Lalittérature baroque est l'ensemble des textes appartenant à l'esthétiquebaroque, mouvement artistique européen qui trouve son développement entre la fin duXVIe siècle et le milieu duXVIIe siècle. Ces textes se caractérisent par la recherche d'effets ostentatoires et le thème de l'inconstance du monde. Elle voit se développer un théâtre à machines et où le thème de l'illusion est central, une grandepoésie lyrique, l'art de la nouvelle et de nouvelles formes romanesques.
Le mouvement baroque apparaît à la fin duXVIe siècle et se termine autour du milieu duXVIIe siècle.
Bien que lié dès l'origine à laContre-Réforme, le mouvement littéraire baroque trouve une sphère d'influence plus large, notamment en France. On distingue d’un côté les écrivains protestants commeThéodore Agrippa d'Aubigné et de l'autre les écrivains catholiques commeHonoré d'Urfé etPierre Corneille ou encore ceux qui se reconvertissent telsJean de Sponde etThéophile de Viau. EnEspagne, le courant baroque est représenté entre autres parPedro Calderón de la Barca etLope de Vega.Andreas Gryphius etMartin Opitz sont ses représentants les plus illustres enAllemagne, commeGiambattista Marino enItalie (son nom a d'ailleurs donné naissance au terme de « marinisme »). EnAngleterre, on trouve une empreinte importante du baroque dans l'euphuisme comme dans certaines pièces deWilliam Shakespeare sur le plan thématique et formel.
Mais si le style baroque fut réputé de son temps, on ne le redécouvrit que vers la fin de la Seconde Guerre mondiale pour l’art, et dans les années1930 pour la littérature, avec le livre d'Eugenio d'Ors,Du baroque[1], puis dans son sillage avec les travaux de nombreux historiens de la littérature[2] comme ceux deJean Rousset dans les années1950[3].
Le baroque émerge dans une période de crise (en l'occurrence, lesguerres de religion) et prend place dans une époque métamorphosée par les grandes découvertes (les Amériques) et le progrès technique (l'invention de la boussole). Cette époque est aussi bouleversée par la finalité de certaines études scientifiques : celles entre autres deNicolas Copernic et deGalilée qui prouvent que la terre n'est pas au centre de l'univers. Le mouvement baroque s’oppose auclassicisme. Pour utiliser des concepts nietzschéens, on pourrait assimiler le baroque à un élan « dionysiaque » (lié à l'instable, à l'excès, aux sens et à la folie), opposé au mouvement « apollinien » (tourné vers le rationnel, l'intellect, l'ordre et la mesure) duclassicisme.
Reprenant le caractère dumaniérisme, ce courant privilégie l'émotion et le sensible à l'intellect ou au rationnel. Comme enmusique, enarchitecture et enpeinture, le baroque en littérature se centre sur l'effet et l'ostentation[4]. Il offre des lieux communs représentatifs : mélanger les contraires (le réel et l'illusoire, legrotesque et le sublime, le mensonge et la vérité) ; développer l’imaginaire ; faire appel auxallégories ; exprimer les sentiments et les sensations ; retranscrire avec une abondance de détails couleurs, formes, saveurs et parfums. La mort est un thème central dans les œuvres baroques, intimement liée au domaine de l'évasion, de la mythologie et de la féerie. L'esthétique baroque revendique son exubérance, son foisonnement et sa surcharge ornementale. L'écriture est dominée par l'alambique rhétorique et la multiplication de figures de style comme lamétaphore. Le recours à l'hyperbole et aunéologisme est également notable[4]. Jouant sur le motif des identités multiples, le théâtre et le roman mettent en scène des personnages polyvalents, doubles et mystérieux « portant un masque » (ex :Dom Juan avec une duplicité acharnée). Le théâtre est le lieu de l'illusion par excellence. Il accentue l'effet d'artifice par de fréquents changements d’intrigues comme dansL'Illusion comique dePierre Corneille. Dans les romans, les intrigues sont également digressives, changeantes ou multiples (recours auxrécits enchâssés, à l'analepse etc.). Cela en fait des exemples célèbres deromans à tiroirs. On distingue de nombreux types de romans baroques parmi lesquels leroman pastoral qui se situe dans un monde idéalisé (le plus souvent une antiquité fantasmée comme laGaule deL'Astrée). Leroman picaresque est quant à lui à mi-chemin entre idéal, rocambolesque et réalité sociale du tournant duXVIe siècle. En France, le roman baroque évolue vers lapréciosité avecHonoré d'Urfé etMadeleine de Scudéry entre autres.
