Unelangue standard résulte de l'élaboration planifiée pour unelangue d'unevariété de référence unitaire, à partir d'un de sesdialectes ou d'undiasystème. Cette variété est utilisée pour l'enseignement, l'usage officiel et l'écrit soutenu. Ces éléments visent à donner une cohérence culturelle, politique et sociale à un territoire où la langue standardisée estofficielle ounationale.
Une langue standard est une variété delangue ayant desnormes non seulement implicites, mais aussi explicites, c’est-à-dire codifiées, « légalisées » par une instance de régulation officielle, à travers desdictionnaires monolingues, uneorthographe, desgrammaires et d’autres ouvrageslinguistiques. Elle est principalement utilisée sous la forme d'unelangue écrite (d'où la dénomination couramment employée delangue littéraire pour désigner une langue standard), mais aussi oralement par leslocuteurs natifs et lesnéolocuteurs ayant un certain niveau de scolarité. C’est cette variété qui est enseignée dans les écoles en tant quelangue maternelle ainsi qu'à ceux qui l’apprennent en tant quelangue étrangère.
En général, les dialectes qui servent de base à l'élaboration d'un standard sont ceux parlés dans les centres économiques et administratifs, où le besoin se fait sentir d'employer une variété de langue dépassant le cadre local. Unevariété de prestige peut parfois être préférée, qu'elle soit d'originelittéraire oureligieuse (par exemple dans les cas de l'allemand, l'arabe, l'italien). L'usage d'unekoinè peut constituer une étape intermédiaire de standardisation.
Undictionnaire ou un groupe de dictionnaires de référence qui définissent levocabulaire en employant l'orthographe standardisée définie précédemment.
Unegrammaire prescriptive reconnue qui enregistre les formes, règles et structures de la langue, recommandant certains usages et en déconseillant d'autres.
Uneprononciation considérée par les locuteurs comme « correcte » ou « cultivée », censément dépourvue de marqueurs régionaux.
Uneacadémie ou desassociations faisant la promotion de la langue et dotées d'une certaine autorité, formelle ou informelle, pour définir son bon usage.
Lorsque le standard est une langue officielle d'enseignement, il peut exister une réglementation contraignante rendant obligatoire l'usage exclusif de cette variété dans le domaine de l'éducation.
La normalisation opère une sélection parmi lesvariétés d'undiasystème à un moment historique particulier. Elle peut s'opérer selon trois dimensions :
sociale : parmi les différentssociolectes, il est courant que soit choisie la variété propre aux élites culturelles, sociales, économiques et politiques, dite aussivariété de prestige ;
géographique : parmi les différentsgéolectes, il est courant que soit choisie la variété de la région géographique où se trouve le pouvoir politique ou économique d'un pays ou une région ;
fonctionnelle : parmi les différentsregistres de langue, il est courant que soit choisie la variété la plus stable, traditionnellement liée à l'usage des couches sociales cultivées (et en même temps plus proche de la norme): la langue écrite.
Selon les variétés géographiques qui constituent la base de la norme, on distingue trois types de langues standards :
langue polynomique unitaire[3] : il existe un seul organisme de régulation, ou une collaboration de plusieurs organismes, élaborant un standard unique en y incorporant les traits de plusieurs variétés. Exemples :espagnol standardpan-hispanique,basque unifié.
langue monocentrique unitaire[4] : le standard provient d'une seule normalisation basée sur une variété de référence unique. Exemple :islandais.
En plus de la ou des normes officielles de lalangue d'enseignement, les médias peuvent créer leurs propres normes, conformément à leurs propres besoins et aux caractéristiques spécifiques des groupes de locuteurs qu'ils prennent pour cible. Ces normes particulières sont recueillies dans les guidesstylistiques de ces organisations. Elles peuvent comporter des caractéristiques linguistiques différentes de celles du standard officiel.
