| Le Jeu de l’amour et du hasard | |
Illustration deBertall. Silvia déguisée en servante | |
| Auteur | Marivaux |
|---|---|
| Genre | Comédie |
| Éditeur | Briasson |
| Date de création en français | |
| Lieu de création en français | Hôtel de Bourgogne |
| Compagnie théâtrale | Comédiens italiens |
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Le Jeu de l’amour et du hasard est unecomédie en troisactes et enprose deMarivaux, créée le par lesComédiens italiens à l’hôtel de Bourgogne.
Cette œuvre de Marivaux, qui est la plus célèbre et la plus représentée de ses pièces, tant en France qu'à l'étranger, met en scène M. Orgon, père de Silvia, qui souhaite que sa fille épouse Dorante, le fils d'un de ses vieux amis. Peu disposée à se plier à unmariage arrangé, Silvia obtient de son père l'autorisation d'observer, sous le déguisement de sa servante Lisette, le jeune homme à qui sa famille la destine, ignorant que ce dernier a eu la même idée qu'elle. L’aventure, divertissante au début, tourne au cauchemar pour Silvia lorsqu'elle se rend compte qu'elle est attirée par le valet, qui lui fait une cour discrète, alors que lui fait horreur le comportement de celui qui se présente comme son promis, d'autant plus que M. Orgon, qui s'amuse de la situation, refuse d'interrompre le jeu.
En inversant les rapports maitre-valet, Marivaux remet l’ordre établi et les préjugés sociaux en cause. Le double jeu de masques engendre une série de complications et dequiproquos, dont les femmes se sortent le mieux. La première à comprendre ce qui se passe, Lisette, ne se démasque que lorsque Arlequin lui a avoué sa véritable position. Silvia apprend ensuite que c'est Dorante qui la courtise sous lalivrée, mais sa fierté la pousse à lui cacher qui elle est. En obtenant du jeune homme qu'il lui propose de l'épouser, alors qu'il la prend pour une domestique, elle« agit en femme moderne qui veut assumer ses responsabilités et prendre part à son destin[1] ».
Silvia, fille de Monsieur Orgon et sœur de Mario, est inquiète à la perspective d'épouser Dorante, un jeune homme qu'elle ne connaît pas. Lorsqu'elle apprend sa venue, elle obtient de son père l'autorisation de prendre le rôle de sa femme de chambre, Lisette, afin de pouvoir étudier plus à son aise le caractère de son prétendant. Mais celui-ci a eu la même idée pour les mêmes raisons ; il va donc se présenter sous l’apparence d’un serviteur nommé « Bourguignon », tandis que son fidèle valet,Arlequin, se fait passer pour lui. Informé par une lettre du père du prétendant, Monsieur Orgon et son fils Mario décident de laisser s'engager ce « jeu de l’amour et du hasard », en se promettant de s’amuser de la situation.

Dès que Dorante arrive sous son travesti, Mario veut que Silvia et lui se tutoient, selon l'usage des serviteurs, ce qui les gêne bien un peu au début. Sous son déguisement de soubrette, Dorante trouve Silvia charmante et il lui fait un brin de cour en lui adressant une série de compliments des mieux tournés. Obligée, de son côté, de souffrir ces assiduités pour ne pas se trahir, Silvia finit par y prendre goût et par regretter que le prétendu valet n'ait pas une meilleure situation sociale. Celui-ci, de son côté, est désolé que la prétendue Lisette ne soit qu’une femme de chambre. L’embarras de la jeune fille augmente de voir tant d’esprit et de distinction chez un valet, tandis que le comportement du prétendu maître la choque dès qu’il paraît. Elle s’en veut de continuer la conversation avec « Bourguignon », mais ne peut se résoudre à le quitter.
