La lèpre fut longtemps incurable et trèsmutilante, entraînant au cours de l'histoire de nombreux pays l'exclusion systématique des lépreux et leur regroupement dans desléproseries comme mesure essentielle deprophylaxie.
La maladie est aujourd'hui traitable parantibiotiques ; des efforts de santé publique sont faits pour le traitement des malades, l'équipement enprothèses des sujets guéris et laprévention[3].
M. leprae n'a jamais pu être cultivéin vitro, mais il peut être inoculé dans lecoussinet plantaire de la souris ou chez letatou à neuf bandes[5],[7] dont la température centrale habituelle est34 °C[4].
En 2008, avec les nouvelles techniques de biologie moléculaire, une nouvelle espèce de mycobactérie a été découverte chez des lépreux duMexique :Mycobacterium lepromatosis(en). Celle-ci donne aussi la lèpre (même maladie, même réponse aux traitements), est indiscernable deMycobacterium leprae en microbiologie classique, mais génétiquement assez différente pour constituer une deuxième cause de lèpre[8],[9],[7].
M. leprae etM. lepromatosis auraient divergé d'un ancêtre commun, il y a 10 à 14 millions d'années, soit parcoévolution (parasitisme intracellulaire deshominidés), soit par transmission plus récente au genreHomo, ce qui ferait de la lèpre la plus ancienne maladie infectieuse de l'humanité, à partir d'unendosymbiote devenu pathogène[10],[7].
Bien que des scientifiques (commeIndira Nath, en Inde) aient consacré leur vie à l'étude de cette maladie,« de nombreuses questions subsistent quant à son mode de transmission et à son épidémiologie »[11] ; l'épidémiologie de cette maladie est encore mal comprise. On a longtemps pensé que l'humain était l'hôte unique et obligatoire de cette bactérie, mais elle semble aussi avoir une composantezoonotique.
Les premières observations de lèpre ou pseudo-lèpre animale remontent au début duXXe siècle. Une lèpre du ratRattus norvegicus a été décrite en 1903, due àMycobacterium lepraemurium. Des lésions d'allure lépreuse ont été signalées chez le buffle, le chat, ou la grenouille[12]. La plupart de ces observations sont restées sans lendemain ou attribuées à desmycobactéries atypiques, en restant longtemps anecdotiques et de peu d'importance[13],[7].
Jusqu'aux années 1960, toutes les inoculations expérimentales deM. leprae aux animaux de laboratoire n'ont rien donné[12].
Tatou à neuf bandes dans son milieu naturel, ici les marécages deFloride.
D'autres espèces de tatous ont été expérimentées aux États-Unis et en Amérique du Sud, faisant du tatou l'animal de laboratoire de choix pour l'étude de la lèpre par obtention de quantités considérables de bacilles lépreux (qui restent incultivablesin vitro)[14].
En 1975, les premiers cas de tatous sauvages atteints de lèpre en milieu naturel sont publiés[7]. Il s'est avéré depuis que 15 % des tatous sauvages de laLouisiane et duTexas ont été retrouvés porteurs de la maladie, laissant penser que cette mycobactérie a des besoins très spécifiques[11].
L'origine de cette lèpre des tatous sauvages a fait l'objet d'une controverse concernant un éventuel accident de laboratoire. Les études tendent à montrer que cette lèpre sauvage du sud des États-Unis a précédé la lèpre expérimentale[7]. Elle daterait d'une immigration norvégienne duXVIIIe et XIXe siècles (où sévissait une épidémie de lèpre), les tatous s'infectant au contact de lépreux[15].
Écureuil rouxSciurus vulgaris, réserve naturelle d'Alverstone Mead de l'île de Wight (Royaume-Uni).
Cette découverte est inattendue, d'abord parce que la lèpre était considérée comme exclusivement humaine (à l'exception du tatou), et ensuite parce qu'on pensait que la lèpre avait disparu du Royaume-Uni[7].
Les souches deM. leprae isolées des écureuils roux sont les mêmes que celles de la lèpre médiévale d'Angleterre et du Danemark, et elles sont très proches de celle des tatous du sud des États-Unis. Le commerce médiéval de lafourrure d'écureuil aurait pu jouer un rôle dans la transmission de la lèpre entre humains et écureuils[7].
À la date de 2020, malgré plusieurs études de surveillance, aucune infection àM. leprae n'a été retrouvée chez des écureuils ou autres rongeurs sauvages en dehors du Royaume-Uni (Europe continentale, Sibérie, Mexique)[17],[7].
En 2024, la première étude réalisant une approcheOne Health dans l'archéologie de la lèpre montre que des écureuils rouxSciurus vulgaris de l'Angleterre médiévale étaient porteurs deM. leprae étroitement apparentées à celles d'humains de la même région et de la même époque[18],[19].
Signes cliniques de lèpre chez 2 chimpanzés femelles : a, gros nodules hypopigmentés sur tout le corps ; défiguration et lésions sur lesoreilles,main et despieds (avec lésions ulcérées et gonflement). b, Lésions en plaques sur tous les membres + perte depilosité. c, Gros nodules hypopigmentés sur la face, défiguration extrême du visage et des oreilles, plaques ulcérées sur les bras etmamelons. d–g, Signes cliniques chez un chimpanzé mâle adulte : d, Multiples nodules hypopigmentés sur oreilles,arcades sourcilières, bord des paupières, narines, lèvres et entre la lèvre supérieure et le nez. e, Hypopigmentation et gonflement des mains avec ulcérations et perte de pilosité sur la face dorsale des articulations. f, Main : perte d'ongles et croissance anormale d'ongles. g, rougeur et ulcération duscrotum avec sang frais
En 1977, des lésions à type de lèpre sont signalées chez un chimpanzé (Pan troglodytes) en captivité, il s'avère par la suite qu'il s'agissait bien d'une infection àM. leprae[7].
Des études ultérieures rapportent cette même infection chez d'autres singes en captivité, comme le mangabey fuligineux (Cercocebus atys) et le macaques cynomolgus (Macaca fascicularis)[20],[21]. L'origine exacte de leur contamination est incertaine (acquise en captivité ou avant, en milieu sauvage)[7].
Le microbe a été retrouvé dans lesexcréments de ces animaux, et desautopsies ont confirmé la présence deM. leprae comme cause des symptômes. Une étudephylogénomique a comparé ces souches avec d'autres souches humaines et animales ; montrant qu'elles appartiennent à deux génotypes différents, et rares (4N/O et 2F). On avait donc sous estimé la circulation du bacille de la lèpre chez les animaux sauvages à la suite d'une contamination par l'homme ou par d'autres modes de transmissions mal connus, notamment environnementaux[22].
Des études expérimentales cherchent à établir la possibilité de transmission par insectes vecteurs tels que la punaiseRhodnius prolixus, les moustiquesAedes aegypti etCulex quinquefasciatus, ou la tiqueAmblyomma sculptum[7].
La transmission deMycobacterium leprae est mal connue, mais la transmission interhumaine est la principale. Elle se fait via lesvoies aériennes supérieures par inhalation de « postillons » d'un lépreux atteint de lèpre lépromateuse. Les patients non traités, atteints de ce type de lèpre, hébergent un grand nombre deM. leprae dans leur muqueuse nasale, les sécrétions nasales, la salive, les lésions cutanées (d'où le nom de formes multibacillaires)[6].
La transmission se fait également au contact d'ulcérations ou de plaies cutanées, enfin par l'intermédiaire d'objets souillés : linge, natte, oreillers…
Selon ses formes cliniques, la lèpre peut être non ou peu contagieuse. C'est le cas de la lèpre tuberculoïde, notamment à lésion unique ou peu nombreuse (formes dites paucibacillaires)[6].
La transmission héréditaire[23] n'existe pas, mais une transmission congénitale semble possible (la transmission congénitale n'a été observée que chez letatou à neuf bandes (Dasypus novemcinctus)[24]).
En 2011, une étude suggère qu'une transmission serait possible du tatou à l'être humain[25], ainsi qu'un cas de patient - ancien chasseur de tatous - ayant développé la maladie en 2019 (rapporté par des médecins dans leBritish Medical Journal[26]). En 2024, une étude indique qu'une transmission s'est faite entre humain et écureuils roux dans l'Angleterre médiévale[19].
