Pour un article plus général, voirHistoire du Yémen.


LesJuifs yéménites sont desJuifs qui vivaient, ou dont les ancêtres récents vivaient auYémen, dans la pointe sud de lapéninsule Arabique. Ils forment un groupe majeur desJuifs arabes et plus largement desJuifs orientaux ditsMizrahim.

Membres de l'une des communautés juives les plus anciennement établies, ils ont émigré à partir duXIXe siècle enIsraël, où ils se trouvent actuellement pour leur majeure partie.

Le premier royaume à réussir la conquête de la totalité de l'Arabie méridionale est le royaume deHimyar, à la fin duIIIe siècleapr. J.-C. La dynastie himyarite s'efforce d'unifier religieusement le pays. Le choix duchristianisme présenterait l'inconvénient d'impliquer un assujettissement à l'Empire byzantin chrétien. Les rois de Himyar font donc le choix dujudaïsme, se convertissent mais n'en font pas la religion officielle.
En 380,Abîkarib As'ad et ses corégents se convertissent aujudaïsme. L'influence prépondérante du judaïsme dans le Yémen duVe siècle et la conversion de la dynastie himyarite à cette religion paraissent assurées, même si modalités et conséquences sont encore discutées. Cette première révolution met un terme définitif aupolythéisme ancestral. Peu à peu, se diffuse lechristianisme qui est vu comme une secte et combattu comme tel. Ainsi, vers 470 a lieu le martyre d'Azqir sous le règne de Sharahbi'îl Ya'far. Une lutte religieuse éclate entre chrétiens et Juifs sur fond de guerre civile. Dès 519, le roi d'ÉthiopieCalebElla Asbeha soutient activement le coup d'État duchrétien Madîkarib Yafur sur le trône. En, il sera exécuté par le monarque juifYusuf As'ar Dhū Nuwas qui s'empresse d'asseoir son pouvoir en lançant une grande persécution des chrétiens dont le comble se situe en avec lemartyre de saint Aréthas àNajrân[1].
Lechrétien Madîkarib Yafur doit lancer une expédition punitive enArabie centrale pour châtier la révolte en juin521 du Kindite juif Al-Hârith qui refuse de reconnaître son usurpation. Avec le roi juifYusuf As'ar Dhu Nuwas, c'estNajrân qui refuse de se soumettre en juillet523. Enfin, l'Empire demeure impuissant à contrer la grande invasion par lesAbyssins mandatés par leBasileus en 525. Le roi Yusuf se suicide.
Lechristianisme s'implante ainsi grâce aux forces étrangères, balayant les derniers foyers judaïques forcés à se convertir ou à partir. Le roi Sumûyafa Ashwa est intronisé puis renversé en535 par le chef du corps expéditionnaire abyssin toujours présent,Abraha, qui transfère la capitale de Zafâr àSanaa. L'occupation abyssine n'est pas bien acceptée. Ainsi, en 570, un prince juif yéménite,Sayf Ibn Dhi-Yaz'an, fait appel auxPerses pour chasser les Abyssins, ce qui entraîne l'invasion persesassanide du pays, qui renverse le roi abyssin Masrûq.
Procope de Césarée, historien byzantin (500-560)« signale la campagne des Éthiopiens contre les Himyarites "qui étaient tous juifs"[2] » dans son ouvrageDe Bello Persico (I, ch. 20). Selon Procope, les Éthiopiens du royaume d'Aksoum ont entrepris la conquête du Yémen auVIe siècle pour mettre fin aux persécutions dont les chrétiens himyarites étaient victimes de la part du roi juifDhu Nuwas. Les inscriptions explicitement juives sont aujourd'hui une dizaine : elles invoquent le « Seigneur des juifs », le « peuple d'Israël » ou se terminent parshalôm ouamen[1].
De 525 à 570, le Yémen devint officiellement un royaume chrétien, à la suite de la défaite du dernier roi juif himyarite,Yusuf Dhu Nuwas, contre leroyaume d'Aksoum (État de laCorne de l'Afrique situé au nord de l'Éthiopie), allié de l'Empire byzantin.« L'expédition aksoumite de 525 élimine le pouvoir juif et le remplaça par des souverains chrétiens, d'origine tout d'abord himyarite, puis éthiopienne[2] ».
Nombre de Juifs de Himyar seconvertirent au christianisme pour avoir la vie sauve ; certains continuèrent en pratiquer leur foi en secret, formant une communauté decrypto-juifs.

