| 1 319 652 (2019)[1] |
| Régions d’origine | |
|---|---|
| Langues | khmer,vietnamien,palilangue liturgique |
| Religions | bouddhismetheravāda |
| Ethnies liées | Khmers |
LesKhmers Krom (enkhmer : ខ្មែរក្រោម /khmae kraom/ littéralement « Khmers d'En-bas ») sont les membres de la minoritékhmère duViêt Nam et vivent pour la plupart au sud du pays, dans ledelta du Mékong dont ils sont lesautochtones.
En Vietnamien, ils se nommentNgười Viet Goc Mien (Vietnamiens d’origine khmère),Người Khơ-me Nam Bo (Khmers du Sud) ou encore plus simplementNgười Khmer.
Ils forment l’un des 54groupes ethniques du Viêt Nam officiellement reconnus par le gouvernement.
Le nombre de Khmer Krom reste sujet à controverse. Alors que le recensement du gouvernement vietnamien de2019 en aurait dénombré 1 319 652[1], la Fédération des Khmers du Kampuchéa Krom les estime à environ 7 millions[2].
D’après le recensement du gouvernement[1], les 13 provinces dudelta du Mékong comptent 17 273 630 habitants dont 1 141 241 Khmers, ce qui fait des Khmer Krom le second groupe ethnique du delta derrière lesKinh (Viêt). Aujourd’hui, les Khmers vivent principalement dans les provinces deSóc Trăng (où ils représentent 30 % de la population),Trà Vinh (32 %) etKiên Giang (12 %).
Des rapports des organisations AusAID[3] etHuman Rights Watch[4] se rapprochent des chiffres du gouvernement vietnamien et parlent de « plus d’un million » d’individus.
LesKhmers continuent à appelerKampuchéa Krom (Cambodge du bas) les provinces méridionales de l’actuelViêt Nam dont ils se considèrent comme les descendants des premiers occupants de la région[5]. Néanmoins les autorités vietnamiennes réfutent ces affirmations.
Des découvertes archéologiques près d’Óc Eo montrent que l’endroit a été habité depuis plus de 2 000 ans et que du commerce s’y faisait[6].
À partir duIIIe siècle, le delta fera partie duFou-nan puis de l’empire khmer.
AuXVIIe siècle, une guerre civile entre les Trinh et les Nguyen ravage l’Annam voisin. C’est en1623, alors que l’empire khmer est en pleine déliquescence, que le roiChey Chettha II autorise des réfugiés à s'installer dans la région autour de Prey Nokor (aujourd’huiHô Chi Minh-Ville)[7]. Ce sera le début d’un long processus de « vietnamisation » de la région qui connaitra son apogée en, lorsqu’un traité est conclu avec le roi cambodgienAng Duong et qui confirme l’annexion définitive dudelta du Mékong au profit de l’Annam[8],[9],[10],[note 1].
Le souverain khmer n'abandonnait pas pour autant tout espoir de récupérer un jour ces provinces et allait notamment le montrer dans sa lettre de1856 àNapoléon III où il confirmait que le Cambodge ne renonçait nullement à ses droits[note 2],[13].
Mais le, les Français s’implantent dans la région et mettent un terme aux opérations de « pacification » contre les populations autochtones khmères[14]. Les forces françaises savent jouer des antagonismes interethniques et utilisent notamment des combattants Khmer Krom[15] pour conquérir ce qui correspond aujourd’hui aux régions administratives du delta du Mékong et duSud-est vietnamien. La colonie française deCochinchine sera créée en1867[16] et durera plus de 80 ans.
Toutefois, les espoirs des Khmer Krom de voir évincer la communauté annamite seront vite déçus. En effet, l’exploitation de la nouvelle colonie exigera rapidement l’utilisation d’une main d’œuvre nombreuse que la région n’était pas en mesure de fournir. LaFrance puisa alors les bras qui lui manquaient dans les plaines surpeuplées duTonkin – essentiellement par l’ethnieKinh -, ne faisant qu’accentuer d’autant le sentiment des Khmer Krom d'être relégués au rôle d’intrus sur leurs terres[17].
L'arrivée des Français n'avait pas non plus marqué la fin du grignotage de terres et la nouvelle colonie de Cochinchine poursuivait, à ses débuts, son expansion au détriment du Cambodge. Dans lesannées 1870, tout un territoire khmer situé entre ceux dePrey Veng etTây Ninh est annexé. Dans lesannées 1890, de nouveaux cantons, dont ceux deLộc Ninh et Phước Lê, dans lesquels on compte étendre les plantations d'hévéa sont à leur tour rattaché à l'administration de Saïgon. Les frontières ne seront fixées que par l’arrêté du Gouverneur général de l'Indochine daté du, qui de surcroît rend au Cambodge le district de Cai Cay, dans la région du« bec de canard », de l'actuelleprovince de Svay Rieng[18].
