Lao Tseu ouLao-Tseu[2],Laozi ouLao Zi (chinois :老子 ; pinyin :Lǎo zi ; Wade :Lao³ Tzu⁵ ; EFEO :lao tseu), plus communément appelé enChineTàishàng lǎojūn (太上老君, « Seigneur suprême Lao »), de son vrai[3] nomLi Er (李耳, Lǐ ěr), aurait été unsage chinois et, selon la tradition[4], un contemporain deConfucius (milieu duVIe siècle av. J.-C. – milieu duVe siècle av. J.-C., fin de lapériode des Printemps et Automnes). Il est considéréa posteriori comme le père fondateur dutaoïsme. Il serait né dans lepays de Chu du royaume desZhou et serait parti pour une retraite spirituelle vers l’ouest de la Chine actuelle avec une destination inconnue[4]. Les informations historiques le concernant sont rares et incertaines et sa biographie se développe à partir de ladynastie Han, essentiellement à partir d’éléments surnaturels et religieux ; quelques chercheurs sceptiques estiment depuis la fin duXXe siècle qu'il s’agit d’un personnage fictif ou composite, et non proprement historique[5],[6].
LeTao Tö King (Livre de la Voie et de la Vertu) que la tradition lui attribue est un texte majeur du taoïsme, considéré comme important par d'autres courants également. Lao Tseu est considéré par lestaoïstes comme undieu (太上老君, Tàishàng lǎojūn, « Seigneur suprême Lao ») et comme leur ancêtre commun.
Il est représenté comme un vieillard à la barbe blanche, parfois monté sur un buffle.
L’image la plus courante de Lao Tseu en fait un personnage extraordinaire. Conçu miraculeusement par le passage d’une comète ou l’ingestion par sa mère d’une prune (li, nom de famille qui lui est généralement attribué) magique, il naît avec des cheveux blancs et une barbe, d’où son surnom d’ancien (lao), et des oreilles aux lobes très longs, signe de sagesse. Archiviste à la cour desZhou et contemporain deConfucius qui le reconnaît, selon leZhuangzi, comme un maître et un être extraordinaire[7], il finit par quitter le pays âgé d’au moins 60 ans, lassé des dissensions politiques. Il part vers l’ouest monté sur un buffle ; arrivé à la passe qui marque la frontière, il rédige leDaodejing (Livre de la Voie et de la Vertu) à la demande du gardienYin Xi puis continue son voyage. Selon la croyance populaire il ne meurt pas mais se réincarne, réapparaissant sous différentes formes pour transmettre leTao[8].
Stèle dans le Henan marquant l'endroit où Confucius aurait interrogé Lao Tseu au sujet des rites. Photographie d'Édouard Chavannes, 1907.Lao Tseu, Mythes et Légendes de Chine, 1922 par E. T. C. Werner
LeZhuangzi contient dix-huit passages, dont certains pourraient remonter auIVe siècle av. J.-C.[11], mentionnant Lao Dan (老聃), moins souvent Lao Tseu, et une fois Lao Laizi (老萊子). On y voit souvent le personnage critiquer les efforts de Confucius pour appliquer les vertus confucéennes, selon lui inefficaces et contre nature. Lao Tseu l’appelle par son prénom, Qiu (丘), comme le ferait un aîné, mais il se pourrait que ce soit une invention des auteurs[11] pour mettre en évidence la supériorité de Lao Tseu sur Confucius. Ce dernier le compare dans un passage à un dragon chevauchant les nuages, différent de tous les animaux qui courent, nagent ou volent et échappant ainsi aux contingences. Un passage présente Lao Dan comme un archiviste du roi des Zhou[9].