Les facteurs de risques facilitant la transmission sont[4] :
Contacts étroits et durables au cours d'une promiscuité de type familial ;
exposition au tatou à neuf bandes (chasseur de tatou, consommateur de viande de tatou) ;
l'âge, lapériode d'incubation, exceptionnellement longue (plusieurs années), explique que lorsque la maladie se contracte durant la petite enfance, elle apparait chez les grands enfants ou chez les jeunes adultes, puis un deuxième pic survient à partir de l'âge de 30 ans (risque continu avec l'âge) ;
influence génétique, selon les caractéristiques individuelles de l'immunité innée. Cette influence parait déterminante, quelle que soit la distance et la durée des contacts (par exemple la lèpre conjugale est peu fréquente[13]) ;
La lèpre étant causée par une bactérie intracellulaire, l'immunité humorale paranticorps circulants (immunoglobulines) n'est guère utile pour combattre l'infection. La principale défense contre la lèpre est l'immunité cellulaire faisant appel auxlymphocytes T[27].
Si cette immunité cellulaire est peu développée (enfants de moins de deux ans) ou compromise (femmes enceintes…), le risque de voir la lèpre se développer (à exposition égale) est plus élevé. On connaît mal les facteurs qui déclenchent la survenue des manifestations lépreuses[27].
Globalement, lors d'une exposition àM. leprae, seule une minorité de sujets estimée à 5 % sont susceptibles de présenter une lèpre-maladie[28]. La maladie est probablement acquise dans l'enfance, pour apparaître tardivement sous des formes indéterminées, puis elle est le plus souvent diagnostiquée chez l'adulte, selon des formes modulées par la réponse immunitaire (efficacité plus ou moins grande de l'immunité cellulaire, en particulier des lymphocytes T)[6].
Schématiquement, la lèpre se manifeste sous deux formes : la forme tuberculoïde (en cas de bonne immunité) dans 60 % des cas, et la forme lépromateuse (en cas de faible immunité) dans 40 % des cas[5].
Dans la forme tuberculoïde, la dissémination du germe semble limitée (lèpre paucibacillaire – avec peu de bactéries –) et labiopsie de la peau montre une prédominance delymphocytes CD4+ et un milieu riche eninterleukine 2 et eninterféron gamma ;
dans la forme lépromateuse, la dissémination dubacille est beaucoup plus importante (lèpre multibacillaire – avec bactéries nombreuses – et la biopsie de peau montre une présence prédominante delymphocytes CD8+ et d'autrescytokines[29].
Cette différence de réponse pourrait être due à une prédisposition d'ordre génétique chez l'hôte, certaines mutations de typepolymorphisme nucléotidique simple étant plus fréquentes dans certains gènes intervenant dans les réactions immunitaires[30].
Dans les années 1980, le nombre de lépreux dans le monde était estimé à 11,5 millions, dont 5 millions de cas enregistrés. Plus d'un milliard de personnes vivaient dans une région endémique (prévalence des cas supérieure à 1 pour mille habitants). Ces régions les plus touchées sont des régions tropicales, surtout l'Asie desmoussons (principalement l'Inde avec 4 millions de lépreux), l'Afrique tropicale et leBrésil[31].
En France, selon une estimation, près d'un millier de lépreux étaient suivis en métropole dans les années 1970[32], la moitié étant des immigrants en provenance de pays d'endémie, l'autre moitié des personnes de laFrance d'Outremer[31].
Avec la mise en place de la multithérapie (association de 3 médicaments) à l'échelle mondiale, la lèpre a été éliminée comme problème de santé publique dans 119 pays où elle était endémique. Le taux de prévalence a chuté de 90 %, passant de 21 cas pour 10 000 habitants en 1985 à moins de 1 en 2000[33],[34].
En quatre décennies (1980-2020), plus de 17 millions de lépreux ont eu accès à la multithérapie[35].
Une phase de plateau depuis le début duXXIe siècle
En 2021, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) fait état de 141 pays rapportant 140 594 nouveaux cas, dont 9 052 enfants de moins de 15 ans, soit 4,5 nouveaux cas de lèpre par million d'enfants[39]. Ces chiffres officiels sont à corriger du fait de lapandémie de Covid-19 qui perturbe la lutte contre la lèpre et la déclaration des nouveaux cas[39] (la réduction de 37 % en 2020 par rapport à 2019 serait liée à une insuffisance de surveillance)[40].
En dépit des efforts de contrôle, la lèpre reste endémique dans de nombreux pays en développement. En 2021, l'Inde, le Brésil et l'Indonésie restent les trois pays qui rapportent le plus de nouveaux cas (74,5 % des nouveaux cas mondiaux)[39].
Le taux d'incidence élevé chez les enfants de moins de 15 ans indique que la population des pays endémiques reste exposée auM. leprae, avec une forte transmission, dans un cadre sanitaire de faible qualité[34].
Il existe différents types de lèpre, réalisant un ensemble continu de formes intermédiaires entre deux extrêmes. Plusieurs classifications sont proposées et discutées tout au long des conférences internationales de léprologie qui se succèdent, depuis les années 1930 jusqu'aux années 1950[41].
Proposée en 1962, et révisée en 1974, c'est la classification longtemps utilisée. Elle se base sur des critères cliniques, histologiques et de réponses aux traitements. Schématiquement, elle distingue trois formes cliniques, deux formes extrêmes dites polaires : lalèpre tuberculoïde et lalèpre lépromateuse, et un ensemble de formes intermédiaires dites interpolaires, instables et susceptibles de se modifier dans un sens ou dans l'autre[31].
Son inconvénient majeur est dû aux critèreshistologiques qui rendent son application difficile dans les pays en développement, faute de moyens et de personnel pour réaliser ces examens de laboratoire[31].
En 1982, l'OMS adopte une nouvelle classification (révisée en 1988)[31] plus opérationnelle, c'est-à-dire plus pragmatique et adaptée aux pays d'endémie et de transmission de la lèpre[6]. Cette classification fait surtout appel à des critères cliniques dans le but de mieux standardiser et réglementer la thérapeutique.Les formes de lèpre sont classées en deux catégories[6] :
Formes paucibacillaires, ≤ 5 lésions cutanées et/ou ≤ 1 nerf atteint, correspondant aux formes tuberculoïdes ;
Formes multibacillaires, ≥ 6 lésions cutanées et/ou plusieurs nerfs atteints, correspondant aux formes lépromateuse et intermédiaires.
La lèpre est l'une des rares maladies qui présente des lésionsdermatologiques avec troublesneurologiques (troubles de la sensibilité cutanée). Elle se distingue aussi par des signes négatifs : absence deprurit, desquames et devésicules[42].
Principaux signes de la lèpre tuberculoïde (affiche des années 1950, Inde).
L'incubation est de 5 ans en moyenne (extrêmes : de quelques mois à plusieurs décennies)[6].
Le stade initial se présente sous la forme d'une lèpre indéterminée. Elle se manifeste par une tache cutanée légèrement décolorée, de quelques cm de diamètre, à limites floues avec de légers troubles de la sensibilité. Cette lésion peut disparaître spontanément ou évoluer vers les autres formes[5].
La lèpre de l'enfant est le plus souvent une lèpre indéterminée[5].
Cette forme de lèpre est la plus fréquente. Elle associe :
de grandes taches dépigmentées sur la peau, qui est devenue insensible au toucher, à bords nets, uniques ou en petit nombre, de répartition asymétrique[5] ; quand leur bordure est en relief infiltré, ce sont desléprides[43].
des troubles nerveux touchant les membres, avec troubles de la sensibilité cutanée (anesthésie). En l'absence de traitement, les anomalies cutanées situées sur le territoire innervé par un nerf atteint peuvent évoluer vers desulcères,maux perforants, paralysies et mutilations[6].
Ces patients ne sont pas contagieux, la charge en bacilles des lésions est nulle ou faible : on ne trouve pas de bacilles dans le suc dermique dulobule des oreilles, pas ou très peu dans labiopsie de peau. Il existe une réponse d'immunité cellulaire avec deslymphocytes circulants qui reconnaissentMycobacterium leprae[6].
