Comme pour bien d'autresauteurs antiques, notre connaissance de la biographie de Lucien est lacunaire et les informations en notre possession parfois incertaines[1]. Les auteurs antiques, tant grecs que latins, parlent très peu de lui. Toutefois, Lucien a laissé dans ses textes plusieurs passages qui relèvent de l'autobiographie, dans laquelle il se met directement en scène, si bien que son œuvre constitue une source importante pour connaître sa vie[2]. Cependant, il faut voir que ces passages au ton plus personnel ne nous apportent que des éléments dispersés et éclatés, que la critique s'efforce de relier afin de dégager une vue cohérente de sa vie[3]. Il n'en demeure pas moins, qu'il n'est pas simple d'évaluer cette matière et les spécialistes sont partagés sur la place qu'il faut lui accorder[4].
À ces éléments, on peut encore ajouter un court article consacré à Lucien dans laSouda, une encyclopédiebyzantine duXe siècle[2],[5],[6]. On précisera encore que Lucien n'a pas été retenu parPhilostrate dans sesVies des sophistes, et qu'il n'a en outre pas été reconnu comme unphilosophe par ceux qui portaient cette appellation[7].
Lucien naquit à Samosate, ville située sur les bords de l'Euphrate et capitale de la Commagène, province de Syrie. Selon laSouda, il est né vers la fin du règne deTrajan (98-117) et il est sans doute mort vers la fin de celui deMarc Aurèle (161-180)[8]. Samosate était une ville sur la route entre l'Asie Mineure et l'Inde, annexée à l'Empire romain par l'empereurVespasien. Dans cette ville florissante, on parlait beaucoup de langues, et il est bien possible que la langue maternelle de Lucien ait été l'araméen. Il connaissait probablement lelatin sans que cela soit sûr et apprit très jeune legrec. Il devint ainsi finalement« un intellectuel grec, citoyen romain de l'Empire, sans jamais oublier ses origines syriennes »[9].
À l'en croire, il vient d'un milieu modeste et selon l'opusculeLe Songe ou la Vie de Lucien[10], ses parents le destinaient à la profession desculpteur, jugeant cela suffisant pour leur fils. Mais il quitta le maître à qui on l'avait confié, un frère de sa mère, dès son premier jour d'apprentissage, car celui-ci l'avait frappé, Lucien ayant brisé en deux le marbre qu'il devait préparer. Lerêve qu'il fit la nuit suivante le place au centre d'une confrontation entre l'allégorie de laSculpture et celle de l'Instruction (paideia), et Lucien choisit cette dernière[Note 1]. Après cela, Lucien quitta ses parents pour apprendre le grec et suivre les enseignements donnés dans les écoles de rhétorique enIonie[6],[11].
LaSouda nous apprend qu'une fois sa formation terminée, il fut avocat àAntioche entre 162 et 165[12], un travail qui ne semble pas lui avoir plu si bien qu'il commença à voyager dans lesprovinces romaines, de l'Asie Mineure à laGaule[6] (où il se serait considérablement enrichi grâce à ses talents de rhéteur[13] et à l'enseignement de la rhétorique, un poste très bien payé[6]). Il était donc devenu unsophiste itinérant, fonction dont il avait fait son métier[12]. Après quoi, il se rend àAthènes, nouvelle étape qui marque un tournant dans sa carrière en abandonnant la sophistique et devient unpamphlétaire, se spécialisant dans le genre auquel il devra l'essentiel de sa gloire, le dialogue satirique[6]. Enfin, il se fixa enÉgypte, où l'empereurMarc Aurèle lui assigna d'importantes fonctions administratives et judiciaires.
