LesJuifs éthiopiens ou « Beta Israel » (ge'ez ቤተ እስራኤል,hébreu :ביתא ישראל, la « maison d’Israël » au sens de la « famille d’Israël »), ou les « Falasha », sont desÉthiopiens dereligion juive ou leurs descendants, qui ont pour la plupart émigré enIsraël. Selon leurs traditions, ils descendent de latribu de Dan. Ils ont vécu pendant des siècles dans le nord de l’Éthiopie (Gondar,Tigré), où ils ont constitué des États indépendants, qui ont été détruits auXVIIe siècle par lepouvoir impérial. Ils deviennent alors une minorité marginalisée, le plus souvent sans droit de posséder des terres et, à l'occasion, accusée d’attirer le « mauvais œil ».
« Beta Israel » est lenom qu'ils se donnaient lorsqu'ils vivaient enÉthiopie[3]. Le nom « Falasha » (amharique : « exilé », « errant », « sans terre »), couramment utilisé pour les désigner en Europe, est rejeté par les Juifs éthiopiens qui le considèrent commepéjoratif[4]. Depuis l’immigration en Israël, le termeBeta Israel tend à y être remplacé, y compris au sein de la communauté elle-même, par l'expression « Juifs éthiopiens »[5] ou « Etiopim » (« Éthiopiens »).
Ancien livre saint desBeta Israel en langue Ge'ez.
Dans l’identité desBeta Israel, la religion est déterminante, tant vis-à-vis des autres Éthiopiens que des autresJuifs. La description qui suit était valide enÉthiopie, mais évolue rapidement enIsraël.
LesBeta Israel avaient la même version duPentateuque que les chrétiens éthiopiens, rédigée enguèze, lalangue liturgique commune. Outre les cinq livres duPentateuque, leur version de laBible comprend les « livres propres à laSeptante grecque (Tobie, Judith, leSiracide), ainsi que leLivre d'Hénoch et leLivre des Jubilés »[8]. La version desSeptante a quelques différences avec le canon hébraïque actuel. Ils n’utilisaient pas de Pentateuque enhébreu, langue qu’ils ne connaissaient pas.Joseph Halévy rapporte que lesBeta Israel de 1868 achetaient parfois desBibles chrétiennes qu’ils raturaient pour en expurger des formules chrétiennes[9]. Au côté du Pentateuque, on trouvait aussi « une vaste littérature sacrée enguèze », en partie d’origine chrétienne, mais expurgée[10]. Toute la littérature rabbinique, en particulier leTalmud, était ignorée.
Ancien lieu de culteBeta Israel, abandonné en 1991 et devenu un site touristique.
Les pratiques de pureté étaient plus strictes que dans lejudaïsme rabbinique. Ils avaient des « huttes du sang », où les femmes résidaient pendant leurs règles, période d’impureté. Ils avaient aussi des « huttes de naissance », où les femmes s'isolaient pendant 40 jours après la naissance d’un garçon, et 80 jours après celle d’une fille. Les hommes chargés d’un enterrement devaient rester isolés sept jours, puis se purifier avant de revenir dans le village[12]. Enfin, après tout contact avec des personnes extérieures à la communauté, unBeta Israel devait se soumettre à des cérémonies de purification pour être réintégré dans le groupe. Ce commandement d’évitement physique avait pour nomattenkuňň (« ne me touchez pas »)[13].
Les communautésBeta Israel n’avaient pas desynagogue ni derabbin. Leur lieu de culte était appelémasgid (de l’araméenmasged[14]). On y lisait la Bible, et on y sacrifiait l’agneau pascal (coutume biblique abandonnée par les autres communautés juives). L’officiant était leqes (« prêtre », plurielqessotch), parfois assisté d’undäbtära ouawäddach (chantre), un clerc lettré n’ayant pas reçu la prêtrise[15]. Bien que la communauté ne soit pas placée sous l'autorité d'un seul individu, il existe quelquestelleq kahen (« grands prêtres ») avec un poids régional particulier[16]. Jusqu’auXXe siècle, lesBeta Israel partageaient une importante traditionmonacale, probablement empruntée au monachisme des chrétiens d’Éthiopie. Cette institution a disparu dans la seconde moitié duXXe siècle. Enfin ces communautés n’utilisaient pas l’étoile de David, celle-ci étant un symbole de la royauté chrétienne (lesnégus affirmaient en effet descendre deSalomon).
Le motAyhoud, qui signifie« juif » enamharique, n’était pas inconnu de la société éthiopienne, mais semble avoir été utilisé (ponctuellement) par leur entourage chrétien plutôt que par lesBeta Israel eux-mêmes.
Il y a d'autres récits, moins répandus et qui tendent à disparaître de la tradition orale : que lesBeta Israel seraient venus en Éthiopie après la prise deJérusalem en 587 av. J.-C. par lesBabyloniens ; ou qu'ils descendraient d’un groupe d’Hébreux ayant refusé de suivreMoïse lors de lasortie d'Égypte ; ou même qu'ils seraient des Éthiopiens convertis parMoïse lors d’une visite dans le pays.
De ces traditions ressort que lesBeta Israel se considèrent comme descendant d'anciensHébreux, mais qu'ils n’ont pas retenu le détail de leurs origines.
Apparemment, aucune source de l'Antiquité n'atteste une présence juive en Éthiopie[18], les sources écrites ne remontent qu'auXIIe siècle.
En Europe, la première mention claire est celle deBenjamin de Tudèle vers 1170 :
« Il y a beaucoup de Juifs ici. Ils ne sont pas soumis aux Gentils. Ils possèdent des villes et châteaux au sommet des montagnes, d'où ils font des descentes contre l'empire chrétien [...] prennent du butin et se réfugient dans leurs montagnes ; personne ne prévaut contre eux[19]. »
La seconde mention est celle deMarco Polo en 1298, au sujet dumarquage au fer qui signale la religion des individus :« Et encore vous dis qu'il y a (des) juifs et ces juifs ont 2 signes, c'est un sur chaque joue »[20].
À la même époque, un moine éthiopien chrétien, Zena Marqos, neveu du roiYekouno Amlak (1270-1285), écrit un compte-rendu de l’histoire et de la religion desBeta Israel. Son informateur, un juif converti, affirme qu'ils sont arrivés avecMenelikIer, fils de lareine de Saba et duroi Salomon, et qu’ils connaissent la Bible mais ne croient pas à l’enfantement duChrist par Marie[23].
Pour étonnante qu'elle soit, l'hypothèse que les populations juives d'Éthiopie descendraient de groupes chrétiens a été étudiée par des auteurs[28] supposant des chrétiensfondamentalistes faisant retour à leurs racines hébraïques, conservant lePentateuque et rejetant leNouveau Testament (comme lesSoubbotniks russes ou lesHébreux noirs américains) ; ou supposant un conflit des populations du Nord avec le pouvoir impérial qui aurait entraîné le rejet de l'Église orthodoxe éthiopienne légitimant ce pouvoir.