Selon la notice biographique rédigée parSima Qian dans leShiji auIIe siècle av. J.-C., son nom personnel était Li Er (李耳, « prune oreille »), sonprénom social Dan (聃). Né dans le comté de Ku (苦),pays de Chu[12], il pratiquait « le Dao et la Vertu » et se tenait caché. Un jour, Confucius vint le trouver pour apprendre davantage en matière de rites. Ils eurent un bon échange, puis Confucius impressionné dit en conclusion : « Lao Tseu est comme un dragon ! ». Et il ne parla plus pendant trois jours, occupé à méditer ses paroles. Par la suite, il vint le saluer avant chacune de ses méditations. Plus tard, lassé des conflits internes incessants de son pays, Lao Tseu partit vers l'ouest. Il arriva à une passe dont le gardien,Yin Xi, lui demanda de laisser son enseignement par écrit[13] : ce furent les 5500 caractères duDao De Jing. Ensuite, il disparut.
Néanmoins, Sima Qian rapporte aussi que selon certains, Lao Tseu serait l'archiviste Dan (儋) du roi des Zhou qui aurait prédit au duc Xian (-384 ~ -362) deQin[14] la future indépendance de son État.
Il mentionne de plus comme candidat possible un Lao Laizi contemporain de Confucius vivant à Chu, auteur d’un ouvrage portant son nom en 15 ou 16 articles (perdu dès la fin des Han) que certains soupçonnent d'être une partie duDaodejing. Selon d’autres sources[15], pratiquant du Dao (ou Tao) né sous le roi Kang[16] et mort sous le roi Hui[17] à 160 ou 200 ans, Lao Laizi se serait retiré dans les montagnes vers479 av. J.-C. pour y vivre en ermite avec sa femme, refusant le poste offert par le roi[18].
Enfin, Sima Qian prête à Lao Tseu une descendance dans les armes et la fonction publique, qui serait entrée au service de l’empereurHan Wendi puis du prince de Jiaoxi[19], fils deHan Jingdi, et se serait fixée àQi.
AuIVe siècle,Ge Hong[20] donne Chong’er (重耳) comme variante de son prénom, Boyang (伯陽) pour prénom social et considère que Dan est son surnom[21]. Ces précisions seront souvent intégrées dans les biographies ultérieures, mais on ignore d'où Ge Hong les a tirées.
Le sens du nom Lao est débattu : l’interprétation littérale de « vieux » ou « ancien », évoquant la sagesse, est tentante. Certains prennent le suffixezi au sens littéral d’« enfant » et en font « le vieil enfant », appellation mystique ou symbolique, d'autres estiment que ce surnom lui vient du fait qu’il serait né avec des cheveux blancs ou que sa mère l’aurait eu sur le tard. D’autres encore estiment qu'il s'agit tout simplement de son nom de famille, l'existence de famillesLao à l’époque des Royaumes combattants étant attestée.
Par ailleurs, les caractèresLi (prune) etEr (oreille) - ses nom de famille et prénom selon Sima Qian - ont inspiré l'imagination. « Prune » viendrait du fait que sa mère l’aurait conçu en apercevant une comète ou un dragon volant alors qu’elle était assise sous un prunier, ou bien en consommant un fruit magique.Ge Xuan pensait pour sa part que Lao Tseu aurait désigné du doigt un prunier à sa naissance, mais proposait aussi qu'il pourrait s'agir du nom de famille de sa mère. Le prénom « Oreille » est en général expliqué par leur taille particulièrement développée, surtout les lobes, caractéristique souvent prêtée aux sages[22].
Parallèlement au Lao Tseu historique proposé par les historiens Han, un Lao Tseu religieux apparait dans d’autres sources, comme leLiexianzhuan (列仙傳) qui le compte au nombre desimmortels. Depuis la fin desRoyaumes combattants, il est avec le souverain mythiqueHuangdi l’un des personnages centraux du couranthuanglao, important jusqu’au début des Han. À l’origine philosophique et politique, ce courant aurait pris un tour plus religieux quand il fut évincé par leconfucianisme. On trouve des témoignages de ladivinisation de Lao Tseu dès le règne de l’empereurHuandi (r. -), qui lui rend un culte. En153, Wang Fu (王阜), préfet de la région deChangsha, fait dresser une stèle dédiée à Lao Tseu sur laquelle celui-ci est identifié auTao originel ; vers la même époque, le lettré Bian Shao (邊韶) déclare que Lao Tseu est un immortel, maître des sages de différentes époques à travers ses métamorphoses. Dans leBianhua wuji jing (變化無極經) des Han orientaux, Lao Tseu, identifié au Dao (ou Tao), se donne naissance à lui-même et prédit son retour sous une de ses métamorphoses dans une perspective millénariste.