À partir de 571 à 632, c'est la grande période de la dominationpersesassanide. Puis arrive l'ère musulmane à partir de 632.
« Dès la période de pouvoir descalifes bien guidés (632-661) les ports riverains du golfe d'Aden tirèrent profit de l'avancée de l'islam en devenant des centres commerciaux de première importance à la croisée des routes de l'Asie, de l'Afrique et du Levant. Les communautés juives, établies depuis la période préislamique, se développèrent[2] ».
La communauté juive d'Aden connut son "âge d'or" sous le règne desAyyubides (1173-1229) et sous celui desRassoulides (1229-1454), durant lesquels la ville fit office de plaque tournante ducommerce maritime entre la Méditerranée et l'Océan indien. Parmi les notables dont l'histoire a gardé le nom, Madmun ibn Hasan ibn Bundar, Juif adénite représentant des douanes califales (mort en 1151) ; il affréta en association avec des marchands musulmans un navire qui ouvrit une route maritime entre Aden etCeylan[2].
Les Juifs d'Aden étaient dans leur majorité tournés vers l'autorité religieuse desacadémies babyloniennes (en Irak). Cependant, auXIIe siècle, leskaraïtes opposés aux préceptes dictés par les académies babyloniennes, eurent une activité importante à Aden, où leur communauté se maintint jusqu'auXVIe siècle.

Les Juifs yéménites se subdivisent en trois grands groupes religieux:

Les différences entre ces groupes, outre leur localisation géographique différente à l'origine, concerne largement la balance entre influences respectives des anciennes traditions yéménites, basées en grande partie sur les écrits deMoïse Maïmonide, et d'autre part des traditions issues de lakabbalelourianique, qui exerça une influence grandissante à dater duXVIIe siècle.


Vers la fin duXIXe siècle, de nouvelles idées, en provenance de l'étranger, commencèrent à affleurer parmi les Juifs yéménites. Des journaux rédigés enhébreu arrivèrent, et des relations accrues se nouèrent avec les Juifs sépharades, qui arrivaient au Yémen depuis diverses provinces de l'Empire ottoman, pour y nouer des relations avec des personnalités de l'armée et du gouvernement.
Deux voyageurs juifs,Joseph Halévy, un orientaliste juif de France, et Edward Glaser, un astronome juif venu d'Autriche, exercèrent une influence considérable sur la jeunesse juive yéménite, et en particulier sur le rabbinYihhyah Qafahh. Celui-ci introduisit, à la suite de ses contacts avec Halévy et Glaser, des notions modernes dans le système éducatif, inaugurant une nouvelle école au programme des cours de laquelle figuraient, outre les sujets traditionnels, l'arithmétique, l'hébreu, l'arabe et la grammaire de ces deux langues, les sciences naturelles, l'histoire, la géographie, l'astronomie, les sports, etc[4]. Rabbi Qafahh, un maïmonidéen, fonde le mouvement desDor Daïm (la « génération des savants »). Comme l'ensemble desTalmidei HaRambam, ainsi que certains Juifs sépharades espagnols et portugais, lesDor Daïm rejetaient leZohar, l'un des piliers de laKabbale, qu'ils jugeaient irrationnel, étranger et inconsistant avec la véritable nature, raisonnable, du judaïsme.
En 1913, alors que Rabbi Qafahh, alors directeur de la nouvelle école juive et collaborant étroitement avec les autorités ottomanes, semblait jouir d'un soutien politique suffisant, lesDor Daïm rendirent leurs opinions publiques, et tentèrent de convaincre la communauté juive yéménite de revenir dans son entièreté à la méthode d'interprétation maïmonidienne du judaïsme qui prévalait avant les années1600.
Cependant, de nombreux membres de la communauté n'adhérant pas au mouvement desDor Daïm, rejetèrent leurs conceptions. Les opposants, menés par Yahya Yitzhaq, leHakham Bachi du Yémen, se dénommèrent les Iqshim et refusèrent de dévier des coutumes établies et de l'étude du Zohar.
La dispute entre les Dor Daïm et les Iqshim éclata en 1913, enflamma la communauté juive de Sanaa, et mena à la constitution de deux groupes rivaux, possédant chacun leurs institutions communautaires, qui furent maintenues séparées jusqu'à la fin des années 1940.
Les Iqshim s'en prirent particulièrement à l'école moderne turco-juive instaurée par Rabbi Qafahh[4]. Cette école dut fermer 5 ans après son inauguration, avant que le système éducatif ne puisse former des jeunes formés à ses idées[5].

