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| Titre |
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| Pays | |
| Territoire d'application | France |
| Langue(s) officielle(s) | Français |
| Type | Loi constitutionnelle |
| Branche | Droit constitutionnel |
| Adoption | , et |
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| Modifications |
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| Abrogation | constitution du |
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Version d'origine,version consolidée
Constitution française de 1852 (IId Empire)
Loi Rivet etloi de BroglieLoi constitutionnelle du 10 juillet 1940 (régime de Vichy)
Leslois constitutionnelles de 1875 sont les trois lois de natureconstitutionnelle votées enFrance par l'Assemblée nationale entre février et qui instaurent définitivement laTroisième République (auparavant, elle n'avait été qu'ébauchée par des lois qui répondaient à des problèmes ponctuels, comme laloi Rivet, ou encore laloi du 20 novembre 1873).
Au total, troislois constitutionnelles viennent organiser lerégime républicain :
Ces trois lois seront légèrement modifiées par la suite. C'est la première et la dernière fois qu'unrégime républicain, enFrance, n'est pas organisé par une véritableconstitution, bien que l'on ait l’habitude de les appeler, par simplification, « Constitution de 1875 ».
Elles n'ont été juridiquement abrogées que lors de la promulgation de laConstitution du 27 octobre 1946. Toutefois, leur application a été suspenduede facto entre le — date duvote des pleins pouvoirs àPétain, qui devait d'ailleurs mettre en place, selon les termes de laloi constitutionnelle du 10 juillet 1940,une nouvelle constitution, qui n'a jamais vu le jour — et la promulgation de la constitution de laQuatrième République. Laloi constitutionnelle du 2 novembre 1945 établit en effet ungouvernement provisoire, maintenant les lois constitutionnelles de 1875 dans leur non-application.
En 1875 laFrance vit dans un régime provisoire depuis 1870 et la chute duSecond Empire. Plusieurslois ont été votées par l'Assemblée nationale, chambre unique duparlement français élue en 1871, pour organiser les institutions provisoires de l'État — après la proclamation, le, de la « République ».

L'Assemblée nationale élue lors desélections de février 1871, seule assemblée législative et constituante, est composée en majorité demonarchistes (sur 675 sièges pourvus en1871 il y avait environ 400 monarchistes) — c'est pourquoi l'on parle de« République des ducs »[N 1]. Ces monarchistes, pour la plupart favorables à la paix avec laPrusse, veulent le retour de la royauté mais restent divisés sur le prétendant à porter sur le trône. Il y a en effet 182légitimistes favorables àHenri d'Artois, le comte de Chambord, et 214orléanistes favorables àPhilippe d'Orléans, le comte de Paris.
La question du régime reste en suspens car aucune des solutions — république, monarchie orléaniste favorable à une alliance de laroyauté et dulibéralisme, monarchie légitimiste espérant le retour à l'Ancien Régime — n'atteint la majorité. Les élections ont toutefois modifié l'orientation du régime : à la république d'inspiration révolutionnaire qui s'est imposée au nom du« Salut public »[3], elles substituent unrégime républicain de fait, qui« se réduit au régime existant, à quelque chose qui ressemble à l'ordre établi »[4].
L'on appelle « pacte de Bordeaux » deux discours, prononcés parAdolphe Thiers le et le devant l'Assemblée nationale, par lesquels lechef de l'État promet de remettre à plus tard les discussions d'ordre constitutionnel, et de ne pas favoriser un parti plutôt qu'un autre[4].
Le vide juridique laissé par la chute de l'Empire n'a donc pas été comblé réellement.Thiers a été nommé « chef du pouvoir exécutif de la République française » puis « président de la République », mais le régime n'a rien d'unerépublique, sauf au sens antique du terme : il est lares publica, littéralement « la chose publique », c'est-à-dire la chose commune qui lie un peuple. Le décret du le montre bien :
« L'Assemblée nationale, dépositaire de l'autorité souveraine,
Considérant qu'il importe, en attendant qu'il soit statué sur les institutions de la France, de pourvoir immédiatement aux nécessités du gouvernement et à la conduite des négociations,
Décrète :
M. Thiers est nommé chef du pouvoir exécutif de la République française. »
« En attendant » dit le décret. La question de la nature du futur régime est laissée en suspens. Il faudra quatre années pour la résoudre.
La nouvelle République française n'a rien derévolutionnaire. Elle est« conservatrice, sage », comme l'a ditThiers, qui souhaite dissocier l'idée de « république » du radicalisme hérité de laRévolution française[4]. La répression de laCommune de Paris montre que la République peut défendre l'ordre établi contre ceux qui se réclament de 1789. L'élection partielle de donne 99 sièges aux républicains sur les 114 qui sont à pourvoir : le nouveau régime a su montrer qu'il est conservateur.
Leslois Rivet (),de Broglie () etdu septennat () modifient le visage du régime qui devient peu à peuparlementaire[5], en supprimant laresponsabilité présidentielle au profit de laresponsabilité ministérielle. L'opposition entre la majorité monarchiste etThiers qui s'est rallié à la République permet cette évolution : loin de vouloir conforter les pouvoirs duchef de l'État, l'Assemblée nationale cherche au contraire à les affaiblir[6].

En effet,Adolphe Thiers, pourtant un ancienorléaniste qui a servi sousLouis-PhilippeIer, se rallie à la république balbutiante par un message adressé à la chambre, le, que la majorité monarchiste, sous la houlette d'Albert de Broglie, dénonce comme une rupture dupacte de Bordeaux[7] :
« La République existe, elle sera le gouvernement légal du pays, vouloir autre chose serait une nouvelle révolution et la plus redoutable de toutes. Ne perdons pas notre temps à la proclamer, mais employons-le à lui imprimer ses caractères désirables et nécessaires. Une commission nommée par vous il y a quelques mois lui donnait le titre de République conservatrice. Emparons-nous de ce titre et tâchons surtout qu'il soit mérité. Tout gouvernement doit être conservateur, et nulle société ne pourrait vivre sous un gouvernement qui ne le serait point. La République sera conservatrice ou ne sera pas. La France ne peut pas vivre dans de continuelles alarmes[8]. »
Après diverses péripéties,Thiers, qui n'est plus autant nécessaire qu'avant depuis que le principe de la libération du territoire par lesAllemands est acquis[9] est finalement mis en minorité en par l'Assemblée nationale, et il démissionne. L'Assemblée élit à sa place lemaréchalPatrice de Mac Mahon, unmonarchiste. La restauration de laroyauté semble toute proche durant l'été1873[10] mais la fermeté ducomte de Chambord dans l'affaire du drapeau blanc ruine les espoirs.
On vote alors laloi du septennat qui tout en prolongeant la durée de vie de la République provisoire jusqu'en 1880 (durée du mandat de Mac Mahon), supprime la responsabilité du président devant la chambre — aucun moyen de révoquer Mac Mahon n'a été prévu, contrairement à Thiers qui travaillait« sous l'autorité de l'Assemblée nationale ».Albert de Broglie résume ainsi le rôle que lesmonarchistes espèrent faire jouer aumaréchal Mac Mahon :
« Le septennat du maréchal de Mac Mahon, constitué au lendemain de l'échec de la fusion, nous donnait un délai de quelques années pendant lesquelles la porte restait ouverte à la monarchie : le comte de Chambord pouvait réfléchir et revenir sur ses prétentions, ou la France se résigner à les accepter. Nous donnions ainsi du temps et en quelque sorte de la marge aux événements. Le trône restait vacant et j'avais réussi à y faire asseoir, sous le nom de président, un véritablelieutenant-général du Royaume, prêt à céder la place, le jour où le Roi aurait été en mesure de la prendre[11]. »
La restauration n'est que repoussée, dans l'esprit des monarchistes : elle peut advenir sans difficulté pendant les sept années du mandat de Mac Mahon (voirci-dessous).
[Gambetta vient d'évoquer la remontée du bonapartisme dans les élections]
[…] et, comme toujours, on fit appel à la seule force qui soit, dans ce pays, en état de refouler les coupe-jarrets du despotisme.(Bravos et applaudissements répétés.)
On fit appel à la République. Il devint possible de constituer une majorité d'honnêtes gens, de citoyens dévoués, dont les uns ont fait de réels sacrifices d'opinion, les autres des concessions de position, tandis que d'autres enfin consentaient à différer la réalisation immédiate de leurs tendances politiques. Messieurs, il faut dire la vérité, c'est par horreur du césarisme, cette hideuse lèpre qui menaçait de nouveau d'envahir la France,(Applaudissements) c'est pour en finir avec un provisoire mortel et irritant qui empoisonnait jusqu'aux sources mêmes de la vie nationale, que l'on se décida enfin à écouter la voix du suffrage universel. Aux approches du péril, les illusions tombèrent, les yeux s'ouvrirent, les hommes de bonne volonté et de bonne foi se confièrent résolument à la démocratie et à son esprit, et la République fut faite.(Mouvement prolongé.)Les années1873-1875 sont marquées par le progrès des républicains dans les élections législatives partielles, qui sont majoritairement élus face auxmonarchistes[13]. En parallèle, lesbonapartistes regagnent du terrain[14] — ainsi l'élection partielle du dans laNièvre amène-t-elle à la chambre le baron de Philippe de Bourgoing, ancienécuyer deNapoléon III[14]. La remontée dubonapartisme amène un rapprochement des républicains et des monarchistes, et favorise finalement le vote des lois : les centres, droit et gauche, s'accordent, permettant de surmonter les dissensions et d'organiser enfin le régime[14].
L’Assemblée, à travers laloi de Broglie, avait décidé (article 5) :
« L’Assemblée nationale ne se séparera pas avant d’avoir statué :
- sur l’organisation et le mode de transmission des pouvoirs législatif et exécutif ;
- sur la création et les attributions d’une seconde chambre ne devant entrer en fonctions qu’après la séparation de l’Assemblée actuelle ;
- sur la loi électorale.
Le gouvernement soumettra à l’Assemblée des projets de loi sur les objets ci-dessus énumérés. »
À cet effet une commission de trente membres, connue sous le nom de « commission des Trente », a été désignée pour préparer les nouvelles institutions, par laloi du 20 novembre 1873, par l'Assemblée nationale. Cette commission à majorité monarchiste[14] prend son temps, en espérant que la restauration de la monarchie interviendrait.

