Cet événement est l'un des plus célèbres de l'histoire boursière, marquant le début de laGrande Dépression, la plus grandecrise économique de l'Histoire. Les jours-clés du krach ont hérité de surnoms distincts : le est appelé « jeudi noir », le est le « lundi noir », et le est le « mardi noir ». Conséquence directe, auxÉtats-Unis, le chômage et la pauvreté explosent pendant la Grande Dépression et poussent quelques années plus tard à uneréforme profonde et nécessaire des marchés financiers[1].
Mais outre cette crise économique, de nombreux spécialistes de la crise de 1929, historiens et économistes, montrent comment ce krach boursier a déstabilisé l'économie allemande et ainsi favorisé, dans une certaine mesure, l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler et duparti nazi à la suite du retrait brutal des capitaux américains d'Allemagne[2],[3]. La crise a également induit des déstabilisations économiques, sociales et politiques dans certains pays d'Amérique latine et ainsi mené à plusieurscoups d'États.
La crise de 1929 est consécutive à unebulle spéculative, dont la genèse remonte au début desannées 1920[4]. La bulle est amplifiée par le nouveau système d'achat à crédit d'actions nommé lecall loan (« emprunt à appel »), qui depuis 1926 est permis àWall Street. Les investisseurs peuvent ainsi acheter des titres avec unecouverture de seulement 10 % : pour dix dollars achetés, ils ne déposent qu'un dollar. Le taux d'emprunt varie selon letaux d'intérêt à court terme ; la pérennité de ce système dépend donc, en partie, de la différence entre le taux d'appréciation des actions et ce taux d'emprunt.
Pour l'historien de l'économieCharles Kindleberger[5], la cause immédiate réside dans le fait que dans les« deux semaines avant la chute du 24 octobre, les prêts de brokers pour les titres « autres » diminuèrent de 120 000 000 $, en grande partie à cause des retraits étrangers[5] ». D'un point de vue technique (il y a aussi pour lui des causes plus politiques[N 1]), c'est le dernier maillon d'une série qui court de la hausse dutaux d'escompte à New York en août, à la faillite de l'entreprise Hatry à Londres, laquelle provoque une hausse des taux au Royaume-Uni le (la veille, labourse de New York avait atteint son maximum[6]), ce qui conduit à des retraits de capitaux de New York.
Lesannées 1920 marquent une période de forte croissance auxÉtats-Unis et enEurope, où se produit tout d'abord une chute des cours de 31 % en un jour à laBourse de Berlin, appeléekrach du. Dès 1928, l'Allemagne entre en récession. Le plan Young allège les réparations, mais en compensation les rend prioritaires par rapport aux dettes commerciales, ce qui fait prendre conscience aux prêteurs américains des risques qu'ils encourent pour leurs prêts passés et accroît la pression sur la balance des paiements à partir de la fin de 1929[7].
Ainsi, de 1921 à 1929, le monde semble installé dans une période de prospérité. Après des années de tensions politiques entre grandes nations à la suite du règlement difficile de la Première Guerre mondiale, la paix paraît rétablie durablement[8]. Laproduction industrielle augmente de 50 %. Le « boom » boursier n'apparaît donc pasex nihilo. Mais il est trop rapide : la hausse annuelle des cours pendant la même période est de 18 %, soit une hausse totale de plus de 300 %. Selon l'économisteJacques Brasseul,« le cours des titres augmente plus que les profits des entreprises, qui eux-mêmes augmentent plus que la production, la productivité, et enfin plus que les salaires, bons derniers dans cette course ». Un élément spéculatif se développe, puis devient prépondérant à partir de 1928, date à laquelle le cabinet Charles Merrill (aujourd'huiMerrill Lynch) recommande de ne plus s'endetter davantage pour acheter des actions, et émet la recommandation suivante :« Sans que cela constitue une recommandation de vente, le moment est opportun pour se libérer de ses crédits ». Ce ne sont en effet plus les dividendes qui attirent les investisseurs, mais la possibilité de revendre avec une importante plus-value ; beaucoup de titres sont achetés à crédit à cette fin.
L'économie, elle, montre des signes de faiblesse dès le début de 1929 : ainsi, la productionautomobile chute de 622 000 véhicules à 416 000 entre mars et septembre[1]. La production industrielle, elle, recule de 7 % entre mai et octobre. Ce ralentissement est en partie dû à un phénomène d'asphyxie : les capitaux disponibles accourent à la bourse plutôt que vers l'économie « réelle ».
Entre et, le cours des actions augmente de 120 %. Le, l'indice Dow Jones atteint 381,17, son plus haut niveau avant 1954. Le, l'économisteIrving Fisher déclare : « Stock prices have reached what looks like a permanently high plateau » (« Les cours ont atteint ce qui semble être le plateau perpétuel »).
