LeGuigna (Leopardus guigna), également appeléChat du Chili etKodkod, est unfélin dugenreLeopardus. Plus petit félin d'Amérique, le Guigna se caractérise par sa petite tête aux oreilles rondes, sa queue courte et touffue et ses pieds larges. Son pelage gris fauve à brun tacheté de noir est proche de celui duChat de Geoffroy.
Félin territorial et solitaire, le Guigna est fortement dépendant de laforêt : il n'a jamais été observé dans deshabitats où la végétation s'élève à moins de quarante centimètres de haut. Les petitsrongeurs et leslagomorphes forment l'essentiel durégime alimentaire. Il s'attaque ponctuellement aux oiseaux debasse-cour.
La tête, plutôt petite, possède des oreilles grandes et rondes[5], implantées bas sur le crâne[6]. La queue, épaisse et touffue, est courte : elle représente le tiers de la longueur totale de ce félin[6]. Les pieds larges possèdent des griffes décrites par l'écrivainPeter Jackson comme« puissantes »[7].
Le pelage est constellé de nombreuses petites taches noires et arrondies sur fond gris fauve à brun[3]. La robe est de couleur plus claire sur l'abdomen[3], toujours tachetée[6]. La gorge est barrée d'une marque foncée. La queue est annelée de dix à douze bandes noires[3]. Les taches forment des bandes discontinues sur les épaules et la tête[6]. Les marques faciales se composent de lignes foncées qui débutent au coin externe de l’œil pour barrer les joues, d'un marquage blanc autour de l’œil[3] et de deux rayures noires verticales montant sur le front depuis le sommet de l’œil[4]. Le revers de l'oreille est noir, avec une tache blanche au centre[6]. Lemélanisme est fréquent[3],[8] ; dans ce cas, le marquage tacheté reste visible sous un éclairage clair[6].
La couleur varie selon les régions : au Nord et au centre du Chili, la teinte est plus claire et au Sud du Chili plus colorée[3]. Le mélanisme est plus fréquent au Nord de l'aire de répartition. Il est courant sur l'île de Chiloé[5] et sur l'archipel de las Guaitecas, dans lesparcs nationauxQueulat etLaguna San Rafael et, en Argentine, dans laprovince de Neuquén[4]. Les pieds sont tachetés au Nord de l'aire de répartition mais pas au Sud ; en tout cas, lessoles plantaires sont noires[3].
Le Guigna ressemble beaucoup auChat de Geoffroy (Leopardus geoffroyi)[9],[10], dont les aires de répartitionsse rejoignent en Argentine. Il s'en distingue par des oreilles plus grandes, une queue plus petite et épaisse[10]. Les marques sur les épaules et la tête forment plus souvent des rayures nettes chez le Chat de Geoffroy que chez le Guigna, dont les stries sont moins distinctes[6].
Les populations autochtones identifient correctement des photographies de Guigna en moyenne une fois sur deux. Des confusions sont faites avec lechat domestique (Felis (silvestris) catus) ou un jeunepuma (Puma concolor)[Note 1], mais aucune avec desmustélidés[11].
Son comportement dans la nature est mal connu. Généralement considéré comme nocturne[8], des études ont montré qu'il est actif de nuit comme de jour[12]. Le Guigna se déplace sur de longues distances — jusqu'à cinq kilomètres — peu avant lecrépuscule et peu après l'aube[6].
Dans larégion d'Araucanie au Chili, des décomptes réalisés sur despièges photographiques montrent que l'activité du Guigna, essentiellement nocturne, varie selon la couleur de son pelage[13] : les individus entièrement noirs sont plus actifs la nuit que les tachetés. Le Guigna tacheté est par ailleurs plus actif les nuits nuageuses ou sans lune, ce qui favorise lecamouflage. Le comportement de ce félin varie selon les avantages que procure l'une des colorations avec les conditions devisibilité[13].
Les zones de repos se font dans la végétation dense, comme les forêts debambous ou des souches d'arbres morts ; dans la journée, le Guigna recherche la fraîcheur et se repose dans lesravins couverts d'une impénétrable végétation ou dans lesajoncs des ruisseaux[6]. Sur l'île de Chiloé, il a été aperçu se reposant dans les branches d'arbres, dans unverger ou sous des ajoncs[14], bien qu'il puisse être dérangé par des oiseaux tels leCaracara chimango (Milvango chimango) ou leVanneau téro (Vanellus chilensis)[6].
