Appartenant aux groupes desAesir, Loki est le dieu de la malice, de la discorde et des illusions.
Il est le fils dugéantFarbauti et deLaufey, ainsi que le père de plusieurs monstres : le serpentJörmungand, le loupFenrir et la déesse du monde des mortsHel. Il est également la mère du cheval d'Odin à huit jambesSleipnir. Malgré ses origines, il est accueilli dans le panthéon divin desAses parOdin.
Loki est capable de métamorphose ; il est aussi impulsif et irresponsable que malin et rusé. Les Aesir ont souvent recours à lui pour régler des problèmes dont il est bien souvent lui-même la cause. De nature fondamentalement négative et traître, sa jalousie l'amène à causer la mort du dieuBaldr. Furieux, les Ases le punissent en l'attachant avec les entrailles d'un de ses fils sous un serpent dont le venin goutte sur son visage. Il en sera ainsi jusqu'à la fin prophétique du monde, leRagnarök, où Loki se libèrera et mènera lesgéants à l'assaut contre les dieux et les hommes. Loki et son dieu opposé,Heimdall, s'entretueront pendant la bataille.
La nature changeante et ambiguë de Loki est sujette à débats chez les spécialistes quant à son rôle dans le panthéon divin, et il a étécomparé à divers personnages d'autres mythologies. Loki est un dieu récurrent et célèbre qui a survécu dans le folklore moderne d'Europe du Nord ; son personnage est référencé et source d'inspiration dans de nombreuses œuvres de la culture moderne.
Une autre origine possible serait le verbe dugermanique commun*lukijan, désignant l'action de fermer un anneau. Hypothèse à laquelle se rattache Haudry en 2016 : issu du nom d'agent en-an- du verbe*lūk-a « fermer », Loki signifierait gardien au sens de « Feu gardien ». Cette forme serait issue de l'abréviation du composéÚtgarða-Loki « verrou du domaine extérieur »[4].
Plusieurs sources primaires désignent Loki sous le nom de Loptr[Note 2]. En vieux norroisloptr signifie« air »[5] ou« vent »[6],[7].
Loki est également nommé Hveðrungr[Note 3], dont l'étymologie est incertaine. Il signifie peut-être« hurleur »[8] ou« écumant »[9].Ce nom est également rapproché àhvida qui signifie« coup de vent », associant Loki au vent immatériel[réf. nécessaire].
Lekenning (au pluriel,kenningar) est unefigure de style propre à la poésie scandinave qui consiste à remplacer un mot, ou le nom d'un personnage ou d'une créature par unepériphrase. Lechapitre 16 de la partieSkáldskaparmál de l’Edda en prose deSnorri Sturluson révèle leskenningar qui peuvent désigner Loki et qui font référence à sa famille, sa nature ou aux mythes qui lui sont associés ;
Lechapitre 33 duGylfaginning propose les kenningar« calomniateur des Ases »,« initiateur des tromperies »,« honte de tous les dieux et de tous les hommes ». On lit également« père du Loup »,« artisan de malheur »,« corneille du mal » et« fils de Laufey » dansLokasenna 10, 41, 43, 52.« Fils de Laufey » apparaît également dansÞrymskviða 18 et 20. Loki est appelé« frère de Býleist » dansVöluspá 51 etHyndluljóð 40. Lastrophe 7 du poème scaldiqueHaustlǫng désigne Loki par le kenning« charge des bras de Sigyn ».
Parallèlement, un kenning pour le dieu Heimdall est« ennemi de Loki » d'après lechapitre 8 duSkaldskaparmal[11].« Fils/fille de Hveðrungr » sont des kenningar servant à désigner respectivement Fenrir et Hel dansVöluspá 55 etYnglingatal 32[8].
Loki est le fils dugéantFárbauti et deLaufey[Note 5]. Fárbauti « dangereux frappeur » qui représente la foudre et son épouse Laufey l'« île aux feuillages », soit l'arbre donnent la signification de la nature de Loki : c'est un Feu issu d'un arbre frappé par la foudre[12].
Ses deux frères sontBýleist etHelblindi. Les sources primaires ne mentionnent ces personnages qu'en raison de leur parenté à Loki ; autrement nous ne disposons d'aucune information sur eux. D'après le poème eddiqueLokasenna 9, le dieu Odin et Loki ont fait un pacte de sang ce qui a permis de l'intégrer dans le panthéon desAses.
Loki est le parent de plusieurs créatures spectaculaires. Métamorphosé en jument, il engendra avec l'étalonSvadilfari le cheval à huit jambesSleipnir, qui devient la monture d'Odin. Lechapitre 34 de laGylfaginning de l’Edda de Snorri raconte que Loki a procréé trois enfants monstrueux avec la géanteAngrboda : le loupFenrir, le serpent de MidgardJörmungand etHel, qui sont élevés àJötunheim. Comme les prophéties racontent que ceux-ci causeront le malheur des dieux, ces derniers décident de s'en débarrasser. Odin jette alors Jörmungand dans la mer et envoie Hel dansNiflheim, le monde des morts, dont elle devient la gardienne. Le loup Fenrir est quant à lui enchaîné[13]. Angrboda est également mentionnée comme mère de Fenrir dans le poème eddiqueHyndluljóð 40.