La colonie perdurera jusqu’au, date à laquelle l’empire colonial français est remplacé par l’Union française qui donne des pouvoirs toutefois très limités aux anciennes dépendances. À cette occasion, laCochinchine est réintégrée à l’État duViêt Nam[19]. Mais, le roiNorodom Sihanouk affirme les prétentions cambodgiennes sur la région, se référant notamment à une promesse de rétrocession des provinces deVinh Long,Châu Dôc etHà Tiên qu'aurait faite en1864 l'amiral de la Grandière àNorodomIer lors d'une visite à Saïgon[20]. Devant ces réserves, l'article 3 de laloi de cession du territoire rendra ce rattachement provisoire et susceptible d’être remis en cause si le statut duViêt Nam venait à changer[21],[note 3].
Ce changement interviendra le lors desaccords de Genève qui scellent l’indépendance totale duViêt Nam, mais sans toutefois que le statut de laCochinchine, intégrée à laRépublique du Sud Viêt Nam, ne soit rediscuté.
Depuis, ledelta du Mékong est un sujet de ressentiment récurrent des Cambodgiens et des Khmer Krom envers le Viêt Nam voire envers les Français à qui il est reproché d’avoir cédé en1949 une terre sur laquelle d’après eux, le Cambodge n’avait jamais renoncé à faire valoir ses droits[23].
Encore aujourd’hui, certains partis politiques de Phnom Penh, tel leMouvement démocratique de Hang Dara, n’hésite pas à inclure nommément la restitution duKampuchéa Krom au Cambodge dans leur programme[24].
Lors de la résistance aurégime colonial desannées 1940, quelques Khmers Krom soutenaient les forces communistesViệt Minh, qui s’étaient alliées aux nationalisteskhmers issarak (littéralement Khmers libres) et combattaient aussi bien dans ledelta du Mékong qu’auCambodge[25]. D’autres Khmers Krom soutenaient les Français, notamment certains moines bouddhistes qui se serait battus dans des milices locales mises en place par le pouvoir colonial[25].
Après l’indépendance, laRépublique du Viêt Nam mit en place des campagnes d’assimilation agressives, ponctuées en1956 par un décret de « nationalisation »[26]. Le gouvernement ordonna la fermeture des écoles liées aux pagodes, entrava l’utilisation de lalangue khmère et obligea les Khmers Krom à adopter un nom vietnamien[25]. Cette dernière pratique n’était pas toutefois nouvelle, puisque déjà auXIXe siècle, l’empereurMinh Mạng avait obligé lesKhmers à choisir entre cinq patronymes, à savoir Danh, Kien, Son, Kim, ouThach[27]. L’école de Soc Trang est transformée en institution vietnamienne[25].
Ngô Đình Diệm, le dirigeant –catholique – de laRépublique du Viêt Nam met en place durant sa présidence (de1955 à1963) des lois destinées à restreindre la progression dubouddhisme auViêt Nam. Les réformes foncières incluent des incitations gouvernementales auxKinh qui s’installent au sud, poursuivant le processus visant à priver les Khmers Krom de la terre de leurs ancêtres[26]. Ces efforts de « vietnamisation » remirent en selle les mouvements ethno-nationalistes au sein des Khmers Krom[25]. Parmi ces mouvements, le plus important était le Front des Khmers du Kampuchéa Krom, dirigé par le moine Chau Dara qui au départ demandait une égalité de droit entre les Khmers Krom et la majoritéKinh. En1963, Chau Dara est arrêté après que le front aurait mis sur pied une armée d’environ 1 500 hommes et exigé duViêt Nam qu’il « rende » le Kampuchéa Krom auCambodge[26].
D’autres mouvements émergèrent, aussi bien chez les Khmers Krom que chez lesChams (les descendants des habitants de l’ancienRoyaume de Champa, au centre duViêt Nam) et les minorités des hauts plateaux appelées « Montagnards » ou Dega. En1964, le Front des Khmers du Kampuchéa Krom et le Front de Libération du Champa fusionnent avec le Bajaraka, un groupe ethno-nationaliste montagnard - dont le nom est formé des premières lettres des groupes ethniques qui le composent (Bahnar,Jaraï, Rhade et Co Ho) – et qui était le précurseur du FULRO – Front Uni de Lutte des Races Opprimées)[26].