De à les députés s'affrontent sur la nature duseptennat : « personnel » ou « impersonnel » — lesmonarchistes favorisent le premier, et veulent seulement organiser les pouvoirs d'un seul homme,Mac Mahon ; les républicains défendent le second, qui vise à établir pour un temps indéfini une institution, celle de« président de la République »[15].
Une proposition est ainsi déposée parJean Casimir-Perier en juin, rejetée, par de faibles majorités toutefois, car elle contient une formulation trop provocante pour lesmonarchistes :« le gouvernement de la République se compose de deux chambres et d'un président »[14],[13].
Le[13] s'engage la discussion sur le projet de la commission, lequel est très neutre. Le mot « république » n'y apparaît pas[13]. C'est précisément sur ce mot que les discussions et les luttes s'engagent.
Laboulaye propose un amendement au premier article du projet spécifiant :« Le gouvernement de la République se compose de deux chambres et d'un président[N 2] ». La proposition est rejetée par 359 voix contre 336[16]. C'estHenri Wallon qui trouve la formulation qui fait basculer l'Assemblée nationale. Wallon explique sa proposition ainsi :
« Ma conclusion, messieurs, c'est qu'il faut sortir du provisoire. Si la monarchie est possible, si vous pouvez montrer qu'elle est acceptable, proposez-la. Mais il ne dépend pas malheureusement de vous, ici présents, de la rendre acceptable. Que si, au contraire, elle ne paraît pas possible, eh bien, je ne vous dis pas : Proclamez la République !… mais je vous dis : Constituez le gouvernement qui se trouve maintenant établi et qui est le gouvernement de la République ! Je ne vous demande pas de le déclarer définitif. Qu'est-ce qui est définitif ? Mais ne le déclarez pas non plus provisoire. Faites un Gouvernement qui ait en lui les moyens de vivre et de se continuer, qui ait aussi en lui les moyens de se transformer, si le besoin du pays le demande ; de se transformer, non pas à une date fixe comme le 20 novembre 1880, mais alors que le besoin du pays le demandera, ni plus tôt ni plus tard. Voilà, messieurs, quel était l'objet de mon amendement[17]. »
L'amendement Wallon consiste en cette phrase (souligné par Wikipédia) :
« Le président dela République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est élu pour sept ans. Il est rééligible[16]. »
L'amendement est voté le par 353 voix contre 352[16]. La seule voix de différence, d'ailleurs contestéea posteriori[N 3], s'est rapidement élargie à une majorité plus confortable dans les votes suivant — les républicains modérés faisant pression sur les plus radicaux pour les convaincre d'accepter ces lois provisoires[16].
Le vote de cet amendement, qui organisait enfin de manière durable une institution officiellement républicaine, est loin du« triomphe de la république » décrit par l'historien républicainEdgar Zévort[18] : c'est plutôt une résignation du centre droit à une république conservatrice, capable de se muer en monarchie, et du centre gauche à un régime républicain minimal.
Les trois lois sont ensuite votées[16] :
L'Assemblée nationale se sépare ensuite le, ayant rempli sa tâche : elle a fondé « provisoirement » un régime qui a duré soixante-cinq ans.
En1884, les républicains au pouvoir font ajouter à la loi du un alinéa disposant que« La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision » (voirci-dessous). Ainsi prennent fin les quatre-vingts ans de tâtonnements constitutionnels qui ont amené laConvention, l'Empire, laRestauration, etc.
Léon Gambetta résume, dans un discours prononcé le, les circonstances de la naissance de ce nouveau texte constitutionnel — le douzième au bas mot depuis laRévolution de 1789. Il met l'accent sur le caractère hâtif de la rédaction, mais, dans le même temps, il pressent que ce texte, faiblement structuré, organisant de manière très souple le régime, pourrait fort bien convenir aux républicains qui se sont résolus, lors du vote, à une république très conservatrice :
« On a fait une Constitution, on ne l’a pas beaucoup discutée. On a organisé des pouvoirs, on ne les a pas très minutieusement et, si je puis le dire, on ne les a pas très analytiquement examinés et coordonnés. On a été vite, et cependant savez-vous ce qui est arrivé ? C'est que l’œuvre vaut mieux, peut-être, que les circonstances qui l’ont produite ; c’est que, si nous voulons nous approprier cette œuvre et la faire nôtre, l’examiner, nous en servir, la bien connaître surtout, afin de bien l’appliquer, il pourrait bien se faire que cette Constitution, que nos adversaires redoutent d’autant plus qu'ils la raillent, que nos propres amis ne connaissent pas encore suffisamment, offrît à la démocratie républicaine le meilleur des instruments d’affranchissement et de libération qu’on nous ait encore mis dans les mains. (Profonde sensation.)[19] »
— Léon Gambetta.
Dans le paysage constitutionnel français duXIXe siècle, marqué par des bouleversements nombreux et radicaux, qui ont conduit le pays d'un extrême à un autre, la Constitution de1875 est innovante, par au moins deux aspects : sa simplicité et sonorléanisme.
Cette nouvelle constitution est courte (trente-quatre articles au total), sanspréambule ni déclaration de principe ou de droits, sans référence philosophique non plus. C'est donc uneconstitution procédurale de compromis[20], sans plan d'ensemble : les articles se suivent sans trop de logique — on les a votés dès qu'un compromis était trouvé[21].
Le style est sec, fonctionnel, n'apporte aucun rêve et reflète la résignation de chaque parti à une république de compromis — insuffisante pour les uns, inévitable pour les autres[20]. Chaque parti a fait des concessions en espérant bien les reprendre quand il aurait le pouvoir[20]. La procédure de révision (voir plus bas) est d'ailleurs fort simple. Cette constitution n'a pas été sacralisée comme d'autre, elle n'est qu'un compromis.

La constitution de1875 est la première à mêlerformerépublicaine degouvernement et mécanismes de lamonarchie parlementaire[21] — conjonction qui vise à assurer à la fois la liberté du régime et des citoyens (la première par le contrôle des électeurs sur les gouvernants, la deuxième par la protection deslibertés publiques) et la démocratie, vue comme inévitable[21]. Ce double objectif s'inscrit dans la tradition libérale de ceux queMarcel Morabito appelle les« pères spirituels » de la constitution de1875[21],Lucien-Anatole Prévost-Paradol etVictor de Broglie.
Dans l'histoire constitutionnelle française duXIXe siècle, mouvementée, seuls les mécanismes institutionnels orléanistes de laCharte de 1830 (comme le principe de la responsabilité du ministère hors de la responsabilité duroi, ou le principe de l'interpellation du ministère par les chambres, ou encore le pouvoir de dissolution de la représentation nationale et le pouvoir de l'exécutif sur les sessions parlementaires par exemple) donnent l'exemple d'un État libre et équilibré. La nouvelle constitution ne reprend pas point par point la charte, mais« l'économie générale du système de 1875 est indéniablement de facture orléaniste, tant par ses rouages essentiels que par ses facteurs d'équilibre »[22].
Symboliquement, le nom « Chambre des députés » adopté pour la chambre basse a lui-même été créé dès laRestauration, et repris par lamonarchie de Juillet. Sur un plan plus fonctionnel, le laconisme des lois constitutionnelles sur les rapports quotidiens entrepouvoir exécutif etpouvoir législatif renvoie à la pratique du seulrégime parlementairefrançais, celui de laCharte de 1830[21].
Fruit des tractations, considérée comme provisoire, la Constitution de1875 originelle n'a en effet été que provisoire.
Elle organise undualisme parlementaire dans lequel la Chambre des députés et le président sont les deux centres du pouvoir entre lesquels legouvernement prend place. Toutefois, au fur et à mesure que les républicains s'emparent des organes institutionnels (leparlement puis la présidence de la République) ils modélisent le fonctionnement du régime selon leurs idées sans pour autant changer le contenu des lois : l'affaiblissement du président et du gouvernement, au profit d'une assemblée toute puissante est un résultat de la pratique des institutions et non de la lettre de la constitution.