Avec un traitement précoce, les lésions initiales peuvent disparaître sans cicatrice[5].
Lépreux d'Afrique de l'Est, en 1906.Deux lépreux enInde, 1960
La lèpre lépromateuse est une maladie générale, c'est-à-dire qui touche plusieurs systèmes et organes, mais où les lésions cutanées et muqueuses prédominent.
L'atteinte cutanée réalise desmaculeshypochromiques discrètes, à contours flous. En l'absence de traitement, apparaissent des lésions typiques, leslépromes, qui sont des plaques,papules ounodules infiltrés, à bordure diffuse et mal limitées, de teinte cuivrée luisante, de sensibilité normale (sans anesthésie)[5],[6].
Ces lésions cutanées sont nombreuses (plusieurs dizaines), réparties sur tout le corps de façon plutôt bilatérale et symétrique. L'atteinte des extrémités (doigts, orteils) et du visage est préférentielle. Dans les formes évoluées, les atteintes du visage réalisent une infiltration diffuse du nez et du lobule des oreilles (faciès léonin) aveccongestion nasale,épistaxis, etalopécie de la queue dessourcils[5],[6].
Dans la lèpre lépromateuse, l'atteinte desnerfs périphériques est plus discrète que dans la lèpre tuberculoïde. Elle associe à des degrés divers une hypertrophie des troncs nerveux et des déficits neurologiques sensitifs ou moteurs.
Entre les deux formes précédentes bien caractérisées, se situe un véritable spectre de formes dites intermédiaires, interpolaires, de transition ou « borderline » pour lesquelles les réactions de défense sont instables et variables, et susceptible d'évoluer vers l'une ou l'autre des extrémités du spectre.
Dans la classification de Ridley et Jopling, trois formes de transition sont distinguées[5] :
L'atteinte neurologique est constante dans toutes les formes de lèpre, c'est elle qui détermine le pronostic de la maladie. La lèpre touche principalement les nerfs périphériques réalisant unenévrite lépreuse. LeMycobacterium leprae, àtropisme neurologique, se multiplie dans lacellule de Schwann et s'infiltre dans les tissus. À terme, le territoire innervé par le nerf atteint subit des troubles de la nutrition tissulaire (troublestrophiques, dits neurotrophiques)[5],[46].
La névrite lépreuse touche d'abord les filets nerveux cutanés, avec troubles des sensibilités superficielles au niveau des macules ; puis elle atteint les gros troncs nerveux périphériques. C'est une névrite hypertrophique où le nerf atteint augmente de volume, en devenant visible quand il est superficiel ou palpable lorsqu'il est plus en profondeur[46].
Au fil des années, unepolynévrite douloureuse déficitaire se constitue. Le déficit touche d’abord lasensibilité thermo-algique, puis la conduction motrice avec déficit moteur (parésie puisparalysie),amyotrophie, et troubles trophiques… L’expression clinique neurologique indique que 30 % des fibres nerveuses sont atteintes par lebacille de Hansen.
En général la chronologie des troubles neurologiques se présente ainsi :
des nerfs crâniens (nerf frontal etnerf facial) : atteintes oculaires jusqu'à lacécité, atteintes oropharyngées entraînant des difficultés pour l’alimentation, l’élocution et donc des difficultés d’ordre psychosocial. Chez les malades anciens non traités, laparalysie faciale devient bilatérale réalisant lefaciès antonin (visage figé et inexpressif, yeux fixes restant ouverts pendant le sommeil, bouche inerte et baveuse)[46].
du membre supérieur : cubital et médian (main en griffe ou « de singe »),radial (main tombante avec impossibilité de la relever).
du membre inférieur : sciatique poplité externe et tibial postérieur (pied tombant,steppage à la marche, griffe des orteils ou orteils en marteau). Dans un second temps, des rétractions tendineuses peuvent immobiliser le pied dans une mauvaise attitude, réalisant lepied bot lépreux[5],[46].
Il existe des formes neurologiques « pures » (moins de 10 % des cas de lèpre) avec absence de lésions cutanées. Elles doivent être suspectées chez des patients exposés (résidant ou provenant de région endémique de lèpre) présentant une neuropathie asymétrique. La manifestation la plus commune étant la griffe cubitale[6].
La lèpre est une maladie chronique d'évolution insidieuse, mais qui peut présenter des « états réactionnels » de survenue brutale. Il s'agit de complications inflammatoires aiguës, liées à des modifications immunologiques (hypersensibilité) vis-à-vis deM. leprae. Ces complications peuvent survenir spontanément au cours de l'évolution de la maladie lépreuse, ou lors du traitement, voire au décours de celui-ci[5],[6].
Il s'agit d'un phénomène d'hypersensibilité retardée où l'immunité cellulaire est renforcée, mais de manière disproportionnée. Cette réaction peut survenir chez les patients atteints de lèpre intermédiaire qu'elle déplace vers le pole tuberculoïde. Elle peut toucher 15 à 45 % de ces patients, principalement dans les premiers mois de traitement, et aussi après des mois ou des années après l'arrêt du traitement[5],[6].
Elle se manifeste par une majoration brutale des lésions déjà connues, avec troubles moteurs et sensitifs rapidement déficitaires. Cette réaction est plus fréquente chez les lépreux co-infectés par leVIH[6].
L'érythème noueux lépreux, ou réaction de type 2, s'observe chez environ la moitié des patients présentant une lèpre lèpromateuse ou uneborderline lépromateuse. Cette réaction, dont le mécanisme est mal compris et discuté, serait de l'ordre d'une maladie àcomplexes immuns avec élévation duTNF-α dans le sérum[4],[5].
Elle peut apparaitre en début de traitement, ou survenir spontanément avant le traitement, facilitant le diagnostic, ou elle peut survenir jusqu'à 10 ans après le traitement. Elle évolue par poussées en relation avec une infection intercurrente, la puberté, la grossesse ou l'allaitement[4],[5].
Elle se manifeste par de la fièvre, des douleurs articulaires et cutanées (nodules chauds violacés évoluant enpustule purulente) et des atteintes viscérales potentiellement létales[4],[6].
Un phénomène analogue, beaucoup plus rare, est lePhénomène de Lucio(en) qui se voit surtout auMexique et en Amérique Latine, chez les métis indo-espagnols. Il se manifeste comme unevascularite nécrosante survenant brutalement dans une forme particulière de lèpre lèpromateuse inaperçue ou ignorée, dite parfois « lèpre jolie » ou « lepra bonita »[4],[48].
L'invalidité ou handicap lépreux est liée aux complications ultimes et séquelles de toutes formes de lèpre. Outre les atteintes cutanéo-muqueuses et neurologiques, il existe des lésions osseuses destructives (ostéoporose diffuse,ostéolyse latérale ou frontale) prédominant aux doigts et aux orteils et aboutissant à des mutilations[49].
Ces complications peuvent être invisibles (conséquences psychosociales, maladie taboue) et visibles (mutilations, déformations, paralysie). En 1995, le nombre de sujets handicapés par la lèpre était estimé à 2 millions de personnes dans le monde. L’OMS s'est fixé pour but de réduire ce handicap à moins d'une personne par million d'habitants[50].
L’OMS se base surtout sur les atteintes oculaires et neurologiques pour établir un score d’invalidité, avec détection et prévention précoce des lépreux les plus à risque d'être handicapés. Ces personnes sont surtout des hommes, atteints de lèpre multibacillaire, avec états réactionnels évoluant vers la lèpre lépromateuse (avec un risque de handicap 5 à 12 fois supérieur aux autres lépreux)[50].
La différence homme/femme (2 hommes pour 1 femme) s'expliquerait par une différence de comportement social. Les hommes négligent ou ignorent les premières manifestations cutanées de lèpre et ne consultent les services de santé qu'à des stades avancés de la maladie, ce qui ne serait pas le cas des femmes, plus attentives à toute modification cutanée[50].
La prévalence du handicap lépreux augmente avec l'âge, et de façon inversement proportionnelle au niveau socio-économique. Les niveaux d'éducation et de revenu sont des facteurs déterminants pour la prévention de cette invalidité[50].