Vu la longue tradition de soutien aux mouvementsnationalistes et la profonde animosité animant les Khmers Krom à l’encontre de l’ethnieKinh, le gouvernement actuel duViêt Nam reste sensible à toute tentative de réémergence d’un mouvement ethno-nationaliste. Les autorités sont par conséquent promptes à réprimer toute forme dedissidence, même pacifique, dans la communauté khmère du Viêt Nam[28]. À ces tensions, s’ajoute le nombre croissant de fermiers Khmers Krom qui protestent et se plaignent au gouvernement de la perte de leurs terres (voir par ailleurs le chapitrelitiges fonciers).
Contrairement à la grande majorité de l’ethnie dominanteKinh, fidèle auBouddhisme mahāyāna ou auCatholicisme, lesKhmers Kroms suivent les préceptes du bouddhismetheravāda. Beaucoup voient dans cette forme de bouddhisme l’origine de leur culture spécifique et de leur identité ethnique.
Ces bouddhistes ont traditionnellement manifestés de manière pacifique pour obtenir des changements politiques au moins depuis l’époque coloniale. On comptait parmi les figures importantes de la lutte indépendantiste cambodgienne des intellectuels Khmer Krom telsSon Ngoc Thanh ou d’anciens moines bouddhistes nés au sud du Viêt Nam comme notammentSon Ngoc Minh ouTou Samouth[29]. Ils recrutaient en prêchant dans les pagodes khmères du Cambodge et du sud du Viêt Nam où ils appelaient à préserver le bouddhisme theravāda et exhortaient la population à rejoindre la lutte anticoloniale[25].
Le, la police française réprima brutalement la « révolte des ombrelles », une manifestation pacifique réunissant àPhnom Penh plus d’un millier de moines et de laïques qui protestaient contre la décision des autorités d’arrêter et de défroquer le vénérable Hem Chieu, un moine nationaliste qui s’était opposé de manière véhémente à la proposition française de « romaniser » l’alphabet khmer[30]. L’administration française répondit à ce qu’on peut considérer comme « la première action concertée contre le colonialisme au Cambodge »[25] en exigeant de l’écolePâli et de l’Institut bouddhique de Phnom Penh de ne plus se mêler de politique et d’interdire à leurs moines de prononcer des sermons subversifs[30]. Beaucoup de contestataires s’enfuirent enThaïlande et l’école Pâli fut fermée plus de six mois[31]. Le vénérable Hem Chieu fut envoyé aubagne de Poulo Condor où il mourut en1943[25].
Dans lesannées 1960, alors que l’indépendance avait été acquise, plusieurs moines Khmer Krom furent assassinés ou exécutés auViêt Nam, dont le supérieur de la pagode Khleang, dans laProvince de Sóc Trăng en1960 et celui de la pagode de Chek Chroun, dans laProvince de Trà Vinh en1963[25]. Malgré la répression qui obligea de nombreux Khmer Krom à trouver refuge auCambodge, le gouvernement vietnamien estimait en1974, qu’il y avait 500 000 ressortissants de l’ethnie khmère sur son territoire et plus de 400 pagodes actives au sud duViêt Nam[25].
En, àSaïgon, plusieurs milliers de policiers dispersent durement une manifestation pacifique de 200 moines Khmer Krom qui protestaient contre la politique d’assimilation du gouvernement. D’autres manifestations moins importantes eurent lieu dans ledelta du Mékong l’année suivante[25].
Certains Khmers duViêt Nam ne se contentaient pas de s’opposer passivement augouvernement du sud, mais soutenaient activement les mouvements communistes cambodgien et vietnamien. Parmi eux,Ieng Sary etSon Sen deviendront des hauts responsableskhmers rouges, dont le programme inclura de reprendre le « Kampuchéa Krom » auViêt Nam. Après la réunification en1975, laRépublique socialiste du Viêt Nam reconnut la contribution pendant la guerre de nombreux moines bouddhistes et intellectuels Khmer Krom dans la révolution et les mouvements indépendantistes qui l’ont précédée[25].
Les nouvelles politiques religieuses et foncières qui suivirent la réunification du Viêt Nam, ainsi que les violents combats frontaliers opposant en1978 -1979 les troupes vietnamiennes etkhmères rouges affectèrent sévèrement la communauté Khmer Krom dudelta du Mékong, engendrant notamment des « déplacements de population » et des restrictions sur certaines pratiques bouddhiques dont l’ordination des moines[4].
Pendant lerégime de Pol Pot, les autorités vietnamiennes permirent toutefois aux moines qui fuyaient leCambodge, de s’installer dans les pagodes bouddhistes dudelta du Mékong. Après que leViêt Nam eut renversé leskhmers rouges, en1979, beaucoup de ces moines retournèrent auCambodge où, avec la bénédiction des autorités, ils participèrent à la remise en place dans les pagodes desSangha (communauté bouddhiste des moines) qui avaient été décimés.
