montagne a été inspirée par les luttes sociales en région de montagne, notamment la lutte du Larzac.
En, des paysans du Larzac offrent symboliquement des terres et unecaselle à la communautékanake représentée parJean-Marie Tjibaou, leader du FLNKS.
Pour le30e anniversaire de la mobilisation, en, est organisé au même endroit unforum social qui réunit plusieurs centaines de milliers de personnes.
Plusieurs paysans et personnalités du Larzac contribuent via laConfédération paysanne aux actions syndicales agricoles ou/et aux mouvements de désobéissance civile altermondialiste en France, comme ledémontage du McDonald's de Millau, lalutte anti-OGM viaFaucheurs volontaires ou, plus récemment, lescontroverses sur le gaz de schiste qui concernent le pays larzacien.
Au XXIèe siècle, la lutte du Larzac est une référence historique pour de nombreuxzadistes, notamment ceux de laZAD à Notre-Dame-des-Landes, qui disent largement s'en inspirer[54],[55],[56], soutenus par une partie des paysans et personnalités larzaciennes[57]. Lemouvement occitaniste ayant pris part intégrante à la lutte du Larzac, de nombreuses chansons en occitan traitent de ces événements[58].
La ligne de chemin de fer que l'armée a abandonnée en 1981 avec le projet de camp a été recyclée en mode detourisme durable par levélorail du Larzac. Son parcours reprend ainsi l'ancienne ligne de chemin de fer reliantTournemire (Aveyron) àLe Vigan (Gard), qui passe par la gare deSainte-Eulalie-de-Cernon, sur le modèle dupériple transibérien à vélorail, effectué par l'ouvrier françaisLucien Péraire en 1930, reliantIrkoutsk par les voies dutrans-sibérien sur une bicyclette modifiée auTatarstan[59].
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