Sous laTroisième République lepouvoir exécutif est détenu par deux éléments : le président et le gouvernement — et au sein du gouvernement, leprésident du Conseil tient un rôle primordial. Toutefois, seul le président est expressément nommé dans les lois constitutionnelles comme détenteur de l'autorité ; leconseil des ministres n'est mentionné « qu'en passant » à propos de cas spécifiques, comme la vacance de la présidence de la République.
Leprésident de la République estélu pour sept ans par les deux chambres du parlement réunies en « Assemblée nationale », à la majorité absolue des suffrages[23].
Il n'a donc aucun poids populaire réel (on redoute lesuffrage universel pour le chef de l'État depuis l'élection en1848 deLouis-Napoléon Bonaparte à la présidence[22]). Le souci de stabilité est l'autre raison de ce choix[22] : le président est à l'abri des passions populaires.
Ce même souci de stabilité se retrouve dans la procédure de remplacement[22] (article 3 de laloi du 16 juillet 1875) : « Un mois avant le terme légal des pouvoirs du président de la République, les chambres devront être réunies en Assemblée nationale pour procéder à l'élection du nouveau président.
À défaut de convocation, cette réunion aurait lieu de plein droit le quinzième jour avant l'expiration de ces pouvoirs.
En cas de décès ou de démission du président de la République, les deux chambres se réunissent immédiatement et de plein droit[N 4]. »
La possibilité d'un « interrègne » est clairement proscrite par les constituants.
Le président dispose de pouvoirs très étendus, comme le montre l'article 3 de la loi duloi du 25 février 1875 : « Le président de la République a l'initiative des lois, concurremment avec les membres des deux chambres. Il promulgue les lois lorsqu'elles ont été votées par les deux chambres ; il en surveille et en assure l'exécution.
Il a le droit de faire grâce ; les amnisties ne peuvent être accordées que par une loi.
Il dispose de la force armée.
Il nomme à tous les emplois civils et militaires.
Il préside aux solennités nationales ; les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui.
Chacun des actes du président de la République doit être contresigné par un ministre. »
Cet article fait écho à l'article 6 de laloi du 25 février 1875, qui indique que :
« Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du Gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels.
Le président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison. »
Lechef de l'État est ainsi, à l'encontre de la tradition républicaine, irresponsable[25],[N 5]. Il se rapproche par là d'unroi, dont l'hérédité et la majesté empêche toute responsabilité devant une assemblée.
Les législateurs de1875, par cette irresponsabilité, empêchent également le président de mener une politique personnelle[25], puisque ses actes sont soumis à un contreseing.
Aux pouvoirs étendus et à l'irresponsabilité, les constituants ont ajouté une disposition d'une portée immense, contrepoids nécessaire de la responsabilité ministérielle, qui doit permettre« d'arracher le gouvernement à la tutelle absolue des chambres »[26] : ledroit de dissolution. Il est régi par l'article 5 de laloi du 25 février 1875 :
« Le président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat.
En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour de nouvelles élections dans le délai de trois mois. »
À ce premier outil, les lois constitutionnelles en rajoutent d'autres. L'article 2 de laloi du 16 juillet 1875 permet au président de proroger ou d'ajourner les chambres — l'ajournement ne pouvant toutefois dépasser un mois[N 6]. L'article 7 de ce même texte permet au président de refuser lapromulgation d'une loi et de demander une nouvelle délibération au parlement, ce qui constitue une forme deveto provisoire.
Il peut enfin communiquer avec les chambres par des messages écrits lus par un ministre[28].
À ces compétences en politique intérieure, l'article 8 de laloi du 16 juillet 1875 ajoute d'importants pouvoirs en politique étrangère :
« Le président de la République négocie et ratifie les traités. Il en donne connaissance aux chambres aussitôt que l'intérêt et la sûreté de l'État le permettent.
Les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l'État, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger, ne sont définitifs qu'après avoir été votés par les deux chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi. »
Il mène donc la négociation des traités, et peut même en ratifier certains sans que les chambres les aient approuvés. La majorité des traités doivent toutefois être votés par les deux chambres.
L'ensemble des pouvoirs attribués au président de la République le désigne pour conduire la politique du pays, même contre la volonté de la représentation nationale (par l'exercice de ladissolution). Par ailleurs, son inviolabilité lui permet d'exercer ses pouvoirs sans risque réel : c'est un« monarque[29] parlementaire » — et dans l'esprit desmonarchistes, un véritable monarque pourrait bien s'installer à la place du président en cas de restauration[30]. L'aspect essentiel du président est ainsi le même que celui du roi de lamonarchie de Juillet (Charte de 1830), ce qui confirme l'orléanisme du texte constitutionnel.
[Le 6 février, le message suivant du président de la République fut lu aux chambres, qui l'accueillirent par de vifs applaudissements :]
Messieurs les sénateurs, Messieurs les députés,
L'Assemblée nationale, en m'élevant à la présidence de la République, m'a imposé de grands devoirs. Je m'appliquerai sans relâche à les accomplir, heureux si je puis, avec le concours sympathique du Sénat et de la Chambre des députés, de ne pas rester au-dessous de ce que la France est en droit d'attendre de mes efforts et de mon dévouement.
Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels.
Les textes constitutionnels de laTroisième République définissent certes un président de la République puissant, doté de larges prérogatives, protégé duparlement et du peuple, mais ils portent en germe les difficultés futures.
En établissant l'irresponsabilité du président de la République, en soumettant ses décisions au contreseing d'un ministre, les constituants permettent la soumission du président à un cabinet qui ne lui est pas favorable — soumission qui aurait dû être tempérée par ladissolution de la Chambre pour retrouver une majorité favorable[32].
C'est là qu'intervient la pratique institutionnelle du régime, qui va faire du président unchef de l'État sans réel pouvoir autre que l'influence propre du titulaire[N 7]. C'est là l'un des paradoxes du nouveau régime.
La raison de cette modification de la pratique institutionnelle vient de ce que les républicains ont progressivement conquis tous les pouvoirs et ont appliqué leur vue politique : la représentation nationale prime sur lepouvoir exécutif, dans la droite ligne de la traditionrévolutionnaire[33].
Lacrise du 16 mai 1877 a révélé la volonté des républicains d'infléchir la république orléaniste qu'ils ont acceptée en1875 par compromis : leprésident de la RépubliqueMac Mahon a alors lu la constitution comme un systèmedualiste où le pouvoir du président doit être équilibré avec celui de la Chambre, parce le président a une responsabilité morale devant le pays[33]. Les républicains eux privilégient unmonisme parlementaire, dans lequel le président n'est qu'un symbole, et le gouvernement, une émanation de la majorité parlementaire[33]. La Chambre et le président sont entrés en conflit et, Mac Mahon ayant dissout la Chambre, lesélections de 1877 portent au pouvoir une majorité républicaine, désavouant en même temps le droit dedissolution et la conception dualiste de la constitution de1875. Sans l'équilibre que confère la dissolution, le parlementarisme orléaniste perd son équilibre[34] et le régime bascule vers le monisme parlementaire.
Le président de 1848 était tout-puissant ; le président tel que l'a voulu l'Assemblée nationale est réduit à l'impuissance. Pourquoi ?
L'article 64 de la Constitution de 1848 donnait expressément au président le droit de nommer et de révoquer ses ministres parce qu'il dispensait du contreseing les actes par lesquels le président les nommait ou les révoquait ; depuis 1875, même un décret révoquant un ministre doit être contresigné. Par qui ? C'est ce qui reste à trouver. Si le maréchal de Mac-Mahon a obtenu la démission de Jules Simon, aucun de ses successeurs n'a cru affirmer son autorité en s'exposant à implorer en vain la retraite d'un ministre. Quand les ministres sont les interprètes des volontés de la majorité du Parlement, il est du reste facile d'apercevoir à qui resterait, en cas de conflit entre le président et le cabinet, la victoire finale.Après la démission de Mac Mahon en 1879,Jules Grévy est élu président, et il promet de ne jamais entrer en lutte avec la représentation nationale. Il n'a pas utilisé durant son mandat ses prérogatives constitutionnelles, et cette pratique institutionnelle a été appelée « constitution Grévy », terme qui souligne son importance historique. Dans le même temps, à cause de sa détestation deLéon Gambetta[35], il a cantonné ce dernier pendant trois ans à êtreprésident de la Chambre des députés, prenant à sa place d'autres hommes pour laprésidence du Conseil, alors que Gambetta est leleader de la majorité parlementaire[35]. Ce faisant,« l'exercice par Grévy de son droit de nomination du président du Conseil a déterminé un amoindrissement de l'institution en consacrant la dissociation des fonctions deleader parlementaire et de premier ministre »[35].
À partir de1877 et plus encore de1879, le président n'est plus qu'unchef d'État symbolique, soumis au contreseing de ministres qu'il ne dirige pas et qui ne se sentent pas soumis à son autorité — la multiplication des « Conseils de cabinet », tenus sans la présence du président, le prouve[36]. Mais, dans le même temps, le cabinet a perdu l'appui duchef de l'État, seul détenteur de l'arme de ladissolution face à une majorité récalcitrante, il est désormais soumis aux« humeurs de la chambre basse »[34].
Dans unerépublique tenue par des républicains, leprésident de la République, sorte de « monarque parlementaire », s'efface devant le gouvernement qui émane duparlement et surtout de laChambre des députés. Le rôle du président se réduit ainsi, en politique intérieure, à choisir leprésident du Conseil[37] — encore que ce pouvoir soit limité. L'opinion en effet lui impose parfois un nom (ainsiClemenceau est imposé àPoincaré en1917), et il est obligé de choisir lechef du gouvernement parmi les parlementaires[37].
En politique étrangère, leprésident de la République conserve encore quelque rôle[37] —Jules Grévy en1885 par exemple signe lui-même les préliminaires de paix avec laChine[37]. Mais, après1917 et le retour au pouvoir deClemenceau, le rôle international du président diminue[37].
Finalement, le principal rôle du président après1877 est d'exercer une« magistrature d'influence »[36]. Stable et au-dessus des querelles quotidiennes, le président peut influencer lesprésidents du Conseil ou servir de recours en cas de crise nationale —Poincaré en1914 avec l'appel à l'Union sacrée.