Sous les noms deVénérable céleste du Dao et de la Vertu (道德天尊) ouPur du faîte suprême (太清), il est devenu l’un desTrois Purs, divinités principales des grandes écoles taoïstes modernes. Il porte à ce moment-là plusieurs épithètes, la plus connue étant (太上老君Taishang Laojun)Vieux Seigneur de la Hauteur Suprême ; ce serait lui qui aurait, dit-on remis un enfant à la reine de (妙樂Miaole), appelé à devenir le futurEmpereur de Jade. On l'appelle aussi : (神寶天尊Shenbao Tianzun)Vénéré Céleste du Trésor Divin[23], ou (道德天尊Daode Tianzun)Vénéré Céleste de la Voie et de la Vertu, ou (混元老君Hunyuan laojun)Vieux Seigneur du Chaos Originel, ou bien encore, (降生大帝Jiangsheng dadi)Grand Dieu (Empereur) Dispensateur de Vie et (太清大帝Taiqing dadi)Grand Dieu (Empereur) de la Pureté Suprême. Le[Ciel de] Pureté Suprême est le nom supposé du Troisième Ciel où régnerait ce personnage sur la troisième catégorie d'immortels, lesImmortels Célestes[24].
Sous cette forme divinisée qui forme la Triade Suprême du Panthéon Taoïste, Lao Tseu est représenté en monarque assis sur un trône, tenant dans ses mains l'éventail magique décrivant l'île de Penglai (séjour d'Immortels) ; il est alors la Troisième Section du (洞神Dongshen) Canon Taoïste, l'Esprit, l’Élément Chimique Inférieur de l’Élixir d'Immortalité et l'Essence Vitale de l'Univers[25].
Encore appeléSuprême seigneur Lao (太上老君) ouEmpereur de l'origine mystérieuse (玄元皇帝), il apparaît sous des formes diverses au fil des siècles pour guider les fidèles. Dans les temples, son effigie est à la droite du trio des Trois Purs ; il a la barbe et les cheveux blancs et tient en main un éventail.
Image classique de Lao Tseu s’en allant vers l’Ouest monté sur un buffle
DansL’Explication ésotérique des trois cieux (Santian neijiejing 三天內解經) (~420), un texte des Maîtres célestes, Lao Tseu connaît une triple naissance : en tant que divinité, en tant que Lao Tseu historique, puis en tant queBouddha. En effet, le taoïsme religieux, confronté auIIIe siècle au développement dubouddhisme enChine, a tenté un rapprochement audacieux entre ce personnage parti en pays barbare et le Bouddha qui serait son incarnation ou parfois son élève. Wang Fu (王浮), membre des Maîtres célestes, expose à la même période cette opinion dansLa conversion des Barbares par Lao Tseu (Laozihuanhu 老子化胡), ouvrage qui sera régulièrement repris et enrichi jusqu'auXIVe siècle où les prétentions de voir Lao Tseu dans le Bouddha seront définitivement rejetées.
Les empereurs de ladynastie Tang (618-907), dont le nom de clan était Li, acceptèrent volontiers de se considérer comme ses descendants lorsqu’ils firent du taoïsme leur religion officielle et de l'honorer commeShengzu (聖祖) « Saint ancêtre ». L’empereurGaozong (r. 649-683) lui accorda le titre de « Suprême empereur céleste du mystère originel » (太上玄元天帝).
Le Lao Tseu divin a un aspect hors du commun.Ge Hong le décrit ainsi : peau jaune clair, oreilles longues, grands yeux, dents écartées, bouche carrée aux lèvres épaisses, quinze rides sur un front large qui porte aux coins la forme de la lune et du soleil. Il a deux arêtes de nez et trois orifices à chaque oreille, et les dix lignes des êtres d’élite marquent ses paumes.