La version du Pentateuque utilisée par lesBeta Israel serait d’origine chrétienne et ils utilisaient leguèze comme langue liturgique[18] et non l'hébreu ;
Des conversions ultérieures de chrétiens à la foi desBeta Israel, attestées par les textes chrétiens, démontreraient une attractivité du judaïsme sur des chrétiens ;
Les études génétiques ne révèlent pas de parenté desBeta Israel avec d'autres groupes juifs, mais avec les Éthiopiens non-juifs[29],[30],[31],[32],[33] ;
Beaucoup de ces arguments s'expliquent si l'on suppose les premiersBeta Israel émigrés depuis une haute antiquité (antérieure à la rédaction duLivre d'Esther, antérieure au développement de l'institution rabbinique et des synagogues, etc.). D'autre part, des études génétiques montrent un niveau élevé d'ascendance non africaine dans la Corne de l'Afrique, remontant à environ 3 000 ans, ce qui est antérieur au christianisme et coïncide avec l'origine deslangues éthiosémitiques[34],[35],[36].
L’histoire desBeta Israel devient plus accessible à partir duXIVe siècle[37], par les textes rédigés par des chrétiens, qui semblent permettre de décomposer l’histoire ancienne desBeta Israel en trois périodes.
Perte graduelle d’indépendance à partir duXIVe siècle
Les textes éthiopiens relatent une longue période de guerre entre l’empire d’Éthiopie et les petits États indépendants du Nord, qui généralement parlaient deslangues agäw, mais étaient juifs, chrétiens, musulmans ou païens. La poussée impériale ne s’est donc pas faite uniquement contre lesBeta Israel.
Il n’y a pas à cette époque un seul ÉtatBeta Israel dans le Nord, mais un ensemble de petits royaumes, dont on ne connaît que peu de choses[38]. Les chroniques éthiopiennes présentent lesBeta Israel comme relativement ouverts aux chrétiens, puisqu'elles évoquent de nombreuses conversions de chrétiens à leur religion, ce qui montre qu'ils étaient volontiers prosélytes et qu'ils avaient du succès religieux.[réf. souhaitée]
Malgré cette attractivité, lesBeta Israel ne cessent de perdre du terrain face aux troupes impériales. Dès le début duXVe siècle, le roiYeshaq Ier d’Éthiopie décrète : « Celui qui est baptisé dans la religion chrétienne peut hériter de la terre de ses ancêtres ; sinon, qu’il soit unfalasi »[39] (errant, exilé). À l'origine, le terme ne désigne pas uniquement lesBeta Israel, mais tous les non-chrétiens. Avec le temps, il ne désigne plus que lesBeta Israel. En perdant le droit de posséder la terre dans les zones conquises par l’empire, ceux-ci se transforment progressivement en une classe de paysans sans terre, travaillant les domaines des grands féodaux. De nombreux massacres et conversions plus ou moins forcées (selon les lieux et les époques) sont rapportés, et la populationBeta Israel semble fortement diminuer dès cette période, à partir d’une population originelle estimée de façon très approximative à 500 000 personnes. Les langues agäw commencent également à régresser au profit de l’amharique.
La destruction des bases institutionnelles desBeta Israel dans le nord de l’Éthiopie a sans doute entraîné la destruction de leurs livres et archives, effaçant ainsi la mémoire de leur histoire et de leurs origines[41].
La populationBeta Israel est concentrée dans les deux provinces du Nord, surtout leGondar, et dans une bien moindre mesure leTigré (voirinfra). Avec la perte d'indépendance, la sociétéBeta Israel du Gondar se déstructure, elle n’a plus denobles ni de hiérarchie sociale. Subsiste simplement une classe de paysans sans terre, avec cependant une petite classe moyenne liée à l’administration impériale, qui a installé sa nouvelle capitale dans leGondar, l’ancien territoire desBeta Israel. Cette classe moyenne se spécialise en particulier dans la construction de bâtiments gouvernementaux[42].
LesBeta Israel du Tigré conservent par contre le droit de posséder des terres, et leur situation sociale s’en trouve moins dépréciée.
En 1769, l’explorateur écossaisJames Bruce, à la recherche des sources duNil, a estimé leur population à encore 100 000 personnes. Il note aussi que « la langue parlée est lefalasha, bien qu’elle ne soit plus maintenant utilisée que par les Juifs […]. Anciennement, c’était la langue de toute la province de Dembea[43] ». La langue rapportée par Bruce est une forme de l’agäw, la langue originelle des populations du Nord. L’amharisation, c’est-à-dire l’acculturation linguistique au groupe dominant de l’empire, les Amharas, est d’après Bruce déjà bien avancée pour les populations du Nord, sauf pour lesBeta Israel, ce qui confirme leur statut de groupe isolé.
De 1769 à 1855, l’État central éthiopien s’efface. Le pays est progressivement dominé par les seigneurs de la guerre et les grands féodaux, la situation générale des campagnes se dégrade fortement. Et lorsque les constructions publiques cessent complètement, la classe moyenneBeta Israel disparaît. En compensation, certainsBeta Israel se spécialisent dans l’artisanat, plus spécifiquement dans le couple forgeron (pour les hommes) - potier (pour les femmes).Or, en Éthiopie comme dans une partie de l’Afrique, les forgerons et potiers sont considérés comme des sorciers. En Éthiopie, on parle deBuda. Celui-ci a le mauvais œil, peut se transformer en hyène pour dévorer des êtres humains, « mange les âmes » des vivants. Tout contact avec lui doit donc être évité[45].
La population plus restreinte du Tigré vit une réalité sociale un peu meilleure : elle a gardé le droit de posséder des terres, et sa mise à l’écart est moins poussée.
L’histoire contemporaine desBeta Israel commence avec la réunification de l’Éthiopie sous le règne deTéwodros II, en 1855. À cette époque, la populationBeta Israel est estimée entre 50 000 et 100 000 personnes.
Régions où lesBeta Israel vivaient à l’époque moderne.
En réaction, plusieursrabbins proclament lajudaïté desBeta Israel, dontHildesheimer de Eisenstadt (1820-1899). L’Alliance israélite universelle envoie en Éthiopie une mission dont est chargéJoseph Halévy en 1867-1868, lequel fait un rapport très favorable auxBeta Israel. Il demande la mise en place d’écoles juives, et propose même de« ramener en Palestine des milliers de colonsBeta Israel[48] », une douzaine d’années avant la formation de la première organisationsioniste. DeSaint-Pétersbourg même, un rabbin qui les croitKaraïtes leurenvoie une lettre(en) posant vingt-et-une questions.
