Leslectines sont un type deglycoprotéines dont la particularité réside dans leur capacité à se lier spécifiquement et de manière réversible à certains types deglucides. On les retrouve dans tous les types d'organismes vivants et interviennent dans divers processus biologiques, notamment dans la reconnaissance cellulaire (par exemple lors de réponses immunitaires ou d'infections), la modulation des réponses immunitaires, le trafic intracellulaire, l'adhésion et la signalisation cellulaire, ainsi que la défense contre les pathogènes et les prédateurs chez les plantes.
Les lectines sont omniprésentes dans le monde du vivant; on les retrouve dans tous les types d'organismes, qu'ils soient végétaux, animaux, fongiques ou microbiens.[1],[2] Certaines espèces possèdent des concentrations importantes de lectines, notamment les graines de certaines plantes, en particulier celles de la famille deslégumineuses (fabacées), comme leslentilles, lesfèves, lespois secs et lesharicots rouges.
C'est au XIXème siècle que des études ont commencé à mettre en évidence l'existence de protéines capables d'agglutiner les globules rouges. En 1888,Peter Hermann Stillmark a décrit pour la première fois une protéine de ce type dans sa thèse à l'Université de Dorpat en Russie : laricine, une hémagglutinine extrêmement toxique présente dans les graines de ricin (Ricinus communis). Ainsi, cette dernière est considérée comme la première lectine a avoir été identifiée[3],[4]. Cette découverte a donné naissance à une nouvelle branche de la biochimie : la lectinologie.
Depuis la découverte de la ricine en 1888, notre compréhension des lectines a considérablement évolué. Des avancées importantes incluent l'introduction du terme « agglutinine » par Elfstrand en 1898, les découvertes d'Ehrlich sur les principes de la réponse immunitaire utilisant la ricine et l'isolation de laConcanavaline A (ConA) à partir de pois-sabre (Canavalia ensiformis) par James B. Sumner en 1919. Quelques années plus tard, deux groupes de recherche indépendants ont découvert que l'activité hémagglutinante des lectines végétales peut varier de manière significative en fonction du type de cellules sanguines, puis en 1954, Watkins et Morgan ont remarqué que certains sucres pouvait inhiber l’activité d’agglutination des lectines, ce qui a permis de comprendre que cette activité reposait sur la reconnaissance et la liaison des structures glucidiques à la surface des cellules. C'est ainsi qu'en 1954, Boyd et Shapleigh ont proposé le terme « lectine » à la place d'agglutinine (ou hémagglutinine), du latinlectus, participe passé delegere « sélectionner, choisir », en référence à leur capacité de se lier spécifiquement à certains glucides[3],[4].
Les lectines sont isolées à présent à large échelle et valorisées commercialement pour caractériser les molécules glycosylées enprotéomique, les structures cellulaires enbiologie cellulaire, purifier des molécules glycosylées, et surtout phénotyper les cellules sanguines.
Sont distingués quatre types de lectines: les lectines C, les lectines de type p, les lectines de type l et les lectines galectine[5].
Symbole | Noms | Source | Motif ligand |
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Lectines spécifiques du Mannose | |||
ConA | Concanavaline A (lectine du pois-sabre) | Canavalia ensiformis | résidus α-D-mannosyle et α-D-glucosyle ; structures ramifiées d'α-mannosyle (N-glycanes riches en α-mannose, hybrides ou de type complexes bi-antennaires) |
LCH | Lectine de la lentille | Lens culinaris | région de base fucosylée des N-glycanes complexes bi- et tri-antennaires |
GNA | Lectine du perce-neige | Galanthus nivalis | structures riches en mannose liées en α 1-3 et α 1-6 |
Lectines spécifiques du Galactose / N-acetylgalactosamine | |||
RCA | Agglutinine I du ricin commun (ou RCA120),ricine (toxalbumine du ricin) | Ricinus communis | Galβ1-4GlcNAcβ1-R |
PNA | Agglutinine de l'arachide | Arachis hypogaea | Galβ1-3GalNAcα1-Ser/Thr (T-Antigen) |