Quant à elle, Lisette est enchantée du faux Dorante et prie Monsieur Orgon, le père, de la dispenser de continuer, parce qu’elle prendra cet amour au sérieux. En effet, dès la seconde entrevue, on s’est dit qu’on s’aime, tout en se prévenant mutuellement qu’il y aura peut-être à en rabattre lorsqu’on se connaîtra mieux. Silvia trouve que Lisette va trop loin avec celui qu’elle suppose être le maître ; Lisette, de son côté, fait entendre à Silvia qu’elle-même va bien loin avec le valet. Silvia en pleure de colère. Elle ne sait où elle en est et ne se reconnaît pas elle-même. Lorsque « Bourguignon » survient, elle veut s’en aller et elle reste. Elle veut le quereller et elle le console. Il se jette à ses pieds et elle lui dit qu’elle l’aimerait si elle le pouvait. Lorsque son père et son frère, qui sont témoins d’une partie de cette scène, la taquinent impitoyablement, elle se fâche. Quand on lui dit qu’il faut chasser ce valet qui est cause de tout le trouble de la maison, elle le défend avec chaleur puis, comme on se moque d’elle, elle demande aussi qu’on le renvoie.
Dorante, lassé de ce jeu cruel, avoue le stratagème à Silvia. Conscient que sa position sociale lui interdit d'épouser une servante, il ne peut cependant se défendre de l’aimer. Soulagée d'apprendre qu'elle est tombée amoureuse du vrai Dorante, Silvia lance alors un ultime défi : Mario, à sa demande, prétend avoir pour elle de l'attirance. Dorante est troublé par ce rival et la réponse de Silvia qui ne dément pas les propos de Mario. Sur le point de partir, le chagrin au cœur, il ne peut se résigner, et Silvia doucement le pousse à se déclarer. Une fois qu'il l'a demandée en mariage, elle se démasque : le quiproquo dénoué, les deux couples peuvent se former, chacun reprenant sa position sociale. Silvia et Dorante se marient ainsi qu'Arlequin et Lisette.
Lors des premières représentations, les rôles de Silvia, Arlequin et Mario étaient tenus par lesComédiens italiens de la troupe deLuigi Riccoboni titulaires de ces emplois[2]:1139 : « Mario », c'est Giuseppe Baletti[3] ; « Silvia », la belle et piquanteZanetta Rosa Benozzi, diteMlle Silvia, âgée à l'époque de 29 ans, actrice fétiche de Marivaux, qui a tenu le rôle de « première amoureuse » dans ses pièces pendant 20 ans[2]:xlviii. Thérèse Lalande, dévolue aux rôles d'« amoureuse » et de « soubrette » lui donnait la réplique en Lisette[2]:lxi. Dorante était peut-être joué parAntonio Fabio Sticotti, alors âgé de 19 ans, qui débutait dans le rôle de l'« amoureux », mais plus vraisemblablement par Jean-Antoine Romagnési, « grand, et assez bien fait », selon leDictionnaire des théâtres de Paris, titulaire du rôle de « premier amoureux » depuis 1725[2]:1139, et jusqu'à sa mort survenue brutalement le[2]:xviii. Alors que les autres acteurs jouaient en costumes de ville, le petit Tomasso Vicentini, dit Thomassin, conservait le costume, le masque et les caractéristiques traditionnelles d'« Arlequin » naïf, balourd, insouciant et jouisseur[3], mais réussissait à le rendre à la fois très drôle et touchant[2]:xlvii.

Comme nombre de comédies de Marivaux,Le Jeu de l'amour et du hasard utilise le thème du déguisement : pour arriver à ses fins, un personnage prend une autre apparence ; une jeune fille se travestit en « chevalier » (La Fausse Suivante,Le Triomphe de l'amour), un prince se présente comme un simple officier de son palais (La Double Inconstance) ou un noble aventurier (Le Prince travesti), mais ici le travestissement est poussé au paroxysme : non seulement les deux personnages principaux, Silvia et Dorante, se déguisent en serviteurs, mais il y a en plus inversion des rôles entre maîtres et domestiques. En outre, le jeu de dupes qui se crée est observé, et manipulé, par M. Orgon et Mario, qui« se donnent la comédie » (I, VI), voyant là« une aventure qui ne saurait manquer de [les] divertir » (I, III).