Mais, après ces contacts, lesBeta Israel retombent plus ou moins dans l'oubli. Des doutes subsistant sur leur judéité, l’Alliance israélite universelle ne donne pas suite aux recommandations d'Halévy.
Quant aux missions chrétiennes, leurs résultats apparaissent comme ambigus. D'abord, elles convertissent au christianisme copte, et non protestant, en vertu d’un accord avec le pouvoir éthiopien, et n'obtiennent que 2 000 conversions environ. Ensuite, par leur action, elles font connaître au monde la judéité desBeta Israel, ce qui favorise leur rapprochement avec le judaïsme mondial, dont ils étaient jusqu’alors séparés. Une vive réaction des moinesBeta Israel s'ensuit. Les convertis sont exclus de la communauté, des villages et des familles se coupent en deux, déstabilisant les communautés. Les convertis, rejetés par leurs anciens coreligionnaires, ne sont pas toujours bien acceptés par les chrétiens, qui les soupçonnent d’être encoreBuda. Leur situation est difficile. Plus tard, beaucoup d'entre eux se déclarerontFalash Mura, retourneront au judaïsme et émigreront en Israël.
Entre1888 et1892, le Nord de l’Éthiopie connaît une série de catastrophes : famines dévastatrices, invasion desderviches soudanais du Madhi, épidémies. Le nombre des morts est très important.« Des mères ont cuit et mangé leurs propres enfants. D’horribles choses sont faites, qui sont indicibles[49] ».
LesBeta Israel, groupe minoritaire très pauvre, sont particulièrement touchés, ainsi que leurs monastères[50]. On estime qu’entre la moitié et les deux tiers de la communauté disparaissent durant cette période où le judaïsme mondial les oublie, qui gardera pour lesBeta Israel le nom deKefu-qän, les « Mauvais jours ».
Établissement de liens permanents avec le judaïsme occidental
À la suite de son voyage, Faitlovitch mène une intense activité, avec trois objectifs :
faire reconnaître lesBeta Israel comme Juifs ;
faire accepter auxBeta Israel leur appartenance au peuple juif ;
« réformer » leur pratique religieuse pour la rapprocher dujudaïsme orthodoxe. Il entend en particulier lutter contre les moines, les strictes règles de pureté et les sacrifices d’animaux. À ce titre, Faitlovitch va dans le même sens que les missionnaires protestants, même si l’objectif final n’est pas le même.
Il encourage aussi la formation d’une éliteBeta Israel (numériquement faible) dans des institutions juives occidentales sympathisantes. Dès 1905, il ramène en Europe celui qui est le grand leader desBeta Israel dans la première moitié duXXe siècle,Taamrat Emmanuel, un des premiers Éthiopiens éduqués et instruits à l’occidentale, qui est dans les années 1940 et 1950 un des conseillers duNégus. Cette élite joue un rôle important, une fois rentrée au pays, pour rattacher lesBeta Israel aujudaïsme orthodoxe (introduction de l’étoile de David, de certaines fêtes juives, acceptation par lesBeta Israel de leur appartenance au peuple juif)[51]. Une modernisation culturelle en découle, liée à l’influence des communautés juives extérieures ainsi qu'aux efforts des gouvernements éthiopiens. L’excision des femmes, assez répandue dans laCorne de l’Afrique, avait ainsi quasiment disparu des communautésBeta Israel au début desannées 1980[52].
Lorsqu’il les rencontre en 1867,Joseph Halévy note une cohabitation entre l’amharique et l’agäw : « Ils parlent à la fois deux langues […] l’amharique [… et] un dialecte de la langue agaou […]. Ils s’en servent ordinairement au sein de leurs familles[54] ».
Quarante ans plus tard, Jacques Faitlovitch constate les progrès de l’amharisation. « Le dialecte quouarena […] n’est plus parlé que dans la province de Quouara et aux environs, ou les autres populations le parlent également. Dans le Dembea et le Siemen [...] la jeune génération l’ignore complètement[55] ».
La langue liturgique est par contre leguèze pour les trois groupes linguistiques survivants auXXe siècle. L’hébreu a fait une timide apparition en Éthiopie sous l’influence des écoles juives, surtout à partir des années 1950.
La société desBeta Israel comprend un sous-groupe de statut inférieur, les Baryas ou captifs. Le statut deBarya n'est pas spécifique auxBeta Israel, on en trouve dans d'autres communautés du nord de l'Éthiopie. Leur origine n’est pas datée, mais ils sont attestés à l’époque moderne, et certains vivent aujourd’hui enIsraël. Les Baryas descendent de serviteurs achetés sur les anciens marchés d’esclaves de laCorne de l'Afrique, et convertis à la religion de leurs maîtres. Ils sont considérés comme « Noirs » (t’equr, oushanqilla, très noirs) par lesBeta Israel, qui se perçoivent eux-mêmes commeqey (« rouge ») out’eyem (« brun »)[57], ayant la peau plus claire et les traits du visage plus « moyen-orientaux » que ceux des populations de l’intérieur du continent[58].
Quoique les traits plus spécifiquement africains desBaryas se soient souvent progressivement estompés du fait des relations conjugales maître-esclave (prohibées, les serviteurs n'étant pas autorisés à se marier avec desBeta Israel non Baryas)[57], ils restaient discriminés, considérés “primitifs”, avaient souvent un accès restreint aux lieux de culte. Hagar Salamon note des cas où ils devaient rester dans la cour duMasgid, ou devaient en sortir durant la lecture de l’Orit (la Bible), ou ne pouvaient y pénétrer qu’après plusieurs années[59]. LesBeta Israel ne consommaient pas la viande des animaux qu’ils abattaient, et souvent ils étaient enterrés dans des cimetières différents. Les Baryas étaient « de facto une part de la propriété familiale et continuaient à être légués d’une génération à une autre[57] ». Jusqu’à leur immigration en Israël ils ont conservé un statut de serviteur, malgré l’abolition officielle de l’esclavage en 1924.
Lors de la création de l’État d’Israël en 1948, le grand rabbinat israélien ne suit pas ses prédécesseurs et refuse de reconnaître lesBeta Israel comme juifs. Le gouvernement, qui ne l’avait pas suivi dans le cas desSamaritains ou desKaraïtes, suit cette décision et leur refuse le droit d’immigrer. Cependant l’Agence Juive maintient des écoles juives en Éthiopie, et lorsqu'elles ferment en 1958 pour raisons budgétaires, l’une d’elles reste ouverte. Les organisations juives américaines, qui aidaient lesBeta Israel depuis la fin de laSeconde Guerre mondiale, cessent également l’essentiel de leurs opérations au début desannées 1960.
Paradoxalement, malgré ce rejet, durant les années 1950 et 1960 lesBeta Israel se rapprochent du judaïsme orthodoxe. Leur appartenance au judaïsme mondial est maintenant acceptée et affirmée. L’étoile de David pénètre rapidement, remplace sur le toit des lieux de culte les anciens symboles[60],[61]. Des fêtes rabbiniques commencent à être pratiquées. Une nouvelle génération deqésotch (oukessim, prêtres) sort des écoles juives et diffuse ces pratiques[62].
