Après letraité de Francfort (10 mai), Léon Gambetta contribue à l'affermissement du régime républicain menacé par une assemblée qui soutientAdolphe Thiers, levainqueur de la Commune. Chef de file de l'Union républicaine, il devient le « commis voyageur » de la République en multipliant les déplacements à travers le pays pour rallier progressivement la province à l'idée républicaine. Ses efforts conduisent les différents groupes vers une forme de compromis qui aboutit au vote deslois constitutionnelles de 1875 qui assurent la pérennité du régime. Devenu une figure desrépublicains modérés, Léon Gambetta promeut l'opportunisme qui préconise une adoption progressive des réformes prévues par le programme républicain afin de ne pas heurter l'opinion. Lors de lacrise du 16 mai 1877, il s'oppose fermement auprésidentMac Mahon et participe à la rédaction dumanifeste des 363 qui parvient à renforcer le pouvoir du parlement face au chef de l'État, amené à démissionner (20 janvier 1879).
Fort d'une popularité sans précédent, Léon Gambetta est président de laChambre des députés de 1879 à 1881, puis est nomméprésident du Conseil le par le président de la RépubliqueJules Grévy, avec qui son inimitié est de notoriété publique. Alors qu'il espérait prendre la tête d'un « grand ministère » d'union républicaine et mener un ambitieux programme de réformes, Léon Gambetta essuie de nombreux refus et doit s'appuyer principalement sur des hommes sans expérience. Son gouvernement est mis en minorité deux mois plus tard sur un projet de réforme constitutionnelle, ce qui entraîne sa démission. Il meurt de maladie moins d'un an plus tard dans samaison des Jardies àSèvres (alors enSeine-et-Oise), à l'âge de44 ans.
Orateur de talent, tribun charismatique, Léon Gambetta suscite un engouement populaire exceptionnel au point que certains de ses adversaires le dépeignent comme un dictateur en puissance. Bien qu'il n'ait que très rarement exercé effectivement le pouvoir, Léon Gambetta ne laisse personne indifférent : ses détracteurs tout autant que ses partisans observent ses moindres faits et gestes. Après sa mort, de nombreux hommages lui sont rendus et le gouvernement décrète desobsèques nationales, pour la première fois dans l'histoire de la République. Dans les années qui suivent, plusieurs monuments sont érigés à sa mémoire. Son cœur est transféré auPanthéon le.
Maison natale de Léon Gambetta : le « Bazar génois », commerce tenu à Cahors par le père du tribun.
Léon Michel Gambetta naît le à 8 heures du soir àCahors, Place Royale, au domicile de ses parents Joseph Nicolas Gambetta et Marie-Magdeleine-Orazie Massabie[1],[2]. Il est déclaré le lendemain après-midi par Catherine Bouyssou, la sage-femme qui a procédé à l'accouchement[3].
Sa famille paternelle est d'origine italienne : son grand-père, Giovanni-Battista Gambetta, est né àCelle Ligure, un village de pêcheurs situé à40 kilomètres deGênes[1]. Issu d'une famille de marins qui vend des huiles, despâtes et des poteries dans le sud-ouest de la France en naviguant le long ducanal du Midi, de laGaronne, duLot et duTarn, il s'installe avec sa famille àCahors en 1818 pour y ouvrir un commerce de faïences et d'épicerie[1]. Son fils Joseph, à l'âge de10 ans, respecte la tradition familiale et s'engage commemousse sur un voilier génois. Il navigue notamment jusqu'auChili. Quelques années plus tard, il reprend le commerce de son père avec son frère Michel[1].
En 1837, Joseph Gambetta épouse Marie-Magdeleine Massabie, fille orpheline d'unpharmacien du village deMolières dans leTarn-et-Garonne. Marie-Magdeleine vient d'un milieu social plus aisé que Joseph, son père étant issu d'une famille de paysans enrichis tandis que sa mère provient de la petite noblessequercynoise[1]. SelonDaniel Amson, l'un des biographes de Léon Gambetta, il s'agit d'un mariage de raison[4]. Peu de temps après leur union, Joseph Gambetta ouvre un nouveau commerce à proximité de lacathédrale de Cahors, le « Bazar génois »[1]. Le couple a deux enfants : Léon, l'aîné, et sa sœur cadette, Benedetta, née en 1840[5].
À l'âge de4 ans, Léon Gambetta entre à l'école despères des Sacrés-Cœurs de Picpus, où il apprend à lire et à écrire. À8 ans, il contracte une sévèrepéritonite qui manque de le tuer. L'infection, mal soignée, lui cause de sérieux troubles digestifs tout au long de sa vie, et finit par entraîner son décès prématuré[5].
En 1847, son père l'inscrit aupetit séminaire de Montfaucon, non par piété ni pour le destiner à la prêtrise, mais parce qu'il est l'un des fournisseurs de l'économat de cette institution et qu'à ce titre il bénéficie de frais de scolarité avantageux[5]. Lors de sa première année, en classe de huitième, ses résultats sont moyens : Léon Gambetta travaille peu car il apprend vite, sa tenue est négligée et ses devoirs sont peu soignés[5]. En classe de septième, il se montre plus assidu et obtient le premier prix de lecture ainsi que des accessits en version latine, en histoire, en géographie et en écriture[5]. Malgré son comportement turbulent, ses maîtres remarquent ses qualités comme en témoigne l'une de ses appréciations :« Conduite : dissipé. Application : médiocre. Caractère : très bon, très léger, enjoué, espiègle. Talent : remarquable, intelligence très développée »[6].
Le jeune élève se montre particulièrement à l'aise parmi ses camarades et révèle un intérêt pour la politique étonnant pour son âge en critiquant notamment l'élection deLouis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la république en 1848[5]. Cet intérêt pour la politique lui vient de sa propre famille, située plus àgauche que son environnement social : son père, bien que peu cultivé, litVoltaire et soutient l'unité italienne, tandis que sa mère lui fait lire dans sa jeunesse des articles du journaliste libéral et républicainArmand Carrel[5].
L'accident survenu au jeune Gambetta en 1849 (illustration dePoirson, 1883).
Pendant les vacances scolaires de l'été 1849, Léon Gambetta est victime d'un accident qui lui fait perdre définitivement l'usage de son œil droit[7]. Présent dans l'atelier du coutelier Galtié, voisin de son père, il observe le travail d'un ouvrier qui perce le manche d'un couteau avec un foret d'acier actionné par une sorte d'archet. La tige d'acier se rompt brutalement et l'un des fragments atteint l'œil de l'enfant[7],[8],[9]. Cet accident affecte sa scolarité et joue sur son humeur. Après avoir manqué l'entrée en sixième, il échappe au renvoi après avoir mis le feu à une effigie de Louis-Napoléon Bonaparte dans la cour du petit séminaire, en pleine nuit, pour impressionner ses camarades[10]. Souvent absent pour faire soigner son œil, il manque des compositions générales et ses résultats déclinent, ce qui le contraint auredoublement. Il obtient cependant d'excellents résultats lors de sa deuxième année de sixième et ce dans toutes les matières[10].
À la rentrée d'octobre 1851, Léon Gambetta poursuit ses études aulycée de Cahors où il est directement admis en classe de quatrième. Lors de ses deux premières années au sein de cet établissement, il n'est guère studieux et ses résultats sont plutôt moyens. Il se distingue en revanche par l'ascendant qu'il prend sur ses camarades, en véritable meneur. Sous l'impulsion de son professeur de lettres, ses résultats s'améliorent à partir de la seconde. Il se passionne pour la littérature française, l'histoire ou legrec ancien, et apprend par cœur plusieurs discours deDémosthène. Il reçoit de nombreux prix et obtient sans difficulté la première partie de sonbaccalauréat en 1855 puis, l'année suivante, il décroche un premier accessit de dissertation française au concours général des cinq lycées de l'académie de Toulouse, et son titre debachelier ès lettres[11],[12].
Pendant l'été 1856, Léon Gambetta voyage avec son père enItalie pour y découvrir le pays de ses ancêtres. Il y rencontre notamment pour la première fois sa grand-mère maternelle[13]. Refusant de reprendre le commerce familial, il finit par convaincre son père de le laisser s'inscrire à lafaculté de droit de Paris en[13].
À Paris, Léon Gambetta mène une existence relativement pauvre car son père, qui lui reproche de vouloir faire carrière autrement que dans le commerce et l'accuse de mener une vie dissolue, ne lui octroie qu'une faible pension. Mal nourri et mal logé, le jeune homme réussit néanmoins ses examens[14]. Il obtient salicence en, quelques mois après avoir acquis la nationalité française en[15],[16].
Pendant ses études, Gambetta fréquente régulièrement les cafés duQuartier latin, hauts lieux de socialisation, comme lecafé Voltaire ou lecafé Procope. Il s'y distingue par ses talents d'orateur et sa voix forte qui impressionne ses interlocuteurs[16]. En 1860, il publie un premier article non signé sur laquestion italienne dansL'Opinion nationale, un journal de tendance républicaine[16]. En, il est exempté duservice militaire en conseil de révision à cause de son œil aveugle[16].
Alors que son père, qui le présente dans une de ses lettres comme un« orateur d'estaminet »[16], le presse de rentrer àCahors, Léon Gambetta peut compter sur l'appui de plusieurs membres de sa famille. Un compromis est trouvé : sa tante est envoyée à ses côtés pour tenir son foyer et le surveiller[16]. Il emménage avec elle dans un appartement de quatre pièces de larue Vavin et sa situation matérielle s'améliore[17]. Faute de pouvoir s'établir commeavocat, il s'inscrit endoctorat pour devenir professeur. Il échoue cependant à son examen dedroit romain[16].
Léon Gambetta jeune.
Jenny Massabie, tante maternelle de Léon Gambetta.
Toujours passionné de politique, Gambetta assiste aux débats duCorps législatif et en, il écrit une « adresse à la jeunesse de France et d'Italie » après la mort deCamillo Cavour. Cette lettre, qui encourage les Italiens à se rapprocher du roiVictor-Emmanuel II pour parachever l'unité italienne, reçoit un accueil favorable dans l'opinion publique[18]. En, Léon Gambetta livre uneplaidoirie remarquée lors du procès dit des « cinquante-quatre », une affaire de complot présumé visant à enlever l'empereurNapoléon III dans laquelle plaident des figures républicaines du barreau commeAdolphe Crémieux,Emmanuel Arago,Jules Ferry ouCharles Floquet et de plus jeunes avocats commeEugène Spuller etClément Laurier. Gambetta défend l'un des accusés, Louis Buette, un jeune ouvrier républicain, en dénonçant la police, ses agents et leurs méthodes[19],[20]. Cette prestation remarquée lui vaut de rejoindre le cabinet d'Adolphe Crémieux au mois d'octobre suivant en tant que secrétaire[19].
En, Léon Gambetta emménage avec sa tante dans un appartement auno 45 de larue Bonaparte. À la même époque, il s'engage activement dans la campagne desélections législatives et intègre le comité chargé de désigner les candidats de l'opposition. Bien querépublicain, il soutient la candidature de l'orléanisteLucien-Anatole Prévost-Paradol dans la sixièmecirconscription de laSeine, qui est finalement battu. Ces élections sont cependant un succès pour l'opposition qui triple son score en nombre de voix par rapport audernier scrutin et obtient32 sièges contre 7 dans la précédente législature[21].
Léon Gambetta poursuit son activité professionnelle et, bien qu'il soit reconnu comme un bon avocat et qu'il remporte de nombreuses affaires, ses revenus sont modestes. Sa véritable passion demeure la politique et il continue de fréquenter les couloirs duCorps législatif où les députés républicains le traitent presque en collègue. Il fait cependant preuve d'ouverture et depragmatisme quand il approuve le discours de l'orléanisteAdolphe Thiers sur les « libertés nécessaires »[23]. Gambetta envisage lui aussi de faire carrière en politique et se constitue peu à peu un groupe d'amis pour l'accompagner dans ce projet, parmi lesquelsEugène Spuller, avocat comme lui,Arthur Ranc, anciendéporté,François Allain-Targé qui l'introduit dans les milieux mondains, etPaul Challemel-Lacour, fondateur deLa Revue politique et littéraire, qui lui ouvre les colonnes de son journal[23],[24]. Gambetta y publie des articles à partir de, notamment sur lelibre-échange, legénéral Grant ou la gestion financière dubaron Haussmann pour lestravaux de Paris[23]. Il fréquente également le salon politico-littéraire deJuliette Adam et voyage à l'étranger pour parfaire ses relations : durant l'été 1868, il rend visite enRoumanie au princeGeorges III Bibesco, muni d'une lettre de recommandation de Thiers[23].
« Quelques avocats » du « procès Baudin » :Arago, Gambetta,Grévy,Laurier etCrémieux. Publiée dansL'Éclipse le, cette caricature d'André Gill« met en évidence le rôle prépondérant joué par les avocats dans l'opposition républicaine » auSecond Empire[25].
En, le procès de « l'affaire Baudin » le fait connaître au grand public. Il y défendCharles Delescluze, journaliste républicain inculpé pour avoir ouvert, avec trois autres personnalités, une souscription publique afin d'ériger un monument à la mémoire d'Alphonse Baudin, député de laDeuxième République mort le sur lesbarricades en s'opposant aucoup d'État deNapoléonIII. Gambetta, qui s'exprime en dernier, prononce uneplaidoirie virulente contre les fondements de l'Empire[26]. Il dénonce fermement les emprisonnements et les déportations qui ont suivi le coup d'État et défend la mémoire de ceux qui l'ont payé de leur vie :« Cet anniversaire […] nous le prenons pour nous : nous le fêterons toujours, incessamment, chaque année ce sera l’anniversaire de nos morts, jusqu’au jour où le pays redevenu le maître vous imposera la grande expiation nationale au nom de la liberté, de l’égalité, de la fraternité ». Avant de se rasseoir, il conclut :« Vous pouvez nous frapper, mais vous ne pourrez jamais ni nous déshonorer ni nous abattre »[26],[27]. Ce plaidoyer vibrant soulève l'enthousiasme de l'auditoire et connaît un certain retentissement dans l'ensemble du pays après sa reproduction en plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires[26]. Delescluze est condamné à six mois de prison et2 000 francs d'amende, mais l'impact politique du discours érige Gambetta en espoir duparti républicain[28],[26].
Représentations commémoratives de la plaidoirie de Léon Gambetta au procès de l'« affaire Baudin ».
Réputé grand séducteur, Léon Gambetta n'a jamais été marié. À partir de 1868, à l'issue du procès de l'affaire Baudin, il entretient une liaison avec Marie Meersmans, unedemi-mondaine d'originebelge et de18 ans son aînée, un temps liée à l'écrivainFrédéric Mistral. Il ne s'agit probablement pas de la première aventure de Gambetta mais le nom de ses précédentesmaîtresses n'est pas connu. Durant l'été 1870, les deux amants séjournent pendant quelques semaines àLille,Bruxelles etChaudfontaine. Leur liaison dure jusqu'en 1872[29],[30].
Portrait carte-de-visite de Léon Gambetta par Légé. Borgne avec un œil de verre, il se fit toujours représenter de profil gauche[31].
Cette même année, Léon Gambetta entame une relation avecLéonie Léon, une jeune femme de son âge, fille du colonel François-Émile Léon, mort à l'asile de Charenton en 1860[32]. Sous l'Empire, elle devient la maîtresse deLouis-Alphonse Hyrvoix, inspecteur général de police des résidences impériales, dont elle a un fils qu'elle présente ensuite comme son neveu[32]. Elle découvre Léon Gambetta lors du procès Baudin en 1868 et, subjuguée par ses talents d'orateur, elle suit dorénavant tous ses discours avant d'oser lui écrire[33]. Leur liaison, discrète mais durable, débute quatre ans plus tard, le après une promenade dans le parc duchâteau de Versailles. Léonie Léon reste la compagne de Gambetta jusqu'à sa mort en 1882. Pendant ces dix années, le couple échange environ 6 000 lettres[33] et Léonie exerce une grande influence sur son compagnon qui écoute attentivement ses conseils politiques[34],[35]. L'historienne Susan Foley précise que dès les premiers temps de leur relation,« Léonie conçoit sa liaison avec Gambetta comme l'union de deux esprits politiques aussi bien que celle de deux cœurs », et cite pour cela une lettre adressée au tribun par cette dernière en 1872 :« Mon cœur déborde de politique et de tendresse, disposez le vôtre à recevoir ce double flot »[33]. Léon Gambetta reconnaît volontiers l'influence de sa compagne dans les lettres qu'il lui adresse et se montre sensible à l'intelligence politique de sa maîtresse, plus modérée que lui en raison de son éducation catholique, si bien que pour son biographeGérard Unger,« sans qu'elle joue un rôle majeur dans la ligne politique de son amant, son influence ne doit pas être sous-estimée »[36].
