Léon Poliakov nait en 1910 dans une famille de labourgeoisiejuive russe. Son père Wladimir Poliakov, propriétaire d’unemaison d’édition, a nommé son fils en hommage àLéon Tolstoï, mort quelques jours avant sa naissance (Léon Poliakov relate dans son ouvrage autobiographiqueL'auberge des musiciens sa dette et sa critique à l'égard de Tolstoï). En 1920, la famille émigre enFrance pour fuir larévolution bolchévique ; le père y fonde une nouvelle maison d’édition qui prospère et crée en 1933 le journal quotidienPariser Tageblatt (PTB, ultérieurement PTZ,Pariser Tageszeitung) ciblant un public de lecteurs allemands exilés. Le jeune Léon vit ensuite quelques années enItalie et enAllemagne, où il assiste adolescent aux prémices de la montée dunazisme. Il retourne ensuite àParis où il s'installe définitivement, et fait des études de droit et de lettres.
Il s'engage dans l'armée française au début de laSeconde Guerre mondiale, vit la débâcle, est fait prisonnier par les Allemands àSaint-Valery-en-Caux le avec son bataillon, s'évade trois mois plus tard duFrontstalag deDoullens. « Apatride sous arrêté d'expulsion », il obtient desfaux papiers sous le nom de Robert Paul[1] et entre dans larésistance[2]. Ses activités au sein du « Réseau André d'action contre la déportation » dirigé parJoseph Bass[3] consistent principalement à fabriquer des faux papiers, à convoyer des Juifs en danger de la zone sud vers le plateauprotestant duChambon-sur-Lignon pour les mettre en sécurité et à transporter des armes vers les maquis juifs actifs sur le plateau auvergnat[3].
Naturalisé français en 1947, Léon Poliakov publie, quatre ans plus tard, leBréviaire de la haine, dans la collection deRaymond Aron, livre qui est la première grande étude consacrée à la politique d'extermination des Juifs menée par lesnazis. Sa plongée dans les archives allemandes, les innombrables témoignages qu'il recueille et cinq années d'efforts lui permettent de mettre au jour les rouages implacables de l'idéologie et de la technique qui ont rendu possible laShoah. LeBréviaire de la haine est préfacé parFrançois Mauriac, et régulièrement remis à jour par son auteur au fil des rééditions, jusqu'en 1993. Léon Poliakov est également le premier historien à mettre en cause l'attitude dupapePieXII et duVatican à propos de la Shoah[1]. La publication de ce livre aux éditions Calmann-Levy, affirmation de besoin d'autonomie, entraîne un conflit avec le CDJC et finalement sa mise en congé définitif de l'institution[7].
Mû par la volonté de trouver une réponse à la question « Pourquoi a-t-on voulu me tuer ? » et décidé à remonter jusqu'aux racines, Léon Poliakov se consacre ensuite à sa vasteHistoire de l'antisémitisme en cinq volumes, allant de l'Antiquité auXXe siècle[Note 3]. Il soutient en 1964 une thèse de doctorat de3e cycle à l'EHESS, sous la direction deRuggiero Romano(it)[8] surLe Commerce de l'argent chez les Juifs d'Italie duXIIIe siècle auXVIIe siècle, puis en 1968 une thèse dedoctorat ès lettres, sous la direction deRaymond Aron[9], surLe développement de l'antisémitisme en Europe aux temps modernes (1700-1850)[10], qui est reprise dans le troisième volume de sonHistoire de l'antisémitisme. Directeur de recherche duCNRS, il mène des recherches sur les minorités persécutées et sur leracisme, ses origines et toutes les formes qu'il peut revêtir. Il publie en 1971Le Mythe aryen, ouvrage qui interroge l'Europe sur ses propres mythes[11].
Poliakov est avecPierre Vidal-Naquet pionnier dans la lutte contre lesrévisionnistes et lesnégationnistes qui minimisent ou nient l'extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. En, il prend avec Vidal-Naquet l'initiative d'une déclaration signée par 34 historiens, parue dansLe Monde, démontant la rhétorique deRobert Faurisson[12].
En 1981, il publie ses mémoires qu'il intituleL'Auberge des musiciens et dont une large partie est consacrée à son passé derésistant et aux aventures vécues durant l'occupation nazie. Ses ouvrages sont traduits dans de nombreuses langues et finalement enrusse, à la fin de sa vie et à sa plus grande joie.
Rappelant que Poliakov n’a cessé de dire que le mot « antisémitisme », pour désigner toutes les formes d’hostilité visant les Juifs, était moins approprié que le terme dejudéophobie,Pierre-André Taguieff dresse ce portrait de Poliakov[13] :
« Historien certes, mais aussi anthropologue, et psychologue, et politologue, cet esprit toujours en éveil cherchait dans tout l’espace des sciences sociales et chez les philosophes de quoi éclairer ses recherches et nourrir ses réflexions sur cette “animosité haineuse” à l’égard des Juifs qu’on a pris l’habitude – depuis le début des années 1880 – d’appeler “antisémitisme”. »
La Condition des Juifs en France sous l'Occupation italienne, préface deJustin Godart, avant-propos deIsaac Schneersohn,Paris, Éditions du Centre, « Centre de documentation juive contemporaine »,no 3,1946.
L'Étoile jaune, préface de Justin Godart, avant-propos par Isaac Schneersohn, Paris, Éditions du Centre de documentation juive contemporaine, « Centre de documentation juive contemporaine »,no 2,1949 ; rééd.L'Étoile jaune. La situation des Juifs en France sous l'Occupation. Les législationsnazie etvichyssoise,Paris,Éditions Grancher,1999.(ISBN2733906429) Réunit trois textes : le livreL'Étoile jaune (1949), un long article paru dansHistoria (1968) et une communication de 1980 au colloque international de Cerisy.
Brève histoire du génocide nazi, Paris, Hachette, 1980.
(dir.)Le Couple interdit. Entretiens sur le racisme. La dialectique de l’altérité socio-culturelle et la sexualité, Paris - La Haye - New York, Mouton, 1980.
De Moscou à Beyrouth. Essai sur la désinformation, Paris, Calmann-Lévy, 1983.
La Causalité diabolique,t. 2 : Du joug mongol à la victoire de Lénine 1250-120, Paris, Calmann-Lévy, 1985 ; rééd. des 2 tomes en 1 volume, 2006, avec une préface de Pierre-André Taguieff.
Sur les traces du crime, préface de Christian Delacampagne, introduction de Paul Zawadzki, Paris, Berg International, 2003(ISBN9782911289569). Recueil d'articles (posthume)
↑Qui élève alors seule ses trois enfants nés d'un premier mariage.
↑En 1981, une nouvelle édition refond en deux tomes les quatre volumes existants (allant de l'Antiquité à 1939) ; ils sont complétés en 1994 par un volume additionnel couvrant les années 1945 à 1993 et rédigé sous la direction de Léon Poliakov.