La variété des formes de lèpre fait que le diagnostic peut concerner le généraliste comme de nombreux spécialistes : dermatologue, neurologue,ophtalmologiste etotorhinolaryngologiste[42].
Comme déjà indiqué, la lèpre se distingue par l'association de lésions dermatologiques et de troublesneurologiques (troubles de la sensibilité cutanée). Elle se distingue aussi par des signes négatifs : absence deprurit, desquames et devésicules.
Les signes cutanés sont présents dans la plupart des lèpres, mais pas toutes, alors que les atteintes neurologiques sont présentes dans toutes les variétés de lèpre, à des degrés divers (prédominantes ou au second plan). Il existe des formes de lèpre neurologique « pure » où les signes cutanés sont totalement absents[42].
Dans les pays développés, le diagnostic est évoqué sur l'origine du patient, ou son retour de voyage en zone endémique[34].
Dans les formes multibacillaires, le diagnostic est confirmé par la présence deM. leprae, dans les autres formes (oùM. leprae n'est pas ou difficilement retrouvé), il faut mettre en évidence l'existence de troubles neuro-cutanés car la lèpre est pratiquement la seule affection qui présente de tels troubles associés[42]. Une anesthésie localisée au niveau d'une lésion cutanée estpathognomonique de la lèpre tuberculoïde[6].
Les experts de l'OMS ont établi trois principaux critères de diagnostic positif[34] :
Lésion cutanée hypopigmentée ou érythémateuse avec perte définitive de la sensibilité cutanée ;
une hypertrophie d'un nerf périphérique avec perte de la sensibilité ou faiblesse musculaire de la zone innervée ;
Présence de bacilles acido-alcoolo-résistants dans la biopsie cutanée ou le frottis nasal.
Le diagnostic de lèpre pour des troubles neurologiques peut être difficile en l'absence de lésions cutanées associées. De telles lésions lépreuses peuvent être confondues avec des névrites d'originediabétique oualcoolique[6]. La lèpre peut simuler de nombreuses autres affections neurologiques plus rares. Selon Languillon, les principes de base sont[51] :
Les hypertrophies de nerfs sont généralement dues à la lèpre ;
les paralysies de la racine des membres ne sont pas dues à la lèpre (qui touche les extrémités) ;
Il permet la confirmation diagnostique par mise en évidence duMycobacterium leprae ou bacille de Hansen. Sa négativité n’élimine pas le diagnostic, mais sa recherche est importante pour les formes borderline, pour adapter le traitement (patient pauci- ou multibacillaires), et diagnostiquer les rechutes.
M. leprae (en rouge foncé par la coloration de Ziehl-Neelsen) dans un frottis de suc dermique à partir d'une lésion (grossissement x 2000).
produits de raclage de la muqueuse du nez (frottis nasal d'une rhinite lépreuse) obtenus parécouvillonnage nasal ;
suc dermique des lobules des oreilles ;
cellules de lésions cutanées obtenues parbiopsie profonde.
La bacilloscopie évalue le nombre et l'aspect morphologique des bacilles[5] :
L'indice bactériologiques (IB) est la charge bacillaire ou nombre de bacilles par champ (pour le principe voirhématimètre). Cet indice est coté de 0 à 6, 1+ (1 à 10 bacilles/100 champs) à 6+ (> 1 000 bacilles /champ).
L'indice morphologique (IM) détermine le pourcentage de bacilles viables (bacilles entiers uniformément colorés), ce qui permet d'évaluer le degré de contagiosité d'un patient, et prendre d'éventuelles mesures de protection de ses contacts[52].
Cette bacilloscopie n'est fiable qu'entre les mains de techniciens expérimentés, devenus de plus en plus rares. Ce manque de fiabilité a conduit l'OMS à abandonner la classification bacilloscopique pour adopter des critères plus simples[6]. Cependant cet examen reste une méthode importante pour un diagnostic précis des formes de lèpre[34].
L’intradermoréaction (IDR) deMitsuda (1876-1964) est plus ou moins abandonnée, à cause de son manque de précision. Elle consistait à inoculer, au niveau de l'avant-bras, des antigènes deM. leprae inactivé (lépromine), et à interpréter la réaction cutanée après 1 à 2 jours, puis après 21 jours[5],[34].
La sérologie lépreuse, considérée comme prometteuse dans les années 1980, n'est toujours pas de pratique courante en 2020[6]. Elle se base principalement sur la détection d'anticorps anti-GPL-1 (pourPhenolyc glycolipid 1, antigène spécifique de la paroi deM. leprae)[34].
LaPCR est effectuée selon les laboratoires. Elle n'est pas indispensable car cette méthode n'est pas plussensible que la coloration de Ziehl-Neelsen[6].
D'autres moyens sont utilisés, notamment pour le diagnostic de lèpre neurologique pure (sans lésions cutanées, ni mise en évidence deM. leprae) :biopsie nerveuse (nerf périphérique),électromyographie,échographie (nerf périphérique)[34].
Un des premiers traitements fut l'huile dechaulmoogra extraite des graines dutaraktogenus hydnocarpii. L'isolation de l'acide chaulmoogrique avait été faite parAlice Ball en 1916 et perfectionnée ensuite par Arthur Dean[53]. Cependant cette huile avait l'inconvénient d'être chère et de faire éclater les seringues. Le dermatologueÉdouard Jeanselme a préconisé un mélange d’huile de chaulmoogra, decamphre et deguaïacol comme traitement contre la lèpre.
Dans les années 1930, le pèreClément Raimbault découvrit les effets de l'huile dolno, produite à partir de graines detakamaka des Hauts (Calophyllum tacamahaca), arbre courant àLa Réunion.
La lèpre expose à des invalidités sévères et des handicaps permanents si elle n'est pas traitée à temps. Le traitement comporte plusieursantibiotiques, afin d'éviter de sélectionner des souches résistantes du germe. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande depuis 1982 une multithérapie ou polychimiothérapie (PCT), carMycobacterium leprae développe desrésistances en cas de monothérapie (par dapsone seule)[4].
Cette PCT associe trois médicaments : ladapsone (DDS), larifampicine (RMP) et laclofazimine (CLO). Ces trois antibiotiques constituent le traitement de référence de l'OMS (traitement de première ligne ou en première intention). L'administration mensuelle est sous supervision (S) médicalisée[34].
Forme de lèpre
Traitement de référence chez l'adulte (OMS 2012)[5],[34]
Cette association médicamenteuse détruit l'agent pathogène et guérit le malade. La durée du traitement oscille entre 6 et 24 mois, selon la gravité de la maladie. Cette longue durée de traitement pose des problèmeslogistiques et des difficultés d'observance thérapeutique. Son efficacité peut aussi être limitée par deseffets secondaires non négligeables (mauvaise tolérance et/ou allergie)[34].
Dans les pays industrialisés, ce schéma thérapeutique est préconisé de façon quotidienne, et fondé sur la classification de Ridley avec possibilité d'une durée de traitement plus longue si nécessaire (traitement adapté avec plus de précision, par plus de moyens disponibles)[5],[34]. Avec les traitements bien individualisés, la chimiorésistance est exceptionnelle[6].
Les états réactionnels sont des urgences thérapeutiques, le plus souvent hospitalisées. Les réactions de réversion nécessitent unanti-inflammatoire non stéroïdien, ou unecorticothérapie, ou laciclosporine, selon la gravité des troubles. Les poussées d'érythème noueux lépreux sont traitées parthalidomide (sous couvert d'unecontraception) ou par lapentoxifylline. Si les troubles neurologiques (névrite inflammatoire périphérique) ne régressent pas, la décompression des nerfs se fait parneurolyse chirurgicale[5],[34].
Des patients peuvent avoir des lésions chroniques déjà constituées ou séquelles diverses, par retard de diagnostic avec traitements trop tardifs. Des améliorations sont souvent possibles : soit parorthopédie (prothèses, chaussures et semelles orthopédiques…) soit parchirurgie réparatrice ou palliative (drainage de suppuration,amputation d'extrémité mutilée, chirurgie destendons…)[6].