Pendant les premières années de leur liaison, les deux amants se voient peu en raison des activités politiques du tribun. Ce dernier refuse pendant longtemps le mariage, malgré les demandes incessantes de Léonie[35]. Dans les dernières années de sa vie, la situation s'inverse et c'est Gambetta qui supplie régulièrement sa compagne de consentir à cette union. Le couple semble décidé à se marier quand survient le décès brutal de l'homme d'État en 1882[37]. Durant l'été 1877, Gambetta décide de louer une maison àVille-d'Avray où il retrouve Léonie plus souvent et plus tranquillement qu'à Paris. L'année suivante, en, il fait l'acquisition de lamaison des Jardies, ancienne propriété de l'écrivainHonoré de Balzac située sur la commune voisine deSèvres. Cette maison de taille modeste convient parfaitement à Gambetta qui acquiert deux parcelles mitoyennes en 1879 et 1882 pour agrandir la propriété[38]. Le couple y séjourne régulièrement, mais loge également dans le petit appartement que loue le tribun à Paris, auno 57 de larue Saint-Didier[37].
Bien que leur union ne soit pas reconnue légalement, et malgré l'hostilité que lui porte Benedetta, la sœur de Gambetta, Léonie Léon n'est pas abandonnée par la famille de ce dernier. Après la liquidation de la succession, elle reçoit une somme de 60 000 francs à son nom, tandis que les amis politiques de son amant lui versent une rente mensuelle de500 francs, transformée plus tard en pension viagère[39].
Au terme du procès de l'affaire Baudin en 1868, Léon Gambetta incarne l'aile radicale chez lesrépublicains et sa popularité grandissante en fait l'un de leurs principaux candidats pour lesélections législatives de 1869[40]. La loi autorisant les candidatures multiples[41], il décide de se présenter dans la première circonscription de laSeine dont le centre est le quartier populaire deBelleville, ainsi qu'àMarseille[40]. Dans cette circonscription laissée vacante par le décès du députélégitimistePierre-Antoine Berryer quelques mois plus tôt, il doit affronter le candidat impérialFerdinand de Lesseps, créateur ducanal de Suez, et l'orléanisteAdolphe Thiers. À Belleville, il est opposé à l'ancien ministre de l'Instruction publique et des cultes,Hippolyte Carnot[40].
Il énonce son programme électoral, connu sous le nom de « programme de Belleville », lors d'un discours à Paris dont le texte est ensuite publié dans le journalL'Avenir national le. Parmi les thèmes exposés dans ce texte qui servira de cadre aux républicains pendant de longues années figurent l'application stricte dusuffrage universel, la garantie des libertés individuelles et l'extension deslibertés publiques, en particulier la liberté de réunion, de presse et d'association, laséparation des Églises et de l'État, l'instruction primaire gratuite et obligatoire, mais également lemandat impératif imposé à l'élu, l'élection desfonctionnaires et la suppression des armées permanentes[40],[42].
Élections législatives de 1869.
Affiche électorale de Gambetta,« candidat radical » dans la première circonscription de laSeine.
Briguant le siège vacant de Gambetta à Belleville,Henri Rochefort défend sa candidature à la tribune durant une réunion électorale auxFolies-Belleville en.
Le, Léon Gambetta est élu à Paris par 21 734 voix contre 9 142 à Carnot. À Marseille, il arrive en tête du premier tour devant Lesseps et Thiers et, ce dernier se retirant à son profit, il est finalement élu au second tour par 12 868 voix contre 5 066 à Lesseps. Vainqueur dans deux circonscriptions, Gambetta choisit de représenter la préfecture desBouches-du-Rhône et laisse vacant son siège de Belleville, qui sera pourvu plus tard parHenri Rochefort. Ces élections législatives marquent une forte progression des oppositions en nombre de voix, mais également en sièges. Les républicains en remportent 30, soit 13 de plus que lors de la précédente législature. Lesorléanistes et leslégitimistes comptent41 sièges tandis que lesbonapartistes recueillent212 sièges dont seulement 92 aux partisans d'un régime autoritaire et 120 aux membres du « tiers parti » d'Émile Ollivier, favorables à l'évolution libérale du régime[40].
Gambetta affronte la base électorale paysanne de l'Empire,« figurée par un pain chaussé de sabots, porte-drapeau » duplébiscite du[43]. Caricature par Stock.
Après une campagne électorale éreintante, la santé de Léon Gambetta se dégrade brutalement. Sur les conseils dudocteur Fieuzal, il séjourne dans la station thermale rhénane d'Ems puis au bord duLéman, enSuisse[45]. Il regagne Paris à la fin du mois d'octobre et s'installe avec sa tante auno 12 de l'avenue Montaigne[45].
Ses premiers pas auCorps législatif sont remarqués[46]. Le, lors d'un échange avec le ministre de la GuerreEdmond Le Bœuf, il prône l'instauration d'un régime républicain et déclare :« Vous n'êtes qu'un pont entre laRépublique de 1848 et la République à venir, et nous passerons le pont[47] ! » À la Chambre, il s'oppose régulièrement àÉmile Ollivier, l'ancien républicain rallié au régime nommé chef du gouvernement[48]. Son discours critique du contre lesénatus-consulte fixant la Constitution de l'Empire, soumis auplébiscite, trouve un large écho parmi les opposants du régime[49]. Ses talents d'orateur sont unanimement salués par la presse et en quelques mois seulement, Léon Gambetta s'impose comme le chef du parti républicain[46].
Il fait campagne en faveur du non auplébiscite du mais le oui l'emporte largement avec 7 358 000 voix sur près de11 millions d'inscrits, l'abstention dépassant même le nombre de voix en faveur du non. Gambetta reconnaît la défaite et déclare que l'Empire paraît alors plus fort que jamais[29],[50]. Laguerre contre la Prusse précipite pourtant sa chute moins de quatre mois plus tard[51].
Dans un contexte de tensions diplomatiques avec laPrusse ravivées par la candidature du princeLéopold de Hohenzollern autrône d'Espagne[52], le gouvernement impérial exige des garanties sur l'avenir de la part du roiGuillaumeIer[53],[54]. Le chancelierOtto von Bismarck, pour qui la guerre contre la France apparaît comme un moyen de parachever l'unification allemande, met de l'huile sur le feu en faisant transcrire dans ladépêche d'Ems une version dédaigneuse de la réponse formulée par le roi à l'ambassadeur de France. L'opinion publique s'enflamme et le Corps législatif, dans sa grande majorité, se montre favorable à la déclaration de guerre[54].
Parmi les rares voix discordantes figure celle de Léon Gambetta qui, à la tribune, condamne le refus du gouvernement de produire les documents témoignant de sa bonne foi quand il affirme que le pays a été outragé[54],[55]. Par instinct patriotique, il se décide pourtant à voter les crédits de guerre le[56],[57], la déclaration intervenant quatre jours tard[54]. Dans une lettre adressée à son amiClément Laurier, Léon Gambetta affiche d'ailleurs sa confiance et la conviction que le pays sortira vainqueur du conflit[57].
L'armée française connaît cependant une véritable déroute. Après la démission d'Émile Ollivier le, Léon Gambetta s'exprime plusieurs fois devant leCorps législatif pour demander la nomination d'un comité de défense et pose la question de la déchéance de l'empereur, du moins de sa suspension :« Il faut savoir si, ici, nous avons fait notre choix entre le salut de la patrie et le salut de la dynastie »[58].
Quand la nouvelle de la capitulation de l'empereur après ladéfaite de Sedan parvient à Paris le, Léon Gambetta fait partie d'un groupe de républicains qui tentent de convaincreAdolphe Thiers de prendre la tête d'un gouvernement d'union et de défense[59]. Le soir même, alors que de nombreux Parisiens se rassemblent devant les grilles dupalais Bourbon, où siège leCorps législatif, il tente de rassurer la foule pour prévenir tout risque d'émeute[60]. Les députés républicains maintiennent leur doctrine qui consiste à prendre le pouvoir par les urnes, de façon démocratique, et ne veulent pas encore d'une révolution qui discréditerait la république[61]. Mais dans l'après-midi du, la foule envahit le palais Bourbon pendant la séance du Corps législatif. Gambetta, qui veut garder le contrôle de la situation, fait preuve d'opportunisme[62]. À la tribune, il annonce la chute de l'Empire :« Citoyens, attendu que tout le temps nécessaire a été donné à la représentation nationale pour prononcer la déchéance ; attendu que nous sommes et que nous constituons le pouvoir régulier issu du suffrage universel libre, nous déclarons que Louis-Napoléon Bonaparte et sa dynastie ont à jamais cessé de régner sur la France »[61].
Il prend alors avecJules Favre la tête du cortège qui se dirige vers l'hôtel de ville pour yproclamer la République[61]. En agissant de la sorte, Favre et Gambetta veulent devancer les militants d'extrême gauche commeAuguste Blanqui,Jean-Baptiste Millière,Charles Delescluze ouGustave Flourens qui pourraient profiter des circonstances pour renverser l'ordre social. Sans en être les déclencheurs, les députés républicains choisissent en fait de prendre la tête du mouvement révolutionnaire pour tenter de l'endiguer[63].
« La révolution française :M. Gambetta allant prendre possession du ministère de l'Intérieur ». Gravure publiée dans le journal britanniqueThe Illustrated Times,.
Dépêche de Gambetta, ministre de l'Intérieur, annonçant la proclamation de la République (Paris,).
La première mission du nouveau gouvernement consiste à mobiliser tous les hommes en âge de se battre pour reconstituer les troupes françaises décimées par ladéfaite de Sedan et l'encerclement dans Metz de l'armée du Rhin. Lestroupes prussiennes poursuivent leur progression et lacapitale est assiégée dès la mi-septembre[66]. Alors que le pays est envahi, Léon Gambetta, déterminé à organiser la résistance, cherche à s'appuyer sur des hommes de confiance. Il choisit de révoquer lespréfetsimpériaux et nomme à leur place des militants républicains, avocats ou journalistes parfois sans expérience pour de tels postes. En une dizaine de jours,80 préfets sont nommés. ÀLyon notamment, où des militants avaient proclamé la république et hissé ledrapeau rouge sur l'hôtel de ville dès le matin du, il désigne son amiPaul Challemel-Lacour, professeur agrégé de philosophie dont il compte sur l'autorité morale pour rétablir l'ordre et apaiser une situation proche de l'insurrection[67],[68],[69].
Soucieux de légitimer sa formation tant aux yeux de la population que des puissances étrangères, le gouvernement envisage d'organiser desélections législatives mais l'avance des troupes prussiennes condamne le projet. Devant la menace du siège de Paris,Adolphe Crémieux est envoyé àTours le pour y représenter le gouvernement et associer la province à la résistance. Il est rejoint six jours plus tard par deux autres ministres, l'amiral Fourichon etAlexandre Glais-Bizoin. La délégation gouvernementale commence la réorganisation de l'armée et de l'artillerie mais son action est insuffisante, d'autant plus que le, les Prussiens coupent le câble télégraphique installé dans le lit de laSeine, interrompant de fait les communications entre Paris et la province. Le gouvernement choisit d'envoyer un nouveau représentant à Tours avec des pouvoirs élargis et une voix prépondérante au sein de la délégation en cas de partage des voix. Léon Gambetta est désigné[70],[71].
Il n'y a alors aucun autre moyen pour quitter la ville que leballon monté. Le, accompagné de son secrétaireEugène Spuller, Gambetta embarque sur l'Armand-Barbès piloté par Alexandre Trichet. Le ballon décolle en fin de matinée de laplace Saint-Pierre[71],[72] et malgré la menace des tirs prussiens, finit par s'éloigner de la capitale pour se poser vers15 h dans le bois de Favières, sur la commune d'Épineuse dans le département de l'Oise. Le maire de la commune conduit les voyageurs jusqu'àMontdidier, dans laSomme, d'où ils gagnentAmiens puisRouen par le train. Gambetta parvient àTours le, où il reçoit un accueil triomphal[71],[73].
Tableau de Jules Didier et Jacques Guiaud représentant le départ de Léon Gambetta de Paris le à bord d'unballon monté (musée Carnavalet).
Gambetta s'apprêtant à monter dans le ballon l’Armand-Barbès.
Descente du ballon l’Armand-Barbès dans le bois de Favières.
Léon Gambetta harangue des soldats à Tours en 1870. Gravure publiée dansThe Graphic en 1883.« Gambetta soulève les provinces » au pas de course en portant sous les bras le « canon des provinces » et le « canon de la Loire ». À l'arrière-plan, une montgolfière en vol et un panneau indiquant la route de Paris. Caricature de la série desHommes du jour parFaustin, vers 1870-1871.
Dès le, dans une proclamation aux départements, Léon Gambetta exhorte la population à prendre les armes contre les Prussiens. Ces propos reçoivent un accueil favorable, y compris dans les milieux monarchistes dont il exalte le sentiment patriotique. De fait, Gambetta s'approprie la fonction de ministre de la Guerre, qu'il cumule avec le ministère de l'Intérieur, et s'entoure d'hommes de confiance en désignant notammentCharles de Freycinet comme délégué du ministre auprès du département de la Guerre. Gambetta et Freycinet procèdent au recrutement de 200 000 hommes dont ils assurent l'équipement et la nourriture, engagent un effort matériel avec un nouvel approvisionnement en armes et en munitions, mettent en place un service de reconnaissance et d'information, ainsi qu'un corps degénie civil. Onze camps sont également créés pour assurer la formation des nouvelles recrues[74]. L'action de Gambetta est alors largement reconnue, comme le souligne le futur président de la RépubliquePaul Deschanel :« Gambetta rendit à la nation confiance en elle-même. Sa chaude et virile éloquence, sa foi enthousiaste, remuaient les cœurs […]. La France sentit qu’elle avait un chef, elle se reprit à espérer. Il lui apportait l’énergie et le rayon de la jeunesse. Il croyait, lui, alors que tant d’autres ne croyaient pas. Il animait tout de sa flamme »[75].
Après la reddition dumaréchal Bazaine à Metz, qui permet aux Prussiens de concentrer de nouvelles troupes vers l'ouest, le gouvernement veut briser au plus vite lesiège de Paris. Malgré le succès de l'armée de la Loire conduite par le généralAurelle de Paladines àCoulmiers le, les opérations militaires tournent de nouveau à l'avantage des Prussiens et le choix des troupes françaises de concentrer leurs efforts sur la capitale apparaît finalement comme une erreur stratégique[76]. Les désaccords entre Gambetta et Aurelle de Pradines entraînent la destitution de ce dernier et la nomination dugénéral Chanzy à la tête des armées[76], mais les efforts déployés par le ministre et ses collaborateurs ne suffisent pas à contrer la supériorité numérique et matérielle de l'ennemi[77].
Dépêche télégraphique expédié par Gambetta depuis Tours pour annoncer le repli à Bordeaux, le.
Devant l'avancée de l'armée prussienne et laperte d'Orléans, la délégation doit quitter Tours et s'installe à Bordeaux le. Gambetta la rejoint deux jours plus tard mais, gardant espoir en une victoire française, il multiplie les déplacements pour réorganiser les armées, notamment àBourges,Lyon,Laval mais égalementLille, où il se rend par la mer. Les efforts de l'armée du Nord et de l'armée de l'Est ne permettent cependant pas de rompre le siège de la capitale, où les Parisiens meurent de froid et de faim. L'optimisme de Gambetta se heurte à l'aspiration à la paix devenue majoritaire dans la plupart des régions[78].
Paris étant à court de vivres et bombardé depuis le,Jules Favre signe, pour le gouvernement provisoire, unarmistice de vingt-et-un jours le[78]. Gambetta s'élève contre les conditions imposées par lechancelier Bismarck, notamment l'abandon d'une partie du territoire. Il adresse un courrier au gouvernement à Paris :« Capituler comme gouvernement, vous ne le pouvez ni en droit ni en fait. Poursuivre la guerre jusqu’à l’affranchissement […] telle doit être notre tâche »[79]. Quand la nouvelle de l'armistice parvient à Bordeaux le, Gambetta, furieux et découragé, écrit une lettre de démission àAdolphe Crémieux qui lui annonce l'arrivée deJules Simon en tant qu'émissaire du gouvernement[78].