Au milieu desannées 1980, le gouvernement vietnamien adopta des mesures plus répressives à l’encontre des Khmer Krom. L’une des premières fut de demander aux moines une carte d’identité pour pouvoir voyager. En1984, la plupart des bibliothèques monastiques furent fermées et les moines qui enseignaient le bouddhisme ou la culture khmère furent emprisonnés. Il semblerait que les autorités vietnamiennes croyaient que les Khmer Krom étaient mêlés à une organisation subversive nommée KC-50, soi-disant financée par lesÉtats-Unis et dont le but aurait été de réinstaller le gouvernement anticommuniste de l’ancienneRépublique du Viêt Nam. La répression fut particulièrement brutale dans laProvince de Trà Vinh où par exemple Khim Tok Choeng, supérieur de la pagode de Preah Trapeang fut arrêté en1985 avant que son corps ne soit retourné dans un cercueil scellé de style vietnamien. Ces compagnons prétendirent qu’il avait été éventré. D’autres moines furent assassinés à la même époque et de manière similaire, tels les vénérables Thach Kong, Thach Ret ou Kim Sang, le président du comité central des moines theravāda du Viêt Nam[25].
Alors que les persécutions ont diminué depuis lesannées 1990, des observateurs prétendent que le gouvernement vietnamien a généralement remplacé les manières brutales par des méthodes plus douces et plus subtiles visant à contrôler les libertés de mouvement,d’association,de réunion etde religion des Khmers Krom[25],[28]. Par exemple, les libertés religieuses sont perçues au Viêt Nam comme un privilège octroyé par le gouvernement au lieu d’être un droit inaliénable. En outre, les activités soupçonnées de menacer l’autorité du Parti communiste vietnamien sont interdites ou sévèrement contrôlées.
Certains bouddhistes Khmer Krom voudraient gérer et pratiquer leurs activités religieuses sous la conduite de leur propre ordre monastique plutôt que – comme cela est le cas pour toutes les religions auViêt Nam – sous la surveillance d’un comité nommé par le gouvernement[32]. Pour les bouddhistes, il s’agit du conseil exécutif du Sangha bouddhiste vietnamien, une organisation dominée par des dirigeants dubouddhisme mahāyāna et proches du pouvoir. C’est ce conseil – et non les dirigeants bouddhistes theravāda khmers – qui prennent toutes les décisions concernant les ordinations, les cérémonies religieuses et le contenu des programmes d’éducation religieuse donnée dans les écoles des pagodes.
Toujours comme pour les autres religions, le gouvernement impose des restrictions aux bouddhistes khmers, telle que l’interdiction de se rendre librement vers une autre pagode sans permission officielle. Pour l’État, les groupes religieux qui essaient de fonctionner indépendamment des comités gouvernementaux mettent à mal l’autorité du parti. Le gouvernement répond brutalement aux demandes d’indépendance religieuse, plus particulièrement dans des régions comme le sud du Viêt Nam où la religion a traditionnellement été liée aux mouvements politiques ou aux influences d’origine étrangères qui auraient pu ébranler la suprématie duParti Communiste[4].
Ainsi, en 2007, des moines khmers protestèrent et demandaient de lever les restrictions sur le nombre de jours autorisés pour célébrer certaines fêtes religieuses ainsi que de pouvoir nommer eux-mêmes des responsables religieux qui pourront décider de l’ordination des moines et du contenu des cours religieux dans les écoles des pagodes. Les moines réclamaient aussi l’ouverture de plus d’écoles primaires et secondaires en khmer et d’inclure dans leur programme la culture, l’histoire et la géographie duCambodge. Malgré la promesse de certains dirigeants de prendre en compte ces demandes, quelques jours plus tard la police encercla les pagodes de ceux qu’elle tenait pour les meneurs. Afin d’envoyer un message fort à ceux qui avaient participé aux manifestations, les autorités locales et les responsables bouddhistes, choisis par le gouvernement, défroquèrent au moins 20 moines et les expulsèrent de leurs pagodes vers leurs villages natals où ils furent placés en résidence surveillée ou emprisonnés. La décision de faire quitter la robe à un moine, l’obligeant de fait à abandonner lemonachisme, appartient traditionnellement auSangha et non à des officiels du gouvernement[4].