Le Guigna est bien adapté pour grimper[7],[15] — il est capable de monter sur des troncs de cinq centimètres[15] à plus d'un mètre de diamètre[6] — et il utilise peut-être les branches des arbres pour traquer ses proies dans les zones de végétation très dense[6].
Le Guigna s'attaque auxpoulaillers[7],[14] et mange occasionnellement descharognes[17],[4]. Des cas de prédations sur desnichoirs suspendus à hauteur d'homme ont été observés au sud du Chili central : ayant lieu majoritairement la nuit, sinon au crépuscule ou à l'aube, le taux de capture (14 %) et le type d'oiseaux capturés (petits oiseaux nichant dans des cavités) montrent probablement un comportementopportuniste plutôt qu'une véritable habitude de chasse[15].
La mère installe souvent sa tanière dans une forêt debambous pour donner naissance à deux à trois chatons[10]. La période degestation est de 72 à 78 jours en captivité. Lamaturité sexuelle est atteinte à 24 mois. Lalongévité du Guigna est de 11 ans en captivité[2].
Le Guigna adopte l'organisation territoriale typique des félins : leterritoire d'un mâle recouvre celui d'une ou de plusieurs femelles. Sur l'île de Chiloé, les trois mâles résidents de l'aire d'étude possédaient des territoires qui ne se recoupaient pas, de même pour les femelles entre elles. La taille du territoire des femelles n'a pas varié durant les six mois d'études et celui d'un mâle s'est fortement agrandi lors de la mort de l'un de ses congénères. Sur l'île de Chiloé, le territoire s'étend sur 1,3 à 22,4 km2[4].
Des études publiées en 2010 sur deux sujets décédés sur des autoroutes auChili et sur des prélèvements fécaux ont permis d'apporter d'autres informations à propos desendoparasites du Guigna. Trois espèces de vers parasites ont été trouvés :Toxascaris leonina,Toxocara cati etMastophorus muris. La source des infections par ces vers parasites provient probablement de l'alimentation du Guigna, essentiellement composée de rongeurs[20].
Au Chili central, le Guigna, leRenard de Magellan (Lycalopex culpaeus), leRenard gris d'Argentine (Lycalopex griseus) et laChouette effraie (Tyto alba) capturent le même type de proies : majoritairement de petits mammifères, puis des oiseaux et des invertébrés[17].
Bien que son habitat soit restreint aux forêts, les proies du Guigna étaient les plus variées des quatre prédateurs. La similarité du régime alimentaire était la plus forte avec le Renard gris d'Argentine, toutefois lesnichestrophiques étaient peu superposées pour l’ensemble des prédateurs[17].
Le Guigna est un félin forestier. ll vit dans lesforêts tempérées humides et lesbiotopes semi-ouverts, toujours en présence d'arbres ou de buissons. Il préfère lesforêts denses[22] mais est présent jusqu'à lalisière forestière entre 2 000 et 2 500 mètres d'altitude[7]. Le Guigna n'a jamais été observé dans des habitats ouverts où la végétation est inférieure à quarante centimètres de haut[4].
Dans le Sud-Ouest de l'Argentine, l'habitat typique du Guigna est la forêt debambous,lianes etépiphytes[5]. Au centre et au Sud du Chili, il s'agit des forêts de bambous de laprovince de Valdivia[5],[7]. Il tolère un changement de son habitat tant que la population de rongeurs reste présente : le Guigna a été observé dans lesforêts secondaires d'eucalyptus et depins[2], et sur l'île de Chiloé, il utilise les limites broussailleuses ou arborées entre les champs pour se déplacer[5].
En 2004, une étude avec desappâts odorants réalisée dans laréserve nationale Los Queules a montré que le Guigna a une forte préférence pour les couvertures buissonneuses denses, éloignées des routes et proches de grandes zones deforêt vierge. Lafragmentation de l'habitat a donc un fort effet négatif sur le Guigna, au contraire d'autres espèces de prédateur de même taille, mais moins spécialisées, comme leRenard de Magellan[23]. Une étude parpiégeage photographique, réalisée entre 2008 et 2009 près dePucón auChili, apporte un résultat similaire : laprobabilité de présence du Guigna augmente avec l'accroissement de la couverture forestière, atteignant 70 % dans les forêts continues de l'aire d'étude mais moins de 20 % dans les forêts très fragmentées[Note 2]. Le maintien de zones forestières dans la mosaïque de l'agriculture extensive est donc un point essentiel à la survie du guigna[24].