Certains standards nationaux toutefois ne proviennent pas de la région où est située la capitale. L'italien standard provient du dialecte deFlorence et non deRome. L'allemand standard ne repose pas sur une ville ou une région spécifique, mais a été développé sur plusieurs siècles pendant lesquels les écrivains se sont efforcés de s'exprimer de manière à être compris aussi largement que possible. Il s'agit donc d'unekoinè littéraire. Jusqu'au début duXIXe siècle, la langue allemande était une norme écrite exclusivement, apprise presque comme une langue étrangère en Allemagne du Nord, où les dialectes locaux (bas allemands) étaient très différents. Le résultat a été que l'on y prononçait le standard selon sa formeorthographique, prononciation qui s'est propagée plus tard au Sud.
La création d'une langue standard représente le triomphe d'une certaine variété fonctionnelle, géographique ou sociale, au détriment du prestige des autres variétés. C'est pourquoi dans certains pays, le choix d'une langue standard peut occasionner des conflits sociaux et politiques, si elle est comprise comme une attitude d'exclusion. LaGrèce, par exemple, a longtemps connu un conflit entre deux normes degrec moderne : legrec démotique et lakatharévousa. Ennorvégien, il s'est constitué deux normes parallèles : lebokmål, fondé en partie sur la prononciation locale du danois pendant l'époque où la Norvège était sous souveraineté danoise, et lenynorsk, fondé sur les dialectes de l'ouest de la Norvège. Par contraste, l'italien comprend des variations dialectales plus grandes qu'il n'en existe entre les deux normes du norvégien.
Outre la question de l’exclusion, le choix d’une langue standard peut amener à la dépréciation de ses variétés non-standard. En effet, du fait que la langue standard soit rendue officielle au sein d’unecommunauté linguistique ou d’une nation, et qu’elle représente généralement le « bon usage » de la langue, elle est placée hiérarchiquement plus haut que les variétés non-standard. De plus, ses règles sont inscrites dans les manuels et les dictionnaires, et font partie de la base de l’enseignement. Elles semblent ainsi systématiques, immuables et logiques. Par analogie, les langues « non-standard », sont dévalorisées, puisque considérées comme illogiques, ou moins complexes.
L’anglais des Etats-Unis possède une variété standard appelée leStandard American English(en) (SAE). Face à cette langue considérée comme officielle, on peut par exemple trouver leBlack English Vernacular (BEV), développé dans la communauté afro-américaine. Une étude menée par le linguiste William Labov[5] explique que le fait que le BEV soit une variété non officielle, ne rend pas cette langue erronée ou moins complexe que la version standard SAE. En effet, au cours de différents entretiens avec des jeunes locuteurs du BEV, il a pu remarquer que même si certainesrègles grammaticales ne correspondaient pas à la construction de l’anglais américain standard, cela n’était pas dû à des erreurs de la part des locuteurs et des locutrices du BEV, mais bel et bien à l’application de règles systématiques de cette langue. Par exemple, le BEV utilise ladouble négation (Ex: « he don’t know nothing ») qui est vue comme illogique par rapport à l’anglais standard où l'on dirait « He doesn’t know anything ». Cette même double négation est pourtant utilisée dans les langues telles que le français et le hongrois. Cela veut dire qu'une structure fautive dans une langue ne l'est pas forcément dans une autre. Un autre exemple que l'on retrouve dans un ouvrage du linguiste Steven Pinker[6] (qui reprend l'étude de Labov), montre la possibilité qu’offre le BEV de supprimer lescopules. Ainsi, au lieu de dire « If you’re bad », les locuteurs et locutrices du Black English Vernacular diront « If you bad ». Cette suppression n’intervient que dans certains cas, de la même façon qu’une règle du SAE donne le droit à ses locuteurs et locutrices de former des contractions telles que « You’re » à la place de « You are », par exemple. Les caractéristiques qui rendent le BEV différent du SAE ne sont pas issues d’erreurs ou de paresse, mais de règles systématiques. Ces dernières sont organisées et suivent une cohérence intrinsèque à cette variété, de la même façon que le SAE possède des règles spécifiques mais pas forcément logiques.