Outre desposologies adaptées et le plus souvent individualisées en fonction de l'âge, le traitement de la lèpre de l'enfant pose des problèmes particuliers[34] :
la nécessité d'un diagnostic précoce pour éviter la transmission entre enfants et la survenue de séquelles ;
Avec une polychimiothérapie appliquée à temps et correctement suivie, la lèpre est généralement vue comme une maladie guérissable, où l'on peut prévenir des lésions handicapantes, ou limiter un handicap déjà constitué. Les rechutes ou le décès sont rares[4].
Toutefois des défis demeurent, concernant le diagnostic précoce, les traitements (surveillance des complications et de l'apparition de résistances), et l'accès aux traitements encore entravés par la stigmatisation sociale, la pauvreté et le manque d'éducation. Les enfants et les femmes des zones rurales endémiques sont particulièrement désavantagés[34],[54].
Au vu de la situation en 2020, même en traitant tous les sujets atteints de lèpre, il faudra plusieurs décennies pour éliminer la lèpre comme problème de santé publique dans les pays endémiques, notamment à cause de la très longue durée d'incubation[55].
L'isolement des lépreux est inutile, à cause de la longue durée d'incubation de la lèpre, du fait que les patients atteints de lèpre tuberculoïde (les plus nombreux) ne sont pas contagieux, et de l'efficacité des traitements pour supprimer ou réduire l'infection de la lèpre lépromateuse[5].
Lachimioprévention est un sujet de recherches depuis les années 1960, par exemple sur la prophylaxie des cas contacts de lépreux contagieux. En 2018, l'OMS propose une dose derifampicine comme chimioprévention en région endémique[34].
La prévention des cas contacts (membres de la famille vivant sous le même toit qu'un lépreux contagieux) repose sur le traitement du patient, l'éducation, et un contrôle médical annuel pour au moins 5 ans des cas contacts (informés qu'ils doivent consulter au plus vite en cas d'apparition de signes cutanés ou neurologiques)[4].
Deux vaccins contre la lèpre sont en phase expérimentale : l'un américain basé surMycobacterium leprae (vaccinLepVax), l'autre indien basé surMycobacterium indicus pranii(en) (vaccinMIP). Le seul vaccin couramment utilisé est le vaccinBCG susceptible d'induire une immunité croisée tuberculose-lèpre. Son efficacité est controversée : protection de 20 à 90 % selon les études, diminuant avec le temps. Dans les régions à très forte prévalence lépreuse, le BCG est administré dès la naissance[4],[34].
Des stratégies préventives combinées (chimioprévention + BCG) sont en cours d'évaluation. L'évaluation des moyens préventifs est difficile, toujours en raison de la longue durée d'incubation de la lèpre[34].
M. leprae a suivi les migrations humaines depuis la sortie d'Homo sapiens hors d'Afrique. La lèpre-maladie est présente en Europe dès l'âge du bronze en Europe, mais elle ne prend une ampleur significative que sous l'Empire romain qui réunit par contacts réguliers de grandes populations très éloignées[56].
La lèpre suit les voies commerciales et les armées, comme les pèlerinages. Une deuxième extension européenne se produit auMoyen Âge central en lien avec l'urbanisation croissante et de nouveaux rapports avec lemonde musulman (croisades)[57],[58].
À la fin du Moyen Âge, le développement européen provoque une extension mondiale de la lèpre. Celle-ci accompagne lesgrandes découvertes et les voies decolonisation, avec passage de la lèpre en Afrique de l'Ouest et aux Amériques[56],[57].
Mycobacterium leprae dérive d'un ancêtre commun avecMycobacterium tuberculosis, dont il aurait divergé il y a près de 9 millions d'années, en évoluant par réduction du génome. Le génome de M. leprae est particulièrement stable à plus de 99,9 %[59],[60] avec untaux de mutation évalué à 18-30 mutations par millénaire[61].
Leséquençage du génome des souches connues a permis de définir quatre types (divisés en 16 sous-types, de A à P)[58] associés à une zone géographique[57] :
Inde et Asie du Sud-Est ;
Afrique de l'Est ;
Europe et Afrique du Nord ;
Brésil et Afrique de l'Ouest.
Un cinquième type, numéroté 0, existe enChine etNouvelle-Calédonie, très proche d'un sous-type de la souche 3.
Le caractère exceptionnellement stable du génome deM. leprae, son association avec des zones géographiques, en font un marqueur utile pour retracer les grandes migrations humaines[15].
LeM. leprae ancestral serait originaire d'Afrique de l'Est (type 2), plutôt que de l'Inde (type 1), le type 2 actuel étant le plus proche d'un type ancestral. La lèpre aurait accompagné les hommes dans leurs migrations d'Afrique de l'Est vers l'Eurasie, aux alentours de 100 000 ans av. J.C. Lors des migrations vers l'Inde et l'Asie du Sud-Est,M. leprae aurait divergé en type 1, et vers l'Afrique du Nord et l'Europe en type 3[57].
Le type 4Brésil etAfrique de l'Ouest est plus proche du type 3 que du type 2. Ceci laisse supposer queM. leprae a été introduit aux Amériques par lecommerce des esclaves (Caraïbes et Brésil) et les migrations européennes, notamment celle desconquistadors (lapéninsule ibérique restant un foyer actif de lèpre) ; de même la lèpre d'Afrique de l'Ouest aurait été apportée par voie commerciale d'Afrique du Nord et d'Europe. Alors qu'àMadagascar,M. leprae est de type 1, indiquant une origine indienne[57].
Dans les cimetières médiévaux desléproseries européennes, on trouve une grande diversité de souches, surtout de type 2 et 3, ce qui donne à penser une double origine de la lèpre européenne, autochtone par lespèlerinages et importée duMoyen-Orient par lescroisades[58],[57].
Ces données sont à affiner par l'étude d'un plus grand nombre d'échantillons, non seulement humains (génomes anciens deM. leprae) mais aussi animaux (écureuil roux, génomes modernes deM. leprae)[58].
La lèpre causée parMycobacterium lepromatosis était présente en Amérique avant l'arrivée des Européens, et y était géographiquement répandue. Les modèles d'horloge moléculaire indiquent queM. lepromatosis etM. leprae ont divergé il y a 0,7 à 2 millions d'années. Cinqclades deM. lepromatosis ont été identifiés, dont deux sont toujours présents chez l'Homme : un cladebasal séparé des autres vers10000BP et le clade PDDC. Le clade identifié chez l'Écureuil roux au Royaume-Uni s'est séparé de la lignée conduisant à PDDC vers 3200 BP, et deux clades identifiés dans des dents humaines fossiles s'en sont séparés vers 2200 et 1500 BP[62].
Crâne présentant un syndrome osseux rhinomaxillaire caractéristique de la lèpre, Musée desVikings deRibe (Museet Ribes Vinkinger) auDanemark.
Les données depaléopathologie les plus anciennes sont datées de 2000 ans av. J.C. en Inde, provenant d'un squelette trouvé auRajasthan[63], mais sur l'aspect des lésions osseuses uniquement[64].
Le diagnostic osseux de lèpre est quasi-certain en cas de forme lépromateuse de la lèpre, s'il existe unsyndrome rhinomaxillaire : atrophie et perte de l'épine nasale, atrophie et perte desalvéoles desincisives supérieures, érosions ou perforation dupalais. En revanche, la seule atrophie ou la disparition des dernièresphalanges des mains ou des pieds n'est qu'un diagnostic possible parmi beaucoup d'autres[65],[66].
Bien que l'on pense queM. leprae s'est établi autour dubassin méditerranéen et enEurope centrale, il y a 40 000 ans environ, les restes humains préhistoriques avec lésions de lèpre osseuse sont très rares. Ce qui pourrait s'expliquer par une durée de vie trop courte pour des complications osseuses, ou un équilibre immunologique des populations à cette époque. Le plus ancien cas européen pourrait être un casécossais daté 2000-1600 av. J.C.[66].
Les traces ostéoarchéologiques européennes deviennent significatives durant le premier millénaire av. J.C. On retrouve des lésions caractéristiques de lèpre sur des squelettes enÉgypte ptolémaïque, enAngleterre (époque romaine). En Europe médiévale, on les trouve surtout dans les cimetières desléproseries, notamment enAngleterre, auDanemark, en France et enItalie, enCroatie et enHongrie[66].