Entre-temps, le, Gambetta prévoit l'organisation desélections législatives et décrète l'inéligibilité des anciens ministres, sénateurs, conseillers d'État, préfets et candidats officiels de l'Empire, ce qui provoque la colère de Bismarck qui menace le gouvernement de rompre l'armistice. Le, Jules Simon arrive à Bordeaux pour mettre fin aux fonctions de Gambetta et, si besoin, l'arrêter. Ce dernier compte encore sur le soutien des membres de la délégation et de nombreux préfets. Les autorités lyonnaises lui proposent de s'y installer pour mener la résistance mais l'armée est divisée : levice-amiral Jauréguiberry veut poursuivre la guerre tandis que les générauxChanzy etFaidherbe se prononcent en faveur de la paix[78].
Le, une manifestation menée par l'extrême gauche se tient devant la préfecture de Bordeaux pour soutenir Gambetta, qui ne veut cependant pas d'une guerre civile qui emporterait la République. Le lendemain, trois autres membres du gouvernement arrivent à Bordeaux pour appuyer Simon, à savoirEugène Pelletan,Emmanuel Arago etLouis-Antoine Garnier-Pagès[78]. Gambetta préfère démissionner ce[80] et l'annonce aux préfets :« Ma conscience me fait un devoir de résilier mes pouvoirs de membre d'un gouvernement avec lequel je ne suis plus en communion d'idées ni d'espérances »[78].
Combat pour l'affermissement de la Troisième République (1871-1879)
Affiche électorale incitant à voter Gambetta pour« fonder la République par la Conciliation », 1871.
Lesélections législatives se déroulent le. Candidat dans plusieurs circonscriptions, Léon Gambetta est élu dans dix départements[note 2] et choisit de représenter leBas-Rhin par patriotisme. Ce scrutin montre qu'il conserve une certaine influence en particulier dans les grandes villes et les régions de l'Est, mais le grand vainqueur estAdolphe Thiers, élu dans vingt-six départements et qui devient le chef du pouvoir exécutif au sein d'uneAssemblée nationale largement dominée par lesmonarchistes[81].
« Le dictateur révolutionnaire est mort, vive le républicain des familles ! » Débarquant en France après son séjour àSaint-Sébastien,« un Gambetta deuxième manière, auxgants jaunes », prêche désormais la modération. Caricature parBertall,Le Grelot,[82].
Fatigué physiquement et moralement, Léon Gambetta se retire àSaint-Sébastien, enEspagne, et c'est de là qu'il assiste en spectateur aux événements de laCommune de Paris[83]. Son amiEugène Spuller le convainc d'effectuer son retour en politique. Candidat aux élections partielles du, il est élu dans les départements duVar, desBouches-du-Rhône et de laSeine, et choisit de représenter cette dernière circonscription, celle duquartier de Belleville où il était élu sous l'Empire. Les premiers discours de Gambetta étonnent par leur modération qui contraste avec la« guerre à outrance » qu'il entendait mener quelques mois plus tôt. Il prône désormais l'union des républicains et fait de l'accomplissement de ce régime un idéal qui doit être atteint sans violence[83].
Gambetta dégaine son épée tandis queThiers jette une galette (un portefeuille ministériel) pour détourner l'attention deCerbère dont les trois têtes représentent lelégitimisme, l'orléanisme et lebonapartisme. Caricature deGill,L'Éclipse,.
Gambetta est isolé à l'Assemblée : il prend la tête de l'Union républicaine, un groupe parlementaire d'une trentaine de membres, tandis que les« quatre Jules »,Ferry,Favre,Simon etGrévy, fondent laGauche républicaine. Ce dernier est particulièrement virulent à l'égard de Gambetta et leur inimitié est largement reconnue[84]. Toutefois, ces groupes parlementaires ne sont pas encore de véritablespartis politiques : non organisés, ils ne s'appuient pas sur des réseaux de militants et ne dispensent pas de véritables consignes de vote, mais leur existence témoigne d'une grande pluralité d'opinions et de la présence de certaines lignes de fracture parmi les républicains. Léon Gambetta, conscient du faible poids qu'il représente, intervient peu dans l'hémicycle. Il prône cependant la dissolution de cette Assemblée à coloration monarchiste, élue pour mettre un terme à la guerre, et milite en vain pour l'élection d'une véritable Assemblée constituante[84].
Alors que les républicains ne cessent de gagner des sièges lors des élections législatives partielles et que les monarchistes sont toujours divisés entreorléanistes etlégitimistes, le présidentAdolphe Thiers se rapproche de la gauche et se prononce ouvertement en faveur d'une république conservatrice, quoique lepacte de Bordeaux prévoyait qu'il ne prenne pas position sur le futur régime. Gambetta le soutient à plusieurs reprises mais les deux hommes, malgré la convergence de leurs intérêts, continuent de s'opposer[85]. Thiers condamne ainsi le discours dans lequel le député évoque l'avènement d'une couche sociale nouvelle et engagée en politique, ce que certains, principalement les conservateurs, considèrent comme l'annonce d'une révolution sociale[86].Albert de Broglie, qui prend la tête de la droite conservatrice, assimile l'appel aux couches nouvelles de Gambetta à laCommune et souhaite que Thiers le condamne explicitement, de manière à séparer le président de la République de la gauche. Lors de l'élection législative partielle du, Gambetta soutient à Paris la candidature radicale de l'ancien maire de Lyon,Désiré Barodet, face au candidat soutenu par Thiers et les républicains conservateurs,Charles de Rémusat. Gambetta s'implique personnellement dans la campagne, rédige laprofession de foi du candidat, et multiplie les réunions. Son discours séduit à la fois l'extrême gauche et les républicains modérés, et permet à Barodet d'emporter une nette victoire[85].
Ce succès de l'union des gauches inquiète la droite qui souhaite contenir la montée du radicalisme en se débarrassant de Thiers : mis en minorité malgré le soutien de la gauche et de Gambetta, le président de la République démissionne etPatrice de Mac Mahon est élu. La chute de Thiers marque le retour du clivage gauche-droite à l'Assemblée nationale et Gambetta retrouve dès lors son statut de chef de file de l'opposition[85].
Dans les premières années de laTroisième République, Léon Gambetta s'efforce d'étendre son influence et de répandre plus largement ses convictions dans la société française. Le, il fonde avec quelques amis le journalLa République française, un quotidien qui cherche à concurrencer leJournal des débats, plus libéral. Gambetta n'en est pas le principal rédacteur mais bien l'animateur : il décide du contenu du journal, commande des articles et suggère des modifications aux membres de son équipe qui constituent peu à peu« un contre-gouvernement, un cabinet fantôme de l'opposition, à la britannique », selon l'expression de son biographeGérard Unger[87]. Tiré à 15 000 exemplaires,La République française rencontre un certain succès et ses articles sont repris par des journaux républicains locaux, ce qui leur assure une plus grande diffusion[87].
La presse n'est pas le seul instrument utilisé par Gambetta : il s'appuie notamment sur lesloges maçonniques, étant membre lui-même de la loge marseillaise « La Réforme », sur laLigue de l'enseignement dont il est également membre et qui partage son idéal d'éducation laïque et nationale, et sur les salons qu'il fréquente régulièrement, en particulier celui deJuliette Adam[87]. La présence de hauts gradés républicains dans l'armée, comme les générauxChanzy,Faidherbe ou le colonelDenfert-Rochereau, lui vaut la sympathie de ceux qui admirent son patriotisme, tandis qu'il se lie d'amitié avec de grands financiers et industriels commeEmmanuel-Vincent Dubochet[87].
En s'appuyant sur ses talents d'orateur, Léon Gambetta choisit de s'adresser directement aux Français. Il sillonne le pays pour rencontrer les électeurs, assiste aux banquets, multiplie les discours dans lesquels il affirme sa doctrine, et devient alors le« commis voyageur de la République »[88],[89].
Léon Gambetta, « commis voyageur de la République ».
Texte imprimé d'un discours prononcé le àAngers,« où Gambetta s'emploie à rassurer une population traditionnellement hostile à la République[90]. »
« La consultation » :Adolphe Thiers et Gambetta caricaturés en médecins prêts à opérer la France pour la guérir de sa maladie impériale[91]. Composition d'André Gill,L'Éclipse,.
Dès son arrivée au pouvoir, le présidentPatrice de Mac Mahon entend poursuivre« l'œuvre de la libération du territoire et le rétablissement de l'ordre moral ». Léon Gambetta rédige un appel des représentants républicains à la nation, signé par128 élus de l'Assemblée, dans lequel il exhorte son camp à ne pas céder à la tentation révolutionnaire pour ne pas assimiler la République à l'anarchie. Face au risque de rétablissement monarchique, il cherche l'union de tous les républicains et se rapproche de nouveau d'Adolphe Thiers et de ses partisans, tout en continuant de militer pour la dissolution de l'Assemblée[92]. Considéré comme la« bête noire » du gouvernement, Gambetta sait parfois se mettre en retrait pour servir les intérêts de tous les opposants à la politique réactionnaire dugouvernement de Broglie[92]. Il fait également échouer le projet de loi qui vise à rehausser l'âge de la majorité électorale à25 ans et à exiger trois ans de résidence pour les électeurs non nés dans une commune, une loi qui serait ainsi défavorable aux républicains en raison de la grande mobilité d'une partie de leur électorat[93].
L'élection d'un candidatbonapartiste, lebaron de Bourgoing, face au député radical sortant lors d'une élection partielle dans laNièvre le démontre la persistance du camp impérial et de son influence au sein de l'opinion. Ancien président duSénat, le député deCorseEugène Rouher conduit une propagande active avec son groupe l'Appel au peuple à l'Assemblée. En plus de son combat contre les monarchistes, Léon Gambetta poursuit de sa vindicte les représentants d'un« régime détesté et corrupteur », ce qui lui vaut d'être frappé au visage le par un ancien officier de lagarde impériale, Henri de Sainte-Croix[93].
Léon Gambetta frappé par Henri de Sainte-Croix à la gare Saint-Lazare, le. Gravure publiée dansThe Illustrated London News.
Eugène Rouher et Gambetta caricaturés en paysans batailleurs dans le journal autrichienDie Bombe,.
Inquiet des tentatives derestauration monarchique comme de la poussée desbonapartistes, Léon Gambetta fait preuve de pragmatisme et engage l'ensemble des groupes de la gauche républicaine à accepter un compromis[94]. L'union des républicains, du centre gauche et du centre droit aboutit aux votes deslois constitutionnelles en janvier et[95],[96]. Les républicains cèdent sur les pouvoirs duprésident de la République et le principe dubicamérisme, en acceptant la création duSénat, mais ils obtiennent la réduction du nombre desénateurs inamovibles et l'élection de ses autres membres au scrutin indirect par un collège électoral départemental. Le 16 juillet, le vote de la loi sur les rapports entre les pouvoirs publics, qui prévoit les sessions des Chambres et leurs relations avec le président de la République, achève l'organisation du nouveau régime[94]. Tout au long de ce travail parlementaire, Léon Gambetta s'emploie à convaincre les réticents et agit« en négociateur avisé, en diplomate clairvoyant »[97].
À ses amis qui lui reprochent d'avoir renoncé à certains des idéaux républicains, il affirme :« Quels que soient les défauts ou les mérites de la Constitution, il faut la consolider et non l'ébranler. C'est une œuvre de paix et de conciliation, qui a été pour les républicains une occasion brillante de montrer leur union apparente. Nous avons bien fait de rompre un instant avec les intransigeants. […] Notre nouvelle née est une œuvre de conciliation, par conséquent de patriotisme. Le pays voit enfin se réaliser ce rapprochement tant désiré qui, s’il s’était opéré il y a soixante, quarante ou seulement trente ans, aurait achevé le cycle de laRévolution française »[97].
Comme à son habitude, Léon Gambetta s'engage fermement dans les combats électoraux en multipliant les déplacements et les discours, qu'il s'agisse desélections sénatoriales oulégislatives[98]. En, il profite des désaccords entre le centre droit et le centre gauche pour faire élire57 républicains parmi les 75 sénateurs inamovibles[99]. Au mois de janvier suivant,92 républicains sont élus sénateurs, ce qui porte leur total à149 membres sur les 300 que compte leSénat. C'est un succès incontestable pour le camp républicain tant celui-ci redoutait que lachambre haute ne devienne un bastion conservateur[98]. Dans les jours qui précèdent lesélections législatives des 20 février et 5 mars 1876, organisées pour élire laChambre des députés en application deslois constitutionnelles, Gambetta ne ménage pas sa santé. Candidat dans cinq circonscriptions, il sillonne la France et dort fréquemment dans les trains de nuit. Élu dès le premier tour àLille,Bordeaux,Marseille etParis, et battu seulement àAvignon, il choisit une nouvelle fois de représenter la circonscription de Belleville[98]. La victoire des républicains est totale, ceux-ci remportant les deux tiers des sièges avec360 élus dont une centaine de membre de l'Union républicaine de Gambetta[98].
Au lendemain des élections, Gambetta devient le principal leader de l'opposition mais il suscite encore la méfiance des autres chefs républicains, comme le souligne l'historienDaniel Halévy :« Gambetta avait bien travaillé au succès commun et on l’en félicitait, mais on n’était pas pressé de travailler au sien »[100]. Il accède cependant à la présidence de l'importante commission du budget à l'Assemblée. À sa tête, il propose notamment d'introduire l'impôt sur le revenu, un projet adopté par la commission mais qui n'est jamais discuté en session plénière car de nombreux députés s'opposent à ce projet, en particulier le ministre des FinancesLéon Say[101].
L'unité républicaine est alors loin d'être acquise et Gambetta reçoit des critiques de toutes parts. Sur sa gauche,Alfred Naquet,Louis Blanc etMadier de Montjau mènent un groupe de radicaux intransigeants qui ne reconnaît plus son autorité et conteste sa position sur l'amnistie partielle descommunards. Ce groupe — qu'il qualifie en privé de« ligue du mal public » — réclame une amnistie complète, tout comme la fermeture de l'ambassade de France auprès du Vatican et la révision deslois constitutionnelles de 1875[102],[101]. Sur sa droite, Gambetta est aux prises avec laGauche républicaine deJules Ferry au sujet de l'organisation des élections municipales de 1877, ce dernier acceptant un compromis que Gambetta rejette et qui permet au président de la République de pouvoir nommer un plus grand nombre de maires[101].
Croqué en écolier portant uneculotte courte, Gambetta s'inspire de l'exemple britannique pour réfléchir à la mise en place de l'impôt sur le revenu. « On apprend en voyageant ! », caricature parPépin,Le Grelot,.
Député républicain intransigeant,Noël Madier de Montjau s'ingénie à briser les projets politiques de Gambetta comme autant d'œufs écrasés. Caricature par Pépin,Le Grelot,.
Version inversée de lafameuse fable, le renard Gambetta, président de la commission du budget, défend son fromage face au corbeau clérical qui semble lorgner le budget des cultes[103]. « Le Renard et le Corbeau », caricature par Pépin,Le Grelot,.
En parallèle, Léon Gambetta développe ses activités de presse afin d'élargir son lectorat. Il accepte l'idée d'Alphonse Péphau de créerLa Petite République, un journal lié àLa République française et vendu bon marché (seulement5 centimes contre 15), ce qui permet de toucher des lecteurs plus modestes. Péphau organise l'achat d'un hôtel particulier auno 53 de larue de la Chaussée-d'Antin pour y réunir les deux titres et loger Gambetta. Ce dernier prend d'ailleurs rapidement la direction deLa Petite République après l'éviction de Péphau pour sa mauvaise gestion financière de l'entreprise[104].
Après la démission ducabinet Dufaure en, Léon Gambetta espère être nomméprésident du Conseil mais lemaréchal de Mac Mahon, président de la République, tout comme les autres leaders républicains, craignent son autorité et son tempérament[105],[106]. C'est finalement le républicain modéréJules Simon qui est nommé, cependant que Gambetta ne cache pas son amertume :« Ce ministère est fait contre moi, je ne l'oublierai pas »[107].
Les tensions entre le président de la République et laChambre des députés atteignent leur paroxysme en, après l'initiative des évêques catholiques qui exhortent les pouvoirs publics à intervenir enfaveur du pape qui se considèreprisonnier du royaume d'Italie au Vatican[108]. Gambetta, qui dénonce le manque de fermeté de Jules Simon, intervient le à la Chambre et condamne les doctrinesultramontaines. Il termine son discours en reprenant la formule de son ami journalisteAlphonse Peyrat,« Le cléricalisme ? Voilà l'ennemi ! », une expression qui soulève l'enthousiasme des députés[109],[110]. Simon se range alors derrière le virulent ordre du jour préparé par les différents groupes parlementaires de gauche et qui est finalement voté à une large majorité :« La Chambre considérant que les manifestations ultramontaines, dont la recrudescence pourrait compromettre la sécurité intérieure et extérieure du pays, constituent une violation flagrante des droits de l'État, invite le gouvernement, pour réprimer cette agitation antipatriotique, à user des moyens légaux dont il dispose »[110].