Il ne faut toutefois pas perdre de vue que les manifestations de 2008 et la manière dont les autorités les ont réprimées, ne sont pas spécifiques aux Khmer Krom. Les fidèles d’autres religions tels les bouddhistes Hoà Hao[33], les membres de l'Église bouddhique unifiée du Viêt Nam[33], ainsi que les protestants, catholiques[34],mennonites[35] et adepte duCaodaïsme souffrent eux aussi d’entraves gouvernementales à leurs pratiques religieuses et à leur liberté de réunion. Les minorités ethniques qui, comme les Khmer Krom, mais aussi comme lesHmong ou les chrétiens montagnards des Hauts-plateaux du centre et du nord, tentent de gérer eux-mêmes leurs affaires religieuses sont là encore constamment en conflit avec les autorités locales[36].
AuViêt Nam, où les organisations indépendantes de la société civile sont interdites et la liberté d’association fortement limitées, les organisations religieuses répondent parfois à des attentes qui sortent normalement de leurs attributions. Des dirigeants religieux indépendants tels Thich Quang Do de l'Église bouddhique unifiée du Viêt Nam, le pasteur Mennonite Nguyen Hong Quang ou le prêtre catholique Nguyen Van Ly se doublent de défenseurs desdroits de l'homme, mais en payent le prix fort en goûtant aux geôles du pays[35].
Les rassemblements tels que les fêtes bouddhiques, les messes catholiques où les réunions dans les églises montagnardes remplissent un rôle religieux mais peuvent aussi servir de tribunes de discussions sur les problèmes sociaux[32].
Dans le discours duParti communiste vietnamien, les expressions populaires de contestation et toute forme d’agitation sociale sont perçues comme des conspirations manigancées par des « forces étrangères hostiles » qui abusent de la démocratie, des droits de l’homme, des conflits sociaux et des libertés religieuses pour manipuler et attiser l’opposition au gouvernement dans les groupes défavorisés et marginalisés.
Le gouvernement vietnamien tend à traiter toute revendication d’origine ethnique comme un mouvementséparatiste ouirrédentiste. De fait, beaucoup de Khmers sont nationalistes et reprochent auViêt Nam la confiscation de l’ancestral territoire dudelta du Mékong. Dans des documents internes, les autorités justifient leurs efforts pour annihiler les mouvements Khmer Krom par la crainte d’avoir à faire face à une demande de création d’un État indépendant. Toutefois, rien n’indique que les cinq moines incarcérés en pour trouble à l’ordre public et plus particulièrement pour avoir perturbé la circulation avaient des visées indépendantistes[4].
Pendant les accrochages entre leskhmers rouges et les troupes vietnamiennes en1978–1979, les Khmer Krom durent quitter leurs habitations situées dans la zone des combats. Lorsque les évacués voulurent revenir en1979, beaucoup trouvèrent leurs maisons démolies et des personnes de l’ethnieKinh installés sur leurs terrains. Le gouvernement vietnamien leur a distribué de petites parcelles pour rebâtir leurs maisons, mais comme les terres ne sont pas fertiles, elles ne leur permettent pas de cultiver de quoi subvenir à leurs besoins[4].
En1986, le sixième congrès national duparti communiste lance leĐổi mới qui doit permettre au pays d’adopter l’économie de marché. En1988, le bureau politique décide de la mise en place d’un système de contrats pour les paysans qui se voient allouer une parcelle de terrain. Si la loi foncière vietnamienne de1993 conserve à l’État la propriété du sol, il donne aux fermiers le droit d’occuper leurs terrains, mais aussi de vendre, d’échanger, de louer, d’hériter et d’hypothéquer ce droit. Les paysans obtiennent un certificat d’utilisation de terrain aussi appelé « livre rouge » qui est censé les prémunir d’une confiscation de leur parcelle[37].
Des chercheurs ont montré qu’en pratique les lois foncières de1993 ont conduit beaucoup de paysans pauvres, notamment Khmer Krom, à vendre leurs titres pour payer leurs dettes ou tout simplement pour pouvoir gérer la hausse des prix des engrais et des soins de santé combinés à la chute des cours du riz[38]. Les conséquences en ont été une flambée de laspéculation, des transactions frauduleuses et du nombre de conflits fonciers[39].
Les articles 28.3, 38, et 38.2.c de la loi foncière de1993 disposent que les conflits doivent se régler par la conciliation à travers des comités municipaux, de district puis de province. Si une des parties conteste la décision des comités, elle peut faire appel à un corps administratif gouvernemental ou aux tribunaux. Toutefois, les fermiers Khmer Krom rechignent à faire usage de ces dispositions. Ils se plaignent de lacorruption des autorités locales et de leurs manques de réceptivité à leurs plaintes, quand elles ne prennent pas des décisions en faveur desKinh ou des dignitaires qui ont acquis leurs terres soit de manière illégale soit à des prix très largement inférieurs à ceux du marché[40]. Comme l’a fait remarquer Philip Taylor, chercheur ensciences sociales, le principal handicap de beaucoup de Khmer Krom est leur recours limité au système judiciaire qui a de toute façon tendance à favoriser le droit des nouveaux occupants par rapport à celui des anciens résidents[38].
