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Lotte H. Eisner, née le àBerlin et morte le àGarches[1], est unehistorienne ducinéma et unecritique de cinémafrançaise d'origineallemande.
Lotte Henriette Eisner nait à Berlin en 1896. Fille d'un commerçant (de tissu) juif, elle étudie àMunich et à Berlin et obtient un doctorat en art et archéologie. À partir de 1927, elle est critique de théâtre, puis critique de cinéma, travaillant notamment pourFilm-Kurier, quotidien de cinéma publié à Berlin.
En 1933, elle fuit l'Allemagne pour échapper auxpersécutions nazies et se réfugie en France. Elle se lie d'amitié avecHenri Langlois et en 1937, entre à laCinémathèque française que viennent de fonder Langlois etGeorges Franju. Pendant laSeconde Guerre mondiale, elle se cache dans leLot mais est finalement internée dans lecamp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques) dont elle parvient à s’échapper en 1941[2]. Elle vit alors dans le Lot sous une autre identité, tout en poursuivant son travail avec Henri Langlois. Mais elle est arrêtée par la Gestapo en mars 1944. Heureusement, elle porte sur elle une lettre de Langlois qui précise que « Melle Escoffier travaille pour la Cinémathèque française » ; cela lui sauve la vie.
Après la Libération, de retour à Paris, elle devient, en 1945, conservatrice en chef de la Cinémathèque française, fonction qu'elle occupe jusqu'à sa retraite en 1975. Parallèlement, elle écrit pour des revues de cinéma, en France comme en Allemagne :La Revue du cinéma, lesCahiers du cinéma,Filmkritik,Filmfaust, ...
À partir de 1952, elle publie plusieurs livres majeurs sur le cinéma allemand et sur les réalisateurs qu'elle a approchés :L'Écran démoniaque,F. W. Murnau,Fritz Lang.
En, Eisner tombe malade. Craignant qu'elle ne meure de la maladie, son ami le cinéasteWerner Herzog entreprend une marche à pied deMunich, où il se trouve lorsqu'il apprend la nouvelle, àNeuilly-sur-Seine, où réside Eisner. Il marche pour conjurer le sort, affirmant qu'il « ne peut y avoir de cinéma allemand sans elle ». Il y parvient en trois semaines. Eisner guérit et vivra encore neuf ans. Herzog a publié le journal de son voyage en 1978 sous le titreSur le chemin des glaces (Vom Gehen im Eis).
L'écran démoniaque (1952, publié d'abord en français, puis en 1955 en allemand,Die Dämonische Leinwand) est l'ouvrage le plus important d'Eisner[3]. Elle y propose une reconsidération ducinéma expressionniste allemand, sérieusement discrédité dans l'immédiat après-guerre pour avoir été considéré comme l'une des sources esthétiques du nazisme, notamment parSiegfried Kracauer dans son influentDe Caligari à Hitler (1947).
Eisner y déploie une analyse magistrale du cinéma expressionniste en 20 chapitres. Elle propose sa lecture de plus de quarante films de la période 1920-33, à partir duCabinet du docteur Caligari (1920). Elle introduit également les concept-clés pour aborder le cinéma de la période (Helldunkel ouclair-obscur,Stimmung,Umwelt,Kammerspiel).
Eisner explique dans sa préface à la traduction anglaise (The Haunted Screen) qu'elle entend « démoniaque » non pas en rapport avec les démons, mais au sens de l'étymologie grecque (δαίμων,daimōn) pour signifier, suivantGoethe avec ce même mot, « qui a trait à la nature des pouvoirs surnaturels »[4].
De fait, Eisner place en épigraphe de son ouvrage la citation de Leopold Ziegler tirée deDas Heilige Reich der Deutschen (Le Saint Empire des Allemands, 1925), qui emploie le mot « démoniaque » dans ce sens de « spirituel »: « L’homme allemand, c'est l'homme démoniaque (dämonisch) par excellence. Démoniaque semble véritablement l'abîme qui ne peut être comblé, la nostalgie qui ne peut être apaisée, la soif qui ne peut être étanchée... ». Eisner centre en effet sa réflexion sur la manière dont l'expressionnisme reflète ce qu'elle nomme « l'esprit allemand ». Elle ouvre son texte sur le passage fameux deGoethe, « les Allemands sont des gens bizarres, avec leurs pensées profondes... » (lettre àEckermann,), et emploie régulièrement les termes « goût allemand » et « style allemand ».
Eisner explore d'abord les sources du style cinématographiqueexpressionniste. Elle met l'accent sur deux sources que les critiques précédents avaient sous-estimées: (a) la littérature expressionniste et ses écrits théoriques (contrairement à l'historiographie habituelle qui portait l'accent sur le rôle desarts visuels expressionnistes); (b) la mise en scène théâtrale, en particulier le travail du pionnierMax Reinhardt (cf.Kammerspielfilm), contre lequel l'expressionnisme réagit.
S'agissant de la théorie littéraire, Eisner s'appuie notamment sur l'essai deKasimir Edschmid,Über den Expressionismus in der Literatur (Au sujet de l'expressionnisme en littérature, 1919). Edschmid voyait l'expressionnisme avant-tout comme une réaction à l'impressionnisme. Si l'impressionnisme se concentrait sur la perception des apparences, l'expressionnisme nie la pertinence de ces perceptions superficielles pour se concentrer sur la vérité profonde des choses (« L'expressionniste ne voit pas, il a des visions », affirme Eisner reprenant la formule fameuse d'Edschmid).
À partir de ces prémisses de base (« esprit allemand » comme étalon esthétique, accent sur les sources littéraires et théâtrales),L'écran démoniaque analyse les films majeurs de l'expressionnisme. Les figures qui reçoivent les plus d'attention sontMurnau etLang. Eisner se penche non seulement sur le travail des réalisateurs, mais aussi celui des scénaristes, scénographes, cadreurs, acteurs (p.ex.Louise Brooks) et producteurs (p. ex. E.A. Dupont). Elle termine son tour d'horizon non pas avec l'avènement dusonore ou du cinéma nazi(Steinhoff,Riefenstahl), mais en donnant un bref aperçu du cinéma d'après-guerre (Dudow,Staudte,Käutner,Stemmle, tous vivement critiqués). Elle suggère ainsi que son livre va au-delà du manuel sur l'expressionnisme, et tend vers une histoire générale ducinéma allemand, dans lequel l'expressionnisme est explicitement présenté comme point de référence et âge d'or. L'ouvrage est richement illustré, avec des instantanés des films, mais aussi des photographies prises sur les plateaux de tournage.