Hyndluljóð évoque à lastrophe 41 un mythe énigmatique où Loki mange le cœur brûlé d'une femme sorcière ou géante, et en tombe enceinte d'un monstre[10],[14]. Le poème eddiqueLokasenna évoque auxstrophes 23 et 33 la métamorphose de Loki en femme féconde qui aurait enfanté ; nous ignorons les mythes auxquels ces strophes font référence[15], mais la seconde pourrait être une référence à Sleipnir[16].Lokasenna 40 mentionne également que Loki aurait eu un fils de la femme du dieuTýr, toutefois aucun mythe préservé ne le confirme, et nous ne connaissons pas de femme pour Týr[17].
Loki est cependant marié à la déesse AsyneSigyn qui selon l’Edda de Snorri lui donna un fils« Nari ou Narfi ». Loki a également un autre fils,Vali, dont la mère n'est pas mentionnée. Ceci est contradictoire avec l'épilogue en prose de laLokasenna où Nari et Narfi sont deux fils distincts de Loki.
Dans la partieGylfaginning de l’Edda de Snorri, Loki est décrit auchapitre 33 comme suit :
« Loki est beau et splendide d'apparence, mauvais de caractère, très changeant dans son comportement. Plus que les autres êtres, il possédait cette sagesse qui est appelée rouerie, ainsi que les ruses permettant d'accomplir toutes choses. Il mettait constamment les dieux dans les plus grandes difficultés, mais il les tirait souvent d'affaire à l'aide de subterfuges. »
Loki est compté parmi lesAses bien qu'il n'ait aucun lien de parenté avec eux ; il a été accepté dans la famille parOdin. Il apparaît dans de nombreux mythes comme compagnon de route pour Odin et pourThor. Il sert en quelque sorte de bouffon pour les dieux, qui l'utilisent comme messager et semblent le considérer comme un inférieur. Malgré son ingéniosité, sa nature impulsive conduit à ce qu'il soit la cause de problèmes et de malheurs, qu'il est contraint de réparer sous la menace des autres dieux, ce qu'il réussit grâce à sa ruse et ses tromperies. Loki est un observateur curieux et détient le don de métamorphose, changeant sa forme parfois en saumon, en cheval, en oiseau, en phoque ou encore en mouche. Il peut également changer de sexe, se métamorphosant en jument ou en femme. Loki est foncièrement amoral, traître, injurieux et menteur, des qualités qu'il utilise pour sauver sa peau ou simplement par plaisir. Il s'amuse de farces perverses qui le mettent souvent dans des situations délicates, et il se révèle mauvais joueur. Finalement, sa nature négative et haineuse culmine dans sa part dans le meurtre gratuit du dieuBaldr. Il ne se soucie pas des répercussions de ses actes, et finit traqué comme un bandit; il est finalement puni jusqu'à la fin du monde prophétique, leRagnarök, où, libéré, il mènera les géants et forces du mal contre les dieux[19].
Les récits nordiques proviennent de sources éparses avec peu d'informations chronologiques, ainsi les différents mythes mentionnés dans cette section n'ont pas volonté à être présentés de manière chronologique, excepté les mythes qui possèdent un repère de temps indéniable, comme la première rencontre entre Loki et Odin, forcément au début, et leRagnarök à la fin. L'organisation des mythes présentée ci-dessous s'appuie néanmoins en partie sur la chronologie théorique proposée par le spécialisteViktor Rydberg dansInvestigations sur la Mythologie germanique,VolumeII (1889)[20].
On observe néanmoins une évolution chez Loki : fils d'un couple de géants, Loki est un géant de naissance mais qui passe du côté des Ases, devient « frère de sang » d'Odin et épouse une déesse. Dans plusieurs histoires, il est dévoué aux dieux, même s'il commet des imprudences qui les met en danger. Il se montre hostile aux géants. Puis progressivement, il se transforme en « dangereux ami », évolution qui culmine jusqu'au meurtre de Baldr et au Ragnarök où il rejoint ses congénères achevant un cycle[21].
Loki est le fils des géantsFarbauti etLaufey, toutefois, il fait partie du panthéon des Ases. Dans le poème eddiqueLokasenna, à lastrophe 9, Loki rappelle brièvement (et énigmatiquement) les circonstances de son adoption par les Ases, lorsqu'Odin et lui se sont liés par une fraternité sacrée, le rite dufóstbroedralag, un rite que se retrouve également dans le cycle héroïque deSigurd[22].
Il fait ensuite partie de la triade divine qui crée l'humanité à partir de végétaux. Il appartient alors à la couche supérieure du panthéon la plus proche du dieu suprême[24].