AIL | Jacaline (lectine du jacquier) | Artocarpus heterophyllus (anciennement A. integrifolia) | (Sia)Galβ1-3GalNAcα1-Ser/Thr (T-Antigen) |
VVL | Lectine de la vesce velue | Vicia villosa | GalNAcα-Ser/Thr (Tn-Antigen) |
Lectines spécifiques du N-acetylglucosamine | |||
WGA | Lectine du blé (germe) | Triticum vulgaris | GlcNAcβ1-4GlcNAcβ1-4GlcNAc, Neu5Ac (acide sialique) |
SNA | Lectine du sureau | Sambucus nigra | Neu5Acα2-6Gal(NAc)-R |
MAL | Lectine du maackie de l’Amour | Maackia amurensis | Neu5Ac/Gcα2-3Galβ1-4GlcNAcβ1-R |
Lectines spécifiques du Fucose | |||
UEA | Agglutinine de l'ajonc d'Europe | Ulex europaeus | Fucα1-2Gal-R |
AAL | Lectine de la pézize orangée | Aleuria aurantia | Fucα1-2Galβ1-4(Fucα1-3/4)Galβ1-4GlcNAc, R2-GlcNAcβ1-4(Fucα1-6)GlcNAc-R1 |
Les lectines se lient spécifiquement paraffinité à unose ouoligoside (présents sur des carbohydrates, glycoprotéines ou glycolipides), de façon similaire auxenzymes et auximmunoglobulines. Le mot lectine vient d'ailleurs du latinlegere, signifiant «sélectionner». La fixation est usuellement plus forte des mono- aux oligo-saccharides de structure plus longue. Les constantes d'affinité Kd sont de 10-6 à 10-7 mol/L pour des glycoprotéines (donc moindres que celles des anticorps).
La fonction des lectines chez les plantes est mal connue. Elle semble plus liée à la croissance et à lagermination, voire à la survie des graines, qu'à un rôle envisagé pour accueillir lesbactéries symbiotiques typeRhizobium. Des lectinesde légumineuses ou decéréales seraient unedéfense chimique des plantes contre les insectes en perturbant le fonctionnement de leur tube digestif[7].
Des études ont montré que plusieurs lectines reconnaissent des ligands non glycosidiques, hydrophiles (porphyrines) ou hydrophobes (adénine,auxines,cytokinine, etacide indole acétique)[8].
Laricine est une toxine mortelle, bien connue, contenant deux domaines: l'un fixe les résidus galactosyl, permettant à la protéine d'entrer dans les cellules; l'autre est une N-glycosidase qui clive les nucléobases desARN ribosomiques, inhibant ainsi la synthèse protéique.
Plusieurs lectines végétales sont toxiques, inflammatoires, résistantes à la cuisson et auxenzymes digestives, et présentes dans une grande partie des aliments des hommes[9].
Les lectines sont impliquées dans la régulation de l'adhésion cellulaire, la synthèse deglycoprotéines et le contrôle de la concentration des protéines dans lesang. Elles jouent un rôle majeur dans l'immunité, en reconnaissant les glucides spécifiques de certainsagents infectieux pathogènes.
Les lectines posent parfois des problèmes en alimentation.
La consommation d'aliments riches en lectines peut causerdiarrhées,nausées, etvomissements. Par exemple les fortes teneurs dusoja en lectine SBA (soybean agglutinin) affectent l'intestin grêle (fixation sur les villosités des cellules en brosse, et modification de leurmétabolisme). Une cuisson ménagère après trempage quelques heures suffit pour supprimer latoxicité relative des lectines dans les graines. Cependant, certaines lectines (exemple du haricot) résistent davantage à la chaleur que d'autres.Aussi, les lectines peuvent causer des irritations et excès d'excrétion de lamuqueuse intestinale, et conséquemment affecter la capacité d'absorption intestinale. À long terme, elles peuvent causer desallergies, déficiences nutritionnelles ou immunologiques[10].
Les lectines de certaines céréales modernes pourraient induire une résistance à laleptine, hormone qui régule les réserves de graisse[11].
Il faut 72 h à 42 °C pour éliminer les lectines dans les lentilles[12].
Les lectines sont utilisées en biotechnologies et en diagnostique biomédical, comme par exemple laconcanavaline A (hémaglutinine), responsable de l'hémaglutination.
Les lectines fournissent des outils pour étudier les glycoprotéines (anticorps,cytokines,hormones,facteurs de croissance,enzymes,récepteurs et mêmetoxines etvirus):
Les glycoprotéines, éventuellement après clivage enzymatique, peuvent ainsi être caractérisées quantitativement et qualitativement (glycoformes, structure de complexes, interactions).