Désespérant de trouver une voie légale efficace et équitable pour récupérer leurs terres, les paysans Khmer Krom organisent des protestations qui, parfois, sont dispersées de manière brutale. Par exemple, le, la police a utilisé des chiens et des matraques électriques pour réprimer un rassemblement dans laprovince d'An Giang. Plusieurs manifestants furent blessés et neuf arrêtés[35].
Il est toutefois important de rappeler que les manifestations de 2007 et 2008 dans ledelta du Mékong et la manière dont les autorités les ont réprimées, ne sont pas spécifiques au Khmer Krom. Dans beaucoup derégions du Viêt Nam, les paysans protestent contre la confiscation de leurs terres et la corruption[32].
Alors que ledelta du Mékong est la première régionrizicole duViêt Nam, les Khmer Krom n’en tirent qu’un faible profit. Une étude préparée par un groupe de travail comprenant le gouvernement, des donateurs et des Organisations Non Gouvernementales, tend à démontrer que le taux de pauvreté est lié à l’origine ethnique et que les Khmer Krom sont les moins favorisés, en partie parce qu’ils demeurent sur les sols les moins fertiles. Toujours d’après ce rapport, les provinces qui présentent le plus fort taux de pauvreté (Sóc Trăng etTrà Vinh) sont aussi celles où les communautés Khmer Krom sont les plus importantes. D’autre part, dans toutes les provinces où ils sont présents, la pauvreté des Khmer Krom est plus importante que celle des autres ethnies[41].
Les réformes foncières desannées 1980 et1990 qui donnèrent le « droit d’utilisation » de terres à ceux qui y vivaient et la travaillaient depuis un certain temps ont souvent pénalisé les Khmer Krom qui avaient auparavant été déplacés. D’autres ont dû vendre ou hypothéquer leurs parcelles pour atténuer leur pauvreté ou leur endettement[4].
Comparé aux sept autres régions duViêt Nam, ledelta du Mékong est celle qui compte le plus de personnes à faible revenus (4 millions) et le second taux de sans-abris[3]. D’après les donateurs australiens de l’AusAID, les Khmer Krom sont les plus désavantagés économiquement et socialement des trois principaux groupes ethniques du delta[3].
Beaucoup de Khmer Krom louent maintenant leurs bras sur d’autres terres ou ont abandonné définitivement l’agriculture pour des postes peu rémunérés qui requièrent un niveau d’étude sommaire et de faibles compétences tels que la manutention ou le recyclage[3]. On assiste à un flux constant de jeunes qui quittent le delta pour les usines d’Hô Chi Minh-Ville[42].
Se trouvant eux-mêmes progressivement privés de leurs terres ainsi que de leurs moyens de subsistance et désespérant de trouver des recours, de plus en plus de Khmers Krom descendent dans la rue pour manifester[32].
Legouvernement de Hanoï déclare que lesdiscriminations raciales « n’existent pas » au Viêt Nam où « toutes lesethnies ont, depuis des temps immémoriaux, coexisté pacifiquement sans conflit racial ni discrimination. Tous les groupes ethniques, quelle que soit leur taille, leur langue, leur culture, leur histoire ou leur niveau de développement, ont les mêmes droits dans tous les domaines de leur vie[43]. »
Un article paru sur le site de la radio d’État « Voice of Vietnam » en2007 présentait les programmes gouvernementaux censés être en faveur de l’ethnie khmère. Durant les cinq années précédentes (2001-2006) l’état a investi plus de mille milliards deDongs (près de 59 millions de dollars US) pour construire des infrastructures dans plus de 200 communes habitées par des Khmers, 108 pagodes ont été construites ou rénovées, plus de 60 000 ménages à revenus modeste ont reçu des terrains pour y bâtir des maisons, plus de 100 000 ont bénéficié de prêts pour plus de 150 milliards de Dongs (8 millions de dollars US) afin de développer leur production. Plus de 80 % des ménages auraient un équipement audio-visuel et apprennent la langue khmère. Les provinces commeTrà Vinh ouSóc Trăng où la communauté des Khmer Krom est importante, ont des journaux en Khmer et tous les ans, leurs fêtes traditionnelles sont fêtées en grande pompe[44].