Auchapitre 35[Note 6] duSkáldskaparmál de l’Edda de Snorri le farceur Loki coupe la chevelure de la déesseSif, épouse deThor, pendant son sommeil. Lorsque Thor menace Loki de le broyer, ce dernier propose de récupérer chez les nains une chevelure d'or. Alors les nainsfils d'Ivaldi fabriquent pour les dieux la chevelure de Sif ainsi que le bateauSkidbladnir pourFreyr et la lance d'Odin,Gungnir. Ensuite, Loki parie sa tête avec les nainsBrokk et son frèreEitri qu'ils ne pourraient fabriquer des objets aussi précieux. À la forge, Eitri demande à Brokk d'actionner le soufflet sans s'arrêter avant qu'il n'ait retiré l'objet qu'il a fabriqué. Afin de gagner son pari, Loki métamorphosé en mouche vient piquer Brokk pour le distraire mais ce dernier continue à actionner le soufflet jusqu'au bout, et le forgeron retire du fourneau le verrat aux soies d'orGullinbursti pour Freyr. Pour le second objet, Eitri place de l'or dans le fourneau et Brokk ne cède pas aux piqures de Loki avant qu'Eitri ne retire du fourneau un anneau d'or appeléDraupnir, pour Odin. Ensuite Eitri place du fer dans le fourneau en exigeant à Brokk de ne pas arrêter d'actionner le soufflet sinon tout serait gâché. Mais Loki en mouche le pique entre les paupières jusqu'au sang, alors Brokk s'arrête un court instant, et il en a fallu de peu pour que tout soit gâché. Ils sortent du fourneau le marteauMjöllnir pour Thor, mais à cause de Loki le manche du marteau est trop court. Brokk et Loki présentent les objets aux Ases pour qu'ils décident lesquels sont les plus précieux. Les Ases décident que le marteau est la plus grande protection possible contre les géants du givre. Ainsi le nain a gagné le pari pour la tête de Loki. Ce dernier essaye alors de s'échapper grâce à ses chaussures qui lui permettent de courir à travers les airs et la mer, mais Thor le rattrape pour qu'il honore son engagement. Afin de sauver sa peau, Loki déclare qu'il avait mis sa tête en gage et non pas son cou. Finalement, le nain Brokk se contente de lui coudre les lèvres[25].
Je suis le géant Skrymir, illustration d'Elmer Boyd Smith (1902).
Leschapitres 44 à 47 de laGylfaginning racontent la légende de Thor, Loki etThjálfi chez le roi géantÚtgarða-Loki. Auchapitre 44, Thor et Loki sont reçus par un paysan pour la nuit. Les boucs de Thor servent de repas mais Thjálfi, le fils du paysan, casse un os pour récupérer la moelle. Le lendemain matin, Thor bénit les restes des boucs qui ressuscitent, mais l'un d'entre eux boite. Furieux il accuse les paysans d'avoir cassé un os. Terrifiés ils acceptent de lui donner en compensation leurs deux enfants comme servants, Thjálfi etRoskva.
Auchapitre 45, les quatre protagonistes marchent versJötunheim, et se reposent une nuit dans une grande maison. Ils découvrent le lendemain matin que la maison était en fait le gant du géantSkrymir, qui propose de les accompagner. L'arrogance et les moqueries de Skrymir sur leur petite taille énervent Thor à plusieurs reprises, mais ses grands coups de marteau font tellement peu d'effet contre le géant que ce dernier semble à peine les remarquer, demandant par exemple si un gland lui est tombé sur la tête. Skrymir leur indique ensuite la route pour atteindre le fort d'Utgard où réside le géantÚtgarða-Loki et il conseille les compagnons de bien s'y tenir car les géants sont très puissants.
Auchapitre 46, les compagnons arrivent à l'immense fort d'Utgard et se présentent au roi Útgarða-Loki qui en se moquant de leur petite taille leur demande s'ils ont quelconque talent supérieur aux autres hommes. Loki répond qu'il mange plus vite qu'aucun autre. Il se mesure alors à un certainLogi qui le défait au jeu puisque Loki n'a mangé que la viande alors que Logi a mangé les os également. Thjálfi affirme qu'il est plus rapide que tous les hommes, mais il perd sa course contre un garçonnet nommé Hugi. Thor déclare qu'il est bon buveur, mais il peine à baisser le niveau d'une corne à boire après trois traits. Riant de sa faiblesse, Útgarða-Loki propose à Thor de tenter de soulever son chat, mais le dieu parvient difficilement à soulever une de ses pattes. Furieux des moqueries du roi, Thor demande que quelqu'un se mesure à lui en lutte. Le roi le fait alors combattre sa vieille nourrice Elli qui réussit à mettre Thor sur un genou.
Auchapitre 47, on lit que le lendemain matin le roi les accompagne à la sortie du royaume et demande à Thor s'il avait déjà rencontré d'adversaire plus puissant, ce à quoi Thor répond qu'il a effectivement subi un grand déshonneur. Alors Útgarða-Loki lui explique les illusions visuelles qu'il leur a fait subir. Il avoue qu'il était le géant Skrymir et que ses coups de marteau l'ont en fait raté et ont créé trois vallées profondes. Loki s'était battu contre le feu sauvage, et Thjálfi contre son esprit. La corne que Thor but était reliée à l'océan et le dieu but tellement qu'il a créé les marées, le chat était en fait le serpent de Midgard que Thor a quand même réussi à soulever, et enfin la vieille qu'il combattit était en fait une personnification de la vieillesse. Tous les témoins furent impressionnés et terrifiés par les prouesses des trois compagnons, qui excédaient largement leurs attentes. Furieux, Thor brandit son marteau pour frapper le géant mais celui-ci disparaît ainsi que son fort[26].
Le poème eddiqueHymiskviða, à lastrophe 37, attribue à Loki la responsabilité de la boiterie du bouc, mais la strophe suivante mentionne la compensation des deux enfants d'un géant, ce qui est plus en accord avec le récit duGylfaginning[27]. Auxstrophes 60 et 62 du poème eddiqueLokasenna, Loki se moque de la rencontre de Thor avec Skrymir[28].