Depuis les années 1990-2000, le diagnostic osseux peut être confirmé parPCR par prélèvement de la surface osseuse[67]. Les premiers cas publiés l'ont été sur des squelettes de lapalestine romaine. Avec les développements de labiologie moléculaire, il est devenu possible de retrouver l'ADN deM. leprae non seulement à partir de l'os, mais aussi à partir des dents (pulpe dentaire ettartre dentaire)[56].
Ce type d'études, basées sur l'analyse d'ADN ancien, a pu montrer qu'une transmission s'est faite entre humain et écureuils roux en Angleterre médiévale, favorisée par le commerce de la fourrure et leur présence comme animaux de compagnie dans les couvents de religieuses[18],[19].
Il faut également souligner que le terme « lèpre » était une catégorie de diverses maladies avec des manifestations physiques externes dont la lèpre contagieuse faisait partie[70]. Si ces facteurs avaient favorisé l’expansion de la maladie, pour que celle-ci ait autant sévi et se soit implantée pendant près de 1 500 ans, il a fallu des conditions locales particulièrement favorables à la maladie : tout d’abord une mauvaise hygiène, le déversement des ordures sur la route permettant aux animaux errants de s’en approcher et s’en nourrir, des habitations mal construites ne laissant pas la possibilité d’aérer correctement l’intérieur et de chasser l’humidité. À la campagne, les animaux pouvaient pénétrer dans la maison du paysan qui, le soir, s’allongeait avec toute sa famille ainsi qu’avec un potentiel invité sur un matelas au sol près du feu, laissant ainsi libre cours à la contagion. Les personnes n’utilisaient pas de fourchettes et trempaient les doigts directement dans un plat en commun avec l’ensemble de la famille ; les nobles étaient moins exposés. Un autre facteur qui favorisa l’expansion de la maladie localement fut la coutume de l’hospitalité comme pratique religieuse ; en effet, les croyances indiquaient que l’étranger demandant l’hospitalité pouvait êtreDieu ou leChrist étant déguisé et testant la bonté du peuple ; toutes ces personnes (moines, mendiants, pèlerins, etc.) demandant l’hospitalité pouvaient être porteurs de lèpre.
La lèpre, réalité pathologique, était remplie d’unimaginaire morbide qui participait activement à sa représentation et à sa perception, imagination qui illustre ce qu'inspirait cette maladie et inspire encore de nos jours.
Il existe ainsi une lèpre-maladie et un concept lépreux (faute morale ou « syndrome religieux »)[71]. SelonRaoul Follereau :« Un malade atteint de la lèpre a en fait deux maladies : il a la lèpre et il est lépreux »[72].
Toujours en 2021, au moins cinq pays dans le monde ont des lois autorisant la discrimination fondée sur la lèpre :Chine,Macao,Inde,Japon,République islamique d'Iran etTogo. L'OMS et l'ONU souhaitent inclure des personnes atteintes de lèpre dans la mise en œuvre des programmes internationaux de surveillance et de lutte contre la lèpre, afin d'accélérer l'abrogation de ces lois discriminatoires[39].
Lépreux à Jérusalem, photo deLuigi Fiorillo (1847-1898).
Dans leLévitique, il est question d'un ensemble de manifestations cutanées connues sous le nom detsara'at (צרעת). Cette affection se présente comme des taches blanches oudartres susceptibles d'évoluer en ulcères :
« L'Éternel parla à Moïse et à Aaron, et dit : Lorsqu'un homme aura sur la peau de son corps une tumeur, une dartre, ou une tache blanche, qui ressemblera à une plaie de lèpre sur la peau de son corps, on l'amènera au sacrificateur Aaron, ou à l'un de ses fils qui sont sacrificateurs. Le sacrificateur examinera la plaie qui est sur la peau du corps. Si le poil de la plaie est devenu blanc, et que la plaie paraisse plus profonde que la peau du corps, c'est une plaie de lèpre : le sacrificateur qui aura fait l'examen déclarera cet hommeimpur. S'il y a sur la peau du corps une tache blanche qui ne paraisse pas plus profonde que la peau, et que le poil ne soit pas devenu blanc, le sacrificateur enfermera pendant sept jours celui qui a la plaie[73]. »
Il est explicitement question d'une maladie spirituelle, ayant certainsstigmates corporels et qui touche la personne s'étant rendue « impure » par ses comportements sociaux (en particulier lacalomnie ou ladiffamation, "motsi shèm ra'" מוציא שם רע), et qui peut s'étendre à des objets inanimés (vêtements, habitation…).
Les chapitres XIII et XIV duLévitique sont entièrement consacrés à latsara'at et regroupent diverses parties faisant référence à l’examen des malades, aux dispositions qu’il faut prendre vis-à-vis d’eux ainsi que du rituel de purification. La personne susceptible d’être impure est alors isolée pendant sept jours afin d’observer l’évolution de la maladie et l’apparition d’autres atteintes comme des brûlures, des plaies ou des cicatricespurulentes[74],[73].
Latsara'at est la marque d'un courroux divin, ce n'est pas un concept médical, c'est pourquoi le diagnostic de tsara'at est confié auxprêtres et non pas aux médecins[75].
LeDeutéronome (Dt 24,8) prescrit d’éviter la lèpre et non le lépreux en écoutant lesÉcritures et en ne contrevenant pas à la Loi divine pour éviter la colère de Dieu :« Prends garde à la plaie de la lèpre, afin de bien observer et de faire tout ce que vous enseigneront les sacrificateurs, les Lévites ; vous aurez soin d'agir d'après les ordres que je leur ai donnés. »[74].
L'association du lépreux avec lamort concernait son aspect physique dont la peau était dégradée, et qui faisait de lui un être ressemblant à un enfantmort-né[76]. Donc le lépreux apparaissait comme un être vivant, mais qui possédait les caractéristiques physiques d’un mort en état de décomposition. Ainsi sa mort sociale et son exclusion n’étaient que l'expression de son apparence qui évoquait la mort physique[74].
Dans une autre perspective, latsar'at a été traduite en lèpre, afin qu'un problème de pureté rituelle puisse aider à éviter unproblème de santé publique. En effet, lesrabbins connaissaient l'existence de la maladie de Hansen, sa gravité et sa contagiosité (Talmud de Babylone,Sanhedrin 98a) mais ils ont volontairement pratiqué l'amalgame entre latsara'at et la lèpre afin de protéger la communauté en mettant à l'écart toute personne susceptible de la contaminer, tout en s'appuyant sur les ressources de laTorah complétées par celles de laloi orale[74].
Du point de vue d'histoire de la médecine, latsara'at doit réfléter une réalité d'ordre médical. Pris dans leur totalité, les manifestations detsara'at ne s'accordent avec aucune entitédermatologique moderne. La plupart des auteurs modernes écartent l'identité pure et simple de latsara'at avec la lèpre, mais ils acceptent l'idée qu'il s'agit d'un ensemble de manifestations relativement bénignes (psoriasis,vitiligo,favus, certaines formes d'eczémas…) et d'autres plus graves comme différentes formes de lèpre[75].
Après plusieurs siècles d'exégèse historique, les historiens considèrent que la lèpre est la seule maladie chronique de la peau dont la gravité peut justifier les mesures sociales du législateur biblique, car« il est difficile de croire qu'un rejet social aussi radical puisse s'expliquer seulement par des idées religieuses aberrantes sur des affections tout à fait bénignes »[75].
Dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, la lèpre sévissait en Europe et en 549, leconcile d’Orléans prit des mesures en faveur des lépreux en invitant tous lesévêques à se préoccuper des malades résidant dans leur diocèse. En effet, selon lesSaintes Écritures, les prêtres avaient un devoir envers tous les indigents et malades, mais ce concile stipulait que les prêtres devaient se préoccuper plus ardemment des lépreux. Ceux-ci devaient aider les lépreux à se vêtir et à se nourrir avec leurs propres moyens afin que « les soins de la charité ne manquent pas à ceux qu’une cruelle maladie réduit à la détresse »[78].
La léproserie peut ainsi être appeléecaquinerie, « ladreries, maladreries, maladières, misellaria, mézelleries, lazarets, etc ». Les historiens en ont souvent exagéré le nombre à cause d'une erreur de traduction latine ou d'interprétation auXVIIIe siècle, reprise par eux par la suite et jusqu'à nos jours[79].