LaConstitution de la république socialiste du Viêt Nam adoptée le affirme les droits des minorités ethniques. L’article 5 déclare que le gouvernement interdit tout acte de discrimination ethnique et garantie le droit des groupes à utiliser leur langue et leur système d’écriture, de préserver leur identité et de promouvoir leurs traditions et leur culture. Les articles 36 et 39 autorisent des traitements préférentiels en termes d’éducation et de santé pour les minorités ethniques[45]. La commission à la nationalité de l’Assemblée nationale vietnamienne élabore et coordonne les politiques en faveur des minorités, alors qu’un organe gouvernemental, le Comité pour les minorités ethniques et les zones montagnardes supervise les problèmes tels que les programmes de réduction de la pauvreté et les incitations fiscales en leur faveur[46],[47].
Malgré l’existence de ces politiques et programmes officiels, la perception d’une discrimination est très présente chez les Khmer Krom. Beaucoup se plaignent d’être désavantagés par le gouvernement qui ne leur fournit pas assez de possibilités de suivre des études secondaires en Khmer, d’interdire les publications dans leur langue sur leur histoire et leur culture, de restreindre la pratique du bouddhismetheravāda, de réprimer leurs manifestations pacifiques, de les empêcher de contacter des groupes de défense étrangers, de détourner l’aide au développement qui leur est destinée et de n’offrir que des compensations et des recours virtuels à la confiscation de leurs terres[48]. Ils ajoutent que malgré les discours prônant une société multiethnique, le gouvernement ne prend en fait aucune mesure concrète visant à préserver la culture des khmers Krom. La rhétorique multiculturelle et les gestes symboliques tendraient juste à laisser croire à lacommunauté internationale que l’État se préoccupe de la situation alors qu’en réalité sa politique appauvri et isole les Khmers, procédant ainsi à la lente extinction de leur culture[28],[38].
La situation réelle des Khmer Krom est difficile à vérifier, vu les difficultés encourues par les groupes de défense des droits humains lors de leurs enquêtes auViêt Nam. Toutefois, la perception largement répandue dans la communauté d’une discrimination à leur égard est elle-même source de conflit. Pour ne rien arranger, les efforts du gouvernement pour nier le problème et pour punir ceux qui protestent ne font qu’attiser cette rancœur[4],[28].
Aussi, afin de pouvoir mieux faire entendre leurs doléances, les Khmer Krom ont rejoint l'Organisation des nations et des peuples non représentés (UNPO)[49].
À la base de beaucoup de plaintes pour discrimination, on retrouve le fait que les khmer Krom sont les plus pauvres dudelta du Mékong et aussi ceux qui ont le moins d’instruction, deux taux qui interagissent fortement l’un sur l’autre. Tout cela ne fait que renforcer leur sentiment de marginalisation. Beaucoup pensent que la politique d’éducation mise en place par le gouvernement est destinée avant tout à les assimiler dans une société dominée par l’ethnieKinh, les empêchant d’accéder aux hautes études et affaiblissant les fondations de leur culture : lalangue khmère[4].
Alors que ledelta du Mékong détient un pourcentage d’écoles primaires et secondaires plus élevé qu’aucune des sept autres régions duViêt Nam, il a aussi le second taux d’illettrisme chez les adultes et le plus bas niveau de scolarisation, avec un tiers de l’ensemble des abandons scolaires de tout le pays, 83 % des travailleurs à bas salaires, 96 % de la population à faible revenus et à niveau d’instruction sommaire[3],[38]. Dans laProvince de Trà Vinh (environ 100 000 habitants), 6 000 écoliers ont abandonné l’école en 2007. D’après un instituteur de la province, 70 % d’entre eux l’ont fait pour des raisons financières qui les ont obligé à travailler alors que seuls 30 % l’ont fait pour leur « incapacité à apprendre[50] ».
Le mauvais taux de fréquentation est en partie dû aux familles Khmer Krom à faible revenu qui ont besoin de faire travailler leurs enfants pour subvenir aux besoins du ménage, contribuant à entretenir la spirale de la pauvreté. Beaucoup des enfants ayant une faible capacité d’apprentissage viennent de la minorité khmère[50]. Pour eux, les handicaps se cumulent; ne maitrisant pas la langue vietnamienne du professeur, leur milieu social défavorisé leur rend peu abordables les frais de scolarité d’écoles souvent éloignées de leur domicile[38].
Un rapport de l’AusAID datant de 2003 et qui avait montré que beaucoup d’enfants issus de familles khmères pauvres ne finissaient pas leur scolarité, recommandait de modifier le système éducatif pour le rendre « plus accessible aussi bien socialement que linguistiquement aux élèves khmers[3]. »
Le gouvernement vietnamien avait répondu que sa politique était d’encourager tous les groupes ethniques à apprendre le vietnamien, la langue officielle du pays, tout en reconnaissant aux minorités le droit d’étudier et d’utiliser leurs langues parlées et écrites[45]. Les lois en matière d’éducation devraient permettre aux étudiants des minorités ethniques d’être partiellement ou totalement exemptés de frais de scolarité et d'avoir des bourses pour étudier dans des écoles qui leur sont destinés[43].