La prise du pouvoir parune junte de militaires pro-communistes à la suite de larévolution éthiopienne en 1974 a pour effet de renforcer la judéité desBeta Israel. Certes, les anciens interdits de posséder la terre disparaissent, et une vaste redistribution de terres est organisée au bénéfice des paysans dépossédés. Mais le régime prend progressivement des positions anti-religieuses et anti-israéliennes qui heurtent lesBeta Israel.
Surtout, le pays glissevers la guerre civile. Des anciens féodaux rassemblés dans l’Union démocratique éthiopienne(en) déclenchent la lutte armée, et au passage font massacrer des paysans qui ont bénéficié de la réforme agraire. D'autres milices se constituent (Parti révolutionnaire du peuple éthiopien,Front de libération du peuple du Tigré) et tout le Nord du pays bascule dans la guerre. La famine s’installe de façon durable au début des années 1980. La situation des populations du Nord devient intenable. Des centaines de milliers d’Éthiopiens tentent de fuir vers leSoudan voisin, dont desBeta Israel[63].
L'émigration de presque tous les juifs d'Éthiopie vers Israël a lieu à la fin duXXe siècle, et est perçue comme renouvelant l'exode desanciens hébreux fuyant l'Égypte pour conquérir la liberté. L'événement nécessite une logistique importante[64] et s'accompagne de drames humains, surtout dans le désert du Soudan. Au début des années 1950, il n'y a que quelquesBeta Israel en Israël, femmes ayant épousé des soldats juifs yéménites de l’armée britannique, ou étudiants, dont une vingtaine d’adolescents scolarisés à Kfar Batya(AMIT(en)) avant de retourner enseigner en Éthiopie[65]. Cinquante ans plus tard, presque tous lesBeta Israel ont émigré, suivis de la plus grande partie desFalash Mura, dont un millier atterrissent encore en Israël en 2019[66].
Émigration clandestine puis reconnaissance par Israël
De 1948 à 1975,320 Éthiopiens juifs seulement émigrent en Israël (voirstatistiques ci-dessous). Cette immigration est surtout le fait d’hommes ayant fait des études, qui viennent en Israël avec un visa de touriste (d’Éthiopie, pays chrétien, partent des pèlerins visitant laTerre sainte) et y restent illégalement. Sur place, des sympathisants les reconnaissent comme juifs et les aident. Ces sympathisants s’organisent en association, sous la direction entre autres d’Ovadia Hazzi, juif yéménite et ancien sergent de l’armée israélienne, marié à uneBeta Israel depuis la seconde guerre mondiale. Certains obtiennent une régularisation de leur situation grâce à ces soutiens. Certains acceptent de se « convertir » aujudaïsme, ce qui règle leur problème personnel, mais pas la situation de leur communauté. Les personnes qui obtiennent leur régularisation font souvent venir leur famille.
En1973, Ovadia Hazzi pose officiellement la question de la judaïté desBeta Israel au grand rabbinséfarade d’IsraëlOvadia Yosef. Ce dernier, citant la décision rabbinique égyptienne deDavid ben Zimra(en) (leRadbaz, 1462–1572), reprend sa thèse que lesBeta Israel descendent de la tribu perdue deDan, et reconnaît leur judéité en.
Le grand rabbinashkénazeShlomo Goren finit par l'approuver en1974 et, à son tour, en avril1975, le gouvernement deYitzhak Rabin reconnaît officiellement le caractère juif desBeta Israel, ce qui leur ouvre le bénéfice de laloi du retour qui permet à tout Juif d’immigrer en Israël. Le gouvernement suivant deMenahem Begin commence en 1977 à mettre en œuvre l'immigration[67].
Entre 1977 et 2010 plus de 86 000 Beta Israel immigrent en Israël, dont plus de 40 000 lors de deux opérations, en 1983-1985 (opérationBrothers,opérationMoïse) et 1990-1992 (opérationSalomon). La première phase, entre 1980 et 1985, s'opère via le désert du Soudan où des milliers meurent de fatigue, de faim ou de maladie. Après 1990, l'exode se dirige vers la capitaleAddis-Abeba, d'où part le pont aérien. Dans les deux cas leMossad intervient puissamment, ainsi que la diplomatie américaine.
Leur émigration est interdite. L'empereurHaïlé Sélassié rompt ses relations diplomatiques avec Israël en 1973 à la suite de laguerre du Kippour[68], et la dictature militaire deMengistu Haile Mariam qui suit aggrave la situation (orientation pro-soviétique à partir de 1976, expulsion des forces américaines, début d'une guerre civile). Sans attendre le rétablissement des relations diplomatiques (1989), un véritable exode a lieu, en dépit de l'interdiction, qui vide de leurs habitants les quelque 500 villagesBeta Israel du Nord.
En 1977-1978, cent vingt-et-unBeta Israel émigrent en Israël avec l’accord du gouvernement éthiopien, dans le cadre d’un accord secret de fourniture d'armes par le gouvernement israélien au nouveau gouvernement révolutionnaire éthiopien, lequel était alorsen guerre contre laSomalie pour le contrôle de l'Ogaden. L'accord est rompu par l'Éthiopie après sa révélation par la presse en. Il mettait en effet à mal le nouveau positionnement anti-impérialiste et pro-soviétique de la diplomatie éthiopienne,Israël étant l'allié des États-Unis.
Secours avec le soutien de l'Association américaine pour les Juifs éthiopiens (AAEJ), 1983.
Entre 1980 et 1984, chassés par la guerre civile, des Éthiopiens du Nord, parmi lesquels desBeta Israel, se réfugient auSoudan. D’après leJerusalem Post du, 6 649 personnes, surtout des Tigréens, gagnentIsraël par des voies détournées entre et l’automne 1984[69] (le gouvernement soudanais, officiellement en guerre avec Israël, ferme plus ou moins les yeux sous la pression des États-Unis), avec l’aide desservices spéciaux israéliens. Au-delà de la guerre, lesBeta Israel du Tigré partent aussi sous l'influence du bouche à oreille : les familles arrivées en Israël les premières informent leurs proches de la réussite de leur émigration, entraînant de nouveaux départs.