Avant d’arriver à l’exclusion pure et simple du lépreux, un certain nombre d’éléments sont requis. En premier lieu, la personne soupçonnée d’avoir contracté la maladie est convoquée pour un examen minutieux. Le malade est examiné par des médecins et est parfois soumis à une épreuve ; on saigne le malade et on jette son sang dans une bassine pleine d’eau ; si le sang garde sa couleur vermeille, la personne est déclarée saine, sinon elle est déclarée lépreuse. Selon les régions, ces épreuves peuvent varier. Le juge ecclésiastique rend la sentence et par la suite les experts rédigent un rapport relatant les examens pratiqués sur le malade et si celui-ci a été confirmé positif ou négatif à la maladie.
Le jour de l’exclusion du lépreux, le curé doit lui envoyer une tunique/manteau, une robe grise, noire ou écarlate dont l’épaule gauche ou la poitrine est ornée d’un morceau de tissu rouge en forme de patte d’oie ou de cœur ; il reçoit également un chapeau ou une capuche noire, un instrument (crécelle, cliquette), qu’il doit agiter de jour tous les dix pas et constamment de nuit (en Allemagne il s’agissait d’une corne), ou des morceaux de bois que le lépreux doit battre l’un contre l’autre pour avertir la population de son approche, ceux-ci fuyant pour éviter la contagion ; il reçoit également un gobelet pour l’aumône ou pour boire, une panetière pour conserver le pain, une cuillère, un baril et un couteau. Une procession s’engage donc pour le lépreux dont la première halte se fait à l’église, où l’on célèbre l’office des morts que le lépreux entend le visage couvert pour symboliser le mort dans son cercueil. Cet usage cruel a été supprimé dans certaines régions et dans d’autres il est remplacé par l'office du jour. Par la suite, la procession emmène le lépreux dans un cimetière ou un rite symbolique est organisé ; le lépreux doit entrer dans une tombe, rester à genoux pendant que le prêtre lui jette trois fois de la terre sur la tête en disant « mon ami, tu es mort au monde ».
La dernière halte se fait dans l’établissement des lépreux, la léproserie, où on lui lit les « défenses », c’est-à-dire le règlement qu’il doit à présent suivre en tant que lépreux, et les interdits qu'il doit jurer sur l’Évangile de respecter. Il devra se promener avec l’habit du lépreux afin que tous le reconnaissent, il ne devra pas toucher les arbres ou autres plantes sans le port de gants, il ne devra plus recevoir d’autre compagnie que les autres lépreux, etc. Il est souligné que l’exclusion du lépreux n’est que corporelle et que son esprit reste toujours parmi eux. Si le lépreux est étranger, il est uniquement chassé sans possibilité de revenir sous peine d’être brûlé vif ; si le malade est originaire du lieu, soit on lui assigne une cabane isolée des habitations, soit, si la ville est riche, une maladrerie est construite pour y accueillir les lépreux et si le malade était un bourgeois, alors sa vie en léproserie était plutôt confortable avec la possibilité de faire venir son mobilier[80].
Ancienne chapelle devenue léproserie fondée en 1206,Dunwich,Suffolk (Grande-Bretagne)
De plus, l’exclusion du lépreux devait être prononcée officiellement, donc si le malade pouvait cacher les symptômes de sa maladie, alors il pouvait continuer en cachette à vivre normalement avec sa famille, retardant ainsi le plus possible le jour de son exclusion, mais laissant libre cours à la contagion.
L'exclusion des lèpreux s'observait pour la première fois dans la cité de Babylone, où le traitement de ceux-ci était indiqué dans leCode de Hammurabi : « Si un homme présente des nodosités et des taches blanchâtres, celui-ci doit être rejeté par Dieu et par la société ».
« Depuis au moins leXVe siècle, le métier de cordier est le monopole desparias, considérés comme les descendants des lépreux : ils vivent dans des hameaux séparés, ont des lieux de culte ainsi que des cimetières qui leur sont réservés. (…) Lachapelle de la Madeleine, aujourd'hui enPenmarc'h, leur est manifestement destinée, comme celle deGestel (Morbihan) et de nombreuses autres un peu partout. En effet, les toponymes La Madeleine sont synonymes de noms de lieux comme La Maladrerie (léproserie) etsainte Madeleine est la patronne des cordiers[82]. »
Symptômes et transmission de la lèpre au Moyen Âge
Les lésionspaléopathologiques rétrospectivement les plus visibles sur les restes osseux sont une érosion de l'arête nasale antérieure, la résorption de l'ouverture nasale piriforme, une atrophie des processus alvéolaires du maxillaire et la perforation du palais[84]. Selon l'archéologue Pia Bennike (responsable de la collection des 700 squelettes de la léproserie deNaestved au Musée d’histoire de la médecine deCopenhague) la lèpre attaquait le nez, les mains et les pieds des malades, dégradant leur aspect physique. La perte osseuse nasale était grave et les dents tombaient toutes.
Les enfants étaient plus atteints que les adultes, et les plus pauvres également. En effet, les enfants pauvres vivaient moins longtemps, donc la maladie était moins avancée sur leurs squelettes que sur ceux des enfants bourgeois qui pouvaient vivre plus longtemps et dont les squelettes étaient donc très détériorés par la maladie. Ceci n’est pas une nouveauté, car les enfants issus de couches sociales basses étaient moins bien nourris et en moins bonne santé que les enfants de couches bourgeoises, qui pouvaient se nourrir convenablement et avoir des conditions de vie plus favorables[85].
Au Moyen Âge, le mécanisme de contagion s’expliquait par le« contact immédiat avec un poison ou par la médiation de l’air corrompu entre un agent malade et un patient sain »[86]. Ce modèle de transmission des maladies n’exclut pas que les médecins du Moyen Âge acceptaient la possibilité d’une transmission d’homme à homme. La lèpre était considérée comme une maladie de l’âme résultant d’une punition de Dieu en conséquence des péchés commis, donc la contagion de la maladie était tout d’abord pensée comme une contagion des péchés par lesthéologiens.
Plusieurs pratiques thérapeutiques pour lépreux étaient utilisées, sans réels fondements scientifiques et toujours avec une forte empreinte religieuse.Bernard de Gordon (1250–1320) avait prescrit dessaignées pour les malades suivies depurges souvent associées à descautérisations et à desscarifications ainsi que des bains quotidiens de plantes.Henry de Mondeville (1260–1320) écrivait qu’il fallait recouvrir le visage du malade avec de la graisse de poules rôties, ces dernières nourries avec du froment cuit et des serpents. Une autre pratique consistait à tuer une anguille des mers selon un rituel très précis puis de la cuire avec des plantes. On dessèche la peau avec l'ellébore noire et blanche mais aussi avec la chaux vive[88].
En 1873, le NorvégienArmauer Hansen découvre le bacille responsable de cette maladie.
Carte de répartition des cas de lèpre en 1891.
Si laSociété de pathologie exotique de Paris recommande en 1909 « l'exclusion systématique des lépreux », et si le code de l'indigénat prévoit la ségrégation coercitive, celle-ci disparaît à partir de la troisième Conférence internationale sur la lèpre organisée àStrasbourg en 1923, dont le secrétaire général,Émile Marchoux, préconise l'humanisation desléproseries[91].
AuXXe siècle, la lutte contre cette maladie connaît un nouvel élan à la suite de la mort du prêtre et missionnaire belge Jozef de Veuster, mieux connu sous le nom dePère Damien, qui avait consacré sa vie aux lépreux deMolokai (Hawaï). Mort en 1889 à l'âge de 49 ans des suites de la lèpre, son histoire commençait à se répandre et à susciter beaucoup d'intérêt de façon à stimuler la recherche.
Poster Indien des années 1950 : la lèpre est guérissable, traitée tôt et longtemps (un petit arbre est plus facile à arracher qu'un grand).