La population totale est estimée entre 5 980 et 92 092 individus matures. Le déclin de la population est estimé à au moins 30 % depuis les 18 dernières années[Note 3],[19].
Entre 1975 et 2000, lesforêts tempérées humides chiliennes ont en moyenne réduit de 4,5 % par an et les projections pour 2010 à 2020 montrent des taux similaires[19]. Fortement dépendant de la forêt, le Guigna est très sensible à la perte de son habitat : sa densité de population est beaucoup plus faible dans les forêts fragmentées. Par ailleurs, les morts parcollisions routières et par le braconnage sont augmentées par lafragmentation de l'habitat[19] ; ces deux causes représentent respectivement 29 % et 39,4 % des causes de mort sur les animaux étudiées sur l'île de Chiloé, très fragmentée[19].
Une analyse desmétapopulations du Guigna dans les parcs nationaux et réserves chiliennes a identifié onze métapopulations potentielles dont huit sont en état de non-équilibre. La métapopulation duparc national Nahuelbuta, entourée deforêts vierges fragmentées est viable sur le long terme. Pour les populations des réserves nationales deLos Queules et deLos Ruiles, la survie du Guigna ne sera assurée que si les forêts alentour sont protégées. La conservation du Guigna est donc très fortement liée à la préservation des forêts[25].
Le Guigna peut être piégé parce qu'il s'attaque aux poulaillers, ou par erreur, dans despièges à renard[5]. L'attitude des populations locales vis-à-vis de ce félin est majoritairement négative. La conservation à long terme passe par lasensibilisation des populations rurales au rôle écologique du Guigna, et notamment à son action positive sur les cultures par la chasse des rongeurs et des lagomorphes[11].
En raison de sa taille, safourrure est de faible intérêt, bien que sa peau puisse parfois être vendue sur les marchés locaux[18].
Dans le cadre de laconvention de Washington, le Guigna est classé enAnnexe II de la CITES depuis 1977, ce qui signifie que le commerce international de cette espèce est étroitement contrôlé[27]. En 2006, l'Argentine a interdit l'exportation des spécimens vivants[27].
Deuxsous-espèces ont été proposées[28] et sont confortées par les comparaisons génétiques[30] :
Leopardus guigna guigna Molina, 1782 : cette sous-espèce vit dans les forêts tempérées du sud du Chili (entre 38° et 48° S[4]) et d'Argentine (entre 39° et 46° S[4]) Plus petit et au pelage plus sombre que la seconde sous-espèce[22],[31] ;
Leopardus guigna tigrillo Schinz, 1844, associé à l'habitat de broussailles du centre du Chili, entre 30° et 38°S. Son pelage est de couleur plus claire[22],[32].
Laphylogénie moderne s'appuie essentiellement sur les analyses génétiques en raison du nombre peu important defossiles de félins. Le premier félin est apparu il y a onze millions d'années[33]. Les félins ont divergé en huit lignées distinctes. La lignée des ocelots, correspondant au genreLeopardus est la quatrième par ordre dedivergence. Il y a neuf millions d'années, les félins migrent pour la première fois vers lecontinent américain en passant par laBéringie[Note 5],[33].
Le niveau des océans remonte à nouveau au cours duMiocène, et les précurseurs des lignées de l'ocelot, du lynx et du puma se trouvent isolés des populations du vieux continent. La lignée de l'ocelot commence à diverger il y a huit millions d'années. Elle se distingue notamment par uncaryotype différent de celui des autres lignées : il compte 36 chromosomes au lieu de 38. Durant lePliocène, il y a deux à trois millions d'années, le niveau des océans baisse : l'isthme de Panama émerge et permet aux félins, et notamment à la lignée de l'ocelot, de conquérir l'Amérique du Sud[Note 6]. La diversification en espèces s'opère durant cette période et le dernier ancêtre commun du genreLeopardus est daté d'il y a 2,9 millions d'années[33].