La récurrence de thèmes est importante : inconstance, illusion, figures minérales, métamorphose, travestissement ou déguisement, rêve, songe (La vie est un songe deCalderón de La Barca), sommeil, miroir, double, corps humain ou encore vanité des choses (« Vanité des vanités, tout n’est que vanité »). La théâtralité et l'artificialité sont aussi des motifs clés. Une place primordiale est accordée au décor et le rappel de la fiction à sa nature d'artifice est courant. Les productions baroques usent de manière régulière de lamise en abîme.
Elles ont souvent pour sujet la mise en scène d'un simulacre. De fait, elles cherchent à faire de l'existence un petit théâtre des apparences, de l'instable et de l'éphémère d'où sort l'angoisse de la mort que seule la religion peut, par moments et selon les auteurs, pallier. L'écrivain baroque se veut didactique. Il se voit tiraillé entre la promotion du progrès scientifique et technique de son époque et le rejet d'un monde de violence et de fausses apparences.Baltasar Gracián, l'un des grands représentants de lalittérature baroque espagnole, fait l'éloge de l'ostentatoire, perçu comme une manière de constater un défaut de réalité dès que l'apparence s'efface[4]. De fait, l'artifice triomphe selon lui systématiquement sur le naturel[4].
Enpoésie, lelyrisme amoureux s'épanouit (notamment avecScalion de Virbluneau, sieur d'Ofayel etLouvencourt, seigneur de Vauchelles)[5], et on assiste au développement dusonnet et desodespindariques ouanacréontiques, avec des poètes extrêmement originaux qui se distinguent grâce à leur esprit libertin commeTristan L'Hermite,Marc-Antoine Girard de Saint-Amant etThéophile de Viau, considérés comme des libres penseurs qui refusent lesdogmes et lesprincipes. Certains poètes associés à l'ère baroque, à l'instar dePaul Scarron, s'adonnent également à un genre parodique dit « burlesque ». Il s'agit d'un registre irrévérencieux, ridiculisant les modèles littéraires dominants comme l'épopée. Les figures mythologiques de l'antiquité sont mises en scène dans des postures peu avantageuses, ce qui est particulièrement sensible dansLe Virgile travesti. Ces représentations subversives sont inspirées des figures métamorphiques, difformes et hybrides de laDomus aurea romaine, considérée comme le lieu de naissance de l'art grotesque.
EnEurope et plus particulièrement enEspagne, deux modèles poétiques se distinguent sur le plan esthétique : lecultisme, représenté parLuis de Góngora, qui se caractérise par une syntaxe profuse multipliant les niveaux de construction (mélange des registres, phrases labyrinthiques etc.), une extrême préciosité de la langue et un excès de figures de style et leconceptisme auquel se rattacheFrancisco de Quevedo, sensible à la complexité de pensée mais promouvant une écriture plus synthétique, précise et ramassée. Ces deux modèles se rejoignent néanmoins par des recherches de style, des innovations linguistiques et des jeux sur la forme et le sens des mots. EnAngleterre,John Donne s'apparente et s'oppose simultanément à ces conceptions par le développement d'unepoésie métaphysique. Ce courant prône une plus grande rigueur de composition, une versification savante et des traits d'esprit plus ou moins complexes. Se dégage alors une certaine pureté du langage poétique, tourné vers l'intellect et non vers l'émotion. En France, avec la création des académies royales et l'arrivée duclassicisme, des règles de mesure, d'harmonie et de beauté par un travail de l'esprit dénigrent le baroque littéraire[4]. Ce dernier est systématiquement défini comme un genre hybride, bizarre et boursouflé, entre le grotesque satisfait et le ridicule redondant[4].
La tendance sombre prise par certaines productions baroques (notamment les pièces deShakespeareMacbeth etHamlet, peuplés de sorcières, de fantômes et de terres médiévales maléfiques) influencent une évolution particulière du mouvement dit « baroque noire » qui nourrira les thèmes et l'esthétique, aux siècles suivants, d'auteurs comme leMarquis de Sade mais également duroman gothique et de certainsécrivains romantiques[6].
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