Les juifs yéménites parlaient l'arabe judeo-yéménite une variante duJudéo-arabe et l'arabe yéménite pour communiquer avec les autresarabes.
L'hébreu demeure la langue liturgique et de l'étude de judaïsme. La prononciation de l'hébreu yémenite est différente de celle des autres communautés séfarades.Le Sègol est prononcé comme un A grave, et celle du Holam, comme un é mouillé, un peu ressemblant à la prononciation lituanienne, ou comme un eu. Le Kamats n'est pas comme un A, mais comme un O fermé.Ils font la différence entre le Sheva et le Tséré.Il en résulte que le mot éhad, (un) et le mot aher (un autre) ont une ressemblance, et nous voyons une trace de ce problème dans un texte de la Guemarah. Certains en déduisent que cette prononciation est plus proche de celle qui était à l'origine.
Parmi les auteurs juifs yéménites :

De 1679 à 1680, le roiimam Al-Mahdi Ahmad décrète lebanissement des Juifs des villes du Yémen vers la région désolée et désertique deMawza ((en)exile de Mawza) et la dépossession de leurs biens, y compris les synagogues qui sont transformées en mosquées[6]. Un an après l'exil, les quelques Juifs ayant survécu sont rapatriés, restent dépossédés et sont autorisés à installer leurs habitations à l'extérieur des villes. De nouvelles loisdiscriminatoires sont mises en place pour entretenir leurpersécution[7].
Cet événement est remémoré comme le plus traumatique par les Juifs du Yémen.
Durant leXIXe siècle, l'instabilité politique, les sécheresses et les catastrophes naturelles eurent un impact négatif sur la communauté juive. La population juive deSanaa décroit progressivement[8].
Durant les années 1880 et le début duXXe siècle des famines déciment les communautés juives. Certains hommes abandonnent leurs foyers. En 1904, lors du siège de Sanaa par l'imam Yahya, les Juifs et les Turcs sont les premiers touchés. Les Juifs vendent tous leurs biens et sont pillés, d'autres qui fuient la ville sont dépossédés par les forces armées tandis que d'autres se convertissent à l'Islam pour survivre. Selon une estimation 80 % des Juifs de la ville périssent lors de cette famine[9].

Cette première vague d'émigration s'explique par plusieurs facteurs : d'une part, les Yéménites ont des contacts accrus avec des Juifs étrangers, et l'ouverture ducanal de Suez en 1869 facilite les transports ; d'autre part, les difficultés économiques et l'instabilité politique au Yémen incitent les Juifs au départ. Le choix de Jérusalem était motivé par des raisons religieuses également ; la Palestine n'était cependant pas la destination unique des émigrés, dont certains choisissaient l'Égypte ou l'Inde.
Un facteur immédiat aurait joué en 1881 : le journal yéméniteha-Magid a relayé une nouvelle des journaux anglais selon laquelle desashkénazes désireux d'améliorer la situation de leurs frères israélites avaient obtenu du gouvernement ottoman des terrains en Palestine pour y établir ceux qui souhaiteraient quitter leur pays[10].
Cette migration n'était pas organisée. Ni le mouvementsioniste ni les persécutions n'ont joué de rôle important dans cette première période[11].
En 1884 il y a 400 juifs yéménites à Jérusalem, en 1888, 650 ; et en 1908, 2 500 à Jérusalem et 290 à Jaffa. Les conditions de vie en Palestine n'étaient pas très favorables mais celles qui avaient cours au Yémen s'étaient dégradées du fait que le gouvernement ottoman exigeait de la communauté toujours le même montant detaxes, sans tenir compte du nombre de départs, de sorte que l'émigration entraînait l'émigration[12].