La question religieuse réveille l'affrontement des blocs républicain et conservateur et leprésident Mac Mahon accuse Simon de subir l'influence d'une majorité qui se radicalise dans une voie anticléricale et d'être en quelque sorte l'otage de Gambetta, d'autant que le, le président du Conseil laisse la Chambre voter l'abrogation d'une loi réprimant le délit de presse pourtant adoptée deux ans plus tôt à l'initiative deJules Dufaure[111].
À la suite du renvoi deJules Simon au début de lacrise du 16 mai 1877,Albert de Broglie forme un nouveau cabinet. Mais si laroue de la fortune continue de tourner, Gambetta pourrait arriver aux affaires. Caricature d'Alfred Le Petit sur la valse des ministères,Le Grelot,.
Le, le président de la République adresse à Jules Simon un courrier qui s'apparente à un blâme officiel et à un désaveu de sa politique, ce qui le conduit à la démission[111]. Ce faisant, le président de la République livre une lecture dualiste de la constitution, considérant que le gouvernement est tout autant son émanation que celle de la Chambre. Il demande alors au conservateurAlbert de Broglie de former le nouveau gouvernement[110]. Environ300 députés de la majorité parlementaire se rassemblent le soir même auGrand Hôtel et adoptent à l'unanimité le nouvel ordre du jour proposé par Gambetta pour condamner cette nomination. Le lendemain, ce dernier s'exprime à la tribune et demande au président de la République de« rentrer dans la vérité constitutionnelle »[110]. Le, après l'annonce de la composition du gouvernement, le ministre de l'IntérieurOscar Bardi de Fourtou lit aux députés le message du président qui décide laprorogation du Parlement pour un mois[110].
Foulard commémoratif de l'« union de tous les groupes républicains », le, reproduisant les portraits deThiers et Gambetta en médaillons.
Léon Gambetta propose aux républicains d'adresser un message aux Français pour protester contre cette mesure. Ce texte, en grande partie rédigé par son amiEugène Spuller, est connu sous le nom deManifeste des 363, en référence aux nombre de députés l'ayant signé[110]. Le, la dissolution de la Chambre est prononcée par le présidentMac Mahon, après l'avis favorable duSénat[110].
La campagne électorale qui suit est particulièrement virulente : les préfets nommés par le gouvernement mènent une répression active en fermant de nombreux débits de boissons et plusieurs loges maçonniques, en révoquant 1 743 maires et de nombreux autres élus locaux, ou en entamant de nombreuses poursuites pour délit de presse ou de librairie[112],[113],[114]. En face, les républicains sont unis, des plus intransigeants aux plus modérés, et Gambetta organise un comité électoral de18 membres qui en réunit les différentes tendances[114]. Le, il prononce à Lille un discours dont la conclusion qui s'apparente à une forme de réquisitoire à l'encontre du gouvernement est reprise par de nombreux journaux :« Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre »[114]. Gambetta n'étant plus protégé par l'immunité parlementaire depuis la dissolution de la Chambre, le Conseil des ministres entame des poursuites judiciaires à son encontre. Il est jugé le par le tribunal correctionnel de laSeine, condamné à trois mois de prison et 2 000 francs d'amende. Sûr de sa réélection, Gambetta fait immédiatement appel de la décision, le second jugement ne pouvant avoir lieu qu'après les élections[114].
Lacrise du 16 mai 1877 : tel undiable à ressort, Gambetta jaillit d'une boîte à surprise devant le président de la RépubliquePatrice de Mac Mahon, maréchal dont les opinions monarchistes sont symbolisées par lafleur de lys. Surmonté d'unbonnet phrygien et du chiffre évoquant lemanifeste des 363, un nuage darde des éclairs sur le président tandis que le représentant de la majorité républicaine à laChambre des députés prononce la péroraison de son discours lillois du : « Se soumettre ou se démettre ». Caricature de Jean Robert, carte postale d'époque.
Lestés de sacs remplis de promesses, circulaires, brochures et professions de foi en guise de bouées, lelégitimiste, lebonapartiste et l'orléaniste hésitent à se jeter dans le« bain du suffrage universel » malgré Gambetta qui les y invite narquoisement. Caricature desélections législatives de 1877 par Pépin dansLe Grelot,.
À l'image deSamson ébranlant les colonnes du temple desPhilistins, Gambetta abat le sanctuaire des adversaires de la République. Caricature publiée dans le journal satirique autrichienDie Bombe,.
La mort d'Adolphe Thiers le tempère l'optimisme des républicains qui avaient envisagé son retour à la présidence de la République en cas de victoire électorale et de démission du maréchal de Mac Mahon. C'est le nom deJules Grévy qui s'y substitue, malgré les désaccords qui persistent entre ce dernier et Gambetta. Lesélections législatives des 14 et confirment la majorité républicaine mais le succès est moins important qu'escompté. Gambetta conserve son mandat de député dans sa circonscription de Belleville[115],[116]. Le président refuse cependant de nommer un gouvernement issu de cette majorité et maintient lecabinet de Broglie au moins jusqu'aux élections cantonales du mois de novembre. Il envisage de rappelerJules Dufaure, déjà plusieurs fois président du Conseil, mais les exigences de ce dernier ne conviennent pas au président de la République, qui nomme finalement le lelégitimisteGaëtan de Rochebouët à la tête d'un gouvernement qui ne compte aucun parlementaire. Ce nouveau cabinet est aussitôt désavoué par les députés qui votent unemotion de défiance et, sous la pression,Mac Mahon accepte de nommer Dufaure à la tête d'ungouvernement républicain qui comprend plusieurs proches de Gambetta[116].
« Souhait à Léon pour le nouvel an. Continue de marcher là : ça porte bonheur ! ». Gambetta, le pied posé sur une personnification des conservateurs et bonapartistes[117],[note 3]. Illustration d'André Gill,La Petite Lune.
L'année 1878 marque une trêve dans la vie politique du pays qui organise l'exposition universelle[119]. Après avoir observé une période de repos, Léon Gambetta entre en campagne pour préparer lesélections sénatoriales de 1879 qui pourraient aboutir à la constitution d'une majorité républicaine à laChambre haute. Il entreprend une tournée triomphale dont le point d'orgue est son discours deRomans le. Cette intervention largement commentée dans la presse apparaît comme un véritable programme de gouvernement et suscite de nombreuses inquiétudes chez ses adversaires comme dans son propre camp[119]. Léon Gambetta connaît alors une popularité sans précédent, et comme le souligne l'historienJean Garrigues, son voyage dans la vallée du Rhône est vécu comme« un véritable sacre républicain, alors même qu'il n'occupe aucune fonction majeure »[120].
Le, alors que laChambre examine l'invalidation de l'élection du bonapartisteOscar Bardi de Fourtou dans sa circonscription deRibérac, Gambetta accuse ce dernier de mensonge, une accusation retirée après la demande du président de l'Assemblée,Jules Grévy. Fourtou, offensé, charge ses témoinsAlexandre Blin de Bourdon etRobert Mitchell d'exiger de Gambetta une rétractation ou une réparation par les armes. À son tour, le député parisien charge ses témoinsFrançois Allain-Targé etGeorges Clemenceau de maintenir ses propos. Pour régler ce différend, unduel au pistolet est décidé le au matin, auPlessis-Piquet. Les quatre témoins s'accordent sur un tir à une seule balle et à trente-cinq pas, ce qui limite le risque de blessure. De fait, aucun des protagonistes n'est blessé, mais la popularité de Gambetta en est renforcée comme en témoigne les nombreux messages de soutien qu'il reçoit[121].
Le, les républicains remportent 66 des82 sièges à pourvoir lors desélections sénatoriales, ce qui leur permet d'obtenir la majorité de la haute assemblée désormais présidée parLouis Martel. Mac Mahon, qui ne dispose plus d'aucun soutien parlementaire, préfère démissionner le, après avoir refusé de signer ledécret retirant leur commandement à certains généraux[122].Jules Grévy lui succède comme président de la République, avec le soutien de tous les républicains, tandis que Gambetta est élu par338 voix sur407 votants à laprésidence de la Chambre des députés, en remplacement de Grévy, le[122].
« Après la victoire » : Gambetta sert la soupe au « populo » en l'assurant qu'il peut désormais manger tranquillement, les républicains disposant de la majorité auSénat. Caricature par André Gill dansLa Lune rousse,.
« Elle est bien bonne ! » Après la démission deMac Mahon couronnant le succès des républicains fin, Gambetta contemple, hilare, une vieille affiche du jugement qui le condamnait en au motif de la péroraison de son discours lillois appelantle maréchal-président à« se soumettre ou se démettre ». Caricature parCharles Gilbert-Martin,Le Don Quichotte,.
Sa popularité inquiète certains de ses alliés qui redoutent ses ambitions personnelles. Jules Grévy, qui maintient à son égard une rancœur tenace[123], refuse de le nommer à la tête du gouvernement et choisitWilliam Waddington le[122].
Dès son arrivée à laprésidence de laChambre des députés, Léon Gambetta est critiqué pour sa gestion financière. Sous le contrôle desquesteurs et du président de laCour des comptes, il entreprend des travaux de réfection de l'Hôtel de Lassay et duPalais Bourbon pour préparer le retour des deux chambres àParis, adopté par l'Assemblée nationale en et prévu pour la fin de cette même année. Par ailleurs, il organise des réceptions fastueuses, comme le, où de nombreux militaires et des hautes personnalités de l'État sont conviés à l'Hôtel de Lassay pour célébrer en grande pompe lafête nationale. Les dépenses engagées pour cette soirée, de l'ordre de 70 000 francs, lui valent les remontrances de ses propres amis[124].
Accaparé par ses nouvelles fonctions, Léon Gambetta délaisse ses responsabilités dans la presse : il abandonne la direction politique deLa République française au profit de son amiAuguste Scheurer-Kestner et cèdeLa Petite République à l'industrielHenri Villain[125]. Sur le plan politique, bien qu'il ne soit pas membre du Conseil des ministres, il est régulièrement consulté sur les sujets importants. Il se montre très critique à l'égard ducabinet Waddington qu'il juge« hésitant et incohérent » et, comme d'autres membres de l'Union républicaine, lui retire son soutien, ce qui conduit le ministère à la démission sans même avoir été renversé le[125].
Alors queJules Grévy se refuse encore d'appeler Gambetta à la présidence du Conseil des ministres, c'est son amiCharles de Freycinet qui est nommé. Plusieurs de ses proches intègrent le gouvernement, comme le sénateurJules Cazot ouJoseph Magnin, ancien membre dugouvernement de la Défense nationale, tandis que le centre gauche n'est plus représenté, ce qui renforce l'impression d'un pouvoir occulte de Gambetta qui tirerait les ficelles du jeu politique[126]. Le, il est réélu à la présidence de la Chambre mais avec un nombre de voix moins important que l'année précédente[126].
Gambetta prononçant son discours sur l'amnistie descommunards, le.
Afin de contenir la poussée de l'extrême gauche aux élections, Gambetta presse le président du Conseil de rédiger une loi pour amnistier tous lescommunards. Le, son discours à la Chambre soulève l'enthousiasme, y compris de ses opposants. Il déclare à l'ensemble des députés :« Restez avec nous, dans cette mesure de pardon et de clémence. Il faut que vous fermiez le livre de ces dix dernières années, que vous mettiez la pierre tumulaire de l’oubli sur les crimes et les vertiges de la Commune et que vous disiez à tous […] qu’il n’y a qu’une France et qu’une République ». La loi obtient une large majorité à la Chambre mais elle est amendée par leSénat qui veut exclure de l'amnistie les condamnés pour assassinat ou incendie[127].
Bien que président de la Chambre des députés, Gambetta est qualifié ironiquement d'« orateur dugouvernement à la tribune » tandis queJules Ferry,président du Conseil, semble s'effacer pour lui laisser la parole. Caricature publiée dansLe Monde parisien, journal du high-life,.
Alors queCharles de Freycinet, trop prudent en matière depolitique anticléricale et prêt à négocier avec les principalescongrégations, ce qui heurte certains de ses ministres, remet sa démission le, Jules Grévy refuse une troisième fois d'appeler Gambetta à la présidence du Conseil, au profit deJules Ferry[128]. Toujours aussi populaire, Léon Gambetta est pourtant attaqué de toutes parts. De nombreux journalistes condamnent son influence sur la politique dunouveau gouvernement,Raoul Frary l'accusant de pratiquer« le césarisme par influence » quandGeorges Clemenceau évoque un pouvoir« extra-constitutionnel ». À l'extrême gauche,Jules Guesde dénonce les politiciens bourgeois dont il considère Gambetta comme le prototype, tandis que les monarchistes et les bonapartistes dénoncent son anticléricalisme. Par ailleurs, une brochure intituléeGambetta c'est la guerre ! est tirée à 100 000 exemplaires[128].
Sur le plan politique, Ferry et Gambetta partagent de nombreux combats : tous deuxrépublicains opportunistes, ils s'accordent sur l'éducation, les libertés publiques, l'anticléricalisme et la politique coloniale. Seules quelques nuances séparent les deux hommes, laGauche républicaine de Ferry étant plus bourgeoise que l'Union républicaine de Gambetta qui conserve un électorat populaire. L'amitié entre les deux hommes n'empêche pas une certaine rivalité, d'autant que Ferry a conscience dès ses premiers mois d'exercice d'agir dans l'ombre de Gambetta. Dans une lettre adressée à ce dernier, le nouveau président du Conseil dénonce l'attitude des députés de son camp :« Tu m’as très loyalement, très cordialement soutenu, mais pas un de tes fidèles n’a voté avec moi »[129]. Une nouvelle fois, Gambetta conserve la présidence de laChambre des députés, mais il obtient encore moins de voix que lors des deux précédents scrutins, ce qui marque sa perte d'influence sur une partie du centre gauche sans qu'il n'arrive à séduire la droite[129],[130].
Lesélections législatives de 1881 sont un succès pour les républicains qui remportent457 sièges, dont 204 élus pour l'Union républicaine de Gambetta contre 168 pour la Gauche républicaine de Jules Ferry. L'extrême gauche, menée parGeorges Clemenceau etCamille Pelletan enregistre une forte progression avec46 sièges, tandis que le centre gauche ne compte plus que34 élus. Ce large succès cache les difficultés que rencontrent certains républicains pour se faire élire, y compris Léon Gambetta qui est chahuté dans sa circonscription deBelleville[131],[130].
Illustrations documentaires ou satiriques de Gambetta lors de la campagne électorale de 1881.
Le,Jules Ferry, usé par l'affaire tunisienne, remet à Jules Grévy la démission de songouvernement. Le président de la République n'a d'autre choix que d'appeler Léon Gambetta à former le nouveau cabinet, tant la presse et l'opinion semblent le réclamer[133]. Il est nommé le, une décision qui rassure notamment les financiers en raison de son expérience à la tête de la commission du budget de la Chambre des députés[134].
Dans les semaines qui précèdent sa nomination, Léon Gambetta, convaincu de sa prochaine arrivée aux affaires, établit une première liste de ministres. Il souhaite rassembler tous les grands noms du régime au sein d'un« grand ministère », notamment les anciens présidents du Conseil Freycinet et Ferry, le président du SénatLéon Say et le diplomatePaul Challemel-Lacour. Ces derniers expriment finalement leur refus, ce qui conduit Gambetta à composer un gouvernement jeune et peu expérimenté, dont la plupart des membres sont issus de l'Union républicaine[135].Jules Cazot etAdolphe Cochery sont maintenus respectivement à la Justice et aux Postes et Télégraphes, tandis queDavid Raynal est promu aux Travaux publics. Les autres membres font leur entrée, notammentPierre Waldeck-Rousseau à l'Intérieur,François Allain-Targé aux Finances,Paul Bert à l'Instruction publique etMaurice Rouvier au Commerce et aux Colonies. Deux ministères sont créés, avec l'Agriculture tenu parPaul Devès et les Arts parAntonin Proust. Cette dernière création est l'une des nouveautés les plus significatives dans la mesure où elle est destinée à répandre le goût de la culture et des arts dans les classes populaires, ce qui constitue la naissance d'unepolitique culturelle française ambitieuse et démocratique[136]. Le nouveau président du Conseil se réserve quant à lui les Affaires étrangères, alors qu'il souhaitait dans un premier temps siéger sans portefeuille[135]. Le gouvernement compte par ailleurs neuf sous-secrétaires d’État, dontEugène Spuller etFélix Faure, deux proches de Gambetta[136].