Lechapitre 18[Note 7] duSkáldskaparmál raconte qu'un jour, Loki s'amuse à voler sous la forme de faucon qui appartient àFrigg. Il vole par curiosité dans la demeure du géantGeirröd et se pose sur une lucarne pour observer la halle. Voyant l'oiseau, Geirröd ordonne qu'on lui amène. Loki reste posé s'amusant des difficultés du serviteur à grimper jusqu'à lui, mais lorsqu'il décide de s'envoler il réalise que ses pattes restent collées. Loki est capturé et Geirröd soupçonne sa véritable nature d'humain, mais le dieu ne l'avouant pas le géant l'enferme dans un coffre pendant trois mois jusqu'à ce que Loki lui révèle son identité et pour racheter sa vie il lui jure d'attirer Thor dans son domaine mais sans son marteau Mjöllnir ni ses autres attributs puissants. Lorsque Thor et Loki arrivent dans la halle de Geirröd en tant qu'invités, les géants tentent de tuer Thor mais ce dernier parvient malgré tout à en sortir victorieux, massacrant Geirröd et ses deux filles[29].
L'expédition de Thor chez Geirröd est également raconté dans le poème scaldiqueÞórsdrápa qui est vraisemblablement la source deSnorri Sturluson qui en cite des strophes. Toutefois dans le poème, Thor visite Geirröd accompagné de son valetThjálfi et non de Loki. Loki est tout de même indiqué comme l'instigateur de l'expédition et est qualifié de« grand menteur » dès la première strophe[30].
Thor abat le géant Þrymr, illustration deLorenz Frølich (1906).
Le mythe burlesque du vol du marteau de Thor est raconté dans le poème eddiqueÞrymskviða. Thor se réveille et constate la disparition de son marteauMjöllnir. Loki s'envole alors le chercher dans le monde des géants, et rencontre le géantÞrymr qui déclare l'avoir pris, et ne le rendrait qu'en échange de la main de la déesseFreyja. Loki retourne en informer Thor, et Freyja furieuse refuse de se donner au géant. Le dieuHeimdall propose de travestir Thor en mariée pour tromper le géant, ce qu'il fait alors non sans réticences. Loki l'accompagne déguisé en servante.
Les deux dieux sont accueillis à un banquet du géant qui est trompé par le subterfuge. Le géant remarque quelques éléments étranges dans la façon d'agir de son épouse ; elle mange et boit beaucoup plus que l'on s'attendrait. Loki déguisé explique que c'est parce qu'elle a voyagé huit nuits de suite sans manger dans son empressement de prendre sa main. Þrymr demande ensuite pourquoi elle a des yeux aussi enragés. Loki répond que c'est parce qu'elle n'a pas dormi pendant huit nuits dans son empressement pour prendre sa main. Þrymr ordonne qu'on lui apporte le marteau pour consacrer la fiancée, alors Thor s'en empare, jette son déguisement et tue Þrymr avant de massacrer toute sa famille[31].
Si le thème du poème émane sans doute d'un mythe authentique, cette version rédigée auXIIIe siècle, sans doute parSnorri Sturluson, trahit son christianisme par son ton évidemment satirique, amusé de la goinfrerie et de la brutalité de Thor, sans toutefois être méprisant[32].
Loki en jument séduit l'étalon Svaðilfari alors que le géant maître-bâtisseur tente de le retenir. Illustration de Dorothy Hardy (1909).
Auchapitre 42 de laGylfaginning, unmaître-bâtisseur se présente aux dieux et propose de leur construire une forteresse pour Ásgard en seulement trois semestres, ce qui les protégera des géants. Il demande alors comme payement la déesseFreyja, le Soleil et la Lune à condition qu'il réussisse son exploit. Les dieux acceptent, pensant qu'il ne réussirait pas. Mais l'étranger, avec l'aide de son étalonSvadilfari, entame la construction à une vitesse impressionnante.
Inquiets qu'il réussisse sa prouesse, les dieux tiennent conseil et forcent Loki à empêcher l'étranger de finir son travail à temps. Loki se transforme en jument en rut pour distraire le cheval de l'étranger l'empêchant par ce biais d'accomplir à temps son ouvrage. Pris de fureur, le maître-bâtisseur révèle sa véritable identité de géant. Les dieux invoquent Thor qui lui fracasse le crâne avec son marteau. Loki fut néanmoins fécondé par l'étalon, et engendre le cheval à huit pattesSleipnir, qui devient la monture d'Odin[33].
Il s'envola avec elle, pommes magiques et tout, illustration d'Elmer Boyd Smith (1902).Idunn et Loki. Illustration deJohn Bauer pourLa Saga des dieux de nos pères deViktor Rydberg (1911).