Cette situation de fait, si elle accommoda certains présidents, fut insupportable à d'autres, commeAlexandre Millerand ouJean Casimir-Perier qui tous deux démissionnèrent avant le terme de leur mandat :
« La Présidence de la République est dépourvue de moyens d'action et de contrôle. Je ne me résigne pas à comparer le poids des responsabilités morales qui pèsent sur moi et l'impuissance à laquelle je suis condamné. »
— Jean Casimir-Perier, discours de démission de la présidence (1895)[37],[38].
Selon la célèbre formule, le président« inaugure les chrysanthèmes » :
« Parmi tous les pouvoirs qui lui semblent attribués, il n'en est qu'un que le président de la République puisse exercer librement et personnellement, c'est : la présidence des solennités nationales[37],[32]. »
— Jean Casimir-Perier
Allusion à l'article 3 de laloi du 25 février 1875 qui dispose effectivement que« [le président] préside aux solennités nationales ».
En revanche, rien de plus simple que la responsabilité ministérielle sous la monarchie constitutionnelle dont elle est le principal ressort, et ce mécanisme est devenu si familier dans notre siècle aux esprits éclairés, que l'expliquer est presque inutile. […]
Dans ce système de gouvernement, le ministère est homogène en même temps que responsable. Il a pour chef un président du conseil qui, investi de la confiance de la majorité, a librement choisi ses collègues. […]
Constitué de la sorte, administrant les affaires publiques sous la direction de son chef et soumis, pour l'ensemble et le détail de sa conduite, au contrôle quotidien du Parlement, il nous semble que le ministère offrirait à la fois au pays les avantages du gouvernement le plus fort qu'on pût concevoir et toutes les garanties inséparables pour le respect de la liberté générale. D'une part, ce cabinet appuyé sur la majorité parlementaire, pourrait tout faire,excepté, selon le dicton constitutionnel de nos voisins, de changer unhomme en femme ; d'autre part, il aurait pour frein constant et puissant, l'entier exercice de la liberté parlementaire et la surveillance jalouse du parti qu'il a remplacé au pouvoir et qui aspire à l'y remplacer à son tour.Le poste de « président du Conseil des ministres » trouve son origine dans laloi Rivet, votée le, qui institue la responsabilité desministres devant l'Assemblée nationale. Le,Adolphe Thiers publie un décret d'application de cette loi qui, prenant acte de ce que leprésident de la République n'est plus seul responsable devant leparlement, nomme un « vice-président du Conseil des ministres » pour remplacer le président le cas échéant[6], en la personne deJules Dufaure. Laloi de Broglie renforce la responsabilité ministérielle au détriment de la responsabilité présidentielle[9] — comme l'article 4 nous le montre :« Les interpellations ne peuvent être adressées qu'aux ministres et non au président de la République »[40]. Symboliquement toutefois, le président de la République reste « président du Conseil des ministres ».
Au lendemain de la fin du mandat de l'Assemblée nationale (),Mac Mahon nommeJules Dufaure « président du Conseil des ministres »[26]. C'est la première fois depuis1849 que quelqu'un occupe un poste intitulé de cette façon[26]. Cette re-création ne doit pas surprendre : elle correspond à l'inspiration orléaniste de la constitution de1875. Dans le silence du texte sur lechef du gouvernement, l'on se réfère machinalement à la pratique de lamonarchie de Juillet[26].
Leprésident du Conseil est certes absent des lois constitutionnelles, mais ces dernières le sous-entendent parce que, du fait de l'irresponsabilité duchef de l'État, il doit nécessairement y avoir un « responsable » pour le représenter devant l'opinion et les chambres — devant lesquelles il ne peut se présenter en personne[26].
Le président du Conseil, tout comme le gouvernement, est théoriquement nommé et révoqué par le président, en vertu de l'article 3 de laloi du 25 février :« [le président de la République] nomme à tous les emplois civils et militaires ». Toutefois, la nécessité de faire contresigner tous ses actes par un ministre empêche le président de révoquer à loisir son président du Conseil[32].
Les textes n'accordent auprésident du Conseil aucun pouvoir spécifique puisqu'il n'est même pas mentionné. Mais étant le chef duConseil des ministres, il est implicitement investi de prérogatives dans la loi relative à l'organisation des pouvoirs publics.
Le seul pouvoir qu'on pourrait lui concéder est donc indirect : selon l'article 7 de laloi du 25 février 1875,« dans l'intervalle [de la vacance de la présidence de la République], le Conseil des ministres est investi du pouvoir exécutif. »
C'est donc le président du Conseil — qui dirige le Conseil des ministres — qui assure l'intérim de la présidence de la République jusqu'à l'élection d'un nouveau titulaire.

Devant l'effacement du président, à la suite de la « constitution Grévy », c'est auprésident du Conseil qu'échoit la direction des affaires de laFrance. Nommé certes par leprésident de la République, il procède en réalité duparlement, et plus encore de laChambre des députés. Il choisit ses ministres qui sont nommés, en droit, par le président de la République[26].
Dans laTroisième République le président du Conseil est le seul à assumer la réalité dupouvoir exécutif, alors qu'il n'est pas mentionné dans les lois constitutionnelles, et qu'il ne dispose d'aucun pouvoir spécifique face aux chambres si elles lui sont hostiles.
Signe de sa faiblesse, il n'a même pas de services administratifs propres (il a un autre portefeuille afin d'avoir une existence légale et des moyens administratifs —Jules Dufaure en1876 est « président du Conseil, garde des Sceaux, ministre de la Justice »).
Peu à peu, la présidence du Conseil va prendre de l'importance et du prestige[41]. Elle s'institutionnalise également. Durant laPremière Guerre mondiale un secrétariat général est créé parPainlevé pour fournir de la documentation au président du Conseil.Clemenceau place à sa tête un sous-secrétaire d'État[42]. C'est la première fois que le président du Conseil se voit doté en propre d'un service attaché.
Après laguerre il est tantôt maintenu et tantôt supprimé[42].Gaston Doumergue tente de présenter une révision constitutionnelle qui établirait dans les textes le président du Conseil, mais il échoue[42].Pierre-Étienne Flandin, son successeur, obtient la création d'un service propre à la présidence du Conseil. En effet, laloi de finances de1934 autorise dans son article 23 qu'une somme soit allouée au président du Conseil pour qu'il puisse s'entourer de collaborateurs. Undécret du précise la composition de la présidence du Conseil, qui est installée à l'Hôtel Matignon (chef de bureau, dactylos, commis, huissiers)[42],[N 8].
Le président du Conseil enfin dispose en outre de certains pouvoirs constitutionnellement dévolus au président de la République mais que l'usage lui a dévolus en propre. Il peut ainsi proposer des lois, il a le pouvoir réglementaire, et nomme aux emplois civils et militaires.
Legouvernement, sous le vocable de « Conseil des ministres » est mentionné trois fois dans les lois constitutionnelles, contrairement auprésident du Conseil. Toutefois, signe de l'importance du président dans l'esprit des constituants, ces trois mentions sont mineures.
Tout comme pour leprésident du Conseil, dans le silence de la constitution, la nomination des membres du cabinet est du ressort duprésident de la République[43], car l'article 3 de laloi du 25 février indique que :« [le président de la République] nomme à tous les emplois civils et militaires ». Le nombre de ministres est illimité — le président de la République peut en nommer autant qu'il le souhaite pour peu qu'il ait les crédits pour le faire[26].
Les lois constitutionnelles ne demandent pas de vote d'investiture du gouvernement par les chambres. Toutefois, dans la pratique, leprésident du Conseil et son ministère présentent leur programme et sollicitent la confiance duparlement[26].
La constitution ne mentionne que trois prérogatives dévolues au Conseil des ministres[N 9].
De ces trois prérogatives, la plus importante est sans doute celle de laloi du 25 février 1875 (article 7), qui traite de la vacance de la présidence de la République :
« Dans l'intervalle, le Conseil des ministres est investi du pouvoir exécutif. »
Dans la droite ligne de la tradition parlementaire orléaniste, legouvernement met en œuvre la politique décidée par lesministres et leprésident du Conseil. Il sert également de lien entre lepouvoir exécutif — compris dans leprésident de la République — et lepouvoir législatif — détenu par leparlement[26]. Il défend sa politique devant les chambres, et paye leur éventuel mécontentement de sa démission.
Si le « Conseil des ministres » lui-même est peu présent dans les lois constitutionnelles, on trouve un plus grand nombre d'occurrences des « ministres ».
Ainsi, l'article 6 de la loi duloi du 16 juillet 1875 précise :
« Les ministres ont leur entrée dans les deux chambres et doivent être entendus quand ils le demandent. Ils peuvent se faire assister par des commissaires désignés, pour la discussion d'un projet de loi déterminé, par décret du Président de la République. »
Cet article confirme le rôle du gouvernement, d'organe de liaison entre l'exécutif et le législatif — puisque leprésident de la République ne peut entrer lui-même dans les chambres.
Le gouvernement est responsable collectivement devant les chambres, ainsi que l'indique l'article 6 de laloi du 25 février 1875 :
« Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. »
C'est la première fois qu'un texte constitutionnel français mentionne explicitement le principe de la responsabilité ministérielle[44] (l'usage avait été introduit sous lamonarchie de Juillet mais laCharte de 1830 ne le mentionnait pas).
Ce principe de « solidarité gouvernementale » a plusieurs conséquences. Le gouvernement doit ainsi être uni par un programme politique commun[45], et il doit être homogène et non pas simplement une réunion de ministres qui agiraient selon leur bon vouloir[45].
Lepouvoir législatif est détenu sous laTroisième République par unparlementbicaméral qui comprend laChambre des députés et leSénat :
« Le pouvoir législatif s'exerce par deux assemblées : la Chambre des députés et le Sénat. »
— Article premier de laloi du 25 février 1875.
Paradoxalement, alors que la Chambre des députés prime sur le Sénat de par son élection au suffrage universel direct, les lois constitutionnelles de1875 s'attardent nettement plus sur le Sénat (auquel une loi entière est consacrée)[29], quand la Chambre n'est mentionné qu'incidemment.