Quelques jours avant le krach (les, et), les premières ventes massives ont lieu. Ce sont encore des prises de bénéfices, mais elles commencent à entraîner les cours à la baisse.
Le jeudi (jeudi noir ouBlack Thursday) marque la première grande panique. Le matin, il ne se trouve presque pas d'acheteurs, quel que soit le prix, et les cours s'effondrent. À midi, l'indice Dow Jones a perdu 22,6 %. Uneémeute éclate à l'extérieur duNew York Stock Exchange, après que les gardes du bâtiment et la police ont empêché des actionnaires d'entrer. La galerie des visiteurs est fermée. Les rumeurs les plus folles circulent : onze spéculateurs se seraient suicidés, labourse de Chicago et celle de Buffalo auraient déjà fermé, celle de New York serait sur le point de le faire. Une réunion d'urgence entre cinq des principaux banquiers de New York se tient au siège deJ.P. Morgan & Co. pendant une vingtaine de minutes. À son issue,Thomas Lamont, un des dirigeants de J.P. Morgan, déclare :« Il y a eu une petite quantité de vente à perte à la Bourse […] en raison de conditions techniques sur le marché. […] Le consensus de notre groupe est que la plupart des cotations de la Bourse ne représentent pas fidèlement la situation. […] La situation est susceptible de s'améliorer ». Le marché rebondit légèrement à la nouvelle que les banques vont intervenir pour soutenir les cours. En effet, vers13 h 30, des investisseurs institutionnels menés parRichard Whitney(en), vice-président du NYSE, interviennent directement : Whitney s'approche du poste de cotation d'U.S. Steel, demande le cours en vigueur (195), et annonce :« J'achète 25 000 parts à 205 ». Dès que les premiers titres s'échangent, il recommence l'opération pour une autre action, et fait ainsi le tour d'une douzaine de postes. Les cours se redressent rapidement, et la baisse pour la journée est limitée à 2,1 % (indice Dow Jones : 299,47). Par exemple, le titreMontgomery Ward vaut83 dollars à l'ouverture, 50 en milieu de journée, 74 à la clôture. Deux titres enregistrent leur plus haut niveau de l'année, tandis que441 atteignent leur plus bas niveau. Les volumes échangés atteignent 12,9 millions d'actions pour la journée — un record, le volume moyen quotidien étant de 4,5 millions, et le précédent record de seulement 8,3 millions. Lestéléimprimeurs ont jusqu'à une heure et demie de retard sur les cours ; ainsi les vendeurs paniqués ne savent pas encore à quel prix ils ont cédé leurs titres.
Page couverture d'un journal d'Indianapolis, le 29 octobre 1929: "Le krach boursier le plus important de l'histoire"
Les nombreux investisseurs qui ont emprunté pourspéculer sont néanmoins contraints de liquider leurs positions (appels de marge oumargin calls) à partir du lendemain. Les cours restent stables le vendredi (Dow Jones : 301,22) et samedi (avant-guerre, il y avait une demi-session le samedi).
Le cycle s'emballe le lundi, qui restera dans les mémoires comme le « lundi noir » (Black Monday), où 9,25 millions de titres sont échangés. Les banques n'interviennent pas, contrairement au jeudi précédent. L'indice Dow Jones perd 13 % (260,64), un record qui ne sera battu que lors dukrach d'. Certains titres sont massacrés :General Electric perd 48 points,Eastman Kodak 42,AT&T etWestinghouse 34,U.S. Steel, 18.
Le, le « mardi noir » (Black Tuesday), le volume échangé atteint 16,4 millions de titres. Les téléimprimeurs ont jusqu'à deux heures et demie de retard sur les cours. L'indice Dow Jones perd encore 12 % (230,07) et les gains d'une année de hausse disparaissent.Winston Churchill, qui se trouve alors à New York, affirme être le témoin dusuicide d'un spéculateur qui se serait jeté par la fenêtre. L'événement n'a jamais été confirmé, et il est à l'origine des légendes sur les nombreux spéculateurs qui se seraient ainsidéfenestrés (en tant que phénomène massif, il a été démontré statistiquement que les suicides d'acteurs du système financier à cause du krach sont unelégende urbaine[9]). Entre le et le, l'indice Dow Jones passe de 326,51 à 198,69 (-39 %)[1], ce qui correspond à une perte virtuelle de 30 milliards de dollars, dix fois le budget de l'État fédéral américain et plus que ce que les États-Unis avaient dépensé pendant toute laPremière Guerre mondiale[10].
La salle des échanges de la bourse deNew York peu après le krach.L'American Union Bank ferme ses portes le.
Par un effet de dominos, c'est l'ensemble de la Bourse qui s'effondre, et la chute de 1930 à 1932 est supérieure à celle de l'année 1929. Le, l'indiceDow Jones tombe à 41,22, son plus bas niveau depuis sa création en 1896.