Le premier chapitre de la partieSkáldskaparmál de l’Edda de Snorri raconte l'enlèvement d'Idunn. Odin, Loki etHœnir voyagent loin de chez eux et capturent un bœuf pour le manger, mais étrangement la viande ne cuit pas. Un aigle perché sur un chêne au-dessus d'eux leur explique qu'il en est la cause et propose de laisser se faire la cuisson si les dieux lui permettent d'en manger tout son soûl. Ils acceptent, et le bœuf cuit, l'aigle emporte une grande partie de la viande. Alors Loki en colère frappe l'aigle avec une perche mais la perche reste accrochée à ses mains et au dos de l'oiseau qui s'envole. Saisi par la douleur, Loki supplie l'aigle de le relâcher, et ce dernier accepte à la seule condition que Loki attire la déesse Idunn et ses pommes hors d'Ásgard. Libéré, Loki emmène alors Idunn dans un bois hors d’Ásgard, sous le prétexte qu'il a trouvé d'autres pommes remarquables. Il lui recommande d'emporter ses propres pommes pour les comparer. Le géantThjazi sous la forme d'un aigle s'empare d'Idunn et l’emporte chez lui àThrymheim. Privés de ses pommes de jouvence, les Ases vieillissent rapidement. Ils tiennent conseil et comprennent qu'elle a été vue pour la dernière fois sortant d'Ásgard avec Loki. Ils le menacent alors des pires supplices s'il ne retrouve pas Idunn. Apeuré, Loki promet de la ramener et réclame àFreyja son plumage de faucon. Loki s'envole alors vers le Nord àJötunheim pour la demeure de Thjazi où il retrouve Idunn seule, Thjazi étant sorti. Loki la transforme en noix afin de la porter dans ses serres et il la ramène vers Ásgard. Lorsque Thjazi rentre et constate la disparition d'Idunn, il prend sa forme d'aigle et se lance à leur poursuite. Les Ases voient alors Loki arriver vers eux avec la noix, poursuivi par un aigle, et comprennent la situation. Dès que Loki franchit l'enceinte d'Ásgard, les Ases enflamment les copeaux qui brûlent les plumes de l'aigle. Il tuent ensuite le géant au sol. Alors,Skadi, la fille du géant, marche vers Ásgard pour venger son père. Les Ases lui proposent comme compensation de choisir n'importe quel mari d'entre eux mais en ne regardant que leurs pieds. Elle choisit alors le dieuNjörd bien qu'elle ait espéré tomber surBaldr. L'autre clause était de parvenir à la faire rire. Loki attache une corde à la barbe d'une chèvre et l'autre bout à ses propres bourses, et chacun tire tour à tour, ce qui fait rire la géante[34].
Lesstrophes 2 à 13 du poème scaldiqueHaustlǫng racontent le même mythe en s'arrêtant à la mort de Thjazi, mais ne précisent pas la métamorphose d'Idunn en noix[35]. Snorri Sturluson a utilisé ce poème comme source pour son récit, et il le cite dans son œuvre. À lastrophe 50 du poème eddiqueLokasenna, Loki fait allusion à son rôle dans la mort du géant[36].
Le centre du récit se fonde sur la mythologie du cycle annuel au cours duquel le géant hivernal est vaincu et le printemps rend aux dieux la jeunesse que symbolisent les pommes d'Idunn[37],[38].
Dans le poème eddique héroïqueReginsmál, on apprend queRegin élèveSigurd et lui raconte l'histoire de l'or d'Andvari. Ce mythe est également raconté dans laVölsunga saga et auchapitre 39[Note 8] duSkáldskaparmál, avec peu de variations. Regin explique qu'Odin, Hoenir et Loki arrivent à une cascade et Loki tue avec une pierre une loutre qui mangeait un saumon. Loki se vante alors de sa double prise. Cette loutre n'est autre queÓtr métamorphosé, le frère de Reginn et deFafnir, fils deHreidmarr. Le soir même, les dieux se logent chez Hreidmarr avec leur butin. Hreidmarr et ses fils s'emparent des dieux et demandent en réparation assez d'or pour remplir et recouvrir la peau de la loutre. Loki est envoyé pour récupérer l'or, et il capture le nain Andvari métamorphosé en brochet. Loki exige l'or d'Andvari qui le lui donne. Le nain dissimule tout de même un anneau mais Loki le voit et lui prend, alors Andvari prononce la malédiction sur l'or. Les Ases remplissent ensuite la peau de la loutre et la recouvrent d'or. Hreidmarr voit qu'un poil de moustache dépasse, et donc Odin place l'anneau d'Andvari pour le recouvrir. Loki informe Hreidmarr de la malédiction sur l'or, et annonce la trame du cycle de Sigurd[39],[40].
Il existe plusieurs allusions au mythe du vol par Loki ducollier des Brísingar qui appartient à la déesseFreyja. Dans le poème scaldiqueHaustlǫng 9, et dansSkáldskaparmál 16, un kenning pour désigner Loki est« voleur du collier des Brísingar ». Le poème scaldiqueHúsdrápa préservé en partie dans leSkáldskaparmál, mentionne que Loki a volé l'objet précieux à Freyja. Celle-ci demande àHeimdall de le retrouver et ils découvrent que Loki en est le voleur. S'ensuit un combat entre les deux dieux métamorphosés en phoques, où Heimdall triomphe.
Lechapitre 49 de laGylfaginning raconte queBaldr, l'un des fils d'Odin, rêve de sa mort prochaine ce qui inquiète les Ases. Sa mèreFrigg fait alors jurer à chaque élément de ne jamais faire de mal à son fils. Ainsi les Ases s'amusent à honorer Baldr en lançant vers lui des objets qui conséquemment ne lui font aucun mal. Ceci déplaisant à Loki[41], il prend l'apparence d'une femme et obtient l'aveu de Frigg qu'elle n'a pas demandé de serment augui, tant cette pousse lui paraissait inoffensive. Loki recueille alors le rameau de gui, et incite le dieu aveugleHöd, frère de Baldr, à le lancer contre lui pour se joindre à l'activité. Loki guide le jet de Höd, et le rameau transperce Baldr et le tue devant la stupéfaction des Ases. Le dieuHermód se porte alors volontaire pour voyager au monde des morts pour demander à la gardienneHel de leur rendre Baldr. Celle-ci accepte à condition que toutes choses au monde le pleurent. Les Ases envoient donc des messagers à travers les mondes pour leur demander de pleurer la mort de Baldr, mais ils rencontrent une géante appeléeThokk, qui est en fait Loki déguisé, qui refuse de le pleurer, empêchant ainsi Baldr de revenir des morts[42].