La « Chambre des députés » est lachambre basse duparlementfrançais sous laTroisième République. De par son mode de recrutement, elle prime sur leSénat dans l'actualité législative, d'une manière analogue à ce qui se passe sous laCinquième République entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Cette primauté, vérifiée dans la pratique est un renversement du contenu des lois constitutionnelles votées en1875. En effet, la théorie de la constitution est de neutraliser plus ou moins totalement la Chambre des députés[29], démocratique, au profit du Sénat, que lesmonarchistes de l'Assemblée nationale avaient organisé comme une institution de résistance aux républicains. Ainsi, la Chambre peut êtredissoute, et non le Sénat.
Cet excès d'attention qui se porte naturellement vers l'une des deux chambres au détriment de l'autre tient sans doute à plus d'une cause. L'une est populaire à certain degré, l'autre affecte à certain degré l'aristocratie. Ici le mouvement ; là le temps d'arrêt ; d'un côté, l'ardeur, la passion ; de l'autre le discernement, la mesure ; il ne faut pas s'étonner si le public, livré à lui-même, se montre plus amoureux d'émotions que de bons conseils. Mais là néanmoins n'est pas la vraie cause du mal.
La vraie cause, la cause pratique, c'est la faiblesse habituelle, ou plutôt, c'est la timidité naturelle du pouvoir exécutif qui s'efforce de désarmer les résistances au lieu de travailler virilement à les surmonter. Les embarras pour lui sont dans la Chambre élective ; là est le foyer des rivalités, des prétentions, des ambitions ; là l'esprit de parti, la vivacité des intérêts, l'obstination des préjugés.Le mode de recrutement de la Chambre des députés est le suivant :
« La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions déterminées par la loi électorale. »
— Article premier de laloi du 25 février 1875.
Les lois constitutionnelles se limitent donc à prévoir une élection ausuffrage universel direct, principe hérité de1848[29].
Pour ce qui est du recrutement de la chambre basse, il faut donc se reporter aux différentes « lois électorales » qui fixent les modalités de l'élection des députés :
Il faut ajouter à ces lois celle du qui interdit les candidatures multiples — qui auparavant ont permis à un seul et même candidat d'être élu dans plusieurs circonscriptions électorales, comme legénéral Boulanger.
Lesdéputés ont toujours été élus pour un mandat de quatre ans. L'âge d'éligibilité est fixé à 25 ans.
Le nombre de députés varie tout au long de laTroisième République en fonction des lois qui l'ont fixé : 533 en 1876, 554 en 1881, 584 en 1885, 597 en 1910, 612 en 1928, 615 en 1932 puis 617 en 1936, revenu à 577 sièges sous laVe république en 1958.
Les pouvoirs spécifiquement attribués à la chambre basse sont très peu nombreux. Dans la lettre de la constitution, elle est, bien que procédant dusuffrage universel, bien plus faible que leSénat.
LaChambre des députés vote la première leslois de finance (article 8 de laloi du 24 février 1875) :
« Toutefois, les lois de finances doivent être, en premier lieu, déposées à la Chambre des députés et votées par elle. »
Elle a également le pouvoir de mettre en accusation leprésident de la République pour haute trahison — accusation problématique car la « haute-trahison » n'est pas définie[25], ou les ministres pour des crimes commis dans l'exercice de leur fonction (article 12 de laloi du 16 juillet) :
« Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés […]. Les ministres peuvent être mis en accusation par la Chambre des députés pour crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions. »

Deuxième chambre[N 10] duparlement, leSénat est« la pièce maîtresse du compromis entre des républicains et desmonarchistes »[30].
Les monarchistes souhaitent en effet une chambre haute qui serait« une chambre de résistance contre le torrent des innovations téméraires »[29] (Albert de Broglie), c'est-à-dire un rempart contre laChambre des députés. La lettre de la constitution lui attribue un rôle clé, bien plus important dans le jeu institutionnel que celui de la chambre basse[30] (au point queJules Dufaure a dit de la Constitution de1875 qu'elle était« avant tout un Sénat »[30]). C'est en effet la pièce maîtresse du compromis entre les différents courants de l'Assemblée nationale — « la grande revendication monarchiste […] au contraire, en principe, la bête noire des républicains »[47] écritJean-Jacques Chevallier — et il n'est pas innocent que la première des trois lois votées soit celle qui le concerne[N 11].
LeSénat comporte 300 sénateurs[N 12], répartis au départ en 225 sénateurs élus et 75 dits « inamovibles », selon l'article1er de laloi du 24 février 1875.
Le Sénat, enfin, ne peut être dissout, contrairement à la Chambre des députés.

Afin de faire duSénat ce rempart conservateur, le mode de recrutement a dû être étudié — d'autant plus que le centre gauche réclamait, en échange de son soutien, lesuffrage universel indirect[47]. Aussi a-t-il été longuement débattu[30]. En raison de cette même importance, une loi constitutionnelle entière est dédiée au sénat, la première votée. Elle est très précise — contraste avec les articles laconiques consacrés à laChambre des députés — et détermine une bonne part des modalités d'élection des sénateurs — uneloi organique les a complétés ultérieurement, laloi organique du 2 août 1875, elle-même modifiée par laloi du 9 décembre 1884.
Les sénateurs sont élus pardépartement, auscrutin de liste (article 5 de laloi du 24 février 1875).
Lecollège électoral (l'ensemble des collèges électoraux représente environ 75 000 personnes dans toute laFrance[48]) est composé comme suit :
« Les sénateurs des départements et des colonies sont élus à la majorité absolue, et, quand il y a lieu, au scrutin de liste, par un collège réuni au chef-lieu du département ou de la colonie, et composé :
- des députés ;
- des conseillers généraux ;
- des conseillers d'arrondissement ;
- des délégués élus, un par chaque conseil municipal, parmi les électeurs de la commune.
Dans l'Inde française, les membres du Conseil colonial ou des conseils locaux sont substitués aux conseillers généraux, aux conseillers d'arrondissement et aux délégués des conseils municipaux. »
— Article 4 de laloi du 24 février 1875.
Les grands villes ont ainsi autant de représentants dans lecollège électoral que les petits villages, ce qui favorise le monde rural, censé être plus conservateur[30] parce que les notables y conservent une influence importante[47].
De même, le nombre de sénateurs par département privilégie les campagnes par rapport aux villes[30] puisque chaque département a au moins deux sénateurs quand le plus peuplé, laSeine n'en a que cinq.
« Les départements de la Seine et du Nord éliront chacun cinq sénateurs ;
les départements de la Seine-Inférieure, Pas-de-Calais, Gironde, Rhône, Finistère, Côtes-du-Nord, chacun quatre sénateurs ;
la Loire-Inférieure, Saône-et-Loire, Ille-et-Vilaine, Seine-et-Oise, Isère, Puy-de-Dôme, Somme, Bouches-du-Rhône, Aisne, Loire, Manche, Maine-et-Loire, Morbihan, Dordogne, Haute-Garonne, Charente-Inférieure, Calvados, Sarthe, Hérault, Basses-Pyrénées, Gard, Aveyron, Vendée, Orne, Oise, Vosges, Allier, chacun trois sénateurs ;
tous les autres départements, chacun deux sénateurs.
le territoire de Belfort, les trois départements de l'Algérie, les quatre colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion et des Indes françaises éliront chacun un sénateur. »
L'ensemble de ces dispositions — qui donnent à la chambre une image de« chambre d'agriculture »[49] — doivent permettre de favoriser les campagnes, et de maintenir àdroite leSénat.Gambetta le devant un auditoire parisien, défend la chambre haute concédée par les républicains en la présentant comme le« grand conseil des communes françaises[50] », expliquant qu'elle se base sur« ce qu'il y a de plus démocratique en France, ce qui constitue les entrailles même de la démocratie : l'esprit communal, c'est-à-dire les trente-six mille communes de France »[51].
Ces 225 sénateurs sont renouvelés par tiers tous les trois ans, le mandat d'un seul sénateur est donc de neuf ans (article 6).
L'autre innovation qui est vue par lesmonarchistes comme une autre garantie de conservatisme, ce sont les sénateurs dits « inamovibles », supprimés ensuite lors de la réforme constitutionnelle de1884 (voir plus bas). Les 75 sénateurs inamovibles sont élus à vie par l'Assemblée nationale avant sa dissolution[52] — cette dernière étant à majoritémonarchiste, les sénateurs à vie seront« une garnison monarchiste dans la haute assemblée »[30].
Cette « garnison » est en plus censée se perpétuer :
« En cas de vacance par décès, démission ou autre cause [d'un de ces sénateurs], il sera, dans les deux mois, pourvu au remplacement par le Sénat lui-même. »
— Article 7 de laloi du 24 février 1875.
C'est ainsi au Sénat lui-même, prévu à majorité conservatrice, de remplacer lui-même ses sénateurs à vie.