Cette vague d'émigration a fait l'objet de nombreux travaux historiques parce qu'elle met en contact pour la première fois les juifs yéménites et les sionistes européens. Certains historiens y voient le moment de formation d'un type de rapports qui se perpétuera par la suite en Israël.
L'émigration qui eut lieu au début duXXe siècle n'obéit pas à des raisons religieuses, et n'est pas due non plus à l'oppression musulmane, mais aux avantages économiques offerts par le mouvement sioniste (remboursement des frais de voyage)[13].
Selon le rapport de Shmuel Yavnieli, envoyé au Yémen par l'Organisation sioniste mondiale en pour y recruter des travailleurs, les communautés juives de ce pays sont prospères et vivent en sécurité, du moins autant que la société musulmane yéménite[14]. En contradiction avec l'idéologie sioniste dont il est pourtant un porte-parole, Yavnieli attribue la réussite des juifs yéménites à un haut degré d'intégration dans l'environnementmusulman[15].

Un problème insurmontable se pose en Palestine aux sionistes dans les années 1900 : de nombreux travailleursjuifs européens quittent la région où ils n'ont pas d'avenir économique. En concurrence avec les travailleurs arabes, ils ne sont pas embauchés par les planteurs juifs, leurs exigences salariales étant trop élevées. L'Organisation sioniste pense avoir trouvé une solution pour exclure des colonies juives les ouvriers arabes palestiniens : "employer desJuifs arabes[16]", qui se contentent de bas salaires. La main-d'œuvre juive yéménite est destinée à "remplacer la main d'œuvre arabe des colonies juives tout en maintenant leur caractère hébraïque[16]". En 1910, 2000 juifs yéménites sont ainsi "importés" en Palestine[16]". On leur réserve des quartiers séparés notamment àHadera,Rehovot,Petah Tikva, Kinneret.

Ils reçoivent dessalaires inférieurs à ceux des travailleurs ashkénazes pour le même travail[17]. Dans les années 1905-1914 le salaire moyen d'un journalierarabe palestinien versé par un fermier juif est de 5 à 8 piastres. Le journalier juif yéménite reçoit entre 6,2 et 8 piastres, parfois 9 piastres. Quant à l'ouvrier agricoleashkénaze, il reçoit 12,4 piastres. Le salaire des Yéménites ne leur permettait pas de satisfaire leurs besoins vitaux, pas même de se nourrir suffisamment : alors que les Arabes palestiniens exerçaient une autre activité salariée, qui leur assurait leur revenu principal, et ne pratiquaient que de manière saisonnière le travail agricole, les Yéménites, eux, dépendaient entièrement de leur maigre salaire dejournaliers. "Ils formèrent unprolétariat vivant aux marges de l'économie de plantation"[18].
Yaakov Tehon de l'Organisation sioniste justifie ainsi l'établissement permanent defamilles yéménites en Palestine (et non d'ouvriers adultes seulement) :« Cela permettrait d'employer des femmes et des jeunes filles pour remplacer les femmes arabes actuellement payées très cher dans presque toutes les familles de colons[19] ».

Le taux de mortalité des Yéménites immigrés est tragiquement élevé : 124 Yéménites de Petah Tikva périrent entre 1912 et 1918, soit 40 % de l'effectif. S'il est vrai que pendant la guerre, le taux de mortalité a connu une hausse générale, la différence par rapport à la populationashkénaze est très nette. Ainsi, à Rechovot, sur 900 ashkénazes, 75 moururent entre 1914 et 1918, soit 8,3 % ; sur 237 Yéménites, 101 moururent pendant la même période, soit 42,6 %[20].
"Des travailleurs yéménites ont contracté lamalaria après avoir été envoyés travailler dans desmarais, cependant le comité du village refusa de payer les soins. Selon la chercheuse Nitza Druyan[21], la première année, 60 Yéménites périrent dans les villages de Petah Tikva et Hadera réunis. Ils étaient logés dans des endroits comme desétables ou devaient parfois dormir dans les champs"[22].
Plusieurs chercheurs ont souligné le rapport entre ce taux de mortalité élevé et le fait que les besoins élémentaires des juifs yéménites ont été négligés[23]. À lamalnutrition et auxconditions sanitaires déplorables s'ajoutait le travail intensif ; ainsi les enfants et les femmes yéménites pouvaient travailler plus de dix heures par jour[19].