Le poème eddiqueBaldrs draumar raconte le meurtre de Baldr par Höd, mais le rôle de Loki n'y est pas mentionné. De même, le poèmeVöluspá auxstrophes 31 à 34 évoque ce meurtre sans impliquer Loki, toutefois lastrophe 35 mentionne la punition de Loki (cf.infra). Dans le poème eddiqueLokasenna, Loki se vante d'avoir causé la mort de Baldr :
Lepoème runique norvégien offre un moyen mnémotechnique pour mémoriser les runes, Loki est associé à la runeBerkanan (bouleau) et on lit à lastrophe 13 :« Ruse à Loki valut misère »[45]. Il s'agit peut être d'une référence à son rôle dans le meurtre de Baldr[réf. nécessaire].
Loki se querellant avec les dieux, illustration deLorenz Frølich (1895).
Dans le poème eddiqueLokasenna, le dieu malin Loki profère des insultes à l'encontre des principaux Ases lors d'un banquet. Le prologue en prose raconte que le géantÆgir tient un banquet pour tous les Ases. Loki est énervé par la louange des domestiques du géant,Eldir etFimafeng, ainsi il tue le second et se fait chasser du banquet par les Ases. En revenant, Loki croise Eldir et le poème commence à cet instant. Eldir lui informe que les dieux parlent de leurs prouesses et ne parlent pas de Loki en bien. Dès lastrophe 3, Loki précise ses intentions pour la suite :
Entré dans la halle qui est devenue silencieuse à son arrivée, Loki exige à boire et Odin lui permet de s'assoir pour le calmer. S'ensuit un échange verbal entre Loki et les principaux dieux, où Loki les insulte et les nargue tour à tour. Beaucoup de mythes sont rappelés dans le poème, et d'autres qui ne nous sont pas parvenus. À lastrophe 57, Thor, qui était absent, arrive au banquet et menace Loki,« être abject », de le tuer avec son marteau. Après un bref échange, Loki se résigne à partir car il sait que Thor le frapperait, puis il maudit Ægir. L'épilogue en prose raconte alors la capture et la punition de Loki par les Ases[46].
Auchapitre 50 de laGylfaginning, les dieux, excédés par le meurtre de Baldr, décident de rechercher Loki, qui s'était caché sur une montagne. Il s'y construit une maison dotée de quatre portes, une sur chaque façade, afin de pouvoir surveiller toutes les directions. Le jour, il se transforme parfois en saumon dans les cascades de la rivière Fránangr. Réfléchissant à la manière dont les Ases pourraient l'attraper sous sa forme de poisson, il invente le premier filet de pêche avec des fibres de lin. Il voit alors les Ases s'approcher, il jette le filet au feu avant de bondir dans la rivière.Kvasir entre en premier dans la maison et en voyant les cendres laissés par le filet il comprend son utilité pour pêcher les poissons, ainsi les Ases en fabriquent un à leur tour. Les Ases se divisent en deux groupes et remontent la rivière, finissant ainsi par capturer Loki. Thor attrape Loki par la queue et depuis tous les saumons ont un corps mince à l'arrière. Les Ases emmènent Loki dans une caverne, ainsi que ses filsNarfi (ou Nari) etVali. Ils métamorphosent Vali en loup qui déchire son frère Narfi, et avec les boyaux de ce dernier ils attachent Loki à trois pierres.Skaði place un serpent au-dessus de lui, de manière que le venin coule sur son visage.Sigyn, la femme de Loki, recueille le venin dans une cuvette. Toutefois, lorsqu'elle vide la cuvette pleine, du venin coule sur le visage de Loki ce qui le fait se tordre de douleur et causer les tremblements de terre. Loki restera ainsi jusqu'auRagnarök[47].
L'épilogue du poème eddiqueLokasenna raconte en moins de détails le supplice de Loki. Une différence notable avec laGylfaginning est que dans ce poème les deux fils de Loki sont Nari et Narfi, et Vali n'y est pas mentionné[48]. À lastrophe 49 de ce poème, Skaði annonce à Loki qu'il sera entravé par les entrailles de son fils sur un rocher. Le supplice de Loki est également mentionné par lavölva (prophétesse) à lastrophe 35 du poèmeVöluspá, où Sigyn est décrite siégeant à ses côtés :
Lechapitre 51 duGylfaginning raconte en détail les évènements de la fin du monde prophétique duRagnarök. Le monde sera ravagé par les guerres et un hiver de trois ans, leFimbulvetr. Toutes les chaînes se briseront, ainsi le loupFenrir et Loki seront libérés, et le serpentJörmungand dévastera les terres. Les géants et Loki accompagné du cortège des morts de Hel combattront les dieux sur la plaine deVigrid. Presque tous périront. Fenrir engloutira Odin avant d'être tué parVidar, Jörmungand et Thor s'entretueront, et Loki combattra le dieu Heimdall et ils s'entretueront également. Le géant du feuSurt enflammera le monde, avant qu'il renaisse des flammes[51].
Le poème eddiqueVöluspá raconte également les évènements du Ragnarök, et a servi de source pour Snorri Sturluson. Le poème précise à lastrophe 51 que Loki arrivera de l'est sur un bateau[52], ce qui contraste avec laGylfaginning qui mentionne également un bateau,Naglfar, mais c'est le géantHrym qui le gouvernera[51].