Le plus important des pouvoirs qui ont été constitutionnellement dévolus auSénat est sans aucun doute son rôle dans la procédure dedissolution de laChambre des députés :
« Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat. »
— Article 5 de laloi du 25 février 1875.
Cette disposition a été introduite dans le projet de lacommission des Trente par un amendement deHenri Wallon le[44], pour, paradoxalement, rendre ledit projet plus général[N 13],[53] et renforcer la république qui vient tout juste d'être voté en l'organisant plus durablement — à la différence du texte de la Commission, que l'historien Zevort appelle une« loi d'expédient[N 14] ».
Cet « avis conforme » est une autorisation préalable que leSénat donne au président de dissoudre la chambre basse[44] : si, selonMac Mahon, cet avis sert à appuyer le président dans sa décision, il risque en réalité de faire duSénat l'arbitre des conflits entre le président de la République et la Chambre des députés[44].
Comme leSénat ne peut, lui, être dissout, cette disposition constitutionnelle consacre la prééminence de la chambre haute sur la chambre basse[44] : les rapports de pouvoirs sont déséquilibrés car le président ne peut dissoudre le Sénat même si celui-ci entre en lutte avec son gouvernement[54]. Toutefois, cette prééminence doit être tempéree en disant que leSénat, s'il se solidarise avec la Chambre des députés et rend un avis contraire, rend totalement impossible ladissolution.
LeSénat dispose également de compétences juridiques spécifiques (article 9 de laloi du 24 février 1875) :
« Le Sénat peut être constitué en cour de justice pour juger, soit le Président de la République, soit les ministres, et pour connaître des attentats commis contre la sûreté de l'État. »
Article dont la portée est précisée par l'article 12 de laloi constitutionnelle du 16 juillet 1875 :
« Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés, et ne peut être jugé que par le Sénat.
Les ministres peuvent être mis en accusation par la Chambre des députés pour crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions. En ce cas, ils sont jugés par le Sénat.
Le Sénat peut être constitué en cour de justice par un décret du Président de la République, rendu en conseil des ministres, pour juger toute personne prévenue d'attentat contre la sûreté de l'État.
Si l'instruction est commencée par la justice ordinaire, le décret de convocation du Sénat peut être rendu jusqu'à l'arrêt de renvoi.
Une loi déterminera le mode de procéder pour l'accusation, l'instruction et le jugement. »
C'est ainsi auSénat de juger le Président de la République dans le cas où il est accusé d'une haute trahison (seule responsabilité politique que la constitution lui concède) en se constituant en cour de justice. De même, si des ministres sont accusés de crimes commis durant l'exercice de leurs fonctions par la Chambre des députés, c'est alors au Sénat de les juger.
Dernier pouvoir spécifique duSénat : lorsque les deux chambres s'assemblent enAssemblée nationale, c'est le bureau duSénat qui sert de bureau à l'Assemblée (article 11 de laloi constitutionnelle du 16 juillet 1875).
L'article1er de laloi du 16 juillet dispose :
« Le Sénat et la Chambre des députés se réunissent chaque année le second mardi de janvier, à moins d'une convocation antérieure faite par le Président de la République.
Les deux chambres doivent être réunies en session cinq mois au moins chaque année. La session de l'une commence et finit en même temps que celle de l'autre.
Le dimanche qui suivra la rentrée, des prières publiques seront adressées à Dieu dans les églises et dans les temples pour appeler son secours sur les travaux des assemblées. »
Lasession parlementaire dure ainsi cinq mois de plein droit — ce qui est peu puisque durant la moitié de l'année il n'y a ni contrôle du gouvernement ni vote des lois. Concernant le dernier alinéa, il faut se souvenir que laséparation de l'Église et de l'État n'était pas encore intervenue.
Cet article place les deux chambres sur un pied d'égalité en matière de session parlementaire, en accord avec l'article 4 de la même loi :
« Toute assemblée de l'une des deux chambres qui serait tenue hors du temps de la session commune est illicite et nulle de plein droit, sauf le cas prévu par l'article précédent et celui où le Sénat est réuni comme cour de justice ; et, dans ce dernier cas, il ne peut exercer que des fonctions judiciaires. »
Laloi du 25 février 1875 porte que« le siège du pouvoir exécutif et des deux chambres est à Versailles ».
L'article 5 de laloi du 16 juillet enfin indique que les chambres se réunissent en session publique sauf si une demande de réunion en comité secret est faite par un nombre fixé par le règlement de la chambre.
Le premier rôle, capital, dévolu aux deux chambres, est de voter les lois.
Le premier article de laloi du 25 février 1875 dispose que :
« Le pouvoir législatif s'exerce par deux assemblées : la Chambre des députés et le Sénat. »
L'article 8 de laloi du 24 février 1875 affirme lui :
« Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des députés, l'initiative et la confection des lois. »
Le principe d'une stricte égalité (sauf en matière de lois de finances[N 15]) des deux chambres duParlement est ainsi affirmé[29].
Chaque chambre peut donc avoir l'initiative d'une loi, qu'elle discute dans les modalités prévues par son règlement intérieur[29]. Les projets de loi duprésident de la République[N 16] peuvent être déposés au bureau de n'importe laquelle des deux chambres[29], qui les discute et les renvoie à l'autre.
La « navette parlementaire » n'a aucune limitation de durée dans laTroisième République. Puisque les deux chambres ont une importance égale dans la discussion des lois, si, après plusieurs aller-retour de la navette, elles ne parviennent pas à s'accorder sur un même texte, la loi n'est pas votée[49] — à la différence de ce qui existe dans laCinquième Républiquefrançaise, la chambre basse n'a donc aucune prééminence sur la chambre haute[49].
LeSénat peut donc parfaitement faire obstruction à une loi qui ne lui convient pas[49] : lesmonarchistes espèrent ainsi que leSénat, dont ils pensent que son mode de recrutement le gardera à droite, pourra bloquer les lois trop progressistes[29].
Le deuxième rôle capital dévolu aux deux chambres par la constitution est le contrôle dugouvernement. C'est la première fois que, dans une constitution française, laresponsabilité politique — différente de laresponsabilité pénale — des ministres est énoncée[44]. La pratique toutefois de la responsabilité politique a existé sous lamonarchie de Juillet[45], et là encore l'inspiration orléaniste du texte de1875 est visible.
L'article 6 de laloi du 25 février 1875 pose le principe de la responsabilité ministérielle :
« Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. »
L'égalité en matière de vote des lois des deux chambres se retrouve dans le contrôle du gouvernement (marqué dans l'article par le pluriel« les chambres »). La question de savoir si leSénat peut renverser un gouvernement de son propre chef a été discuté jusqu'en1896, et après, résolue par l'affirmative[45],[N 17]. Une fois encore, la prééminence du Sénat est confirmée par le fait qu'il ne peut être dissout alors qu'il peut renverser le gouvernement[45].
La Constitution de1875 reste toutefois muette sur les moyens que les chambres peuvent utiliser pour mettre en jeu la responsabilité du gouvernement[45],[55] — elle renvoie implicitement à la pratique de lamonarchie de Juillet[45].
Le premier moyen, essentiel, est « l'interpellation », empruntée au régime deLouis-Philippe[45]. Elle consiste en une demande d'explication d'un député ou d'un sénateur, qui peut être faite à tout instant, engendrant un débat qui se clôt par le vote d'une résolution exprimant l'attitude de la chambre vis-à-vis du gouvernement[56]. Cette procédure est déclenchée par un individu et non par la chambre tout entière. Il est ainsi arrivé qu'un seul homme fasse tomber un ministère[56].
Le deuxième moyen est la « question de confiance ». Il est fréquemment employé[57],[N 18]. Comme le premier moyen, celui-ci n'est pas encadré par la loi : ainsi, n'importe quel ministre peut, sans vote préalable du cabinet, engager la responsabilité du gouvernement devant une chambre[55]. Le départ du gouvernement n'est pas encadré : il peut demander la confiance sur un problème majeur ou mineur[56],[58], et se retirer si elle n'est pas votée, même à une majorité relative[56]— tout vote ambigu devient un refus de confiance[58]. Il arrive même que le gouvernement se retire avant d'être formellement désavoué par une chambre[56].
Dans le domaine de la politique étrangère, il appartient auparlement de voter certains traités, et d'autoriser une modification du territoire national (article 8 de laloi du 16 juillet) :
« Les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l'État, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger, ne sont définitifs qu'après avoir été votés par les deux chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi. »
La déclaration de guerre est également du ressort des deux chambres qui autorisent leprésident de la République à la déclarer (article 9 de la même loi).
En politique intérieure, les chambres sont chacune responsables de l'élection de leurs membres ainsi que de leur démission (article 10 de la même loi) :
« Chacune des chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de l'élection ; elle peut, seule, recevoir leur démission. »
« L'immunité parlementaire » est également précisé dans les deux derniers articles — 13 et 14 — de laloi du 16 juillet. Les opinions et les votes exprimés dans l'exercice des fonctions de député ou de sénateur ne peuvent ainsi donner lieu à des poursuites judiciaires. Il faut également l'accord de la chambre auquel un homme appartient pour le poursuivre ou l'arrêter en matière criminelle, sauf en cas de flagrant délit. La chambre peut même faire suspendre les poursuites ou la détention à l'encontre d'un de ses membres.
La révision facile. — […] Cette République, à laquelle, telle qu'elle était, personne ne croyait, il fallait absolument se réserver la faculté de la changer, de la réviser. Le centre droit comptait bien en faire unevraie monarchie parlementaire orléaniste, c'est-à-diredualiste, avec un centre de pouvoir dans le roi et un centre de pouvoir dans les assemblées. Les républicains, les « vrais », les « croyants », et surtout les vieux, les Louis Blanc, les Edgar Quinet, comptaient bien tirer de cette« République honteuse », de cette« Cendrillon », de cette« République sans républicains », comme on disait, fille de Thiers,« l'orléaniste défroqué », lavraie République jacobine, de style 93. Les plus jeunes comptaient bien en tirer la Républiqueopportuniste, celle qui enfin réussirait et s'installerait, enfin solide, enfin à l'abri des aventures du pouvoir personnel. Ainsi, il y avait accord pour que cette Constitution techniquement rigide le fût pratiquement très peu. Il y avait accord pour que les deux Chambres pussent changer la Constitution, sans consulter électoralement le peuple, sans même l'informer. Et les monarchistes avaient même fait admettre, à titre de précaution, que pendant son septennat, seul le Président de la République, Mac-Mahon, pourrait proposer la révision aux Chambres. Il ne proposerait rien, estimait-on, que de favorable aux conservateurs.
On ne sait jamais ce que l'on crée, surtout en politique. La Constitution, sauf quelques révisions partielles, devait rester dans l'ensemble inchangée jusqu'au 10 juillet 1940. Nul de ces constituants n'auraient pu le prévoir ni l'imaginer.C'est l'article 8 de laloi 25 février 1875 qui décrit succinctement la procédure de révision des lois constitutionnelles :
« Les chambres auront le droit, par délibérations séparées prises dans chacune à la majorité absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du Président de la République, de déclarer qu'il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles.
Après que chacune des deux chambres aura pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée nationale pour procéder à la révision.
Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles, en tout ou en partie, devront être prises à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale.
Toutefois, pendant la durée des pouvoirs conférés par la loi du 20 novembre 1873 à M. le maréchal de Mac-Mahon, cette révision ne peut avoir lieu que sur proposition du Président de la République. »
Il faut noter deux caractères de cette procédure de révision : sa simplicité et son caractère assez peu démocratique[60] — puisque jamais le peuple n'a à être consulté.
La simplicité de la révision, ainsi que sa portée (« révision […] en tout ou en partie ») s'explique par le fait que les lois constitutionnelles de1875 sont un compromis entremonarchistes et républicains. L'idée de réviser la totalité de la constitution laisse la porte ouverte à un changement de la forme de gouvernement vers lamonarchie[61] — jusqu'en1884, date après laquelle une telle modification devient impossible (voirci-dessous).
L'initiative de la révision appartient au président de la République ou aux chambres elles-mêmes. À cela il existe une dérogation valable pour le septennat deMac Mahon : jusqu'à la fin de son mandat, c'est-à-dire jusqu'en1880, la révision ne peut se faire que sur l'initiative du président, afin de garantir l'État contre toute révision renforçant son caractère républicain[60].
Les chambres sont égales comme en matière législative : elles doivent toutes deux voter séparément une résolution déclarant qu'il y a lieu de réviser les lois. L'adverbe« séparément » permet de protéger leSénat contre une révision faite à son encontre[60] : toute demande de révision doit être acceptée indépendamment par chaque assemblée.
Le vote de la révision se passe àVersailles, les deux chambres étant réunies enAssemblée nationale — avec le bureau du Sénat, selon l'article 11 de laloi du 16 juillet. Elles doivent voter la révision à la majorité absolue des membres, c'est-à-dire à la majorité absolue des effectifs complets duparlement, sans différencier les absents, vacants, les votes contre, les abstentions et bulletins blancs[60]. Là est le seul blocage sérieux à un changement intempestif des textes constitutionnels[60].
L'on peut compter au total trois révisions deslois de1875 : deux relativement mineures, et une troisième de nature plus importante.
Laloi constitutionnelle du 10 juillet 1940 est également une loi constitutionnelle votée par l'Assemblée nationale, mais, plutôt qu'une révision des lois existantes, elle autorise davantage que soit mis en place parPhilippe Pétain un nouveau régime politique. Cette dernière loi ne sera pas traitée ici.
Il faut enfin prendre en considération, parmi les projets de réforme constitutionnelle, celui qui est allé le plus loin, et dont la postérité est la plus certaine : leprojet de révision deGaston Doumergue en1934, jamais adopté.
Le, laChambre des députés, puis le par leSénat, décident par unerésolution qu'il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles pour accompagner le retour des chambres àParis — elles étaient auparavant àVersailles[62]. Le les deux chambres duparlement se réunissent enAssemblée nationale et elles votent la révision par 526 voix contre 249[62].
Laloi constitutionnelle du 21 juin 1879 n'a qu'un seul article, qui porte que :
« L'article 9 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 est abrogé. »
Lequel article disposait que :
« Le siège du pouvoir exécutif et des deux chambres est à Versailles. »
Les conditions de réunion, ainsi que la dotation définitive des bâtiments, sont précisées ultérieurement par laloi du 22 juillet 1879.