De l'automne 1984 au printemps 1985, en partie motivés par les informations sur le succès de l'émigration tigréenne, les réfugiés juifs du Gondar, bien plus nombreux que les Tigréens, affluent au Soudan à partir de 1983, et les canaux clandestins d’évacuation ne suffisent plus.La grande famine de 1984-1985 (300 000 morts selonMédecins sans frontières[70]) déplace des centaines de milliers d'Éthiopiens du Nord vers les camps de réfugiés de l'Éthiopie du Nord et duSoudan. Des dizaines de milliers d'Éthiopiens meurent de faim lors de véritable « marches de la mort », et la mortalité explose dans les camps du Soudan. Parmi ces victimes, on estime que 3 à 4 000 sont desBeta Israel. Fin 1984, le gouvernement soudanais, à la suite de l’intervention desÉtats-Unis d’Amérique, laisse secrètement partir les 7 200 réfugiésBeta Israel restants vers l’Europe, d’où ils gagnent immédiatement Israël. Il y a deux vagues : l’opérationMoïse du au, concerne 6 500 personnes ; elle est interrompue par le Soudan lorsque la presse la révèle. L’opérationReine de Saba, menée par laCIA quelques semaines plus tard pour évacuer 650 personnes restant au Soudan, est le fruit de pressions américaines très importantes. 20 % des arrivants doivent être hospitalisés, les autres sont généralement dans un état sanitaire catastrophique.[réf. nécessaire]
Mémorial deKiryat Gat en mémoire desBeta Israel morts sur la route vers Israël.
Entre 1985-1989, le régime éthiopien bloque l’émigration, et la stabilisation relative de la situation dans le Nord arrête l’exode vers les camps soudanais. Une petite émigration clandestine subsiste, toujours assistée par leMossad. Son envergure est très modeste.
En 1990-1991, soumis à une forte pression des rebellestigréens etérythréens, et perdant son soutien militaire soviétique dans le cadre de l’effondrement dubloc de l’Est, le gouvernement éthiopien laisse partir 6 000Beta Israel vers Israël par petits groupes, dans l’espoir de se rapprocher desÉtats-Unis d’Amérique, alliés d’Israël. De nombreuxBeta Israel gagnentAddis-Abeba, capitale de l’Éthiopie, espérant échapper à la guerre civile qui ravage le Nord du pays (leur région d’origine), et espérant pouvoir partir pour Israël. Ils s’entassent dans des camps à la périphérie de la ville.[réf. nécessaire]
Lors de l’effondrement du régimecommuniste éthiopien en 1991, les 14 324Beta Israel réfugiés àAddis-Abeba sont évacués en deux jours versIsraël par un pont aérien (opérationSalomon). Il y a 34 rotations d’avions d’El Al, dont on avait retiré les sièges pour y charger plus de personnes. De nouveau, de fortes pressions américaines facilitent l’opération, ainsi qu’un transfert de 35 millions de dollars vers les comptes des derniers représentants du régime[71].
Les derniersBeta Israel restés enÉthiopie émigrent versIsraël entre 1991 et 1994, en particulier ceux de la région de Quara ou Qwara (entre lelac Tana et le Soudan), en 1992, qui sont les seuls à passer de leurs villages en Israël sans le filtre de camps de réfugiés.
À partir de1992 commence une émigration irrégulière, soumise à l’évolution politique en Israël, celle desFalash Mura. Entre cette année-là et 2013, « plus de 35 000Falash Mura arrivent en Israël ». Officiellement non-juifs, « une fois en Israël, ils doivent entreprendre une conversion complète au judaïsme orthodoxe avant de recevoir une pleine citoyenneté »[72].
Au total, 96 163 Éthiopiens sont arrivés en Israël à fin 2017. Cela représente environ 50 000Beta Israel et 44 000 Falash Mura. Avec les naissances, 148 700 Israéliens sont d'origine éthiopienne à fin 2017[73].
Immigration en Israël en provenance d'Éthiopie : 1948-1969[74],[75],[76]
Un jeune Falash Mura en Éthiopie en 2005.VillageFalash Mura en 2003.
Dès 1991, les autorités israéliennes ont annoncé que la question de l’émigrationBeta Israel était en passe d’être réglée, grâce au départ de presque tous les Juifs. Mais dès cette date, des milliers de personnes ont quitté le Nord du pays pour venir se réfugier àAddis-Abeba, se déclarant juives et demandant à émigrer versIsraël.
Un nouveau vocable apparaît pour désigner ce groupe : lesFalash Mura.
Ces personnes, qui n’appartiennent pas aux communautésBeta Israel constituées, ne sont pas reconnues comme juives parIsraël, et ne sont initialement pas autorisées à émigrer. Elles sont en principe d’origineBeta Israel (avec des doutes pour certaines), mais ont quitté les communautés organisées, parfois depuis deux ou trois générations.
Les autorités israéliennes considèrent que ces personnes sont désormais chrétiennes et ne peuvent bénéficier de laloi du retour en tant que juifs. Elles affirment aussi que beaucoup ne sont même pas d’ascendanceBeta Israel, mais sont deschrétiens cherchant à émigrer. Elles considèrent donc lesFalash Mura comme des émigrants économiques.
Les intéressés affirment être des Juifs assimilés, qui ne mettaient pas en avant leur appartenance dans un milieu où êtreBeta Israel était dévalorisé. Ils nient toute conversion auchristianisme, ou l’admettent comme la réponse à une contrainte.
Depuis longtemps existaient d’ailleurs des groupes de convertis. Il ne s’agissait pas vraiment de conversions forcées, mais plutôt de conversions visant à échapper à une situation sociale douloureuse. Bon nombre de ces groupes continuaient à pratiquer leur religion en privé. L’anthropologue Simon Messing a ainsi mené une enquête en 1962 au sein desMaryam wodadj (les amis de Marie), un groupe ostensiblement chrétien (leurs femmes se tatouent des croix sur le visage), mais pratiquant toujours la religionBeta Israel en privé, strictement endogame (ne se mariant pas avec les chrétiens) et vivant dans le Dembea (entre la ville deGondar et lelac Tana).« Au début des années 1980, G. J. Abbink[77] recense d’autres groupes de convertis[78] » judaïsants : lesFäräs muqra, lesChämmané (« gens du Chämma ») à l’ouest dulac Tana, lesTä’biban (« hommes sages », ou « magiciens »), un groupe de forgerons vivant à Ankober etAddis-Abeba, et dont Faïtlovitch avait déjà parlé. Yona Bogale, un des principaux dirigeantsBeta Israel du Gondar,« connaissait personnellement à Addis-Abeba un groupe deFalashas […]. Ils s’étaient assimilés, […] et ne présentaient aucun des signes distinctifs desFalashas tout en continuant à se considérer commeBeta Israel dans l’intimité[79] ».
LesFalash Mura ne sont cependant pas un groupe homogène, et c’est seulement leur volonté d’émigrer qui les regroupe sous ce vocable. On trouve semble-t-il de nombreux cas, depuis desBeta Israel assimilés mais jamais convertis, jusqu’à deschrétiens de souche mentant sur leur origine, en passant par des personnes issues de familles converties par obligation ou par conviction, sans compter des familles issues de mariages mixtes.