Malgré le succès à la Chambre des députés puis au Sénat du vote des crédits sur l'expédition en Tunisie, le gouvernement Gambetta rencontre des difficultés dès ses premières semaines d'exercice. L'attitude autoritaire et hautaine de Gambetta heurte de nombreux députés, tandis que la circulaire adressée par Waldeck-Rousseau aux préfets le pour renforcer l'autorité des fonctionnaires et les affranchir de la pression des élus est fortement critiquée par l'extrême gauche et les républicains libéraux[136],[137]. Plusieurs nominations sont également dénigrées, comme celles dugénéral Galliffet au Conseil supérieur de la Guerre, un militaire honni par l'extrême gauche pour sa participation à la répression de laCommune, ou celle deJoseph de Miribel comme chef d'état-major général, ce dernier étant soupçonné d'avoir participé à la préparation d'un coup d'État quelques années plus tôt[137].
Gambetta s'inquiète de la température affichée par le thermomètre,« baromètre de sa popularité, dont les graduations sont redoublées des moments forts de sa carrière », y compris la chute annoncée de son grand ministère[138]. « Ça baisse », caricature par Alfred Le Petit,Le Grelot,.
À la tête du gouvernement, Gambetta livre un ambitieux projet de réformes qui comprend notamment la réduction de laconscription, une loi sur les associations, la création d'institutions de prévoyance et d'assistance, la réforme des sociétés financières ou encore la laïcité de l'État[139],[140],[136]. Mais après le renouvellement du tiers duSénat qui conforte la majorité républicaine à la Haute chambre en, il dépose le un projet de réforme constitutionnelle qui prévoit une réforme limitée de laConstitution avec l'inscription duscrutin de liste, des modifications du mode d'élection du Sénat et la réduction de son pouvoir financier[140].
La commission chargée d'examiner le projet par la Chambre des députés refuse le texte, en particulier le scrutin de liste. Nombre de députés craignent alors de voir s'installer un exécutif fort et souhaitent préserver le pouvoir de l'Assemblée[136]. La discussion publique a lieu le auPalais Bourbon. Devant les députés, Léon Gambetta défend son texte et rejette les accusations qui concerne sa prétendue volonté d'un renforcement de son pouvoir personnel :« De toutes les douleurs qu'on peut ressentir dans la politique, […] il y en a une que je ne peux subir en silence : c'est d'être constamment présenté à cette Chambre, que dis-je ? au parti républicain tout entier, comme un homme qui méditerait de se séparer ou de s'écarter de lui ». Malgré le soutien de plusieurs membres du centre gauche et des proches de Jules Ferry, le projet de Gambetta est rejeté, et c'est finalement le principe de la révision illimitée qui est adopté par la Chambre. Battu, Léon Gambetta remet le jour même sa démission au président de la République[140].
Le bilan ducabinet Gambetta paraît bien faible dans la mesure où seules deux lois ont été adoptées définitivement pendant son exercice, l'une imposant aux directeurs et aux enseignants des écoles privées de disposer de diplômes et l'autre relative à la conservation des œuvres d'art. Pour autant, plusieurs textes que son gouvernement avait envisagés aboutissent dans les années qui suivent et ses anciens ministres se montrent très actifs à la Chambre des députés[141].
Le « grand ministère Gambetta » vu par le caricaturistePépin.
Dessans-culottes s'impatientent devant le cuisinier Gambetta qui fait bouillir trop longtemps la marmite cadenassée des réformes. « Le Fourneau républicain »,Le Lampion de Berluron,.
Gambetta s'amuse de l'indécision des députés, apeurés par le projet de réforme duscrutin de liste. « La Révision »,Le Lampion de Berluron,.
L'âne (le président de la « commission des 33 » ayant refusé le projet de réforme constitutionnelle) donneun coup de pied au vieux lion (Gambetta après la chute de son gouvernement). Le Lampion de Berluron,.
De son côté, Léon Gambetta observe une période de repos et séjourne àMarseille, àNice et dans le nord de l'Italie. De retour à Paris, il reprend la direction deLa République française et intervient peu à laChambre[141]. Élu président de la Commission spéciale chargée de la réforme duservice militaire, il ne dépose qu'un seul projet de loi en son nom, visant à instaurer un service sans exception et réduit de cinq à trois ans[141].
Léon Gambetta se montre très critique à l'égard de son successeur à la tête du gouvernement,Charles de Freycinet, en particulier pour ses hésitations sur laquestion égyptienne qui aboutissent à la perte de l'influence française dans la région au profit de l'Empire britannique. Lecabinet Freycinet chute le après son intervention et celle deGeorges Clemenceau à la Chambre lors du vote des crédits pour une expédition française[142]. De la même manière, Gambetta dénonce la nomination du sénateurCharles Duclerc à la tête dunouveau gouvernement. Dans une lettre adressée à son ancien chef de cabinet, il expose son pessimisme :« Nous glissons sur la pente d’une république de Sud-Amérique où le pouvoir, avili, déshonoré, discrédité, paraît une proie pour toutes les concupiscences ; le portefeuille est à l'encan, le pouvoir dans la rue, nous allons crouler dans les bas-fonds de l'envie démagogique »[142].
La politique coloniale de la France continue de le passionner : en, il rédige une note qui préconise une politique ambitieuse enIndochine face à l'Empire chinois[142]. Cependant, sa santé se dégrade rapidement. Depuis son départ de la présidence du Conseil, il apparaît vieilli et fatigué, comme le souligne le journalisteÉdouard Drumont :« Quelques années avaient fait du jeune homme alerte encore et grisonnant à peine, un homme affaissé, chargé d'embonpoint, presque vieillard »[143].
Reflet des médisances et rumeurs extravagantes courant sur la blessure de Gambetta, cette caricature le représente en coqmanchot, mutilé lors d'une dispute entre ses deux « poules » (concubines). Dessin satirique d'Alfred Le Petit,Le Grelot,.
Le, dans samaison des Jardies, Léon Gambetta se blesse en manipulant un revolver[144]. En voulant retirer une cartouche, le coup est tiré accidentellement et la balle pénètre dans la paume de sa main droite avant de ressortir au milieu de l'avant-bras. Il est soigné par son ami le chirurgienOdilon Lannelongue qui lui étend la main sur une planchette de bois pour éviter la rétraction des doigts et préconise une mise au lit accompagnée d'une diète[144]. Cet incident fait naître de nombreuses polémiques dans la presse hostile à Gambetta, certains présentant l'accident comme uncomplot maçonnique[144]. DansL'Intransigeant,Henri Rochefort répand l'idée d'une vengeance intime, accusant sa compagne Léonie Léon de l'avoir abattu[144],[145]. D'autres journaux à sensation affirment que cette dernière est une espionne au service de l'Allemagne qui, se sachant découverte, tente de se suicider devant Gambetta qui détourne l'arme et reçoit le projectile[144],[146]. En,Léon Daudet, personnalité de l'Action française, reprend cette thèse[144]. Le propre cousin et biographe de Gambetta,Pierre-Barthélemy Gheusi, évoque quant à lui une dispute qui aurait mal tourné entre les deux amants, au sujet d'un domestique que Gambetta voulait renvoyer[144].
Gambetta sur son lit de mort, photographie deCarjat.
La blessure n'est pas suffisamment grave pour mettre en péril la vie du député et le, son ami ledocteur Fieuzal, venu lui rendre visite, le déclare hors de danger. Il lui préconise cependant dix jours de lit supplémentaires[144]. Son état de santé se dégrade subitement dans la nuit du 16 au : Gambetta éprouve alors de vives douleurs abdominales du côté droit, accompagnées d'une forte fièvre. Son médecin habituel, le docteur Siredey, diagnostique unepérityphlite, c'est-à-dire une inflammation dupéritoine ducæcum qui découle probablement d'un cancer de l'intestin ou de l'estomac, et que seule une opération peut soigner[144]. Réunis à son chevet, Lannelongue etJean-Martin Charcot confirment ce diagnostic mais ils estiment cependant qu'une intervention chirurgicale est trop dangereuse. Le, à23 h 55, Léon Gambetta meurt alité, en présence de Léonie Léon et de ses amis le docteur Fieuzal,Paul Bert etEugène Spuller[144].
Le, le Conseil des ministres décrète desobsèques nationales, pour la première fois dans l'histoire de la République[144]. Le même jour, l'autopsie est pratiquée dans la chambre mortuaire en présence d'une quinzaine de médecins[147]. Celle-ci est décidée pour diverses raisons. D'une part, le père et la sœur de Gambetta, tenus dans l'ignorance de la gravité de son état, ne sont pas présents lors du décès, et sa compagne n'a aucun statut légal qui lui permette de s'y opposer. Par ailleurs, Gambetta est membre depuis 1876 de la Société d'autopsie mutuelle, qui encourage le don de son corps à la science et les médecins qui prennent en charge le traitement mortuaire de son cadavre y voient une occasion de poursuivre leurs recherches. Enfin, l'autopsie apparaît comme le moyen de faire taire les hypothèses fantaisistes et malveillantes quant aux causes du décès tout en lavant l'honneur des médecins impliqués dans sa cure, accusés parfois d'incompétence[147].
La veille au soir, une injection dechlorure de zinc est réalisée par Jules Talrich, modeleur pour la faculté de médecine, afin d'atténuer la décomposition très rapide du corps et du visage. L'autopsie, dirigée par le docteurPaul Brouardel, spécialiste de médecine légale, confirme la cicatrisation parfaite de la blessure par balle et la mort causée par la perforation de l'appendice dont l'opération était impossible. Le rapport d'autopsie, rédigé par le chirurgienVictor André Cornil, est publié le suivant, complété par les résultats de la dissection de la main de Gambetta[147]. L'autopsie s'achève par le dépeçage de son corps, chacun des participants souhaitant, sous couvert de recherche scientifique, conserver une partie de ses restes commerelique[144].
Mort et funérailles de Gambetta.
Autopsie de Gambetta.
Masque mortuaire de Gambetta.
La place de la Concorde le jour des funérailles de Gambetta.
L'hommage de la presse est presque unanime, y compris chez les adversaires de Gambetta, et nombreux sont les Français qui veulent se recueillir devant sa dépouille : le, 4 000 visiteurs se pressent aux Jardies où les scellés sont posés le soir même. Le cercueil est transporté auPalais Bourbon, dont la colonnade est recouverte d'un immense voile noir. Lecatafalque, décoré parLéon Bonnat,Charles Garnier,Alexandre Falguière etAntonin Proust, est déposé dans la salle des fêtes du palais[144]. Le, le char funèbre, décoré lui aussi par Garnier, rejoint lecimetière du Père-Lachaise devant près de 100 000 personnes massées sur le parcours, selon le quotidienLe Temps. Membres de la famille, proches, hommes d'État, élus de toute le France et représentants de diverses institutions accompagnent le char, pour un total d'environ 5 000 personnes. Au cimetière, où la foule ne peut entrer, plusieurs discours sont prononcés dont celui de l'historienHenri Martin qui présente Gambetta comme le continuateur« de cette unité nationale qu'ont faite les siècles »[144].
Le cercueil est déposé dans le caveau de la ville de Paris, devant lequel est érigé un tombeau provisoire : le père de Gambetta veut en effet que son fils soit enterré àNice, auprès de sa mère et de sa tante. Le, un train spécial est affrété pour conduire le cercueil à Nice où Gambetta est inhumé le lendemain dans le caveau familial ducimetière du Château, après un discours du maireAlfred Borriglione, député membre de l'Union républicaine[144],[148]. Le corps du tribun est inhumé une troisième fois le, pour être placé sous un tombeau plus monumental[147].
S'apprêtant à couper le groin d'un monarchiste « seize-mayeux », Léon Gambetta réveillonne joyeusement avec la jeune République âgée de8 ans. Caricature par André Gill dansLa Lune rousse,.
Le goût de la politique se manifeste très tôt chez Léon Gambetta, sous l'influence de son milieu familial : sa mère lui fait lire des articles du journalistelibéral etrépublicainArmand Carrel tandis que son père, bien que peu cultivé, litVoltaire et soutient l'unité italienne[5]. Âgé de seulement dix ans lors de l'élection présidentielle de 1848, Léon Gambetta se montre très critique à l'égard deLouis-Napoléon Bonaparte dans les lettres qu'il envoie à ses parents depuis son internat[5]. Une fois établi comme avocat, il devient l'un des principaux opposants du régime et le chef de file desradicaux, qu'il définit lui-même comme« des républicains qui pensent qu'il n'y a pas de compatibilité entre toute forme de gouvernement autre que la République et lesuffrage universel »[102]. Sonprogramme de Belleville, qu'il expose lors de la campagne pour lesélections législatives de 1869, devient la référence pour tous ceux qui se réclament de cette tendance[102].
Dans son combat pour établir la République, Léon Gambetta ne s'oppose pas seulement auxconservateurs (orléanistes,légitimistes etbonapartistes), mais aussi à l'extrême gauche qui réclame le« tout, tout de suite », ce qui ne peut conduire selon lui qu'à la violence et au retour au pouvoir des partisans du maintien de l'ordre social[149]. L'échec de laCommune en 1871, dans laquelle Gambetta n'a joué aucun rôle[149], est celui de la république sociale et aboutit au renforcement de la république conservatrice. Dès lors, Gambetta conçoit que la France ne peut accepter le régime républicain que si celui-ci apporte des gages de modération. Il rompt avec les républicains les plus intransigeants et réclame de son parti qu'il se montre le plus sage, le plus digne et le plus discipliné[102]. Dans un discours àAnnecy à l'automne 1872, il déclare :« Nous nous sommes donné pour règle absolue de respecter la loi, et nous faisons de notre modération et de notre sagesse non pas un calcul, […] non pas une ligne de conduite passagère, mais une ligne de conduite fixe, arrêtée, définitive »[150].
Jalouse de« MademoiselleOpportune »,Marianne jette un flacon devitriol au visage de Gambetta. Caricature par Alfred Le Petit,Le Grelot,.
Pour Gambetta, la sagesse, l'espérance et l'activité doivent être les trois« vertus théologales de la démocratie », comme il l'indique dans une lettre à sa compagneLéonie Léon, mais cette modération n'est pas un signe de faiblesse pour l'historien Jérôme Grévy dans la mesure où Gambetta et ses alliés, contrairement aux républicains révolutionnaires de1848, n'ont pas la naïveté de croire en la« résistance spontanée du peuple »[151].
Dès lors, Gambetta comprend la nécessité de faire des concessions pour imposer ses idées, appliquant ainsi une certaineéthique de responsabilité. Il récuse toute forme de violence pour accéder au pouvoir ou le conserver, fonde son action sur lesuffrage universel dont il est un partisan inflexible, et souhaite des réformes progressives qui soient menées avecpragmatisme[149]. C'est la naissance de l'opportunisme, dont il est l'un des théoriciens et qui permet d'assurer l'enracinement de la République dans les années 1870-1880[102]. SelonGérard Unger,« par sa modération affichée dès 1871 – sinon même dès 1869, au travers de ses discours auCorps législatif –, par son pragmatisme, son habileté politique et son talent oratoire, il a su rassurer les conservateurs modérés plus soucieux de l'ordre social que de la forme du gouvernement »[149]. De fait, dès sa plaidoirie lors de l'affaire Baudin en 1868, Gambetta affirme ce principe de légalisme en opposant la« barricade du Droit » à la violence :« qu'on examine ce que nous écrivons, on ne trouvera pas, une ligne, une seule ligne qui ne soit pas selon le Droit »[20]. Cette politique d'ouverture et de modération porte ses fruits et reçoit un bon accueil auprès du peuple dans la mesure où les républicains ne cessent d'accroitre leur nombre de représentants à laChambre des députés, que ce soit lors des élections partielles ou nationales[152]. Le rapprochement de Gambetta avec le centre gauche le coupe cependant d'une partie des républicains, notammentGeorges Clemenceau qui vit cette évolution comme une trahison[102],[153].
À l'aide du canon du suffrage universel, Gambetta et plusieurs autres républicains assiègent « la dernière Bastille » composée notamment duSénat et de lamagistrature inamovible. Caricature deMoloch publiée dansLe Grelot,.
Léon Gambetta veut une République forte et appuyée par lesuffrage universel qui est selon lui une marque« de souveraineté et de liberté pour les peuples »[139]. C'est pourquoi il s'oppose fermement, dans un premier temps, au principe dubicamérisme : ce principe constitutionnel lui semble incompatible avec le suffrage universel dans la mesure où il permet à unechambre haute de réviser les lois votées par la seule chambre élue démocratiquement[154]. Sa position évolue néanmoins et Gambetta accepte une certaine forme de compromis pour garantir le maintien du régime. Lors des discussions sur le vote de laloi constitutionnelle instituant leSénat, en, il parvient à convaincre une partie des députés radicaux d'accepter cette chambre des notables qu'il juge pourtant lui-même contraire à l'héritage républicain, et se dit convaincu que le Sénat peut, à terme, représenter« les entrailles même de la démocratie » en formant un« Grand Conseil des communes de France »[139].