Les ashkénazes ont exclu les Yéménites des programmes d'achat desterres, les ont maintenus dans le statut de salariés, avec un rang inférieur sur le marché du travail ; ils les ontexclus des kibboutz, villages collectivistes juifs créés en Palestine dès 1910. Ils ont ainsi déterminé la formation d'une identité séparée des Yéménites dans la société israélienne émergente. Ainsi, selon l'historien Gershon Shafir, la ségrégation dont sont victimes les juifs yéménites n'est pas seulement liée à la spécificité de leur héritage culturel[24].
Le statut social supérieur des ashkénazes en Israël est souvent attribué au fait qu'ils étaient des pionniers en Palestine, alors que lesJuifs orientaux auraient émigré plus tard. Pourtant, les juifs yéménites ont fait partie des vagues depremière et deuxième émigrations. Alors que des travailleurs ashkénazes commeBen Gourion,Ben Zvi,Berl Katznelson sont parvenus à des positions de leadership, aucun Yéménite n'a jamais acquis une prééminence comparable. De toute évidence, l'antériorité de la présence en Palestine n'est nullement un facteur déterminant demobilité sociale et politique[25]. Les juifs yéménites ne sont pas moins que les juifs ashkénazes des "pionniers" en Palestine, mais ils ont été effacés en tant que tels de la mémoire sioniste[26].
Les juifs yéménites ont pâti duconflit israélo-arabe, et du fait d'être considérés comme desJuifs arabes, payés au "tarif arabe", selon Gershon Shafir[27]. Dans leurs lettres des travailleurs juifs yéménites rendent compte des insultes des contremaîtres juifs européens : ils étaient traités d'Arabes (terme utilisé ici dans une intention injurieuse), de crétins, de sauvages[28].
Ella Shohat parle de l'attitudecolonialiste des juifs européens en Palestine à l'égard des Arabes comme desJuifs arabes :« L'exploitation économique et politique des Yéménites allait de pair avec les sentiments classiques de supériorité des Européens. »[29]

Ben Gourion etArthur Ruppin ont opposé les ouvriers yéménites, « simples travailleurs », éloignés des nobles motivationssocialistes et nationalistes, aux ouvriersashkénazes, qualifiés d'« idéalistes », capables de se dévouer à un idéal, de créer de nouveaux modèles de vie[30].
Dans le journalHa'Tzvi on pouvait lire : le juif oriental "est un travailleur simple, naturel, capable d'accomplir toutes sortes de tâches, sans honte, sans philosophie, mais également sans poésie. Et M.Marx est tout aussi absent de la poche de son veston que de son esprit. Je ne veux pas dire que l'élément yéménite devrait rester dans sa situation actuelle, à savoir dans son état présent de sauvage et de barbare[31]".
Les ashkénazes ont justifié leur action en parlant le discours de la vertu républicaine : ils avaient renoncé au confort d'une émigration dans les villes américaines pour se joindre au projetsioniste ; ils étaient légitimes pour dicter ses valeurs à la nouvelle société juive. En revanche, les juifs yéménites n'obéissaient pas à des convictions idéologiques sionistes, ils n'étaient que des "travailleurs naturels[32]".
Le traitement réservé aux juifs yéménites préfigure l'installation desjuifs orientaux dès les années 1950 dans desvilles de développement où, selon l'historien Gershon Shafir[26], ils furent employés comme main-d'œuvre bon marché.


Si entre 1919 et 1928, l'Organisation sioniste du travail envoie des lettres à la communauté yéménite pour encourager l'émigration (si bien que 1413 nouveaux arrivés sont recensés pendant cette décennie), l'année1929 marque un tournant décisif : l'Agence juive ouvre alors un bureau de l'émigration àAden en vue de faciliter le voyage pour laPalestine mandataire. Grâce à des moyens logistiques considérablement accrus, le nombre des immigrants augmente : de 1932 à 1939, 6416 Juifs yéménites arrivent en Palestine[34]

Les motivations des Yéménites sont d'abord économiques, liées à la dépréciation duriyal (monnaie du Yémen) de 50 %, à la sécheresse, aux difficultés de communication entre la côte et l'intérieur qui gênent le commerce, selon les rapports des émissaires sionistes ; à cela s'ajoutent des persécutions religieuses dont l'importance est diversement estimée par les agents sionistes[35].
Le nombre de « certificats » délivrés par l'Agence juive aux immigrants étant en nombre limité, les chefs de la communauté juive yéménite ont produit, selon Bat-Zion Eraqi Klorman, une image excessivement pathétique de la condition des Juifs au Yémen, dans le but d'obtenir le plus grand nombre possible de certificats pour leurs compatriotes. Ainsi, ils ont présenté le statut légal dedhimmis des Juifs yéménites comme une source de persécutions, et l'émigration comme une question de vie ou de mort, ce qui ne serait pas exact selon la même historienne israélienne[36].
Quant aux motivations de l'Agence juive, elles sont également d'ordre économique, et conduisent à la sélection des immigrants. Seuls les hommes de moins de 35 ans, en bonne santé, qui ont des capacités pour le travail manuel, recevaient des certificats[37],[38] à cette époque.