Les circonstances de sa naissance sont également extraordinaires : sa mère, qui l’aurait conçu en apercevant une comète ou un dragon volant alors qu’elle était assise sous un prunier – d’où son nom de famille Li - l'aurait porté pendant huit ou quatre-vingt-un ans. Lorsqu’il naquit avec les cheveux blancs – origine pour certains du nom Lao (vieux) - une comète apparut dans le ciel et neufdragons sortirent de terre pour le baigner. C’est ce dernier détail, joint au fait que selon Bian Shao, son lieu de naissance se situait au confluent des rivières Guo et Gu et sur la riveyáng de la Guo, qui a encouragé la ville de Guoyang à postuler à la place de lieu de naissance du sage. Il y existe en effet un site appelé « Puits des neuf dragons » qui daterait des Printemps et des Automnes.
DansLe Voyage en Occident, Lao Tseu (老子, Laozi ou老君, Laojun) intervient souvent[26], c'est lui qui arrête d'abord le singe rebelle,Sun Wukong (孫悟空), avec l'aide deGuanyin (觀音) et son cercle de métal[27], lui encore qui l'enferme dans son énorme four auxhuit trigrammes[28], lui qui lui vient en aide par la suite lors de son voyage face à ses deux assistants, l'Enfant d'Or et l'Enfant d'Argent et son buffle sacré, devenus des monstres sur terre[29].
↑William Boltz, “993. “Lao tzu Tao te ching.” In Early Chinese Texts: A Bibliographical Guide, ed. Michael Loewe. Berkeley: University of California, Institute of East Asian Studies. (1993)p. 270
↑ab etcAngus GrahamThe Origins of the Legend of Lao Tan. In "Lao-tzu and the Tao-te-ching", ed. Kohn, Livia Kohn and Michael LaFargue, (1986). Albany: State University of New York Press.
↑William BoltzLao tzu Tao te ching. In "Early Chinese Texts: A Bibliographical Guide", ed. Michael Loewe. Berkeley: University of California, Institute of East Asian Studies. (1993)p. 270
↑a etbLe Zhuanzi a été remis en forme auIIIe siècle ap. J.-C. parGuo Xiang, qui considérait que seuls 7 chapitres (dits « internes ») étaient de l’auteur supposé ; la date de rédaction et la paternité des différents passages n’est donc pas certaine.
↑Il existe deux candidats possible pour le comté de Ku : l’actuel comté deLuyi auHenan et la ville de Guoyang (涡阳) dans l’Anhui.
↑LeLiexianzhuan (列仙傳) précise qu’il chevauchait un bœuf noir et que la passe s’emplit de nuées pourpres lors de son passage.
↑Le folklore de la région de Jingmen auHubei a conservé son souvenir ; il est devenu auXIVe siècle le héros d’une desVingt-quatre histoires de piété filiale (二十四孝) de Guo Jujing (郭居敬)
Angus Graham, « The Origins of the Legend of Lao Tan », dans Livia Kohn et Michael LaFargue,Lao-tzu and the Tao-te-ching, Kohn, 1998-1986, Albany: State University of New York Press,p. 23-41
Livia Kohn, « The Lao-Tzu Myth », dans Livia Kohn et Michael LaFargue,Lao-tzu and the Tao-te-ching, 1998, Albany: State University of New York Press,p. 41-63
Livia Kohn, « Laozi: Ancient Philosopher, Master of Longevity, and Taoist God », dansDonald S. Lopez,Religions of China in Practice, Princeton, Princeton University Press, 1996,p. 52-63
Wolfgang Kosack,Laotse Von der Kraft und Vom Sinn, Buch der Sinnsprüche in 81 Abschnitten und 2 Teilen. Uebertragen aus den Seidentexten zu Ma Wang Dui <Provinz Honan>, Christoph Brunner, Basel, 2014(ISBN978-3-906206-18-9).