L'exemple du français parlé dans la banlieue parisienne
Lefrançais standard parlé en région parisienne connaît lui aussi un vernaculaire qui stigmatise ses locuteurs puisqu’il expliquerait, notamment, leur difficulté à suivre le programme scolaire. La linguiste Zsuzsanna Fagyal[7] a étudié ce français non-standard parlé par jeunes issus de l’immigration maghrébine. Elle a découvert, par le biais d’étude des courbes mélodiques, un allongement syllabique de lapénultième syllabe (« une dame elle dit au revoir à sa cooopine ») chez les enfants issus de l'immigration. Cela est différent du français standard, qui allonge la dernière syllabe. Cette particularité phonétique n’explique pas le taux d’échec plus important chez les élèves d'origine maghrébine, les enfants de tous les horizons utilisant cette particularité langagière. De plus, cette variété est régie par une systématicité de structure grammaticale comme l’allongement syllabique. D’ailleurs, cetteprosodie particulière en français trouve sa source dans le contact entre la langue française et la langue arabe, parlée par plusieurs élèves, qui admet cette prosodie. Cela met en lumière qu'une langue non-standard est aussi systématique qu’une langue standard.
De plus, la systématicité des règles qui régissent une langue ne la rendent pas pour autant logique. Ces dernières relèvent généralement de décisions arbitraires (dont les motivations peuvent être idéologiques, politiques, linguistiques, …). Les locuteurs et locutrices de la langue française dite standard connaissent la règle d’accord « le masculin l’emporte sur le féminin ». Or, jusqu’auXVIIe siècle en France, plusieurs règles pouvaient être utilisées. Aussi bien « le masculin l’emporte sur le féminin » que « l’accord de proximité »[8]. Ce dernier permet d’accorder l’adjectif avec le mot le plus proche. La tournure « bâtir des palaces et des maisons nouvelles», considérée comme erronée aujourd’hui (puisqu’elle devrait être « bâtir des palaces et des maisons nouveaux »), était alors correcte à l’époque. La raison pour laquelle seule l’une de ces deux règles a survécu résulte de choix purement arbitraires, et non d’études empiriques. On comprend ainsi que les règles régissant une langue standard ne sont pas immuables, et qu’elles ne sont pas forcément logiques. Une étude de la sociolinguisteJosiane Boutet en 1977[9], reprend une théorie du linguisteAndré Chervel qui dénonce la grammaire enseignée à l’école, la grammaire scolaire, comme étant un frein à la langue française et son développement. En effet, ces auteurs s’accordent pour dire que la grammaire scolaire a toujours été celle élevée au rang de grammaire de qualité. Or, de par son unique fonction de formulation de règles d’accords par la justification des divers cas d’accord du sujet et de son verbe ou de son attribut, elle a empêché le développement d’autres visions de la grammaire. C’est pourquoi ces auteurs se permettent de faire mention d’une « autre » grammaire qui poursuivrait d’autres buts qui seraient tout aussi logiques et légitimes.
↑Clyne, Michael G, ed. (1992). Pluricentric Languages: Differing Norms in Different Nations. Contributions to the sociology of language 62. Berlin & New York: Mouton de Gruyter.(ISBN3-11-012855-1)
↑Daneš, František (1988). "Herausbildung und Reform von Standardsprachen" [Development and Reform of Standard Languages]. In Ammon, Ulrich; Dittmar, Norbert; Mattheier, Klaus J. Sociolinguistics: An International Handbook of the Science of Language and Society II. Handbücher zur Sprach- und Kommunikationswissenschaft 3.2. Berlin & New York: Mouton de Gruyter.p. 1507.(ISBN3-11-011645-6)
↑William Labov,Language In The Inner City: Studies In The Black English Vernacular, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1972.
↑Steven Pinker,The Language Instinct : How the Mind Creates the Gift of Language, New York, William Morrow and Company, 1994.
↑Zsuzsanna Fagyal, « La prosodie du français populaire des jeunes.Traits héréditaires et novateurs»,Le français aujourd'hui, vol. 143, nº4, pp. 45-55.
↑Maria Candea etLaélia Véron, Le français est à nous !, Paris, La Découverte, 2019.
↑Josiane Boutet et Pierre Fiala, « À propos de...et il fallut apprendre à écrire à tous les petits français (histoire de la grammaire française) d'A. Chervel »,Langage et société, nº3, février 1978, pp. 93-102.
Bernhard Pöll,Le français langue pluricentrique ? Études sur la variation diatopique d'une langue standard, Peter Lang, 2005, 340 p.(ISBN3-631-53721-2)