De même, il prend ses distances avec le principe d'un régime exclusivement parlementaire et finit par se rallier en 1875 à l'institution d'unprésident de la République, à condition que cette magistrature élective soit encadrée par la loi et non un principe héréditaire[155].
« Une œuvre inachevée » : Gambetta meurt sans avoir fini la République française, sculptée à force de patriotisme et de persévérance. Caricature américaine publiée dansPuck,.
Dans les années qui suivent, Gambetta n'est pas entièrement satisfait du fonctionnement desinstitutions qu'il a contribué à mettre en place. Il constate que le régime d'assemblée entraîne une forte instabilité gouvernementale et un ralentissement des réformes. Dès lors, pour contrer le pouvoir des Chambres qui paralysent l'exécutif et le rôle duSénat qu'il juge trop important, il propose une révision constitutionnelle dès son accession à laprésidence du Conseil, sans succès[149]. De la même manière, il reconnaît que le principe de l'inamovibilité de75 sénateurs, concession accordée aux conservateurs lors du vote des lois constitutionnelles de 1875, n'est qu'un vestige d'une tradition monarchique archaïque. Cette loi, qu'il juge« limitée, transitoire, accidentelle », est finalement abolie en 1884, après sa mort[156].
Gambetta est partisan d'un exécutif fort et se montre favorable à la mise en place d'unbipartisme sur le modèle britannique, avec la formation d'un parti progressiste, plus avancé, et d'un parti conservateur[149]. Il milite pour l'adoption duscrutin de liste, qui favorise selon lui un vote plus représentatif de l'opinion politique que lescrutin d'arrondissement,uninominal et majoritaire. Adopté après sa mort pour lesélections législatives de 1885, ce mode d'élection ne donne finalement qu'une majorité relative auxopportunistes et l'un de ses fidèles,Ernest Constans, alors ministre de l'Intérieur en1889, revient au scrutin d'arrondissement pour contrer la percée dugénéral Boulanger[149].
Léon Gambetta est unpositiviste etscientiste convaincu[157]. Sur le plan philosophique, il se réclame d'Auguste Comte[158] qu'il considère comme« le plus puissant penseur du siècle »[157]. SonCours de philosophie positive est pour lui une source de réflexion et comme l'auteur, Gambetta est convaincu que l'ère positive, qui succède aux âges théologique et métaphysique, doit permettre de résoudre tous les problèmes de l'humanité à travers le développement des sciences, qui constituent une horizon indépassable[158]. Le, à laSorbonne, il adhère publiquement à l'École positiviste[157]. Il est également proche d'Émile Littré, disciple de Comte, et d'Herbert Spencer, penseur positiviste anglais qui insiste sur la notion d'évolution[158]. Comme Littré, Gambetta s'oppose toutefois à la vision de Comte qui veut faire du positivisme une véritable religion[157]. Il est égalementfranc-maçon, initié àMarseille à laloge« La Réforme » en[159],[44], une loge qui accueille d'autres républicains avancés commeGaston Crémieux etAlphonse Esquiros. En outre, il est membre de laLigue de l'enseignement, créée en 1866 parJean Macé[160].
Gambetta veille sur les vignes du« peuple-citoyen », au grand dam d'un ecclésiastique qui« guigne le moment de grapiller ». Caricature par Charles Gilbert-Martin,Le Don Quichotte,.
Le positivisme de Gambetta l'oppose ainsi à toute forme de religion : il estime que la croyance religieuse doit disparaître à terme face aux progrès de la raison[149] et juge que le plus sûr moyen de lutter contre l'Église catholique est de répandre massivement l'instruction[161]. Tout au long de sa carrière politique, il est donc un fervent défenseur de l'anticléricalisme, qui devient le ciment de tous les républicains, quelle que soit leur tendance[149]. Gambetta refuse de voir l'Église catholique jouer un rôle politique dans le pays : il dénonce sa puissance acquise sous les précédents régimes et son évolutionultramontaine[149]. Il inscrit dès 1869 laséparation de l'Église et de l'État dans sonprogramme de Belleville et présente lecléricalisme comme l'ennemi de la République[109],[110].
Pour autant, Gambetta se montre moins virulent que certains républicains qui veulent extirper la religion de la nation. Convaincu qu'une politique ouvertement antireligieuse peut mettre en péril le nouveau régime en précipitant les catholiques républicains et modérés dans le camp de la réaction, il distingue religion et clergé et prend garde de ne s'attaquer qu'à ce qu'il nomme le« parti clérical », à savoir lescongrégations, principalement lesjésuites[161],[149]. Il développe alors une pensée mêlant respect des croyances et rationalisme, anticléricalisme et reconnaissance de la mission sociale du clergé[162]. C'est en fait l'utilisation politique de la religion qu'il entend combattre, et non le peuple catholique qu'il espère attirer[161].
Gambetta défend par ailleurs legallicanisme et n'hésite pas à présenter les républicains comme les héritiers des rois qui défendent la religion nationale contre les prétentionsultramontaines de l'Église catholique[161]. Son combat anticlérical se traduit donc par une lutte acharnée contre les congrégations religieuses et par le vote deslois sur la laïcité en milieu scolaire[149]. Toutefois, leconcordat de 1801 lui apparaît comme un moyen de contrôle, notamment par le biais de la nomination des évêques, et comme de nombreux républicains, Gambetta refuse encore la voie d'une séparation totale de l'Église et de l'État, qui n'est votée qu'en1905[149].
Paix et Travail, estampe allégorique républicaine, vers 1879. En médaillon, les portraits deJules Grévy et Gambetta.
Léon Gambetta considère que, pour assurer son succès, la République doit reposer sur une assise sociale très large, ce qui n'était pas le cas de laDeuxième République dont beaucoup de paysans se méfiaient[149]. Après leplébiscite du 8 mai 1870, qui conforte leSecond Empire, il déclare à l'un de ses amis :« Il faut répandre nos principes, nos doctrines, nos aspirations parmi les populations des campagnes », ce qui devient l'une de ses priorités[163]. Alors que de nombreux républicains cultivent une certaine défiance à l'égard des paysans, Gambetta fait du soutien du monde rural une condition essentielle de l'enracinement de la République et s'adresse régulièrement à ces populations qui ont entre leurs mains l'avenir du pays, comme il l'affirme dans un discours prononcé àChâteau-Chinon en 1877[164].Jean Garrigues assure que les tournées effectuées par Gambetta à travers la France entre 1871 et 1881« ont joué un rôle considérable dans la républicanisation des campagnes françaises »[165] et, pourJean-Marie Mayeur, le« véritable culte populaire de Gambetta »[166] qui se met alors en place contribue largement à la politisation du pays[167].
Selon Gambetta, c'est par l'éducation et l'accès à une presse de qualité que l'idée républicaine pourra gagner les masses[149]. Il entend aussi rallier les« nouvelles couches sociales »[168], c'est-à-dire les professions libérales, les artisans, les commerçants et les petits fonctionnaires, qu'il veut unir à la bourgeoisie pour établir un véritable socle républicain. Nombre de ceux qui accèdent au pouvoir en même temps que lui ont une origine plus modeste que les notables qui dominaient la vie politique jusqu'alors et pour le tribun, ces nouvelles couches sociales doivent permettre à la République de pénétrer chaque territoire en occupant des fonctions électives locales (maires et conseillers municipaux,conseillers généraux)[149]. Dans ses prises de parole, Gambetta reprend régulièrement ce thème en opposant les classes dites dirigeantes, grands négociants et grands industriels, à« ceux qui pensent, ceux qui travaillent, ceux qui amassent la richesse, ceux qui savent en faire un emploi judicieux, libéral et profitable » et qu'il entend défendre : comme le souligne l'historien Jérôme Grévy, pour Gambetta, la République doit être« le régime de la petite propriété »[164].
Gambetta est dévoré par des journalistes socialistes et anarchistes flanqués deHenri Rochefort etLouise Michel. « Les gras et les maigres : M. Gambetta commence à croire qu'il y a vraiment une question sociale », caricature d'Alfred Le Petit,Le Grelot,.
De fait, l'Union républicaine de Gambetta dispose d'un électorat plus populaire que les républicains modérés mais elle se préoccupe peu du sort des ouvriers ou des mineurs de fond. Comme d'autres élus républicains, Gambetta ne perçoit pas suffisamment l'importance de la question prolétarienne et la montée dusocialisme à partir desannées 1880[149]. Il se bat néanmoins pour l'amnistie, partielle puis totale, descommunards, pour le développement des sociétés de secours mutuel et laliberté syndicale, qui sera mise en œuvre par l'un de ses proches,Pierre Waldeck-Rousseau, en 1884[149].
Par ailleurs, tout en défendant l'émancipation des ouvriers, Gambetta se démarque des promesses d'égalité absolue formulées par les radicaux. S'il fait de l'éducation sa priorité, la« pierre angulaire de la rénovation sociale » et promet de reconnaître à tous les travailleurs le droit d'association, il refuse toutefois d'admettre l'existence d'une« question sociale ». Dans la mesure où il considère la République comme une et indivisible et qu'il reconnaît un citoyen dans chaque Français, Léon Gambetta réfute le terme declasse sociale. S'il affirme que l'État doit orienter la société vers le progrès et le bien-être en légiférant, il souhaite que les problèmes soient traités un à un, ce qui doit amener, selon lui, une transformation graduelle de la société[164].
Sur le plan économique, Gambetta prône l'instauration de l'impôt sur le revenu qui constitue pour lui« la véritable manière d'établir la communion, la solidarité entre tous les citoyens d'un même pays, quel que soit le rang, quelle que soit la branche d'activité dans laquelle ils servent le génie national ». La réforme fiscale lui apparaît comme l'instrument d'une plus grande justice sociale[169].
« Il y a quelque chose de supérieur à la République, de supérieur à la liberté de pensée : c'est la France, c'est l'indépendance de la France. La France résume tout pour moi : liberté de la raison, progrès et justice, république : tout cela, c'est la France, voilà pourquoi il n'y a rien, il ne peut rien y avoir au-dessus de la France. »
Italien de naissance, Léon Gambetta est un ferventpatriote. Il adopte lanationalité française à sa majorité et regrette de ne pouvoir effectuer sonservice militaire en raison de la perte de son œil[171]. Cet attachement à la patrie le pousse à voter les crédits militaires avant le déclenchement de laguerre de 1870, lors de laquelle il refuse d'abandonner la lutte malgré les défaites qui s'accumulent. C'est pour éviter une guerre civile qui mettrait en péril laRépublique naissante qu'il démissionne finalement en dugouvernement de la Défense nationale[171]. Peu après la fin de son mandat, Gambetta prononce l'éloge funèbre d'Émile Küss, maire deStrasbourg, et déclare :
« La force nous sépare, mais pour un temps seulement, de l'Alsace, berceau traditionnel du patriotisme français. Nos frères de ces contrées malheureuses ont fait dignement leur devoir, et, eux du moins, ils l'ont fait jusqu'au bout. Qu'ils se consolent en pensant que la France désormais ne saurait avoir d'autre politique que leur délivrance ! Pour atteindre ce résultat, il faut que les républicains s'unissent étroitement dans la pensée d’une revanche qui sera la protestation du droit et de la justice contre la force et l'infamie[172],[173]. »
La perte de l'Alsace-Lorraine lui est inacceptable et, tout au long de sa carrière, il manifeste un profond attachement à ces provinces annexées par l'Allemagne. Chaque année, il assiste à la cérémonie de l'arbre de Noël des Alsaciens-Lorrains de Paris, et offre fréquemment à ses amis des reproductions du tableau deJean-Jacques Henner,L'Alsace, elle attend, qui lui était destiné[171].
Tout en cultivant l'esprit de revanche, Gambetta fait preuve de pragmatisme et, contrairement à ce qu'affirment nombre de ses détracteurs, refuse tout bellicisme exacerbé. Conscient de l'infériorité de l'armée française, il souhaite la renforcer en s'appuyant sur l'exemple prussien par la mise en place d'un service militaire universel de trois ans, une éducation militaire poussée, ainsi qu'un armement moderne et sophistiqué[171].
Il rejette finalement l'idée de suppression des armées permanentes qu'il avait évoquée dans son programme de Belleville et approuve les circulaires de 1871 et 1876 sur le maniement des armes dans les collèges et lycées, ainsi que laloi du qui rend la gymnastique obligatoire dans tous les établissements d'instruction publique de garçons. Président du Conseil, il crée un comité présidé parPaul Bert pour inculquer l'esprit militaire au pays[171].
Par ailleurs, Gambetta n'éprouve aucun sentimentinternationaliste[175]. Il refuse de participer auxCongrès universels pour la paix organisés enSuisse entre 1867 et 1871, ou encore de signer la préface d'un livre d'Alfred Naquet qui défend le projet d'États-Unis d'Europe[175]. De la même manière, son attachement à la France le conduit à rejeter toute de division du pays : il renie les principesfédéralistes et refuse d'opposer Paris et la province, la France citadine et la France rurale. Son vœu est de voir s'unir l'ensemble des Français autour d'un gouvernement républicain et national[175].
« En Tunisie : Léon partant en guerre ». Caricature portant sur le soutien politique de Gambetta à l'intervention militaire en Tunisie (Le Monde parisien, journal du high-life,).
Par son action politique, Léon Gambetta entend redonner sa place à la France isolée dans le concert des nations européennes. Il mène une politique de recherche d'alliances et envisage un temps de rencontrer le chancelier allemandOtto von Bismarck. De même, il se montre favorable à un rapprochement avec laGrande-Bretagne et entretient de bons rapports avecCharles Dilke, sous-secrétaire aux Affaires étrangères en 1880[176]. Aucune alliance n'aboutit cependant et la gestion de l'affaire égyptienne par lecabinet Freycinet finit par éloigner les deux puissances. Il espère également un rapprochement avec l'Italie mais s'oppose sur ce point à la droite conservatrice qui continue de défendre le pouvoir temporel du pape, d'autant plus que le roiHumbert I, qui succède àVictor-Emmanuel II en 1878, est ouvertement germanophile[176].
Faute d'alliances, l'expansion coloniale lui apparaît comme le seul moyen de renforcer la puissance française. Il ne défend pas l'idée de« mission civilisatrice » évoquée parJules Ferry mais voit dans la colonisation la possibilité de disposer d'une monnaie d'échange avec l'Allemagne pour récupérer l'Alsace-Lorraine. Par ailleurs, il considère que l'expansion coloniale doit permettre d'atteindre« la destruction du préjugé de couleur », qu'il voit comme le« dernier vestige de l'esclavage », se montrant sensible en cela à la politique deVictor Schœlcher[176]. Gambetta appuie notamment l'expédition de Madagascar et celle dePierre Savorgnan de Brazza auCongo, soutientJules Ferry sur la question de l'intervention militaire en Tunisie et approuve l'occupation d'Hanoï par les troupes ducommandant Rivière en, qui permet de renforcer la présence française enIndochine[176].
Léon Gambetta est souvent moqué pour son apparence négligée voire débraillée[177],[89]. Il est décrit par son biographeGérard Unger comme quelqu'un de« bavard, chaleureux, méridional, exubérant, rondouillard, à la mise et la posture souvent marquées par le laisser-aller »[178]. Dans les milieux qu'il fréquente, il se distingue par son manque de maintien, sa voix sonore et son rire communicatif[177], et bon nombre de ses adversaires raillent ses origines sociales relativement modestes, puisque, contrairement à la majorité du personnel politique de son époque, Gambetta est issu de la petite bourgeoise provinciale[89].
Le journaliste extrémisteHenri Rochefort le qualifie ainsi de« prince de la vulgarité »[157]. Dans une biographie consacrée àJules Grévy, républicain mais grand rival de Gambetta,Pierre Jeambrun insiste sur l'opposition de style entre les deux hommes et décrit Gambetta comme« négligé, le pantalon en accordéon, un bouton manquant au gilet, sentant l'ail, avec une barbe qui était un véritable garde-manger, vous indiquant le menu de la veille ou de l'avant-veille »[179]. Il évoque également son manque de tenue et le caractère chaleureux d'un orateur qui« distribue les tapes dans le dos »[179].
La personnalité de Gambetta inspire notamment l'auteur dramatiqueVictorien Sardou qui, en 1872, crée le personnage de Rabagas, un chef révolutionnaire présenté comme« joli bateleur de phrases […] avocat jovial, grand tarisseur de chopes », dont l'acteur reprend les traits du tribun[180].