Siwodan etwigiþonar sont vraisemblablement les nomsalémaniques des dieux Odin et Thor,logaþore pose un problème. Certains spécialistes ont proposéLódur et Loki, mais aucune conclusion satisfaisante n'a été trouvée[54],[3].
Le personnage attaché de la pierre de Kirkby Stephen.
Une croix fragmentée de la fin duXe siècle, retrouvée àKirkby Stephen en Cumbria, porte une figure entravée dotée de cornes et d'une barbe. Ce personnage est parfois pensé représenter Loki[59]. La pierre, découverte en 1870, est engrès jaune pâle ; elle est aujourd'hui placée à l'entrée de l'église de Kirkby Stephen. Une pierre portant des gravures similaires, découverte àGainford, dans le nord de l'Angleterre, est abritée à lacathédrale de Durham[60].
La pierre de Snaptun porte une représentation probable de Loki.
Au printemps 1950, une pierre plate semi-circulaire portant, gravé un visage moustachu, fut retrouvée sur une plage proche de Snaptun, auDanemark. Les gravures de la pierre, unestéatite deNorvège ou deSuède, ont été datées aux environs de l'an Mil. Le personnage moustachu fut identifié grâce aux cicatrices figurant sur ses lèvres, en référence à un conte duSkáldskaparmál, une section de l'Edda poétique, où lesfils d'Ivaldi, des nains, cousent ensemble les lèvres de Loki[61].
La pierre de Snaptun est une pierre d'âtre ; le museau dusoufflet se plaçait dans le trou situé à l'avant de la pierre, et l'air produit par le soufflet poussait la flamme à travers l'orifice supérieur. La pierre protégeait ainsi le soufflet de la chaleur du feu et d'une exposition directe aux flammes. D'après Hans Jørgen Madsen, la pierre de Snaptun est « la plus belle pierre d'âtre ouvragée connue ». La pierre, qui pourrait suggérer une connexion entre Loki et la forge ou les flammes, est aujourd'hui exposée aumusée Moesgård, près d'Århus au Danemark[61].
Parmi les dieux, Loki présente trois particularités : il est absent des sagas familiales, ne figure pas dans l'onomastique et ne fait l'objet d'aucun culte[63]. En raison de l'aboutissement de son évolution, un culte de Loki eut été inconcevable car on ne rend pas un culte aux ennemis des dieux. Il ne figure pas non plus dans latoponymie où son nom a dû être remplacé par celui du diable, comme dans les contes et légendes populaires[64]. Il n'est pas présent dans l'anthroponymie ni dans les sagas familiales car personne ne voulait d'un tel ancêtre. Pour ces raisons, on lui a prêté des méfaits dont il n'était pas responsable initialement[65].
Des spécialistes ont longtemps cherché une fonction pour Loki, etJacob Grimm en a fait un dieu du feu, ce qui a été repris par plusieurs spécialistes, le feu étant comme Loki ; ambivalent, bénéfique ou destructeur. Cette association est également issue de la proximité linguistique avec le motlogi (« feu »). Mais les mythes n'associent pas particulièrement Loki à un élément.Georges Dumézil note tout de même que le feu est parfois associé à Loki dans les proverbes et expressions qui ont survécu à l'époque moderne. Le vent est également parfois associé à Loki, et un de ses autres noms, Lopt, signifie« air » envieux norrois[66].
Sophus Bugge estime en 1888 que Loki est dérivé deLucifer (« Luki-fer ») de lamythologie chrétienne, une théorie qui n'est plus acceptéeaujourd'hui[Quand ?]. En revanche, il n'est pas exclu que Loki ait été assimilé audiable par les populations nordiques christianisées. Le diable est, selon son nom grec, « celui qui divise », et la proximité de Loki avec le feu ne pouvait que favoriser ce rapprochement[67].
Rudolf Simek estime que Loki n'a rien à voir avec le feu, ni avec aucun autre élément[68].
Dans sa monographie de Loki (1933),Jan de Vries propose une nouvelle théorie qui présente le dieu nordique comme untrickster (1933), un fripon fourbe et parfois dangereux. Georges Dumézil, dans son ouvrageLoki (1948, 1986), développe largement cette interprétation psychologique et sociale, présentant Loki comme un de ces « êtres "en marge", de naissance inférieure, traités en inférieurs, incomplètement adoptés par la société et se détachant eux-mêmes de la société »[69]. Il avance également que cette figure est une figure héritée de la période communeproto-indo-européenne et trouve des équivalents en termes de personnalité dans le farceur semi-divinSyrdon de lamythologie ossète (etcaucasienne en général) et le personnage irlandaisBricriu. En effet, comme Loki, Syrdon est indirectement responsable de la mort d'un personnage héroïque quasi-immortel en poussant un autre à l'acte, et s'est même métamorphosé en femme pour obtenir des informations sur le point faible de sa victime. Bricriu est, lui, un semeur de zizanie. Il établit ainsi un personnage divin de satiriste qui utilise une partie de ses dons « à ruser, à tromper, à intriguer, et aussi […] à persifler, à nuire, à haïr »[70].