Par ailleurs, la loi religieuse juive (mais pas la loi israélienne) considère que, même converti, un Juif reste Juif. Pour lesrabbins, un retour aujudaïsme du converti ou de ses enfants (si au moins la mère était juive) reste donc possible. Sous réserve de prouver son ascendanceBeta Israel, ce qui n’est pas toujours simple, même quand c’est vrai.
Compte tenu de ces points de vue divergents, et de la difficulté à trancher, un débat assez vif s’est élevé enIsraël, et au sein même de la communautéBeta Israel israélienne, entre partisans et opposants à l’émigration desFalash Mura. La position gouvernementale est restée globalement assez restrictive, mais a été soumise à de nombreuses critiques, y compris de certains religieux qui veulent favoriser le retour (quand il y a bien eu conversion, ce qui n’est sans doute pas toujours le cas) au judaïsme de ces groupes dits « Falash Mura ». Les laïcs israéliens, réticents à une définition purement religieuse de l’identité juive, ont souvent été plus réticents que les religieux à la reconnaissance desFalash Mura.
Au cours desannées 1990, le gouvernement a finalement autorisé la plupart de ceux qui s’étaient réfugiés àAddis-Abeba à émigrer enIsraël. Certains ont pu le faire grâce à laloi du retour, qui permet à un parent non Juif d’un Juif israélien d’émigrer, d’autres ont été accueillis à titre humanitaire.
Le gouvernement israélien espérait régler le problème, mais l’information selon laquelle les personnes d’origineBeta Israel pouvaient émigrer versIsraël a attiré une vague de réfugiés encore plus importante versAddis-Abeba, ce qui a conduit le gouvernement israélien à durcir sa position vers la fin des années 1990. Début2003, il y avait un peu moins de 20 000Falash Mura réfugiés à Addis-Abeba, parfois depuis des années. On parle (de façon très imprécise) d’un nombre équivalent deFalash Mura qui vivraient toujours dans le Nord de l’Éthiopie. En, leJerusalem Post a annoncé avoir mené une enquête en Éthiopie, à la suite de laquelle il arrivait à la conclusion que des dizaines de milliers deFalash Mura vivaient toujours dans les campagnes du nord de l’Éthiopie, non recensés par les organisations juives, mais tentés par l’émigration versIsraël.
En, le gouvernement israélien décide d’accepter que les autorités religieuses israéliennes organisent les conversions officielles au judaïsme des personnes réellement d’origineBeta Israel, et que ces personnes puissent ensuite émigrer en tant que juives vers Israël. La nouvelle position, plus ouverte, des autorités israéliennes gouvernementales et religieuses doit en théorie permettre l’émigration vers Israël de la majorité desFalash Mura le désirant (ceux dont l’origineBeta Israel est reconnue). En pratique, cependant, cette immigration reste lente, et le gouvernement continue à limiter, de 2003 à 2006, l’entrée desFalash Mura à environ 300 émigrants par mois. En 2004, les services du ministère israélien chargés de l’immigration ont ainsi indiqué que 3 700 Éthiopiens seulement avaient émigré vers Israël. Le gouvernement cependant confirme en janvier 2005 que l’objectif restait bien d’amener tous lesFalash Mura d’origine juive enIsraël, et que le rythme passerait de 300 à 600 personnes par mois à compter de juin 2005. Mi 2007, cependant, le quota de 300 immigrants par mois reste en vigueur, et a même encore été réduit par la suite. Pendantl'année hébraïque 5769 (septembre 2008 - septembre 2009), seuls 130 Éthiopiens ont pu immigrer. En 5770 (septembre 2009 - septembre 2010), il y a eu 1320 immigrants « en raison du changement dans la politique du gouvernement permettant auxFalash Mura de venir dans le pays »[80].
Une des explications de la réticence israélienne face à cette immigration est la difficulté à définir la réalité des revendications desFalash Mura à une ascendanceBeta Israel. Les articles de la presse israélienne rapportent que des Éthiopiens désireux d’émigrer paient desBeta Israel ou desFalash Mura éligibles à l’émigration pour les déclarer comme membres de leur famille. LeJerusalem Post caractérise en 2010 les variations fréquentes des politiques gouvernementales en disant que le processus d'immigration« a été arrêté et relancé par l'État au cours des cinq dernières années, selon la personne qui dirigeait le ministère de l'Intérieur[81] ».
En, le gouvernement donne son feu vert à l'immigration de 8 000 nouveauxFalash Mura, en quatre ans, au rythme de 200 par mois, en prévenant que cette immigration de groupe serait la dernière[82]. « Dans le cadre de la mise en œuvre de la décision de 2010 […] plus de 6 500 Éthiopiens ont immigré en Israël » à fin, et quelques centaines sont encore prévus à cette date pour émigrer jusqu'au 28 aout 2013, nouvelle date officielle de la fin de l'immigration de masse fixée par le gouvernement israélien[83],[84].
Cependant, en, le gouvernement israélien décide d’approuver un programme pour l’immigration de 9 000 juifs d’Éthiopie. L’alyah des « derniers » 9 000 juifs d’Éthiopie doit commencer en juin 2016 et durer environ cinq ans[85]. Mais en février 2020, le gouvernement approuve l'immigration de 398 Falash Mura, en sus des 2 000 arrivés depuis la décision de novembre 2015[86]. Et en, Le gouvernement vote à l'unanimité pour l'immigration de 2 000 Éthiopiens de la communauté des Falashmoras au titre du regroupement familial[87]
Les nouveaux immigrants ne sont généralement pas considérés comme juifs, et n'obtiennent donc pas automatiquement la citoyenneté israélienne. L'état les accueille dans des centres d'absorption[réf. souhaitée] et favorise un processus de conversion au judaïsme orthodoxe permettant d'obtenir la citoyenneté plus rapidement qu'en passant par une demande de naturalisation[72].
Un soldat israélien d’origine éthiopienne àNaplouse, en 2006.
En 2005, il y avait environ 105 000 personnes d’origine éthiopienne en Israël, dont 30 000 nées dans le pays[88], et 138 200 en 2014[7]. Elles regroupent en majorité desBeta Israel ainsi que d’anciensFalash Mura. Ces derniers, qui seraient une trentaine de milliers en 2010[82], insistent généralement sur leur judaïté. Un petit groupe reste cependant chrétien, et a même des activités prosélytes vivement dénoncées par la communauté[89].
Malgré cette forte insistance de la quasi-totalité des Éthiopiens (toutes origines confondues), sur leur judaïsme et leur attachement à Israël, l’intégration concrète pose des problèmes.