Toutefois, dans la réalité, les élèves Khmer Krom, en plus d’avoir des difficultés avec la langue vietnamienne, ne peuvent pas non plus bénéficier d’une bonne éducation en Khmer. Les écoles publiques dudelta du Mékong dispensent la grande majorité de leurs cours en Vietnamien, avec souvent que deux heures par semaine d’apprentissage duKhmer[38].
Pour beaucoup de Khmer Krom, le seul moyen d’apprendre à lire ou à écrire leur langue est d’aller étudier dans les écoles pâlies tenues par des pagodes bouddhistes ou de devenir moine. Cela exclut la plupart des filles qui ne peuvent devenir moines et qui traditionnellement ne sont pas éduquées dans les pagodes[4].
Les Khmer Krom, tout comme le royaume duCambodge se considèrent comme les héritiers de l’empire khmer qui présida aux destinées de la région, duIXe siècle auXVIe siècle. D’autre part, comme évoqué au chapitre sur l’histoire du delta du Mékong, l’irrédentisme cambodgien sur cette région est toujours vivace. Enfin, étant constitué à 90 % de membres de l’ethnie khmère, leCambodge a traditionnellement fait preuve d’une grande tolérance à l’égard des Khmers duViêt Nam, les autorisant à traverser la frontière pour venir vivre, travailler ou étudier. Le gouvernement a à maintes reprises déclaré qu’il considérait les Khmer Krom qui avaient fui le Viêt Nam comme citoyens cambodgiens[51],[52].
Dans un proche passé, les autorités cambodgiennes, notamment celles de la République deLon Nol, n’hésitaient pas au besoin à recourir à eux pour les besoins de leur politique antivietnamienne ; ainsi, des milices Khmer Krom furent-elles directement impliquées dans les massacres de résidents vietnamiens au Cambodge en[53], alors que dans le même temps, l’armée républicaine put compter sur le renfort de « mercenaires khmers du Viêt Nam » équipés et entrainés près deSài Gòn par des instructeurs américains[54],[55].
Aujourd’hui, le problème des Khmer Krom reste un sujet politique sensible à cause des ressentiments viscéraux à l’égard du Viêt Nam et parce que beaucoup de Cambodgiens pensent que leParti du peuple cambodgien duPremier ministreHun Sen – mis au pouvoir par les troupes vietnamiennes en1979, à la suite de leur victoire sur les forces khmères rouges – est toujours politiquement contrôlé parHanoï. L’idée, plus ou moins reçue, que l’empire angkorien autrefois glorieux ait été affaibli au cours des siècles par la perpétuelle acquisition vietnamienne de territoire cambodgien est un reproche fréquemment utilisé par tous les mouvements populaires d’opposition pour attaquer le gouvernement qui, de son côté, se montre très susceptible sur la question.
À cause de l’affinité entre la plupart des Cambodgiens et les Khmer Krom, les dirigeants tolèrent un certain niveau d’activisme politique de la part de ces derniers, tant que cela ne compromet pas les relations avec le Viêt Nam.
Néanmoins, après la réponse brutale des autorités vietnamiennes aux manifestations de moines et de paysans en2007, le gouvernement cambodgien a lui aussi réprimé des mouvements de protestation pacifiques de moines Khmer Krom qui avaient fui le Viêt Nam et voulaient publiquement dénoncer les abus dont ils y auraient été victimes. La mort suspecte du moine Eang Sok Thoeun peu après avoir participé à une manifestation à Phnom Penh en[56] et la participation des autorités cambodgiennes dans l’arrestation en de Tim Sakhorn, un autre moine qui fut ensuite défroqué avant d’être extradé, au Viêt Nam[57], constituent des avertissements aux Khmer Krom aussi bien du Cambodge qu’au Viêt Nam. En, un tribunal vietnamien a condamné Tim Sakhorn à un an de prison pour avoir « conspiré contre l’unité nationale »[58].
Aujourd’hui, le Cambodge ayant cessé d’être la terre d’asile qu’il a été, de plus en plus de Khmer Krom (environ 50 moines et une centaine de laïcs en 2008[4]) se réfugient enThaïlande, renouant ainsi avec une pratique qui avait déjà cours au début du protectorat[14].
Comme on pourra le constater ci-dessous, vu les liens très forts qui unissent leCambodge et la communauté des Khmer Krom, la plupart, pour ne pas dire la totalité, des personnalités ont acquis leur notoriété dans ce pays et non auViêt Nam.
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