Le Jeu de l'amour et du hasard présente ainsi une double intrigue : d'abord celle qui met en présence Arlequin et Lisette, les valets travestis en « personnes de condition » en prenant l'identité de leurs maîtres. Le thème de l'échange des rôles entre maître et valet existe déjà dans la comédie antique et Molière a utilisé ce stratagème dansLes Précieuses ridicules[2]:1110. AuXVIIIe siècle de nombreuses œuvres, à commencer par l’Histoire de Gil Blas de Santillane utilisent le ressort comique des valets s'apercevant, après s'être« promis fidélité en dépit de toutes les fautes d’orthographe[N 1] » sous leurs beaux habits d'emprunt, qu'ils sont tous les deux des domestiques, et éclatant de rire[2]:1112, ou celui du valet ravi de jouer au maître et forçant ce dernier à se conduire avec servilité, sous peine de se démasquer.
L’intrigue faisant se rencontrer des jeunes gens de la bonne société déguisés tous les deux en serviteurs est peu fréquente avant leXVIIIe siècle[2]:1112. La particularité duJeu de l'amour et du hasard par rapport aux pièces contemporaines mettant en scène cette situation[N 2], repose sur le parallélisme absolu entre les deux intrigues, celle des maîtres et des valets, et l'extrême simplicité de la relation qui se noue entre Dorante et Silvia, une « reconnaissance » immédiate, le sentiment de vivre une expérience inouïe et la progression continue de leur amour, toujours menacé mais toujours plus fort[2]:1115.
Le Jeu de l'amour et du hasard est une pièce à thèse, un manifeste contre la tradition dumariage de convenance imposé par les parents[2]:1122. Malgré sa malice, Monsieur Orgon, le père de Silvia, est indulgent, compréhensif et affectueux. Il guide le jeu de l’amour et du hasard, tout en laissant sa fille faire ses preuves. Avec la complicité de Mario, son fils, il la pousse même à aller jusqu'au bout de son expérience. Les rapports de Silvia avec son frère sont pleins de naturel : il prend plaisir à l'exaspérer, mais est prêt à tout lui dévoiler lorsqu'il voit que le jeu va un peu trop loin et qu'elle souffre[N 3], et ils montrent une réelle complicité[2]:1123.
On peut y trouver des accents féministes et voir,« derrière le jeu de la jeune aristocrate qui veut accomplir l'exploit de se faire épouser sous l'identité d'une suivante, la crainte et la révolte de la femme, écrasée par une société phallocrate[1]. »
Le public lui réserva un bon accueil. Il y eut quinze représentations entre le et le, avec, en moyenne 620 spectateurs. La pièce, jouée à Versailles le, y fut aussi « très goûtée ». LeMercure de France en fait un compte-rendu long et détaillé dans son numéro d'avril, à l'occasion de la publication du texte[2]:1124.Le Jeu de l'amour et du hasard continua à être joué régulièrement, mais de loin en loin, jusqu'en 1739 et deux fois à Versailles en 1731 et 1738[2]:1131. Entre sa création et 1750,le Jeu […], que les Italiens étaient toujours prêts à représenter au pied levé, bénéficia de cent deux représentations recensées et d'un total de 42 000 spectateurs.
La comédie eut une belle carrière en Allemagne, où elle fut jouée en français (àBayreuth en 1748, àVienne, àFrancfort en 1741-1742 et 1746) et, traduite en allemand, dès 1735 àHambourg et ensuite dans toute l'Allemagne :Berlin,Manheim,Salzbourg,Ratisbonne,Königsberg, etc. et jusqu'àBelgrade en 1792[2]:1132. Le titre de deux des traductions insiste sur le changement d'identité :Die Verkleidung (Le Déguisement) en 1777 etMaske für Maske(Masque pour masque), édité en 1794[3]. Dans cette dernière traduction, fortement germanisée, de J. F. Jünger,le Jeu de l'amour et du hasard connut soixante-huit représentations à Vienne entre 1792 et 1840[2]:93.