Yihye Haybi (hébreu : יחיא חייבי) est unphotographe israélien né au Sanaa en 1911. A une époque où il n'y a pas de photographes locaux au Yémen, Haybi photographie la communauté juive à laquelle il appartient et qui lui réclame des photographies souvenirs à envoyer aux parents partis enPalestine, des membres de la population musulmane et même de la famille royale grâce à du matériel obtenu d'Européens qu'il rencontre lors d'un voyage à l'étranger. Il travaille en parallèle commeinfirmier dans une clinique.
Après un incidentantisémite, il décide d'émigrer à son tour avec sa jeune famille et ses photographies en Palestine en 1944. Il se rend en taxi puis à dos d'âne jusqu'à un camp d'intégration de l'Agence juive où il reste sept mois à attendre[39]. Un navire l'emmène enfin jusqu'àPort-Saïd en Egypte puis les membres de la famille voyagent en train jusqu'au camp d'immigration d'Atlit où ils restent tous ensemble pendant une semaine avant d'être envoyés aucamp de transit (mahabarah) àRamat Hasharon près deTel Aviv. Le camp n'est pas pourvu en électricité mais il est fourni aux familles des tentes, des douches et des services publics. Haybi trouve du travail commeouvrier agricole. Au bout d'un an et demi, la famille d'Haybi est transférée dans un logement permanent àRa'anana où Yihye devient associé dans une entreprise deblanchisserie.

Haybi pense présenter son travail photographique après sa retraite mais il meurt en 1977 à l'âge de 66 ans. Après sa mort, sa veuve, Rumiya, publie en 1985 un livre retraçant son œuvre :Sana'a et ses environs, photographié par Yechiel Haybi. En 2014, lamaison TIcho organise une exposition àJérusalem intitulée « Scènes de Sana'a : Photographies de Yihye Haybi du Yémen, 1930-1944 », sous l'égide du conservateur Ester Muchawsky-Schnapper qui publiera en 2000 le catalogue de l'exposition sur les Juifs yéménites[40]. Les photographies de Yihye Haybi offrent des aperçus historiques et ethnographiques uniques de Sana'a à son époque, y compris de la documentation illicite d'événements en cours.

La communauté juive a déjà en grande partie quitté laPéninsule arabique avant laSeconde Guerre mondiale, mais l’effet cumulé de la mort de l’imamYahia en 1948 (garant de la paix civile durant de nombreuses années), des violences antisémites, notamment lors dupogrom d'Aden en décembre1947 et de l’indépendance d’Israël, précipite brusquement le mouvement. Enfin, la population juive du Yémen, traditionnellement très pieuse, voit dans la fondation d’Israël un accomplissement prophétique précédant le rassemblement des exilés[41].
En1949, pratiquement toute la population juive du Yémen choisit l'émigration lors de l'opération Tapis volant. Un camp de transit nommé Guéoulah (rédemption) est organisé àAden pour les accueillir, parfois durant de longs mois avant qu’ils puissent partir en Israël. De là un pont aérien est monté par les autorités israéliennes pour accomplir le transfert. L’opération concerne en tout 49 000 personnes, seuls 1 200 juifs décidant de rester au Yémen[41].

En juillet2009, après l'exfiltration versNew York d'une soixantaine de juifs, il reste seulement 290 membres de cette communauté au Yémen[42].
Enmars 2015, le journal américainThe New York Times rapporte des cas de persécutions de juifs du Yémen par lesHouthis, idéologiquement antisémites[43].
Le, l'Agence juive annonce la fin de ses opérations de transfert versIsraël, en collaboration avec leDépartement d'État des États-Unis de la majeure partie de la communauté d'un paysen pleine guerre civile, avec la récupération de 19 personnes ; l'opération en a évacué en tout environ 200. Parmi les 19 évacués, la rabbin de la communauté amène en Israël un rouleau de la Torah qu'il estime vieux de 600 ans, ce qui met symboliquement fin à la présence du judaïsme au Yémen[44]. Il reste alors une cinquantaine de Juifs dans le pays, dont une quarantaine àSanaa, près de l'ambassade américaine, qui souhaitent rester[45].
En mars 2021, treize Juifs, sont évacués vers l'Égypte. Il ne resterait alors que six Juifs au Yémen[46],[47]. En 2023 il ne resterait qu'un seul Juif, Levi Marhabi, détenu prisonnier par les Houthis. Il est accusé d'avoir aidé à emporter unSefer Torah en dehors du pays[48].