Le premier contact avec Israël a généralement été un choc assez violent pour les nouveaux immigrants. Pour une population rurale avec un niveau scolaire très faible, l’univers urbain israélien a posé des problèmes d’adaptation. Bon nombre des nouveaux immigrants, surtout ceux des villages les plus reculés, ne connaissaient pas l’électricité, les ascenseurs ou la télévision. L’adaptation à la nourriture israélienne a été particulièrement difficile. L’éclatement des familles lors de l’exode, et parfois lors de la répartition entre centres d’insertion israéliens, a causé de nombreux traumatismes. Les changements de noms ont provoqué une rupture symbolique avec le passé. En effet, l’administration hébraïse les prénoms, et exige des patronymes,inexistants dans la société éthiopienne(en). Ces changements de noms ont créé un système à deux niveaux, où anciens et nouveaux noms se superposent, s’utilisent et se concurrencent. L’immersion dans l’hébreu[90] n’a pas été simple, une majorité[91] d’immigrants n’arrivant pas, même après des années en Israël, à le maîtriser, ce qui entraîne une forte marginalisation sociale. Enfin, la remise en cause des pratiques religieuses traditionnelles par le rabbinat a été un moment de désarroi.
Les sociologues israéliens ont noté divers problèmes d’adaptation, entraînant chez une minorité des problèmes psychologiques aigüs, voire des suicides dans les années suivant immédiatement l’immigration. À la fin desannées 1980,« la proportion de suicides chez les Juifs éthiopiens a ainsi dépassé celui de toutes les autres communautés nationales immigrées »[92], avant de baisser.
Les nouvelles générations se sont par contre rapidement fondues dans la culture israélienne, avec quelques spécificités :« le développement d’une sous culture israélo-afro-américaine, et l’identification avec la musique noire comme lereggae et lerap, servent à structurer leur identité » selon l'anthropologue, Malka Shabtai[93]. Cette identification aux codes vestimentaires et musicaux des noirs américains participe aussi d’un « choc des générations » avec les adultes immigrés d’Éthiopie.
Le problème du logement est un problème récurrent à chaque immigration massive en Israël, et ce depuis les années 1950. Dans le cas des Éthiopiens, différentes solutions ont été mises en œuvre,en particulier des camps de mobile home[réf. nécessaire]. Satisfaisantes pour le confort, ces solutions « provisoires », mais qui ont parfois tendance à durer, ont eu deux inconvénients. D’une part, elles repoussent à la périphérie des villes les nouvelles populations, créant des groupes ethniquement assez homogènes et freinant leur intégration. D’autre part, ces zones sont parfois loin des emplois offerts par l’économie israélienne, sont mal ou pas desservies par les transports en commun, amplifiant ainsi les problèmes de chômage.
Avec le temps,les Éthiopiens s’installent en ville, créant des enclaves ethniques[réf. nécessaire] où des familles étendues se regroupent volontairement[94] avec le risque à terme de constitution de ghettos.
Protestation en 1985 contre les exigences de « conversion » du rabbinat.Juives éthiopiennes en prière auMur des Lamentations (Kotel).Juifs éthiopiens en prière auMur des Lamentations (Kotel).Kessim priant en 2010 pour lesBeta Israel morts auSoudan sur la route versIsraël.
Desharedim ultra-orthodoxes ne reconnaissent toujours pas lesBeta Israel comme Juifs, et pas seulement ceux d’origineFalash mura.
D'autres, comme les sionistes-religieux, ont accueilli les juifs éthiopiens et aidé à leur intégration[95].
Quant au rabbinat israélien, il a toujours exprimé des doutes sur la validité des mariages et des conversions effectuées par lesBeta Israel, jugés non conformes à laHalakha. Il a ainsi été demandé des conversions simplifiées avant chaque mariage, afin de sécuriser le statut de Juif des nouveaux immigrants. Acceptée par les premiers immigrants duTigré, cette cérémonie a été majoritairement refusée à partir de 1985 par les immigrants duGondar, entraînant un long conflit avec le grand rabbinat. Celui-ci a finalement accepté de limiter le nombre de ces conversions symboliques aux seuls cas les plus douteux. Paradoxalement, lesFalash Mura étant souvent convertis en bonne et due forme lors de leur immigrationpeuvent avoir moins de problème de statut personnel[réf. nécessaire].
Concernant l’encadrement religieux, la soixantaine dekessim (prêtres) éthiopiens émigrés en Israël ont été salariés par le ministère des cultes, et continuent à animer nombre de cérémonies religieuses. Ils ne sont cependant pas reconnus commerabbins et n’ont donc par exemple pas le droit de célébrer des mariages (monopole des rabbins en Israël, au moins pour les Juifs). Pour ceux qui étaient les garants de la communauté, la perte de prestige et de statut social est donc importante, et généralement mal vécue. Beaucoup de rabbins les associent cependant encore aux mariages de la communauté. Une nouvelle génération derabbins d’origine éthiopienne est également en train d’apparaître, reprenant progressivement le pouvoir religieux auxkessim, après avoir été formée dans lesyechivot israéliennes. En 2005, on comptait néanmoins 8 nouveauxkessim ordonnés en Israël depuis le début de l’immigration[93]. Eux ne sont pas reconnus par le ministère des cultes, qui souhaite un alignement à terme des pratiques religieuses éthiopiennes sur celles des Juifs orthodoxes. Les anciens et les nouveauxkessim rejettent généralement avec plus ou moins de vigueur les règles rabbiniques tirées duTalmud, dont ils considèrent qu’elles ne sont pas prescrites par l’Orit (la Bible).
Encore plus en rupture avec le rabbinat israélien sont les disciples d’Abba Beyene, qui se présente comme le dernier moineBeta Israel éthiopien (cf.supra). Celui-ci, emprisonné en Éthiopie poursionisme[réf. souhaitée], « n’accepte pas la position rabbinique quand elle est en conflit avec sa propre compréhension de la pratique juive, qui est d’abord basée sur les cinq livres de Moïse (Pentateuque), et non sur leTalmud »[93]. Ses pratiques ascétiques et communautaires attirent de jeunes Israéliens d’origine éthiopienne, qui aspirent à retrouver leurs racines religieuses, face à l’assimilation culturelle de la majorité de leur communauté. Sa démarche s’inscrit aussi dans une volonté de voir renaître l’antique pratique des moines juifs éthiopiens.
Malgré cet attachement de certains aux pratiques éthiopiennes, les traditions religieusesBeta Israel semblent rapidement reculer, combattues par le rabbinat et le mode de vie israélien. La grande majorité des élèves issus de l’immigration ont été pris en charge par le réseau scolaire religieux d’État[96], lequel promeut les pratiques juives « orthodoxes ».« Ce décalage intergénérationnel entraîne un fossé entre les jeunes, qui prient enhébreu selon le rite juif orthodoxe, et les parents, qui tentent tant bien que mal de ne pas abandonner les structures du culte traditionnel »[97]. Cependant, avec le temps,« les adolescents […] sont de moins en moins scolarisés dans […] le réseau éducatif religieux »[98], et la sécularisation progresse.