L'explication générale de Loki par la figure du trickster a été abandonnée par de Vries en 1956.Anders Hultgård(en) montre qu'elle est infirmée par le rôle de Loki dans le meurtre de Baldr et les événements qui suivent : « Son action néfaste en relation avec Balder et son rôle eschatologique ne concordent pas avec la fonction culturelle et salvatrice du trickster ce qui conduit de Vries (1933) à attribuer cet aspect de Loki à un développement tardif dû à une influence chrétienne »[71]
PourJean Haudry, « le feu est au centre de sa mythologie et à l'origine de son personnage »[65]. Dans son étude de Loki (1988), il affirme qu'il faut reconsidérer la présence du feu, « presque omniprésent dans sa mythologie »[72] et amène une nouvelle comparaison avec le dieu du feu indienAgni, dont l'une des désignations est la « qualification des seigneurs »[73]. Cette qualification est, dès le départ, ambiguë, aussi bien louange que calomnie. La parole, pareille au feu, est caractérisée par sa duplicité fondamentale. Le feu passant constamment du monde des ténèbres à la lumière[67], la parole peut être bienfaisante ou dangereuse. Loki, comme Agni, assume également un rôle de messager, d'éclaireur et de compagnon. Haudry reconstruit ainsi une notion héritée de « parole de feu » qui permet une réinterprétation de la mythologie du dieu nordique, tant dans ses aspects naturalistes, que dans le type de mal né contestataire, persifleur, dont l'apparition, dans les sociétés traditionnelles est particulièrement redoutée: la médisance et la satire pouvant avoir des effets destructeurs.
C'est en tant que personnage subversif, qui pousse les dieux au parjure, que Loki joue un rôle décisif dans le Ragnarök, car l'énonciation de la vérité, l'ordre moral, l'ordre social et l'ordre du monde sont homologues[74]. Il correspond alors au démon indien Kali (à ne pas confondre avec la déesseKâlî), celui qui provoque le dernier âge du monde, leKali Yuga[75].
Les auteurs de synthèses commeRégis Boyer ou Rudolf Simek préfèrent mettre en avant la complexité de la divinité. Boyer souligne son aspect « intelligent, mais amoral, aimant à faire le mal pour s'amuser », un « tissu de traits contradictoires »[76].
Le mythe de la punition de Loki a également été comparé à ceux duTitan grecProméthée (un voleur du feu), du géantTyphon et du géant du CaucaseAmiran[68].
Des expressions incluent au Danemark« porter des lettres de Lokke » (mentir), en Norvège« Lokje bat ses enfants » (lorsqu'un feu pétille fort). Un proverbe islandais est« Loki et Thor marchent longtemps, les orages n'en finissent pas » (Leingi geingr Loki ok Þór, léttir ei hríðum). Certains termes modernes tirent leur étymologie de Loki. En Islande,Lokabrenna « feu de Loki » désigne la canicule, etLokasjóðr (« bourse de Loki ») les plantes qu'on appelle ailleurs« monnaie de Judas »[77].
En 1898, leclergyman Robt M. Kennley raconte que pendant son enfance enLincolnshire (Angleterre), il apporta de laquinine à un enfant malade et observa sa grand-mère frapper un à un avec son marteau trois fers de cheval cloués au pied du lit de l'enfant et récitant[77] :
Feyther, Son and Holy Ghoast
naale the divil to this poast;
with this mall Oi throice dew knowk
one for God an' one for Wod an' one for Lok !
Père, Fils et Saint-Esprit,
clouez le diable à ce poteau !
Avec ce marteau je frappe trois fois :
une pour Dieu, une pour Wod [Odin], une pour Lok !
Dans le filmThe Mask (1994), le masque au pouvoir divin qu'utilise Stanley Ipkiss (Jim Carrey) aurait été créé par Loki. Ceci sera confirmé dans le second volet du film,Le Fils du Mask (2005), où Loki en personne (Alan Cumming) vient sur Terre pour récupérer son masque qui ne doit pas être utilisé par les mortels.
Dans la sérieSupernatural, Loki est un personnage joué parRichard Speight Jr. On apprendra plus tard que c'est l'archange Gabriel qui utilise cette identité. Dans la saison 13, Loki est présent à l'écran.
↑Dans l’Edda traduite en français par Dillmann (1991), Loki apparaît dans leschapitres 1, 4, 5 et 6. La numérotation des chapitres y est différente de la version originale car sa traduction n'inclut que les principaux passages en prose. Nous préciserons dans le corps de l'article par le moyen de notes le numéro de chapitre correspondant de la traduction de Dillman.
↑Certains spécialistes, dontEugen Mogk(en), ont contesté le rôle de Loki dans le meurtre de Baldr. En effet, ce rôle n'est décrit précisément que chezSnorri Sturluson (Mogk considérait Snorri plus comme un créateur qu'un témoin de mythes nordiques), les poèmes eddiques étant évasifs selon eux, et la version fortementévhémériste du meurtre de Baldr parHöd dans laGesta Danorum deSaxo Grammaticus ne mentionne même pas Loki. Georges Dumézil a toutefois défendu que le mythe tel qu'il est décrit par Snorri est bien un témoignage sérieux d'une des versions connues à l'époque. Il assure que les mentions évasives du meurtre de Baldr ne contestent pas le rôle de Loki, au contraire, et rajoute que laGesta Danorum qui reproduit de nombreux autres mythes nordiques ne mentionne Loki nulle part, mais par contre Loki est remplacé dans sa fonction par un Gevarus qui conseille à Höd sur la manière de tuer l'invincible Baldr (ref. Dumézil, 1986,p. 102-117).