Avant d'arriver aux honneurs, il avait déjà acquis fortune et renom. Ses écrits rencontraient du succès, et il recevait des sommes considérables pour les leçons et lesdéclamations qu'il faisait sur son passage, à la manière des sophistes et des rhéteurs de son temps. Après avoir raconté le songe qui avait déterminé, disait-il, sa vocation littéraire, il termine ce récit par ces mots[14]:
« (...) si je vous ai raconté mon songe, c'est pour que les jeunes gens prennent le meilleur parti et s'adonnent à l'étude, surtout ceux que la pauvreté inspire mal et incline vers le pire et qui sont prêts à gâter un naturel qui n'est pas sans noblesse. Ceux-là, j'en suis sûr, se sentiront encouragés par mon récit, ils se proposeront mon histoire comme un exemple qui s'applique à eux, en considérant de quel point de départ je me suis élancé vers la plus belle carrière et me suis attaché à l'étude, sans me laisser décourager par la pauvreté qui me pressait alors, et quel enfin je suis revenu vers vous, non moins illustre, pour ne rien dire de plus, qu'aucun tailleur de marbre. »
Lecorpus comprend 86 textes, bien que plusieurs d'entre eux soientapocryphes. Lesphilologues et les savants sont divisés sur la liste des textes authentiques et apocryphes. Ainsi, les hypercritiques duXIXe siècle classaient un tiers de l'œuvre commepseudépigraphe[15]. Les textes considérés comme douteux sont l'Alcyon, lesAmours, l'Âne ou Loukios, leCharidemus, leCynique, lesLongues Vies, l'Okypous, leTraité sur la danse, l'Éloge de Démosthène,Néron etPhilopatris, leSoléciste[15],[16].
Un ouvrage important écrit en dialecteionien,De Dea Syria (La Déesse syrienne), décrit ce que Lucien savait du culte d'Atargatis à l'époque romaine, dans la ville sacrée d'Hiérapolis de Syrie. D'autre part, Lucieninventa la forme du dialogue humoristique[précision nécessaire], entre le dialogue philosophique et la comédie.
Ses dialogues les plus connus sont lesDialogues des dieux etDialogues des morts. Il a aussi écrit de nombreux dialogues pour ironiser en un style proche descyniques contre les philosophes. Il se moqua des chrétiens et deJésus dansLa Mort de Pérégrinus, en les présentant comme naïfs, idolâtres, séditieux et crédules. Il composa aussi des exercices derhétorique comme des élogesironiques (Éloge de la calvitie — réponse à l'Éloge de la chevelure deDion Chrysostome —Éloge de la mouche, etc.).
Lucien est parfois considéré comme un des pères de l'esprit critique. Loin de s'en prendre aux seuls chrétiens, il démonte toutes sortes d'impostures magico-religieuses et de charlatanisme[17]. Ainsi, dans sonAlexandre, ou le faux prophète, il décrit et explique les pratiques et les tours de passe-passe d'Alexandre d'Abonotique[18].
SonHistoire véritable[19], dans laquelle le personnage voyage sur laLune, est parfois considérée comme une des premières œuvres descience-fiction[20], même s'il s'agit plutôt d'un conte facétieux sans aucune base scientifique.
La présente liste est celle qui figure dans la traduction d'Émile Chambry, révisée par Alain Billault et Émeline Marquis et parue chezR. Laffont, coll. « Bouquins » , en 2015. Comme l'indiquent les deux éditeurs, elle se fonde sur le manuscrit de laBibliothèque Vaticane adopté dans les meilleures éditions scientifiques[21] et repris par Émile Chambry ainsi queJacques Bompaire dans son édition publiée par lesBelles Lettres (v. la bibliographie). Billault et Marquis ont écarté les sept textes généralement considérés comme apocryphes soit les six derniers du manuscrit et leno 75 (Sur les danseurs) qui est une œuvre deLibanios[21].
En 1606,Volpone, unecomédie du dramaturge anglaisBen Jonson, est influencée par le chapitreDialogues des morts, qui met en scène le personnage dePolystratos[25].
Les Amis du mensonge ou L'incrédule, qui vise à ridiculiser la tendance des philosophes à croire au surnaturel, met en scène unscribe égyptien capable de donner vie à des objets inanimés par des formules magiques, ce qu'il fait en transformant un balai en serviteur. Cette œuvre inspirera le poème deGoethe intituléL'Apprenti sorcier[26], publié en 1797 ;Paul Dukas composera, en 1897, unpoème symphonique portant le même titre, qui sera repris dans une célèbre séquence du filmFantasia deWalt Disney, sorti en 1940. La description d'un tableau (perdu) d'Apelle consacrée à la calomnie, que donne Lucien aux paragraphes 1 et 2 deQu'il ne faut pas croire à la calomnie à la légère a inspiréBoticelli pour sa toileLa Calomnie d'Apelle[27].
La bande dessinéeDe cape et de crocs d'Alain Ayroles etJean-Luc Masbou met en scène brièvement plusieurs créatures desHistoires vraies de Lucien en même temps que le personnage du Maître d'armes, lui-même inspiré de Cyrano de Bergerac dont l’Histoire comique des États et Empires de la Lune s'inspirait déjà de Lucien[28].