— Joseph Reinach,Discours et plaidoyers politiques de M. Gambetta, 1885[181]
Dès son plus jeune âge, Léon Gambetta se singularise par sa capacité à capter l'attention de ses camarades et à fasciner son auditoire[11]. En tant qu'avocat, il se distingue par sa faconde et la fougue de ses plaidoiries, tandis que son talent repose plutôt sur ses facultés d'improvisation que sur sa science du droit. Gambetta n'écrit pas le texte de ses plaidoiries et se contente de noter quelques points essentiels à partir desquels il improvise en fonction de ce qu'il ressent de l'attitude de son auditoire. C'est également la marque de fabrique, plus tard, de ses nombreux discours[182]. Bien que le talent oratoire de Gambetta semble inné, il s'enrichit de l'étude de larhétorique[183] et d'un travail effectué avec son ami comédienCoquelin aîné qui lui enseigne le travail du geste et l'aide à améliorer son élocution[89].
En justice comme en politique, Gambetta s'en prend souvent avec véhémence à ses adversaires. Le journalisteLouis-Xavier de Ricard rapporte ainsi son attitude lors du procès deLa Revue du progrès en 1864 :« Tout l'enthousiasme de l'auditoire, et il était nombreux, fut pour Gambetta qui, pétrissant la barre furieusement, à la desceller, foudroyant les juges de son terrible regard de borgne, empoigna pour ainsi dire l’Empire au collet et le plaça devant tous sur la sellette. L’Empire avait trouvé son accusateur »[184]. La sociologue Paula Cossart affirme que l'éloquence exceptionnelle de Gambetta repose essentiellement sur sa capacité à émouvoir son public[185].
L'ensemble du personnel politique de l'époque lui reconnaît ce talent d'orateur d'exception, y compris ses adversaires comme le député bonapartisteJules Delafosse :« C'était un tribun d'une puissance incomparable […]. Sa voix forte, chaude et cadencée frappait sur la foule avec la puissance du marteau sur l’enclume. Elle dominait les résistances, subjuguait les volontés, enflammait les dévouements, tandis que le geste dominateur et large achevait les conquêtes de l’accent »[186].Georges Clemenceau salue sa« puissance irrésistible d’attraction, de concentration, d'impulsion », tandis que le journaliste et député radicalCamille Pelletan décrit les discours de Gambetta comme des batailles :« calme d'abord, s'animant par degrés, jusqu'à ce que la lutte s'irrite, jusqu'à ce qu'enfin, le combat définitivement engagé, il se jette avec toute sa passion oratoire dans la mêlée, secouant sa tête au-dessus de la foule soulevée »[139]. La plupart de ses discours sont ensuite publiés dans les journaux républicains ou diffusés sous la forme de brochures qui rencontrent un grand succès, si bien que l'engouement populaire qu'il suscite conduit parfois les organisateurs de rassemblement à annuler sa prestation, comme à Bordeaux le, où le public est trop nombreux pour assurer la sécurité de l'événement[139].
« Gambetta. Ta voix puissante enfante des héros ! Et des quatre coins de la France, Les glaives sortent des fourreaux, Contre l'envahisseur tout un peuple s'avance ! » Composition deGustave Staal et poème d'Alexandre Ducros,La Chronique illustrée, 1871[187].
Léon Gambetta jouit d'une popularité immense de son vivant : l'imagerie d'Épinal diffuse à grande échelle les illustrations du tribun quittant Paris en ballon pour organiser la résistance à Tours pendant lesiège de la capitale et contribue à répandre le culte du fondateur de la République et du défenseur de la patrie[188],[89]. En, l'écrivain Louis Fiaux édite une brochure pour réclamer que Gambetta succède à Adolphe Thiers à la présidence de la République et, l'année suivante, Émile Corra lui dédie l'un des poèmes de son recueilDies Irae[165].
Les manifestations spontanées de la foule à son égard renforcent sa popularité exceptionnelle, au point que l'historienJean Garrigues affirme« qu'une forme de messianisme républicain se cristallise à cette époque sur le commis-voyageur de la démocratie »[165]. À titre d'exemple, plusieurs observateurs rapportent que le, lors d'un spectacle à l'Opéra de Marseille où il assiste à une représentation duMoïse et Pharaon deRossini, lorsque Pharaon s'exclame« Voilà le soleil, il paraît et tout s'incline dans la nature », les spectateurs se lèvent, les acteurs s'arrêtent et la salle s'écrie :« Vive Gambetta ! Vive la République ! »[139].
« Gambetta acclamé par la foule », gravure d'Alexandre Ferdinandus,La République illustrée, 1880.
Dans un article publié en 1880 dansLe Figaro, l'écrivainÉmile Zola insiste sur l'immense popularité dont jouit Gambetta :« Un homme plaide, un homme est nommé député, se trouve mêlé à des catastrophes publiques, monte au pouvoir, et voilà qu'en dix années cet homme grandit démesurément, emplit la France, emplit le monde de sa personne, beaucoup plus queVoltaire. […] C'est un dieu, je veux dire qu'il règne et qu'il semble devoir disposer à jamais de nos destinées. Voilà un fait, et nous autres, critiques, observateurs et expérimentateurs, nous restons surpris et embarrassés devant ce fait. […] Notre seule curiosité serait de le démonter et de le remonter, afin de voir comment il fonctionne. Simple problème de mécanique humaine à résoudre sans passion, pour l'unique plaisir du document »[189].
Si les discours de Gambetta attirent la foule, il souhaite avant tout mettre cette immense popularité au service de la cause qu'il défend et se montre embarrassé à l'égard des manifestations d'admiration, voire d'idolâtrie qui l'accompagnent[165],[190]. Bien souvent il refuse les applaudissements, qu'il juge« inutiles entre hommes libres », et lors d'un discours à Grenoble en il déclare :« Mes chers amis, je vous remercie de vouloir bien me donner cette marque publique de sympathie ; mais permettez-moi de vous le dire, j'ai cru remarquer qu'ici et ailleurs […] vous criez plus souvent : Vive Léon Gambetta ! que Vive la République ! Et c'est le seul chagrin que vous me faites »[165].
Entracte d'une première à la Comédie-Française (1885). Parmi les spectateurs, Léon Gambetta est discernable de profil dans la pénombre d'une « baignoire », autrement dit uneloge au rez-de-chaussée.
Les écrivainsgrecs etlatins sont pour lui une source d'inspiration dans son métier d'avocat et d'homme politique. Il admire l'éloquence deDémosthène ou deCicéron et puise dans les œuvres d'Aristophane etTacite pour en tirer des citations[158]. Il s'inspire également deMirabeau, qu'il considère comme son maître[158].
L'accident oculaire de Gambetta en 1849. Illustration publiée dansThe Graphic en 1883.
À l'âge de8 ans, Léon Gambetta contracte une sévèrepéritonite qui, mal soignée, lui cause toute sa vie des troubles digestifs ou pulmonaires[193]. En 1849, il perd accidentellement l'usage de son œil droit après avoir reçu un éclat d'acier[7]. Cet accident l'affecte durablement, et pour réduire les souffrances que lui cause cet œil inflammé et désormais protubérant, il esténucléé en 1867 par le docteurLouis de Wecker[7]. L'opération, qui exige de longues semaines de convalescence[193], est complétée trois semaines après l'intervention par la mise en place d'unœil de verre[7].
La santé fragile de Gambetta est souvent mise à mal par son rythme de travail et son hygiène de vie. En, il est frappé d'une violente crise dedysenterie qui le laisse presque mort selon son biographeGérard Unger[193]. En, il se tient quelque temps à l'écart de la vie politique en raison d'unephlébite[194]. Sa mort est finalement provoquée par unepérityphlite qui découle probablement d'un cancer de l'intestin ou de l'estomac[144].
« Un petit avocat et un grand général » : Gambetta enreprésentant en mission dictant ses ordres au généralTrochu vêtu d'une robe d'avocat, l'air soumis. Lithographie dePilotell, vers 1871.
S'il n'exerce effectivement le pouvoir que lors de deux courtes périodes, à savoir sa participation à laDéfense nationale en 1870-1871 et saprésidence du Conseil en 1881-1882, Léon Gambetta incarne tout au long de sa carrière politique« la figure de proue de l'opposition républicaine » et suscite de ce fait de nombreux commentaires[89]. L'historienne Odile Sassi précise que, chez le tribun,« tout est scruté, observé dans les moindres détails et surtout commenté ». Gambetta est notamment« suivi, écouté et espionné par les hommes de laPréfecture de police », tandis que la presse de tous bords« se fait l'écho de ses mouvements et paroles »[89]. Il est de ces hommes politiques qui ne laissent personne indifférent et suscite donc des réactions très contradictoires[89].
Dès les premières années de sa carrière, Léon Gambetta est largement discrédité par ses adversaires politiques qui raillent ses origines[89]. Quand il évoque l'avènement de la petite bourgeoisie et des« couches sociales nouvelles », ses détracteurs moquent la modestie de son milieu social, à l'image du journaliste catholiqueLouis Veuillot qui fait de lui le représentant de« la ribote dans le sang, l'histrionisme cynique »[195].Albert de Broglie, l'un de meneurs de la droite conservatrice, le surnomme« Gesticulata », en référence à son tempérament fougueux et à ses origines italiennes[195].
C'est ensuite son attitude pendant lesiège de Paris, et notamment sa volonté acharnée de poursuivre la guerre, qui est critiquée[89]. La majorité conservatrice issue desélections législatives de 1871 fait de Gambetta le responsable de la défaite dans leconflit avec la Prusse et l'accuse d'avoir été une sorte de prélude de laCommune. Son action est également dénoncée par l'extrême gauche qui l'apparente à la répression sanglante de cette insurrection sans pour autant qu'il y ait pris part[196]. Dès son entrée en fonction, la nouvelleAssemblée élue nomme une commission d'enquête chargée de mettre en lumière les erreurs et abus de pouvoir de Gambetta, mais ses conclusions sont sans effet : quand elle rend son rapport quelques années plus tard, les républicains sont majoritaires à laChambre des députés et la République plus solidement ancrée par le vote deslois constitutionnelles de 1875[196].
Tandis queMarianne lit des communiqués triomphants, Gambetta refuse sa porte à la Vérité souhaitant révéler ladésastreuse situation militaire. Caricature publiée dansPunch,.
Les griefs à l'encontre de Gambetta résident principalement dans sa volonté de poursuivre la guerre. Envoyé àTours comme représentant duGouvernement de la Défense nationale, il prend une série de mesures d'urgence et s'arroge la responsabilité du ministère de la Guerre alors que rien dans sa lettre de mission ne va pourtant dans ce sens. Ses détracteurs y voient une preuve de sa soif de pouvoir et de son ambition dévorante, ce qui fait naître la légende noire du« Gambetta dictateur »[197],[198]. La volonté du ministre de poursuivre la« guerre à outrance » alors que la capitale affronte les souffrances du siège le coupe peu à peu d'une partie de l'opinion[199]. La romancièreGeorge Sand écrit à son sujet dans leJournal d'un voyageur pendant la guerre :« Nous avons bien le droit de maudire celui qui s'est présenté comme capable de nous mener à la victoire et qui ne nous a menés qu'au désespoir. Nous avions le droit de lui demander un peu de génie, il n'a même pas eu de bon sens »[200].Adolphe Thiers le qualifie de« fou furieux »[89] et affirme que, si la guerre n'avait pas été prolongée, la France aurait« moins perdu en territoire et moins donné en indemnité de guerre ». Blâmant le tribun et ses partisans devant l'Assemblée nationale le, il poursuit :« Ils se sont trompés, gravement trompés : ils ont prolongé la défense au-delà de toute raison ; ils ont employé […] les moyens les plus mal conçus qu'on ait employés à aucune époque, dans aucune guerre […] Nous étions tous révoltés, je l'étais comme vous tous contre cette politique de fous furieux qui mettaient la France dans le plus grand péril ». De la même manière, le général Trochu lui reproche« d'avoir voulu faire prédominer ses passions politiques dans les questions où elles n'auraient pas dû trouver place, par exemple dans la défense du pays réduit aux dernières extrémités »[89]. L'extrême gauche ne l'épargne pas non plus, à l'image du journaliste et écrivainJules Vallès qui le présente comme« un mélange de libertinage soulard et de faconde tribunicienne » et le traite de« Danton de pacotille »[201].
Gambetta dépeint en soleil-tournesol réchauffant« le patriotisme engourdi dans les provinces » durant laguerre. Caricature par Alfred Le Petit, série « Fleurs, fruits et légumes du jour »,L'Éclipse, 1871.
Pour autant, nombre de ses contemporains soulignent sa détermination pendant cette sombre période. Le sénateurMichel Chevalier décrit Gambetta comme« un chef éloquent, énergique, audacieux […], un athlète formidable de bien des manières, au tempérament impérieux »[199], tandis queJules Simon, membre comme lui du Gouvernement de la Défense nationale et avec qui il entretient de mauvais rapports, salue son action :« On peut dire sans exagération qu’il avait fait des prodiges. Il avait créé des armées et des généraux, gagné des batailles, réparé des défaites, pourvu aux nécessités les plus urgentes de l’ordre, ranimé les hésitants, surexcité le courage des autres, résisté aux intrigues et à la malveillance des partis, conclu des marchés et des emprunts, trouvant encore le temps, au milieu de ce travail, d’écrire des lettres dont quelques-unes sont admirables, et de prononcer des harangues enflammées qui remplissaient les cœurs d’enthousiasme »[199].
De même, Gambetta suscite l'admiration de certains responsables politiques étrangers. Le président du gouvernement de lapremière république espagnoleEmilio Castelar y Ripoll, qui l'a rencontré lors de son voyage àSaint-Sébastien en 1871, voit en lui« l'équilibre de l'idée et de l'action, l'harmonie de l'intelligence et de l'activité »[202].
Jusqu'à sa mort, son charisme exceptionnel et sa capacité à captiver la foule déplaisent à ses adversaires qui l'accusent fréquemment« d'utiliser ses tournées républicaines comme une marche triomphale vers le pouvoir »[165]. Les représentants de l'extrême-gauche se montrent souvent les plus virulents :Louis Ulbach condamne« ces parodies un peu césariennes, ce recrutement par l'enthousiasme, cette usurpation du sentiment public, au profit d'un seul », quandHenri Maret est encore plus caustique :« La bassesse humaine a toujours besoin d'une idole. […] On n'a plusBonaparte, on n'a plusRouher, on n'a plusMorny, mais on a Gambetta »[165]. Certains élus radicaux commeLouis Blanc ouAlfred Naquet refusent même de siéger à ses côtés à une tribune[165].
Léon Gambetta fait l'objet de nombreux travaux biographiques et historiques qui s'accordent sur son rôle prépondérant dans l'avènement de laTroisième République[20]. Bien que tous les historiens mettent en avant les qualités exceptionnelles du tribun et son charisme, les jugements à son égard divergent : certains, comme Pierre Antonmattei,Paul Deschanel ouPaul Brulat, saluent son génie politique, quand d'autres dénoncent une supposée tyrannie, à l'image deDaniel Amson ouLéon Daudet[20]. L'historienne Odile Sassi le présente comme l'homme politique le plus charismatique de son époque dans la mesure où il ne laisse personne indifférent :« qu'on l'aime ou qu'on le haïsse, qu'on le soutienne ou qu'on le critique, nul n'est neutre vis-à-vis de sa personne et toutes ces images constituent l'armature d'un personnage hors du commun »[89].
Deuxpoilus devant une citation de Gambetta : « Avec vous et par vous, nous jurons de sauver la France. » Affiche de « La Journée du Poilu »,.
L'action de Gambetta est saluée par de nombreux historiens dès les premières années après sa disparition[165]. Dans sonHistoire illustrée de la Troisième République, publiée en 1884, Henri Girard présente le tribun comme le« parangon du patriotisme », le meilleur des Français et comme un« républicain et démocrate » dont« on ne conçoit pas, vraiment, que certains l'aient accusé de rêver la dictature »[203]. Ami de Gambetta, dont il fut notamment le directeur de cabinet,Joseph Reinach devient son biographe officiel : il multiplie les études sur la vie et l'œuvre de l'homme politique entre 1884 et 1918 et publie également une édition posthume en onze volumes de ses discours[204]. L'historienJean Garrigues constate que dans les travaux consacrés au tribun jusqu'à laPremière Guerre mondiale, c'est avant tout le patriote de 1870 qui est exalté, bien plus que le chef républicain de gauche. C'est le cas notamment dans la biographie que lui consacre en 1919 le futur président de la RépubliquePaul Deschanel[139].Gérard Unger appuie ce constat et affirme que« durant toute la période qui court de 1883 à 1920, Gambetta est l'incarnation de la République et de la défense du pays », de sorte que« son action comme ses idées sont le fondement de l'« Union sacrée » de 1914 »[188].