LeChat de Geoffroy est l'espèce génétiquement la plus proche du Guigna.
LeChat de Geoffroy (Leopardus geoffroyi) est l'espèce la plus proche du Guigna. Les deux félins auraient divergé il y a un million d'années[30],[4]. En raison de sa ressemblance avec le Chat de Geoffroy, le Guigna a, par le passé, été considéré comme une sous-espèce[10].
Uneanalyse génétique de l'ADN mitochondrial et desmicrosatellites de 116 individus répartis sur toute l'aire de répartition du Guigna a permis d'apprécier l'histoire démographique et les barrières auflux de gènes de l'espèce. Une diversité génétique modérée entre les populations du nord du Chili et celles du sud conforte la division en deuxsous-espèces[4],[30].
Dans la langue desAraucans, le Guigna est appelé« Kodkod »[10]. L'origine de ce terme est incertaine : non utilisé au Chili et en Argentine, il peut également désigner leChat des pampas[4]. Dans la plupart de son aire de répartition, le Guigna est appelé« Guiña » ou« Huiña »[10].
Le Guigna est l'un des félins les plus méconnus. Les études à son sujet sont rendues difficiles par sa taille et son aire de répartition réduites[10]. Bien que menacé d'extinction, il fait partie des 14 espèces de félins sous-étudiées par lacommunauté scientifique avec moins de dixpublications recensées entre 1986 et 2007[34],[Note 7].
La première étude spécifiquement tournée vers le Guigna a été conduite en 1997 sur l'île de Chiloé au Chili. Cette étude de six mois a permis d'obtenir d'importantes données sur l'activité et l'occupation du territoire[12]. Cinq mâles et trois femelles de l'ile de Chiloé ont été capturés et muni decollier émetteur pour des études de télémétrie[6].
Sur l'île de Chiloé, l'attitude des fermiers est négative envers le Guigna, considéré comme un animal-vampire, qui tue ses proies par une morsure dans le cou pour leur sucer le sang[14]. Dans laprovince de Malleco auChili, le Guigna est notamment éliminé parce qu'il est considéré comme un tueur dechevreaux, bien que ce soit jugé comme hautement improbable par lesbiologistes Mel et Fiona Sunquist, considérant la très petite taille de ce félin[18].
Unsondage réalisé auprès des populationsrurales du sud du Chili montre qu'un peu plus de la moitié des personnes interrogées sont capables de reconnaître le Guigna, avec une forte disparité entre les hommes (70,8 %) et les femmes (31,6 %). En comparaison, lepuma est reconnu par les mêmes personnes à plus de 90 %. Parmi les erreurs d'identification, le Guigna a été confondu avec lechat domestique ou un jeune puma[11].
Les personnes sondées souhaitaient toutes que le nombre de Guignas diminue, majoritairement parce que c'est un animal qu'elles n'aiment pas (72,1 %). La prédation dans labasse-cour est évoquée par une personne sur deux, bien qu'il s'agisse parfois d'évènements remontant à plus de dix ans[11]. Deux témoignages debraconnage de moins d'un an ont été récoltés, dont un en représailles d'un prélèvement de douzepoules. La chasse de ce félin est réalisée avec un chien qui le poursuit jusqu'à ce qu'il se réfugie dans un arbre, où il est alors facile de l'abattre. La fourrure est conservée commetrophée[11].
Enphilatélie thématique, les félins d'Amérique du Sud sont rarement représentés[35]. Untimbre de Guigna est présent dans une série sur les félins sauvages d'Argentine en2001[36]. En 2010, laGuinée Bissau sort une série sur les félins d'Amérique du Sud le où le Guigna est représenté[35],[37].
↑La Béringie correspond audétroit de Béring. Il s'agit d'unpont de terre entre l'Asie et l'Amérique qui est apparu plusieurs fois au cours des récentes périodes géologiques.
↑Cette période est appeléeGrand échange interaméricain. L'Amérique du Sud était isolée des autres continents depuis des dizaines de millions d'années. L'arrivée des félins correspond notamment à la disparition des grands prédateurs du continent sudaméricain.
↑L'effort de recherche pour les félins s'est concentré sur les espèces de grandes tailles comme lelion ou leléopard, plutôt que sur le risque d'extinction.
La version du 13 janvier 2016 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.