Progressivement, le texte original est surchargé delazzi de plus ou moins bon goût, Arlequin, quittant le masque et le costume traditionnel delàcommedia dell’arte, devient Pasquin, et le titre même est déformé enLes Jeux de l'amour et du hasard, lors de l’entrée de la pièce au répertoire de laComédie-Française en 1795. Régulièrement joué au cours duXIXe siècleLe Jeu […] devient l'occasion de s'exhiber dans « un grand premier rôle » pour des actrices célèbres commeMademoiselle Mars ouMademoiselle Plessy qui firent de Silvia une coquette à l'« ingénuité habile », ou les sœursMadeleine etAugustine Brohan qui interprétèrent une « Silvia ogresse » et une « Lisette cannibale », elles qui, en ditThéophile Gautier,« comme d'une petite saccade de poignet, vous lancent un bon mot par-dessus le lustre[2]:1134 ». De plus, dans les « pièces durépertoire », lessociétaires de la Comédie-Française avaient coutume de reprendre, parfois jusqu'à un âge très avancé, le rôle dans lequel ils avaient triomphé jeunes, ainsi celui de Sylvia pourMlle Mars et de Dorante pourDelaunay[N 4].
LeXIXe siècle, auquelMusset reprochait d'avoir oublié la légèreté malicieuse de lacomédie à l'italienne pour lui préférer lacomédie de mœurs et levaudeville[N 5], assimilait le « marivaudage » à une forme sophistiquée de marchandage, voire un cours de tactique galante, une sorte d'école pour jeunes gens à marier[N 6]. Ce n'est qu'à la fin du siècle que les actricesÉmilie Broisat et surtoutJulia Bartet rejouent enfin une Sylvia gracieuse, touchante et simple, et en 1911 queXavier de Courville commence à rendre aux comédies de Marivaux leur style decomédie italienne[2]:1134.
Le Jeu de l'amour et du hasard reste, entre 1840 et 1970, la pièce de Marivaux la plus fréquemment jouée à la Comédie-Française. En 1920Pierre Fresnay, dont la critique célèbre la « chaleur d'expression » et l'ardeur juvénile[2]:1134, y triomphe dans le rôle de Dorante. Entre les années 1940 et 1960 la pièce est montée dans des interprétations équilibrées avec des acteurs qui ne se prennent pas pour des monstres sacrés :Gisèle Casadesus (Lisette),Pierre Dux etJacques Charon (Pasquin),Jean Desailly etJacques Toja (Dorante)[2]:1135. Mais après 1968 les metteurs en scènes multiplient les interprétations. En 1972 Pierre-Étienne Heymann souligne jusqu'à la caricature les oppositions de classe auCentre théâtral de Franche-Comté, en 1976Jean-Paul Roussillon durcit les relations entre les personnages pour évoquer« le carcan des cloisonnements sociaux »[2]:1135 ; le« comble de la virtuosité gratuite » semble la mise en scènepost-moderne d'Alfredo Arias auThéâtre de la Commune d'Aubervilliers en où les acteurs portent des masques de singes[2]:1136. Bien que saluée par une grande partie de la presse à l'époque, Patrice Pavis ne voit dans ces« singeries délicatement tempérées » que« convention de jeu esthétisante » et« mythologisation du texte classique »[5], moderne avatar du Marivaux superficiel de la tradition. D'autres, cependant, cherchent à retrouver« la fraîcheur dans l'expression du texte » (Théâtre du Val de Marne, printemps 1972)[2]:1136. Dans cette optique, loin de la vieille tradition d'un Marivaux à la langue affectée et au style« entortillé et précieux » selon l'expression du fielleuxCharles Palissot, queMarcel Bluwal tourna en 1966 un téléfilm en décors naturels (dans le parc et lechâteau de Montgeoffroy) ; il permit aux téléspectateurs de découvrir, le[N 7], un Marivaux dépoussiéré et rajeuni,« du "théâtre" prodigieusement épuré. Des regards, des mots, le cœur mis à nu »[6].
Le Jeu de l'amour et du hasard est très régulièrement monté, tant en France qu'à l'étranger[7] :
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