En 1991, l'OMS se donne comme objectif « l'élimination de la lèpre en tant queproblème de santé publique » avec une prévalence mondiale inférieure à 1 cas pour 10 000 habitants, cet objectif a été atteint en 2000[94]. Cependant, elle demeure un problème de santé publique dans 100 pays situés en majeure partie en Afrique, Asie (dont l'Inde) etAmérique du Sud (Brésil). Deux cent dix mille (210 000) nouveaux cas ont été détectés dans le monde en 2010 et 1,5 million de personnes voire plus sont atteintes[95],[96].
Malgré les progrès accomplis, la lèpre reste endémique. Dans les années 2010, l'incidence de la maladie stagne, et la proportion de nouveaux patients invalides reste stable. Cette situation serait liée à une démobilisation dans la lutte contre la lèpre, une relative désaffection de la recherche scientifique et des compétences médicales pratiques dans cette maladie[28].
L'ordre souverain de Malte et la FondationRaoul Follereau consacrent des fonds importants à cette maladie (léproserie et recherche médicale). D'autres associations religieuses ou laïques agissent aussi en ce sens[37]. De moins en moins de médecins connaissent cette maladie de la misère et des guerres, ce qui tend à augmenter la gravité des séquelles des personnes atteintes.
« Le génie de l'homme n'y est certainement pour rien. L'étude de l'histoire de la lèpre est une grande leçon d'humilité »[98]. « La lèpre a disparu de la plupart des pays d'Europe, sur la pointe des pieds, lentement, sans que personne ou presque ne s'en avise (…) La fin de la lèpre ne doit rien de plus à la médecine qu'à l'administration[99]. »
Pour les historiens modernes, la ségrégation médiévale était loin d'être parfaite : l’exclusion des lépreux dans les léproseries était toute relative, car certains lépreux fuyaient la léproserie où ils étaient maltraités, d'autres pour retarder au plus tard leur exclusion, essayaient de cacher leurs symptômes le plus longtemps possible en restant chez eux[79]. Ailleurs des lépreux étaient autorisés à mendier dans les villes, et la cohabitation entre lépreux et non-lépreux était fréquente[103].« À la peur de la lèpre, qui s'étale dans tant de textes, correspondaient finalement des pratiques assez laxistes, avec de temps en temps une velléité de rigueur »[104].
Pour l'hygiène, on constate aussi qu’après lahuitième croisade (1270 à Tunis), la lèpre commençait son déclin, sans que les conditions d'hygiène ne s'améliorent réellement[98], il en est de même pour laRenaissance qui n'a pas connu un développement particulier de l'hygiène[105].
La lèpre moderne est une maladie de la pauvreté en milieu rural, et l'amélioration du niveau de vie des populations aurait joué un rôle dans son déclin historique. Les facteurs exacts sont mal connus et ne suffisent pas à expliquer les variations historiques et géographiques de la maladie[13].
Par exemple, en ce qui concerne les facteurs nutritionnels, de multiples hypothèses parfois contradictoires sont proposées : le rôle dufer (un déficit modéré serait protecteur et une carence sévère un facteur aggravant)[106], celui demicronutriments essentiels (vitamines,magnésium,zinc… en prévention des complications neurologiques)[107], voire ducholestérol (un régime riche en graisses aurait favorisé la lèpre médiévale desnobles)[108].
Parmi les anciennes hypothèses, celle d'une intoxication alimentaire parsapotoxines, liée à lanielle des blés contaminant desfarines de céréales et favorisant la lèpre, laquelle aurait reculé avec l'utilisation de farines de meilleure qualité. Cette hypothèse a été finalement abandonnée[98]. Une autre explication, datant de la fin du Moyen Âge, attribuait la persistance de foyers lépreux dans des îles ou des régions côtières à un régime exclusif à base de poisson cru, hypothèse également discréditée[27].
Un courant historique des années 1960-1980, principalement inspiré par les travaux deMichel Foucault sur lebiopouvoir, aborde la lèpre médiévale d'abord comme un concept sociologique avant d'en faire une maladie biomédicale. L'exclusion des lépreux (et leur réintégration spirituelle) fait partie d'une persécution de groupes particuliers (hérétiques,juifs,prostituées,sodomites…), pour renforcer la cohésion et l'unité des autres sous unrégime féodal. La lèpre médiévale était moins une réalité biologique qu'une détermination politique et sociale (le « diagnostic » de lèpre serait du même ordre que l'accusation desorcellerie)[109].
La diminution des léproseries ne serait pas liée à celle du nombre de lépreux (atteints de lèpre au sens moderne), mais à un « essoufflement institutionnel » par érosion du système féodal[109]. Par exemple, le diagnostic de lèpre serait devenu plus rare avec le remplacement progressif des jurys de lépreux ou de religieux, par des jurys de médecins plus prudents et plus circonspects, le déclin de la lèpre européenne coïncidant avec ledébut des universités[110],[27].
Les lépreux, en état de moindre résistance et groupés en collectivités, auraient été les premières victimes des grandespandémies, notamment celle de lapeste noire duXIVe siècle. Les lépreux étant le quasi-uniqueréservoir de la lèpre, la lèpre aurait disparu en étant remplacée par d'autres maladies plus contagieuses[98],[54].Georges Girard (1888-1985) était d'un avis opposé, en observant qu'àMadagascar, les lépreux étaient préservés de la peste, et selon lui la lèpre était plutôt un facteur de résistance à la peste[103].
Roland Chaussinand (1896-?)[114] est le premier à observer une relation inverse entre les prévalences de la lèpre et la tuberculose. Il propose donc un « antagonisme » entre la lèpre et la tuberculose : une primo-infection tuberculeuse apporterait une protection relative contre la lèpre. La disparition de la lèpre en Europe à partir duXIVe siècle serait dû en grande partie à l'expansion de la tuberculose[100],[98].
Comparaison de gènesorthologues entre trois mycobactéries, dont celles de la lèpre et de la tuberculose.
Deux arguments vont dans ce sens : leBCG (vaccin contre la tuberculose) apporte une certaine protection contre la lèpre, la biologie moléculaire confirme une étroite parenté antigénique entreM. leprae etM. tuberculosis. Cependant il ne s'agit pas d'une réelle immunité croisée, car elle ne semble fonctionner que dans un sens : si la tuberculose protège de la lèpre, les données cliniques montrent aussi que la lèpre ne protège pas de la tuberculose, facteur important de mortalité chez les lépreux[100],[106].
La notion d'un « antagonisme simple » est remise en question, et les relations immunologiques entre lèpre et tuberculose restent obscures. Les co-infections lèpre-tuberculose sont possibles, qu'elles soient observées cliniquement ou, plus récemment, démontrées parADN prélevé sur squelettes médiévaux par des chercheurs de l'Université Hébraïque de Jérusalem[100],[106].
Dès lors, la disparition de la lèpre serait bien liée à l'expansion de la tuberculose, mais d'une autre façon : les lépreux affaiblis par leur maladie, vivant en communauté auraient été victimes d'une tuberculose favorisée par uneurbanisation croissante : « Les scientifiques supposent que les lépreux mouraient de la tuberculose plus vite que la lèpre ne se propageait »[106],[96].
Toutefois, la connaissance d'une endémie tuberculeuse médiévale est très lacunaire[99]. La problématique du déclin de la lèpre médiévale reste ouverte, nécessitant une confrontation multidisciplinaire entre biologistes, épidémiologistes, archéologues et historiens[100],[54].
↑a etbDans le monde, il y a de nombreux hôpitaux pour l'asile et le traitement des lépreux. Des groupes liés à l'Église catholique en supportent financièrement et en gèrent 547 (2013) selon les plus récentes données de l'Annuaire Statistique de l’Église. De suite, leur distribution par continent : en Afrique 198, en Amérique (au total) 56, en Asie 285, en Europe 5 et en Océanie 3. Les nations avec le plus grand nombre d'hôpitaux sont : en Afrique, la République démocratique du Congo (32), Madagascar (29) l'Afrique du Sud (23) ; en Amérique : le Mexique (8), dans l'Amérique Centrale - Antilles : la République dominicaine (3), en Amérique du Sud : le Brésil (17), l'Équateur et la Colombie (4), en Asie : l'Inde (200), la Corée (15), en Océanie : la Papouasie-Nouvelle-Guinée (3) --- (Agence Fides, congrégation pour l'évangélisation des peuples, 26 janvier 2013).
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