Lucy est le surnom d'un spécimenfossile de l'espèceéteinteAustralopithecus afarensis, dont le nom de catalogue estAL 288-1. Ce spécimen appartenant à lalignée humaine a été découvert en 1974 sur le site deHadar, enÉthiopie, par une équipe de recherche internationale. Il date de3,18 millions d'années.
Lucy constitue le premier fossile relativement complet (conservé à 40 %, avec 52 fragments osseux[1]) qui ait été découvert pour une période aussi ancienne, et a révolutionné notre perception des origines humaines, en démontrant que l’acquisition de labipédie datait d'au moins 3,2 millions d’années[2], et avait largement précédé le processus d'accroissement du volume endocrânien.
Cinq campagnes de terrain ont été menées en 1972, 1973, 1974, 1975 et 1976-1977. Les missions successives ont globalement compté une trentaine de chercheurs américains, français et éthiopiens.
Lucy a été découverte au cours de la campagne IARE 1974, le àHadar, sur les bords de la rivièreAwash. Côté français, l'équipe comptait notammentClaude Guillemot (artiste et paléontologue) etRaymonde Bonnefille (paléopalynologue). Le premier fragment du fossile a été repéré par Donald Johanson et Tom Gray, l'un de ses étudiants[4],[5], sur le versant d'une petite colline de la localité A. L. 288[6].
Lucy a été décrite une première fois en 1976[7] mais son attribution à une nouvelle espèce appeléeAustralopithecus afarensis n'a été proposée qu'en 1978 après que Donald Johanson eut récupéré la mandibule d'un fossile découvert àLaetoli, en Tanzanie, à 1 500 km, jugée assez compatible pour lui être rattachée[8],[9]. En 1992, la reconstitution du visage de Lucy est confirmée par la découverte d'un crâne de mâle adulte. En 2006, c'est lesquelette d'un enfant de3 ans découvert en 1999 à quatre kilomètres du site de Lucy, surnommé « bébé de Lucy » par la presse scientifique quoiqu'il soit cent mille ans plus vieux[10], qui confirme la coexistence des caractères simiens et humains[8].
Répertorié sous le nom de code AL 288-1, ce fossile a été surnommé Lucy parce que les chercheurs écoutaient la chanson desBeatlesLucy in the Sky with Diamonds le soir sous la tente, en répertoriant les ossements qu'ils avaient découverts[11]. EnÉthiopie, il est appeléDinqnesh (enamharique :ድንቅ ነሽ,dənəqə näšə), ce qui signifie « tu es merveilleuse », ouHeelomali (enafar), ce qui signifie « elle est spéciale »[12].
La découverte de Lucy fut très importante pour l’étude des Australopithèques : il s’agit du premier fossile relativement complet qui ait été découvert pour une période aussi ancienne. Lucy compte en effet les fragments de 52 ossements (sur les 206 que compte un squelette complet) dont unemandibule, des éléments ducrâne, mais surtout des éléments post-crâniens dont une partie dubassin et dufémur, un fragment detibia et defibula, ainsi que desphalanges et des fragments d'os ducarpe[13].
Ces derniers éléments se sont révélés extrêmement importants pour reconstituer la locomotion de l’espèceAustralopithecus afarensis. Si Lucy était incontestablement apte à labipédie, comme l’indiquent son port de tête, la courbure de sa colonne vertébrale, la forme de son bassin et de son fémur, elle devait être encore partiellement arboricole : pour preuve, ses membres supérieurs étaient proportionnellement un peu plus longs que chez le genreHomo, ses phalanges étaient plates et courbées et l’articulation de son genou offrait une grande amplitude de rotation. Sa bipédie n’est donc pas exclusive et sa structure corporelle a été qualifiée de « bilocomotrice » puisqu’elle allie deux types de locomotion : une forme de bipédie et une aptitude à grimper. Cette hypothèse d'aptitudes arboricoles est soutenue par une analyse de la structure des os de ses bras, montrant une robustesse similaire aux chimpanzés, connus pour de telles capacités[14].
Elle présente uneanatomie en mosaïque, avec un cerveau à peine plus gros que celui d'un chimpanzé mais unbassin nettement plus court et évasé, et l'inclinaison de son fémur par rapport au plan perpendiculaire à celui du genou comparable à celle que l'on observe chezHomo sapiens[15].