Léon Gambetta, le premier, désire réformer le recrutement de la chambre haute duparlement[63], mais il ajoute à cette première réforme une autre, qui consiste à rendre constitutionnel le mode d'élection des députés[N 19]. LaChambre des députés l'a renversé car elle était opposée à cette idée[63].
Jules Ferry, durant sondeuxième ministère, est lui parvenu à cette réforme de la deuxième chambre[63]. La réforme proprement dite a été faite en deux temps : d'abord par laloi constitutionnelle du 14 août 1884, puis par laloi du 9 décembre 1884.
La réforme constitutionnelle proprement dite est celle du. Elle répond à une exigence de l'opinion publique pour la révision d'un texte« d'inspiration réactionnaire et d'attente monarchique »[64]. Lors desélections de 1881, des comités en faveur de la révision ont même vu le jour[64]. La Chambre des députés a voté le une résolution exigeant la « révision intégrale » de la constitution[64]. La discussion du projet gouvernemental a été vive, et longue (dix mois)[64].
Jules Ferry refuse une révision totale et« choisit lui-même les points essentiels sur lesquels cette opération porterait »[64] — il évite ainsi de remettre en question l'existence même duSénat comme l'extrême gauche le souhaitait[65].
Ainsi, la révision du porte sur quatre points principaux, qui seront complétés en décembre.
Le plus important concerne leSénat. L'article 3 de laloi constitutionnelle du 14 août 1884 porte en effet que :
« Les articles 1 à 7 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875, relatifs à l'organisation du Sénat, n'auront plus le caractère constitutionnel. »
C'est le premier pas vers la révision finale du : uneloi ordinaire peut désormais, à l'instar de ce qui se fait pour laChambre des députés, régler les modalités de l'élection des sénateurs.
Le deuxième point est symbolique — mais il marque aussi l'installation durable de larépublique enFrance[63] :
« Le paragraphe 3 de l'article 8 de la même loi est complété ainsi qu'il suit :« La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision.
Les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la République. » »
— Article 2 deloi constitutionnelle du 14 août 1884.
Larépublique est donc pérennisée aux yeux de ses défenseurs, et le spectre de voir la présidence de la République investie par un prétendant au trône, ce pourquoi ce poste a été conçu par lesmonarchistes, s'éloigne considérablement.
Les deux derniers points sont moins importants. Tout d'abord, l'article1er du texte indique :
« Le paragraphe 2 de l'article 5 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, relative à l'organisation des pouvoirs publics, est modifié ainsi qu'il suit :
« En ce cas, les collèges électoraux sont réunis pour de nouvelles élections dans le délai de deux mois et la Chambre dans les dix jours qui suivront la clôture des opérations électorales. » »
Cet article raccourcit le délai avant les élections à la suite d'unedissolution, et précise que la Chambre se réunit dix jours après le scrutin. Comme la dissolution n'a jamais plus été employée après lacrise du 16 mai 1877, ces dispositions sont restées sans effet.
Le tout dernier point, peu important sur un plan pratique mais symbolique, concerne la prière publique : l'article 4 de laloi du 14 août 1884 abroge le paragraphe des lois constitutionnelles qui disait :
« Le dimanche qui suivra la rentrée, des prières publiques seront adressées à Dieu dans les églises et dans les temples pour appeler son secours sur les travaux des assemblées. »
— Article1er de laloi constitutionnelle du 16 juillet 1875.
Les articles auxquels laloi du 14 août 1884 a retiré le caractère constitutionnel sont ceux qui concernent spécifiquement les modalités de l'élection des sénateurs et l'existence de sénateurs inamovibles.
Laloi du 9 décembre 1884 modifie les modalités des élections sénatoriales et suppriment les inamovibles. Elle a été âprement discutée[66] par les chambres — certains parlementaires souhaitant simplement la suppression duSénat[66],[65].Jules Ferry a tenu bon sur son projet initial, en refusant de réviser les lois constitutionnelles contre le Sénat[65], et en se cantonnant à ses idées (il a par exemple refusé l'abrogation du droit de dissolution[65]).
Cette loi supprime les 75 sénateurs inamovibles, dont les sièges sont redistribués aux départements les plus peuplés. Les sénateurs à vie restent en place, mais quand ils meurent et que leur siège devient vacant, un tirage au sort détermine quel département, parmi ceux qui ont vu le nombre de sénateurs augmenter, reçoit le siège libéré[66]. Le remplacement est donc progressif[N 20].
D'autre part, la composition du collège sénatorial est modifiée, afin de supprimer l'égalité absolue entre villages et grandes villes, qui profitait au monde rural, en majorité conservateur. Le nombre de délégués municipaux par commune allant élire les sénateurs devient plus ou moins proportionnel avec le nombre d'habitants de la ville (en fait avec le nombre deconseillers municipaux mais cela revient au même)[66].
| Nouveaux nombres de délégués sénatoriaux[67] | ||
|---|---|---|
| Population de la commune | Nombre de conseillers municipaux | Nombre de délégués sénatoriaux |
| moins de 500 habitants | 10 | 1 |
| de 501 à 1 500 | 12 | 2 |
| de 1 501 à 2 500 | 16 | 3 |
| de 2 501 à 3 500 | 20 | 6 |
| de 3 501 à 10 000 | 22 | 9 |
| de 10 001 à 30 000 | 26 | 12 |
| de 30 001 à 40 000 | 30 | 15 |
| de 40 001 à 50 000 | 32 | 18 |
| de 50 001 à 60 000 | 34 | 21 |
| plus de 60 000 | 36 | 24 |
| Ville de Paris | 30 | |
Paris fait exception à la nouvelle répartition, puisqu'elle obtient trente délégués sénatoriaux. Si le système est plus juste, il favorise maintenant les villes moyennes (deux villes d'un peu plus de 10 000 pesant autant qu'une ville de 60 000), au détriment des grandes villes[67].
Au Sénat rural de1875,Jules Ferry substitue un Sénat qui est« « la représentation d'une force sociale réelle, les petites oligarchie des campagnes ». Parcampagnes, il faut entendre avant tout lesbourgs, ces centres d'échange non seulement agricole et commercial, mais aussi intellectuel (au sens modeste du mot) et politique, où vivait à l'époque une petite bourgeoisie rurale, à mi-chemin entre le paysan et le bourgeois des villes, foncièrement républicaine et anticléricale, en même temps que profondément méfiante vis-à-vis de toute réformesociale »[68].