Passés les premiers moments euphoriques de retrouvailles avec la terre d’Israël, les émigrants du Yémen comme d’autrescommunautés juives issues du monde musulman rencontrèrent de grandes difficultés dans la société de l’État d’Israël naissant, tout comme d'autres communautés émigrées dans d'autres pays.Leracisme de l’establishmentashkénaze à leur égard a largement contribué au processus d'exclusion dont les juifs yéménites ont été victimes[réf. nécessaire].
Cette communauté se retrouva rapidement reléguée parmi les couches inférieures de la société israélienne[49].

Logés dans un premier temps dans lesma'abarot, des camps de toile où les conditions de vie étaient très précaires, et où ils furent relégués, comme les autresjuifs orientaux, plus longtemps que ne le furent les immigrés juifs européens[50], les réfugiés du Yémen subirent des traumatismes de divers ordres. Les enfants yéménites furent envoyés dans des écoles d’enseignement laïc faisant une totale abstraction de leurs traditions sociales et religieuses, ce qui provoqua de graves problèmes d’acculturation. Des enseignants en arrivèrent même à couper les longuesPeot de leurs élèves[49].
Les manuscrits et livres rares des Yéménites ayant dû être acheminés séparément depuisAden en bateau, quand des membres de la communauté vinrent pour les récupérer, on leur expliqua que l’entrepôt où ils étaient stockés avait brûlé. Ce désastre, qui n’a jamais fait l’objet d’enquête, provoqua des rumeurs selon lesquelles ces documents avaient été donnés à des instituts de recherche[49].

Mais la plus grande affaire, récemment élucidée seulement, qui constitua le traumatisme le plus durable pour cette communauté, est l'affaire des enfants yéménites. Il s’agit de la disparition dans des hôpitaux de mille à cinq mille nouveau-nés et nourrissons yéménites dans la période succédant à leur arrivée. En effet, à leur arrivée en Israël, beaucoup d’enfants, éprouvés par leur périple, étaient très affaiblis et furent envoyés en convalescence dans des hôpitaux. Certains furent déclarés morts[49].
Trois commissions d’enquête ont été réunies et n’aboutirent pas à des conclusions jugées satisfaisantes. Selon le personnel médical, certains enfants décédés furent enterrés sans que l’on puisse prévenir leurs parents en raison de la désorganisation entourant l’arrivée des Yéménites et notamment du mauvais enregistrement des noms. Des rumeurs persistantes au sein de la communauté yéménite évoquent le fait que ces enfants aient été donnés à des famillesashkénazes[49].
En 1995, une enquête gouvernementale est menée à la suite des incidents de Yehoud provoqués par le rabbin yéméniteUzi Meshulam. L'enquête est menée par les juges de la Cour suprême Cohen Yehuda et Yaakov Kadmi. Le comité a examiné plus de huit cents cas, et les conclusions ont été publiées en 2001 : 733 ont été déclarés morts. Le sort d'environ 56 enfants disparus a été déclaré incertain : l'enquête conclut qu'ils avaient pu être adoptés.
En 2016, sous la pression des familles victimes de ces pratiques et de l'opinion publique,Benjamin Netanyahu ouvre une enquête conduite parTzachi Hanegbi, les documents relatifs à l'affaire sont déclassifiés et mis en ligne[51].

En mars 2022, les Nations unies signalent qu'il n'y a qu'un seul Juif au Yémen[52].
Moshe Ya'ish al-Nahari (en) est enseignant et boucher àDār ar Raydah. Le 11 décembre2008, il est assassiné par un Yéménite musulmanexigeant qu'il se convertisse à l'islam. À la suite de ce meurtre, sa veuve et ses 9 enfants décident d'émigrer en Israël[53].