Parmi les effondrements spectaculaires,Goldman Sachs passe de104 dollars en 1929 à 1,75 en 1932,American Founders Group (société d'investissement) passe de 75 dollars à 0,75 en 1935,U.S. Steel passe de 262 dollars à 22 le,General Motors passe de 1 075 dollars à 40 en 1932 etGeneral Electric de 1 612 dollars à 154 en 1932. LeDow Jones perd, dans cet intervalle, 89 % de sa valeur, il faudra attendre 1959 pour que le Dow Jones retrouve sa valeur initiale. La valeur virtuelle de l'ensemble des titres perd en fin de compte, quant à elle, 72 milliards de dollars.
La perte de confiance due à la crise boursière affecte laconsommation et lesinvestissements lors des mois suivant le krach. Les investisseurs qui ont spéculé en empruntant ne peuvent plus rembourser et causent des pertes sèches, ce qui conduit les banques à restreindre leur crédit. Les grandes entreprises connaissent alors des difficultés detrésorerie croissantes. Les plus faibles fontfaillite, ce qui accroît la fragilité des banques. Les épargnants paniquent et se précipitent auprès de leur banque pour retirer leur argent. Sans mécanismes de stabilisation, les banques les plus faibles sont dévastées par l'hémorragie de fonds et doivent faire faillite à leur tour : la crise devient alors unecrise bancaire à partir de 1930.
Les crédits se tarissent, la consommation, l'investissement et la production continuent de chuter, lechômage explose (de 1,5 million à 15 millions en 1933), et la crise bancaire devient unecrise économique en 1931.
La crise affaiblit le mouvement ouvrier. Les travailleurs qui avaient un emploi craignaient tellement de le perdre qu'ils suivaient le plus souvent les appels à la modération des dirigeants parlementaires et syndicaux[11].
Une tentative de redressement de l'économie américaine sera amorcée par leNew Deal et en particulier leNational Industrial Recovery Act de 1933, mais une rechute se produit en 1937. Ce n'est qu'avec l'entrée des États-Unis dans laSeconde Guerre mondiale fin 1941 que le pays se redresse durablement[12].
Les indices boursiers ne reprendront des valeurs comparables à celles précédant la crise de 1929 que 25 ans plus tard (le pic du est dépassé le)[13]. Les pratiques d'investissement prennent une nouvelle forme, avec des investissements pensés à plus court terme. Ces pratiques commencent à être défendues après le Krach parGérald M. Loeb, alors banquier d'investissement dans une société à Wall Street[14].
La crise boursière de 1929 dégénère en crise économique et son onde de choc se propage dans le monde entier, quoiqu'avec un certain retard et de façon irrégulière suivant le niveau d'exposition de l'économie locale aux risques boursiers américains.
Dans la « Vieille Europe », qui peine à se remettre de laPremière Guerre mondiale, les États-Unis, leurs immenses gratte-ciel, leur industrie ultra-moderne, leur industrie cinématographique omniprésente et leur puissance économique fascinent et révulsent en même temps, comme en témoigne la vision assez caricaturale d'Hergé dansTintin en Amérique parue dans le très catholique supplément jeunesse du journal belgeLe Vingtième siècle dirigé par un « curé de choc », l'abbéNorbert Wallez.
Dans ce contexte, la dégringolade de l'économie américaine marquée par un supposé « péché d'orgueil » peut apparaître pour certains Européens comme l'expression d'une forme de justice immanente.
Le journalisteJoseph Kessel publiera une série d'articles sur les suites de la crise de Wall Street sous le titreL'Amérique aux abîmes[15] qui décrivent de façon frappante le désarroi et la misère des classes moyennes et ouvrières américaines plongées dans la pauvreté et le chômage.
2012 : DansMen in Black 3 deBarry Sonnenfeld, lorsque J remonte dans le temps, il rencontre des actionnaires ruinés qui se seraient suicidés en se jetant par les fenêtres.
Dollar est écrite en 1932 parJean-Villard dit « Gilles »[17], un chansonnier suisse prolifique aux convictions de gauche nettement marquées qui connut un grand succès avec cette œuvre.
Jacques Brasseul,Histoire des faits économiques, Paris, Armand Colin, 2004.
Borne Dominique. (1989).Nouvelle histoire de la France contemporaine. 13. La crise des années 30 : 1929-1938 / Dominique Borne et Henri Dubief ([Nouvelle édition refondue et augmentée]). Éditions du Seuil.
Dockès, P. (2017).La grande crise des années trente (p. 521–642). Classiques Garnier.
John Kenneth Galbraith,La Crise économique de 1929, anatomie d'une catastrophe financière, Paris, Payot, 1989.
Vivi Perraki. (1991). Un aspect méconnu de la perception de la crise boursière : La presse parisienne du 24 octobre au 14 novembre 1929.Mouvement social,154, 157–172.