L'équipe de paléontologues qui a découvert Lucy a estimé que c'était un sujet féminin du fait de sa petite stature et de son type gracile[16]. Cependant, depuis 1996, certains chercheurs estiment que Lucy serait un mâle d’après l’analyse de l’os pelvien[17], bien que son bassin soit plutôt en forme de bol, indiquant un sujet féminin. Les scientifiques proposent de la rebaptiser Lucien tandis que certains paléoanthropologues préfèrent la nommer par son nom de code scientifique, AL 288-1[18],[19]. Elle était adulte d'après l'analyse de ses os et devait mesurer 1,10 m[20], et peser au maximum 30 kg[21].
Lucy est morte à environ 25 ans, et le fait que ses ossements n’aient pas été dispersés par un charognard indique un enfouissement rapide, peut-être à la suite d’une crue. Certains chercheurs pensent quelle était atteinte d'une maladie dégénérative à la suite de la présence de proliférations osseuses en avant de certains corps vertébraux[22]. D'après une étude de 2016, l'étude des fractures de ses os, notamment au niveau de l'humérus, conduit à penser que Lucy aurait fait une chute mortelle d'une hauteur de 12 mètres à au moins 56 km/h[23],[24]. Cette hypothèse est mise en doute par d'autres chercheurs, pour qui ces fractures seraient d'originepost mortem[25].
Reconstitution vivante au Musée de Néandertal (Erkrath, Mettmann) d'un Australopithecus afarensis (appelé « Lucy »), trouvé à Hadar, en Éthiopie.
Découverte dans des terrains datés de 3,18 millions d'années, Lucy a longtemps été considérée comme la représentante d’une espèce à l’origine de la lignée humaine. Aujourd'hui, la majorité des chercheurs, y compris son codécouvreurYves Coppens, estiment que Lucy est plus probablement la représentante d'une branche collatérale[26].
Le genreAustralopithecus fait partie de la famille desHominidés et de la sous-tribu desHominines, tout comme les genresArdipithecus,Paranthropus,Homo, et quelques autres. Les relations de descendance entre ces différents genres ne sont pas encore élucidées à ce jour.
À l'occasion du quarantième anniversaire de sa découverte, le, une nouvelle présentation a été mise en place au musée national d’Éthiopie àAddis-Abeba : Lucy et deux autres squelettes d'Hominina,Ardi etSelam, sont désormais présentés dans une nouvelle galerie, organisée avec la participation de chercheurs français[27].
L'astéroïde(152830) Dinkinesh est, lui, nommé d'après la version amharique du nom. Il a été survolé en 2023 par la sondeLucy, aussi nommée d'après l'australopithèque.
↑D. Johanson et M. Edey,Lucy : une jeune femme de 3 500 000 ans, page 26, traduit de l'américain (Lucy, the beginnings of humankind), Paris, R. Laffont, (1981)(ISBN2-221-01200-3).
↑MauriceTaieb, « Le jour où nous avons découvert Lucy »,Civis memoria,(lire en ligne[archive du]).
↑Jean-Renaud Boisserie et Sandrine Prat, « Et Lucy vit le jour »,Archéologia,no 636,,p. 34-35
↑Le crâne présente certains indices caractéristiques.« Tel le rebord des cavités orbitaires : est-il plutôt aigu et tranchant (femme) ou arrondi et lisse (homme). Le front est-il plutôt vertical et bombé (femme) ou fuyant et plat (homme) ? Le menton est-il arrondi et non saillant (femme) ou carré et saillant (homme) »? Celui de Lucy, cassé, ne permet pas de recueillir ces indices. CfAdeline Colonat, « Comment sait-on que Lucy n'est pas Lucien ? », surscience-et-vie.com,.
↑Sandrine Prat, Jean-Renaud Boisserie et Marie Bridonneau, « C'était il y a 50 ans : la découverte de Lucy : Des faits et des incertitudes »,Archéologia,no 636,,p. 44-45
↑HervéMorin, « Paléontologie : Lucy aurait chuté mortellement d’un arbre »,Le Monde.fr,(ISSN1950-6244,lire en ligne, consulté le).
Donald Johanson et M. Edey (1981)Lucy : une jeune femme de 3 500 000 ans, traduit de l'américain (Lucy, the beginnings of humankind), Paris, R. Laffont,(ISBN2-221-01200-3)
L'Odyssée de l'espèce, film documentaire sur les premiers hommes, réalisé par Jacques Malaterre, diffusé pour la première fois à la télévision en 2003, reprend une description numérique de Lucy, dans son environnement, et lui imagine une histoire.
Raymonde Bonnefille,Sur les pas de Lucy. Expéditions en Éthiopie, Odile Jacob,, 368 p.(lire en ligne)