En 1938, à l'occasion du centenaire de sa naissance, les historiensDaniel Halévy et Émile Pillias entreprennent un nouveau travail d'analyse à travers l'édition des lettres du tribun, tandis que l'historien britannique Patrick Bury entame la rédaction d'une biographie en plusieurs volumes[205], rééditée en 1973[206]. Plusieurs cérémonies ont lieu, ainsi qu'une exposition inaugurée par le ministre de l'Éducation nationaleJean Zay[205]. DansLa France et son armée,Charles de Gaulle, encore simple colonel, exprime son admiration :« Gambetta personnifie devant l'histoire le sursaut de la patrie […]. Il eut des dons de chef et l'audace d'en faire usage, en un temps où la France succombait, faute d'être conduite »[207].
Après 1945, malgré le relatif effacement du souvenir de laguerre de 1870-1871 et de la naissance de laTroisième République dans la mémoire collective, plusieurs historiens lui consacrent des travaux[205]. En 1968,Jacques Chastenet publie une étude sur son œuvre puis en 1973,Philippe Vigier lui consacre une journée d'études avec l'appui du « Comité Gambetta », présidé parGeorges Wormser[205]. Une exposition se tient entre et auMusée du Luxembourg pour marquer le centenaire de sa mort tandis qu'un colloque est organisé simultanément[205]. L'exposition intitulée « Léon Gambetta : un saint pour la République ? » se déroule quelques années plus tard, de à à lamaison des Jardies puis de mai à auPanthéon[20],[208].
Gambetta représenté en éminente figure républicaine dans uneimage d'Épinal imprimée en 1883, peu après sa mort.
Marianne entourée par Gambetta,Victor Hugo et plusieurs autres républicains. Gravure anonyme, 1880.
En 2022, il est choisi parmi les grandes figures de lagauche française réunies dans un ouvrage écrit sous la direction deMichel Winock[139]. Pour Jean Garrigues, qui contribue à cet ouvrage, Gambetta incarne l'histoire de la gauche auXIXe siècle à la fois pour ses combats contre leSecond Empire et contre l'ordre moral défendu par les monarchistes et le présidentMac Mahon dans les premières années de laTroisième République. En faisant la balance entre la nécessité de compromis pour exercer le pouvoir et la volonté de poursuivre les transformations économiques et sociales de la société, Gambetta incarnerait par ailleurs l'invention de la gauche au pouvoir[139]. La même année,Anne Carol, spécialiste de l'histoire de la médecine et de la mort, livre une enquête très poussée sur« le cadavre du grand homme, incarnation par excellence d'un corps politique dans la France de la fin duXIXe siècle »[209].
Finalement, sa carrière politique est jugée paradoxale : bien que l'impact de ses discours ait dépassé largement celui des autres figures politiques de son temps et qu'il ait joué un rôle majeur dans la fondation et l'affermissement de la République, il n'a exercé effectivement le pouvoir que très rarement[89]. Pour Odile Sassi, c'est parce que Gambetta a longtemps effrayé ses pairs :« par son pouvoir sur les hommes, par son charisme même, bien que le mot n'ait jamais été employé par ses contemporains, il a laissé penser qu'il y avait chez lui une volonté de dictature ou du moins de domination, ce qui ne pouvait que faire peur et pousser ses ennemis, affichés ou non, à tout mettre en œuvre pour le réduire à l'impuissance »[89].
Gambetta à la Défense nationale : symbole de résistance ou dictateur acharné ?
Assisté de sescyclopes, « Gambetta-Vulcain » forge des décrets et des proclamations en sus defusilsChassepot. Caricature de la série « La mythologie politique » parPaul Hadol, 1872.
La participation active de Léon Gambetta augouvernement de la Défense nationale fait naître deux légendes qui s'opposent. D'un côté, ses amis appuient une historiographie qui met en avant le patriote organisateur de la lutte armée, symbole de la résistance à l'ennemi, une image amplifiée par son décès prématuré en 1882[196]. De l'autre naît une forme de « légende noire » qui présente Gambetta comme un dictateur à la tête dugouvernement de la Défense nationale. Malgré l'échec de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale à le démontrer, ce jugement négatif perdure et l'historiographie immédiate duSiège de Paris est majoritairement peu favorable à Gambetta[210].
En 1914, deux colonels proches de l'Action française,Frédéric Delebecque etGeorges Larpent, livrent une analyse à charge et sans concession, sous le pseudonyme deHenri Dutrait-Crozon[196]. Les conservateurs ne sont pas les seuls à vilipender le tribun : certains républicains modérés, commeJules Grévy, critiquent eux aussi la Défense nationale qui aurait desservi laRépublique en donnant l'image d'un gouvernement brouillon et autoritaire, laissant ainsi le champ libre aux monarchistes. La victoire de ces derniers lors des élections législatives de 1871 est alors présentée comme un désaveu de la politique de« guerre à outrance » menée par Gambetta, même si les travaux de l'historien Éric Bonhomme contredisent cet échec électoral[196].
Dans sa thèse consacrée à l'exercice du pouvoir par la Défense nationale, publiée en 1996 sous la direction deJean-Marie Mayeur, Éric Bonhomme affirme que la défaite des républicains doit être relativisée dans la mesure où ils passent d'une représentation négligeable dans leCorps législatif des derniers mois de l'Empire (8,5 % des élus) à une situation de forte minorité dans l'Assemblée nationale de 1871, avec 23,2 % des élus. La poussée républicaine est manifeste dans de nombreux départements, ce qui permet de placer cette élection comme une étape significative de la conquête de l'opinion publique par les républicains. Il contredit par ailleurs l'assertion d'un « Gambetta dictateur » en affirmant qu'il met en place un gouvernement unitaire et libéral, à la fois modéré et pragmatique dans son fonctionnement[196]. De la même manière, l'historien britannique John Patrick Tuer Bury cherche à réhabiliter l'action du tribun dansGambetta défenseur du territoire, 1870-1871, publié en 1937, sans pour autant cacher les faiblesses de son action[196].
Dès le premier anniversaire de sa mort, ses amis cherchent à honorer sa mémoire en se retrouvant à lamaison des Jardies, dans le lieu même où Gambetta est décédé un an plus tôt. Le premier rassemblement est organisé le[211]. Des proches, des rédacteurs de ses journaux, des députés républicains et des membres de son comité électoral assistent à ce moment de recueillement empreint de solennité au point d'être qualifié de« pieux pèlerinage » par certains des participants[211]. De fait, cette rencontre perpétuée chaque année et pendant plusieurs décennies donne lieu à des comptes-rendus parfois très détaillés dans la presse généraliste de l'époque[211]. Pour l'historien Jérôme Grévy, ces rencontres du souvenirs passent progressivement« du deuil funéraire intime à la célébration républicaine », en ce sens qu'un véritable rite se met peu à peu en place. Tandis que les intimes du tribun continuent de se réunir chaque, le pèlerinage officiel se déroule le dimanche suivant et accueille plusieurs centaines de participants. Il donne lieu à un cérémonial très cadré qui commence par l'accueil des différentes délégations à la gare deVille-d'Avray par le maire républicain deSèvres et se poursuit par le dépôt d'une couronne dans la chambre mortuaire par la délégation municipale, une série de discours et un banquet animé par unorphéon républicain[211].
La sacralisation progressive de la maison des Jardies fait de Gambetta un« saint laïque » et participe d'un mouvement de réhabilitation de son image politique et de son action. Décrite par un journaliste comme le« temple de la religion de la patrie », la maison de Gambetta, par sa modestie, oppose définitivement l'austérité de la République aux fastes de l'Empire et de l'Ancien régime[211]. Plus encore, le pèlerinage qui se met en place ne relève pas seulement d'une démarche mémorielle mais il revêt aussi le caractère d'une manifestation politique et les discours prononcés prennent parfois des accents programmatiques, comme celui dePierre Waldeck-Rousseau en 1898. Au tournant duXXe siècle, les grandes figures gouvernementales se pressent à la maison des Jardies et le sénateurJules Cazot déclare notamment en 1895 :« que l'ombre de Gambetta se rassure ; le grand homme n'est pas mort tout entier, il vit dans nos esprits et dans nos cœurs. Nous ne nous réunissons pas ici seulement pour glorifier sa mémoire mais surtout pour nous inspirer de son génie et de ses exemples »[211].
La maison des Jardies àSèvres, photographiée lors du cinquantenaire de la mort de Gambetta en 1932.
La grande cérémonie du, qui célèbre à la fois le cinquantenaire de laTroisième République et lavictoire, est l'une des dernières grandes manifestations du souvenir de Gambetta, dont le souvenir s'estompe peu à peu. Pour Jérôme Grévy,« le déclin du pèlerinage gambettiste est le reflet de l'évolution du regard porté sur laIIIe République. […] Les maux de l'entre-deux-guerres furent attribués aux erreurs initiales des fondateurs du régime. Les héros d'hier furent, au pire, rendus responsables des errements du temps présent, au mieux rangés au placard des accessoires désormais inutiles »[211]. Le courantpacifiste né des souffrances endurées par les soldats pendant laPremière Guerre mondiale rejette le culte de la patrie et, d'autre part, la montée ducommunisme entend combattre la« République bourgeoise » cependant que le renouveau de l'Action française, sous la plume deCharles Maurras, vilipende le« métèque Gambetta » fondateur de la« Gueuse »[205].
En 1932, le cinquantenaire de la mort de Gambetta est néanmoins célébré par le président du ConseilJoseph Paul-Boncour qui se rend à la maison des Jardies pour y superviser les travaux de rénovation entrepris par l'État qui choisit d'en faire un musée souvenir[211].
En un monument à la gloire de Gambetta est érigé àCahors. Conçu par l'architectePaul Pujol et sculpté parAlexandre Falguière, il est inauguré par le président du ConseilJules Ferry et représente Gambetta posant sa main droite sur le fût d'un canon, tandis que sa main gauche désigne laligne bleue des Vosges. À ses pieds se trouvent un soldat blessé et un marin prêt à tirer, tandis que le piédestal comporte plusieurs inscriptions, dont un extrait de la proclamation du ministre le :« Français, élevez vos âmes et vos résolutions à la hauteur des effroyables périls qui fondent sur la patrie… »[188]. Lemusée de la ville de Cahors conserve par ailleurs de nombreux objets produits à l'effigie de Léon Gambetta avant 1914, principalement des bustes sculptés, des médaillons ou des assiettes[165], tandis qu'un buste en bronze exécuté parAntonin Mercié est déposé sur une colonne dans la cour du collège Gambetta en 1889[212].
À la veille du, une première plaque commémorative est apposée sur lamaison des Jardies par le comité électoral du20e arrondissement. Sept ans plus tard, à l'initiative des associations d'Alsaciens et Lorrains, un monument exécuté parAuguste Bartholdi est érigé dans le jardin de la villa. La structure, dans laquelle est déposé le cœur du tribun, le représente avec les allégories des deux provinces à ses pieds[211]. En 1902, la ville deSaint-Maixent-l'École inaugure un monument à la Défense nationale au pied duquel figure un buste de Gambetta, réalisé par Georges Loiseau-Bailly[213]. Le, un monument exécuté parFélix Charpentier est inauguré àCavaillon. Le buste de Gambetta y est accompagné d'une figure féminine, personnification de la cité vauclusienne qui se fait pardonner de la manifestation royaliste hostile qui a perturbé la visite du tribun dans cette ville en 1876[214],[188]. En 1909, la ville deNice fait construire unmausolée parLouis Maubert[188] et, la même année, une colonne surmontée d'un buste du tribun est inaugurée àÉpineuse pour commémorer la descente en ballon de Gambetta lors duSiège de Paris en 1870[215]. Une autre statue en bronze ornait la place Gambetta auNeubourg, dans le département de l'Eure, mais elle est fondue en 1942 par le régime de Vichy[216]. La statue exécutée parThéophile Barrau àNarbonne en 1903 connaît le même sort[217]. De même, un monument fondu en même temps que celui de Cahors et installé en 1889 àSaïgon disparaît vers 1955[218].
L'érection de ces monuments donne lieu à de grandes manifestations populaires. À titre d'exemple, plus de cent mille personnes assistent à l'inauguration du monument Gambetta sur lesallées de Tourny à Bordeaux le, en présence du président de la RépubliqueÉmile Loubet et de neuf ministres[165]. En 1905, la Société Gambetta est créée, présidée parPierre Deluns-Montaud puis parArthur Ranc etEugène Étienne[188].
Les conditions matérielles de l'autopsie de Gambetta et le temps restreint dans lequel elle s'effectue rendent impossible l'examen approfondi de son corps. Le docteur Lannelongue demande alors que des recherches complémentaires soient pratiquées. Il souhaite notamment prolonger ses investigations sur la blessure au bras qu'il a soignée, le trajet de la balle et les lésions occasionnées, tandis que les membres de la Société d'autopsie mutuelle veulent étudier son cerveau afin de poursuivre les travaux sur les localisations cérébrales menés parPaul Broca. Par ailleurs, le chirurgienVictor André Cornil emporte des morceaux d'intestin. Si ces prélèvements répondent à une logique scientifique, d'autres sont effectués dans un but mémoriel. Ainsi, son ancien ministrePaul Bert, également médecin etphysiologiste, s'empare du cœur qu'il ne considère pas comme une pièce anatomique mais comme une véritable relique sentimentale et nationale, digne d'être conservée et de faire l'objet d'un culte[147].
Lecatafalque du cœur de Gambetta durant les cérémonies du.
L'urne renfermant le cœur de Gambetta au Panthéon.
Le flacon renfermant l'œil de Gambetta.
Les différentes parties du corps de Gambetta connaissent des fortunes diverses. L'absence de la tête dans son cercueil n'est constatée qu'en 1909, quand son cadavre est exhumé pour le transférer dans un tombeau plus monumental. Les circonstances de cette amputation sont incertaines mais selon l'historienne Anne Carol, elle aurait été opérée par Jules Talrich, chargé de lamise en bière après l'autopsie, qui a réalisé par ailleurs un moulage intracrânien[147]. Le cerveau de Gambetta figure d'abord dans les collections dumusée de l'Homme, puis dans celles duMuséum national d'histoire naturelle, tandis que le bras disséqué et les portions d'intestin prélevées ont disparu[147]. Le moulage de son cerveau est exposé dans lemusée Orfila puis conservé à lafaculté de médecine de Montpellier[223]
L'œil droit de l'homme d'État, énucléé en 1867, est d'abord gardé par sa sœur puis confié au musée de la ville de Cahors parmi d'autres reliques[7]. Il est conservé dans un flacon portant une étiquette avec l'inscription « Gambella » et la signature du docteurLouis de Wecker qui a réalisé l'opération[7].
« Dans les grands jours de deuil où la France envahie, Succombait affolée aux pieds des oppresseurs, Lui seul ressuscitant l'âme de la patrie, Pour le sol mutilé demandait des vengeurs[225] »
Quelques années plus tard, en1897, Gambetta figure dansLes Déracinés, le roman deMaurice Barrès. Il y est l'inspirateur et le maître-à-penser d'un professeur de philosophie, Paul Bouteiller, jeune normalien admirateur deKant et dévoué auparti radical[226].
↑ab etcSusanFoley, « J'avais tant besoin d’être aimée… par correspondance : les discours de l'amour dans la correspondance de Léonie Léon et Léon Gambetta, 1872-1882 »,Clio,no 24,(lire en ligne).
↑Guillaume Marrel,L'Élu et son double : Cumul des mandats et construction de l’État républicain en France du milieu duXIXe au milieu duXXe siècle, Institut d'études politiques de l'Université Grenoble II,, 776 p.(lire en ligne),p. 108.
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FrancisLaur,Le Cœur de Gambetta : portrait de Mme L. L. ; une liaison historique ; lettres de Gambetta ; Léon Gambetta, Léon XIII et Léonie Léon ; Bismarck et les Jardies ; la vérité sur l'accident de Gambetta ; les lettres de Mme L. L. ; des fleurs pour sa tombe ; Gambetta au Panthéon, Paris, Francis Laur,,4eéd., 423-IIp.(lire en ligne surGallica).
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ChristianLassalle, PatrickFavardin et O. A.Schmitz (catalogue établi par),Hommage à Léon Gambetta : Musée du Luxembourg, -, Paris, Délégation aux célébrations nationales,, 159 p.
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