↑a etbAlain Billaut,« Lucien de Samosate et son œuvre », dans Émeline Marquis, Alain Billault (dir.),Mixis : Le mélange des genres chez Lucien de Samosate, Paris, Demopolis,(DOIdoi.org/10.4000/books.demopolis.2127),p. 13-21
↑La Double Accusation ou les Tribunaux, § 27, Laffont, Bouquins, 2015,p. 403.
↑Notamment parPierre Versins (Encyclopédie de l'utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction, 1972),Jacques Van Herp (Panorama de la science-fiction, 1973),Jacques Sadoul (Histoire de la science-fiction moderne, 1974), et parJacques Baudou (La Science-fiction, 2003).
↑Émeline Marquis (dir,) et Alain Billault (dir.),Mixis. Le mélange des genres chez Lucien de Samosate, Paris, Demopolis,, 293 p.(ISBN978-2-354-57123-8,lire en ligne)
↑M. Dal Zotto, « Tératomachies et métamorphoses burlesques chez Lucien de Samosate et quelques illustres continuateurs », dans Omar Coloru et Giuseppe Minunno (éd.),L’Umorismo in prospettiva interculturale: Immagini, Aspetti e Linguaggi. Atti del II convegno internazionale di studi sull' umorismo, Lucca, 2009,p. 37-42.
Œuvres, texte établi et traduit en français parJacques Bompaire, Paris, Les Belles Lettres, « Collection des universités de France »: T. I, 1998, CLXIV + 334 p.; introduction générale et textes 1 à 10 / T. II, 1998, XII + 607 p.; textes 11 - 20 / T. III, 2003, XIII + 668 p. ; textes 21 - 25 / T. IV, 2008, VII + 448 p.; textes 26 - 29.
La mort de Jacques Bompaire a suspendu ce travail, qui a été repris avec l'édition du volume XII en 2017. À ce jour, donc, 33 textes ont été édités, sur les 80 du manuscrit de la Bibliothèque Vaticane.
Lucien,Œuvres, tome XII, texte établi et traduit par Émeline Marquis, Paris, Les Belles Lettres, Collection des universités de France. Série grecque, 2017, X + 678 p., Opuscules 55-57.
Lucien, de la traduction deN. Perrot, Sr d'Ablancourt, 2 vol. Paris, Augustin Courbé, vol. 1654.[lire en ligne (page consultée le 13 mars 2022 - vol. I)];[lire en ligne (page consultée le 13 mars 2022 - vol. II)]
Lucien de Samosate Œuvres, Paris, Jean-François Bastien, 1789Œuvres, traduites du grec avec des remarques historiques et critiques sur le texte de cet auteur et la collation des six manuscrits de la bibliothèque du roi parJacques Nicolas Belin de Ballu, chezJean-François Bastien, Paris, 1789, six volumes.
Lucien de Samosate (traduction nouvelle avec une introduction et des notes, par Eugène Talbot),Œuvres complètes,vol. II,Hachette,, 598 p.(lire en ligne[PDF])
Lucien de Samosate, « Œuvres complètes », On trouve sur ce site la mise en ligne de la traduction de Talbot, d'un maniement plus aisé que les versions pdf., surremacle.org(consulté le).
Lucien de Samosate,Œuvres complètes, traduction nouvelle avec notices et notes parÉmile Chambry, Paris, Garnier, coll. « Classiques Garnier », 1933 ((Vol. I, 527 p.), 1934 (Vol. II, 509 p.)
Alexandre ou le faux prophète, (texte établi et trad. du grec ancien par Marcel Caster) Paris, Les Belles Lettres, 2002, coll. « Classiques en poche »,no 46, 78 p.(ISBN978-2-251-79944-5).
Histoires vraies et autres œuvres, préface dePaul Demont, trad., introduction et notes par Guy Lacaze, Paris, Le Livre de Poche, 2003.(ISBN978-2-253-16117-2).
Sur le deuil, traduit, préfacé et annoté parNicolas Waquet, Payot & Rivages, coll. « Rivages poche / Petite Bibliothèque », Paris, 2008, 64 p.(ISBN978-2-7436-1859-9).
Jacques Bompaire,Lucien écrivain. Imitation et création, Paris, E. de Boccard, coll. « Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome », 1958. Réimpression : Paris, Les Belles Lettres, coll. « Essais. Theatrum sapientiae », 2000(ISBN2-251-19000-7)