En est votée une révision constitutionnelle qui énonce :
« La loi constitutionnelle du 25 février 1875, relative à l'organisation des pouvoirs publics est complétée par un article ainsi conçu :
« L'autonomie de la caisse de gestion des bons de la défense nationale et d'amortissement de la dette publique a le caractère constitutionnel. […] » »
Après laPremière Guerre mondiale, la situation financière catastrophique a amené legouvernement Poincaré à des mesures de rigueur budgétaire et d'augmentation des impôts, fort impopulaires. De nombreux rentiers en sont ruinés. Cela amena la victoire ducartel des gauches, qui gouverna de1924 à1926. Il ne peut réussir à redresser les finances : l'inflation continue, les prix augmentent.
Il faut rappelerRaymond Poincaré, qui, pour restaurer la confiance, propose et obtient la création d'une caisse autonome de gestion de la dette publique, à caractère constitutionnel, en même temps qu'une dévaluation dufranc germinal qui devint lefranc Poincaré[N 21].
Face à la crise institutionnelle profonde des années 1920 et 1930, caractérisée par l'instabilité ministérielle et l'incapacité à juguler les effets de lacrise économique de 1929, l'ancien président de la RépubliqueGaston Doumergue, devenu à nouveauprésident du Conseil, a tenté de mettre en œuvre une révision constitutionnelle. Incomplète, sa réforme, que l'on a appelé la « constitution Doumergue » a rencontré une opposition farouche à gauche, à propos de la réhabilitation dudroit de dissolution[69], honni depuis lacrise du 16 mai 1877. Le consensus en faveur de la révision étant brisé, legouvernement Doumergue tombe, emportant avec lui le projet de révision[69].
Car le législatif mange l'exécutif : il le resserre, le rogne, l'aplatit, le passe au laminoir. Qui est-ce qui gouverne en France ? Le gouvernement ? Pas du tout. On lui en ôte les moyens et il en perd la volonté, à force d'ennuis et de tracasseries. Qui, alors ? c'est le Parlement ou, pour être plus net, la Chambre des députés. […]
Une fois sûre de sa toute-puissance, [la Chambre des députés] se retourne contre l'exécutif.
Le Président de la République (quelle que soit sa personne, la personne n'est pas en cause) se voit contraint de rester tapi, comme en un trou, dans les quatre articles de la loi du 25 février et les sept ou huit articles de la loi du 16 juillet 1875, qui le concernent. Il reçoit, signe et représente. Il a les « fonctions de majesté ». Pour ce qui touche le Parlement, il ouvre et clôt les sessions par décret. La Constitution prend soin de dire qu'il n'est pas responsable, hormis le cas de trahison. C'est la précaution inutile : de quoi serait-il responsable, puisqu'il ne fait rien par lui-même, et que, s'il faisait quelque chose, ce serait précisément la trahison, le coup d'État, le Deux-Décembre, le Dix-Huit Brumaire, — que sais-je ?
Les ministres, eux, n'ont pas théoriquement, à ce point, les menottes et le cabriolet ; mais, dans la pratique, que d'obligations et de dépendances ! À prendre l'existence courante, ils vont de piège en chausse-trappe : casse-cou à droite et à l'extrême gauche. Il faut amadouer celui-ci, détacher celui-là, veiller à ne pas s'aliéner tel groupe en repoussant tel solliciteur. Ne fut-il pas question, au commencement de la présente législature, de ressusciter les grandes commissions ? C'eût été la fin de tout. Nous en avons déjà, on ne dira pas trop, mais assez, de grandes commissions.
Nous avons, de temps en temps, des commissions d'enquête. Ne les eussions-nous pas, que la commission du budget, à elle seule, suffirait pour occuper et préoccuper les ministres. Poussant jusqu'au bout un principe juste, le droit de consentir les impôts et de contrôler leur emploi, elle pénètre partout, s'immisce en tout, exige des comptes sur tout, et non pas seulement des comptes de finances. Sous prétexte qu'elle dispense l'argent pour la politique et la guerre, elle veut connaîtra les instructions données à nos ambassadeurs et les plans de campagne que préparent nos généraux. Ce n'est plus une commission de la Chambre, c'est un contre-gouvernement.Dès la fin duXIXe siècle, leNouveau Larousse Illustré avait senti, dans le commentaire à la fois court et fier qu'il fait de ces lois constitutionnelles alors jeunes, toute leur spécificité dans l'histoire constitutionnelle française :
« Les lois constitutionnelles de 1875 sont une œuvre modeste, issue de concessions mutuelles. L'expérience a montré qu'elles étaient plus viables que d'autres constitutions plus ambitieuses. »
— Nouveau Larousse Illustré, 1898-1907, article « France », paragraphe « Constitutions ».
Les lois constitutionnelles de1875 possèdent en effet plusieurs caractères remarquables : le contraste entre leur lettre et leur pratique, leur longévité, la réussite puis l'échec du régime qu'elles organisent, laTroisième République.

La lettre des textes constitutionnels votés par l'Assemblée nationale en1875 organisent unrégime parlementaireorléaniste, c'est-à-diredualiste[71] où legouvernement procède à la fois duprésident de la République qui le nomme et le dirige, et duparlement qui lui octroie les crédits, vote sa politique, le contrôle et le renverse. À la possibilité de renverser le gouvernement correspond la possibilité dedissoudre la chambre basse — prérogative duprésident de la République, appuyé par leSénat, qui sont les« rouages essentiels »[22] du compromis de 1875.
Les constituants de laTroisième République semblent parvenus à concilier les deux pôles de la vie politique française qui s'opposent depuis1789 : lepouvoir exécutif et lepouvoir législatif[N 23], en reprenant la plupart des dispositions du régime le plus équilibré duXIXe siècle, celui de lamonarchie de Juillet, et en les conciliant avec laforme républicaine de gouvernement[21], dégagée de l'héritage de laRévolution française.
Les événements modifient radicalement le système de1875. Lesuffrage universel direct qui élit laChambre des députés donne à cette dernière un poids bien plus grand qu'auprésident de la République[72] — qui ne procède que d'unparlement à moitié élu au suffrage universel direct et à moitié à l'indirect. Lesélections législatives portent de plus au pouvoir une majorité républicaine, hostile à un exécutif fort, et lesprésidentielles, un républicain également,Jules Grévy, qui ne conçoit pas de faire jouer les outils que les lois lui proposent. Lepouvoir exécutif s'affaiblit puisque lechef de l'État se refuse à jouer son rôle, et la chambre basse devient le centre du jeu politique : le régime devient « moniste »[73], legouvernement n'est plus responsable que devant leparlement. L'équilibre théorique est remplacé par une« suprématie législative »[74] dans les faits, héritée de la pratique révolutionnaire[74].
Pour autant, les lois constitutionnelles n'ont pas été textuellement changées (sauf quelques retouches, finalement assez mineures) ; seule la pratique institutionnelle l'a été, sans aucun souci de la faire coïncider avec la constitution[75].

L'on touche ici à l'explication du deuxième point remarquable. La constitution de 1875 a duré 65 ans jusqu'à samise en sommeil et 71 ans jusqu'à sonabrogation définitive, et cela en demeurant pratiquement inchangée dans sa lettre. L'une des raisons de cette longévité remarquable, outre les raisons historiques, tient dans la « légèreté » du texte : dépourvu de grands principes, on peut facilement s'en accommoder. Les républicains font ainsi fonctionner, à leur manière certes, un régime largement prévu au départ pour servir à une restauration monarchique. L'autre raison de la longévité et de la stabilité du texte constitutionnel tient à l'absence de contrôle constitutionnel[N 24], qui permet d'agir et de voter les lois sans se soucier du texte fondamental.
Cette longévité ne doit toutefois pas cacher que le régime est rapidement en crise : le« parlementarisme absolu[76] » affaiblit le régime de plusieurs manières. Leparlement ainsi s'occupe davantage de contrôler le gouvernement que de voter les lois[77] — la pratique desdécrets-lois est le symbole de l'inefficacité parlementaire — puisqu'il est maître de son ordre du jour et inattaquable depuis l'abandon du droit dedissolution.
Corollaire de ce parlement qui contrôle : l'instabilité ministérielle[36]. On compte ainsi 46 cabinets entre1879 et1914, 44 entre1920 et1940[N 25]. Les forces politiques fragmentées ne parviennent pas à établir des majorités stables[36], et les parlementaires font tomber des gouvernements sans crainte puisque la dissolution ne les menace pas. Le but des cabinets est de durer[78], et pour ce faire, ils éludent souvent les questions épineuses qui pourraient les faire tomber. L'instabilité ministérielle est, il est vrai, compensée par la stabilité du personnel : les mêmes hommes se retrouvent ministres dans plusieurs gouvernements différents[78]. La raison en est qu'ils sont bien plus choisis par les partis qui forment la coalition de gouvernement que par leprésident du Conseil : l'équipe ministérielle manque d'homogénéité[78].
L'ultime conséquence de cet affaiblissement du régime républicain, lié à unparlementarisme tout-puissant, est finalement la haine de larépublique d'inspirationrévolutionnaire[79]. En ce sens, lerégime de Vichy est une revanche de« l'esprit autoritaire, anti-libéral, anti-parlementaire, celui duboulangisme, dePanama (J. Delahaye), dunationalisme anti-dreyfusard (Déroulède), ou néo-monarchique (Maurras), du 6 février 1934, cet esprit toujours vaincu ou dupé et toujours renaissant »[79]. C'est aussi la revanche dupouvoir exécutif sur lepouvoir législatif[79].
Le général de Gaulle lui-même faisait à l’époque une analyse comparable et n’a jamais eu la moindre sympathie pour les institutions de laIIIe République, pas plus qu’ensuite pour celles de laIVe République qu’il a toujours combattues. Ce qui fait que, jusqu’à sa mort, il ne cessera de dénoncer « le régime des partis ». C’est pourquoi, rapidement après son accession au pouvoir à l’été 1944, il tentera, mais sans succès, de faire que la France se dote enfin d’une constitution où l’exécutif aurait la primauté sur le législatif. Il exprima plus particulièrement sa pensée politique dans son célèbre discours de Bayeux du 16 juin 1946 à l’occasion duquel il dessinera les contours de ce qui, une douzaine d’années plus tard, deviendra la Vème République.
Le présent paragraphe résume à la fois les prérogatives théoriques des différents acteurs institutionnels, telles qu'elles sont définies par la constitution de1875, et également le fonctionnement réel des institutions de laTroisième République[N 26].
LePrésident de la République estélu pour sept ans par les deux chambres duparlement réunies enAssemblée nationale, irrévocable sauf en cas de haute-trahison.
LePrésident du Conseil est nommé par le Président de la République mais investi et renversé par leparlement.
Legouvernement est nommé en droit par leprésident de la République, en fait choisi par leprésident du Conseil, mais sous l'influence duparlement, renversé par leparlement.
La Chambre des députés estélue pour quatre ans ausuffrage universel direct masculin.
LeSénat est élu pour neuf ans, renouvelé par tiers tous les trois ans, ausuffrage universel indirect masculin, pardépartement.
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