Les lois extrêmes de pureté régressent fortement, même si on a pu noter des femmes s’isolant encore pendant leurs règles. En l’absence de « hutte du sang », cet isolement a pu se faire dans une chambre, sur un balcon, et parfois même dans un placard. Les sociologues ont noté que, parallèlement à la régression des pratiques traditionnelles (déjà amorcée en Éthiopie depuis lesannées 1950), des sentiments de perte, de culpabilité et même des phobies se développaient chez les nouveaux immigrants. Selon les paroles duqés Maru,« en Israël, […] les enfants font ce qu'ils veulent […] nous ne pouvons pas conserver notre religion, tout est détruit ici[99] ». L'abandon des pratiques de pureté choque particulièrement les adultes immigrés. EnÉthiopie, ces pratiques différenciaient lesBeta Israel des chrétiens. Le comportement « impur » des Juifs israéliens apparaît donc comme particulièrement blâmable. Le refus de consommer de la viandecacher, considérée comme impure, car non abattue selon les coutumesBeta Israel, est particulièrement fort dans l'ancienne génération.
Le judaïsme orthodoxe israélien a accepté quelques pratiques, comme le festival duSigd (approximativement « prosternation » enamharique). Le 29 du mois hébreu deheshvan, les membres de la communauté juive éthiopienne jeûnent et se rendent àJérusalem en pèlerinage, où leskessim récitent des parties de l’Orit. La fête a cependant perdu une partie de sa signification religieuse, et est devenue également un rassemblement communautaire et politique, où se pressent les représentants de l’État.
Depuis 1992, près de 40 à 50 000Falash Mura ont émigré en Israël. Certains ont obtenu la reconnaissance de leur judaïté, mais la plupart ne l'ont pas, étant immigrés au titre de leur ascendance juive ou de leurs liens familiaux en Israël ; ils sont comme plus de 320 000 immigrants russes et leurs enfants qui ne sont pas reconnus comme juifs par le rabbinat[100].
Pourtant, bien que plus nombreux que lesFalash Mura, ces« russophones et leurs enfants ne sont pas [systématiquement] envoyés vers des programmes de conversion organisés[100] ». De leur côté, lesFalash Mura le sont systématiquement depuis les années 2000. Leur« conversion est intégrée dans le processus d'absorption, et en constitue même une condition[100] ». D'ailleurs,« encore enÉthiopie, tous les immigrants signent un engagement à suivre une conversion en Israël[100] ».
Cette différence provient du fait que l'émigration desFalash Mura ne se fait pas sous l'emprise des mêmes lois que celle des émigrés ex-soviétiques. Ces derniers, s'ils ont un lien familial proche avec une personne reconnue comme juive, ont un droit à l'immigration fondé sur laloi du retour, alors que lesFalash Mura, dont l'origine juive est ancienne et souvent improuvable, ne peuvent bénéficier de cette loi. Leur immigration ne relève donc que d'une demande de conversion au judaïsme, actée par écrit et acceptée par l’État et le rabbinat. De son côté, la loi du retour n'implique aucune conversion pour les personnes considérées comme non-juives mais ayant un droit familial à l'immigration en Israël[101].
La conversion desFalash Mura est le« projet de conversion le plus massif de l'histoire de l’État[100] ». Par exemple, en 2007, 5 538 certificats de conversion ont été attribués à des Éthiopiens, 2 269 en 2012, et un nombre similaire est attendu pour 2013[100]. Depuis le premier programme de conversions étatique de 1995, ce sont quelque 45 000 Éthiopiens qui se sont convertis[102].
Desharedim ultra-orthoxes refusent de reconnaître ces conversions qu'ils jugent trop simplifiées[100]. Dans le passé, « les anciensgrand-rabbins d'Israel Meir Lau etEliahou Bakshi-Doron considéraient que lesFalash Mura ne devaient pas être considérés comme juifs et s'opposaient à leur immigration, mais une attitude plus ouverte a été mise en place par le rabbinShlomo Amar durant son mandat en tant que grand-rabbin deTel Aviv-Jaffa, et plus tard commegrand-rabbinséfarade d'Israël »[100] (de 2003 à 2013). C'est cette ouverture du rabbinat officiel (sous l'influence de l'ancien grand rabbinOvadia Yosef[100], une référence absolue dans le monde religieux séfarade) qui a permis l'actuel processus de conversion de masse, dont il est espéré qu'elle permettra de faciliter l'intégration des nouveaux immigrants et de leurs enfants. Il n'y a pas de mariage civil en Israël, lesrabbins ont le monopole des mariages impliquant au moins un juif, et ils refusent tout mariage mixte. La conversion est donc importante pour permettre aux nouveaux immigrants de passer des mariages officiels avec d'autres israéliens juifs, d'origine éthiopienne ou non[100].
Jusque dans les années 2000, il y a eu des conversions en Éthiopie même, mais depuis cette période le processus officiel se déroule en Israël. Cependant,« encore dans le camp de transit enÉthiopie, les immigrés commencent le processus d'étude. [... Il] inclut la familiarisation avec leShabbat et lesjours fériés, les prières, les croyances, les objets rituels, etc. Environ un mois après qu'ils ont atterri à l'aéroport international de Tel Aviv-David Ben Gourion, les nouveaux arrivants prennent des cours dans différentes matières, principalement enhébreu et enjudaïsme […]. Le processus est presque toujours réalisé dans le cadre de la famille et non pas individuellement, comme c'est le cas avec d'autres convertis[100] ». Une fois en Israël, la conversion dure en général un an[100]. Ce cadre familial et cette durée relativement courte sont critiqués par les ultra-orthodoxes comme bien trop souples. De fait « personne ne conteste que l’État d'Israël a rendu le processus de conversion convivial pour lesFalash Mura »[100]. Cette souplesse est justifiée par le « département des conversions » par le fait que« les Éthiopiens viennent d'une « culture traditionnelle » qui s'accorde plus facilement avec les valeurs religieuses[100] ». Mais s'il est relativement souple, le processus de conversion n'en est pas moins exigeant. Car« ce ne sont pas des immigrés ordinaires - leur absorption dépend de leur conversion. […] Leur esprit est totalement engagé avec cette question. [Cela place les immigrants] sous une énorme pression, et il y a beaucoup de familles qui se brisent[100] ». La fin de la conversion,« est similaire à celle des autres convertis, en gros : la circoncision pour les hommes qui n'en ont pas », pour les autres une incision symbolique,« suivie par une immersion dans unmikvé (bain rituel) et la délivrance d'un certificat de conversion. Les couples mariés doivent se soumettre à une cérémonie de mariage abrégée, conformément à la « religion de Moïse et d'Israël » […] - une exigence qui, selon des sources au rabbinat, est remplie d'une amertume particulière pour les immigrants éthiopiens[100] ». Mais le point qui pose le plus souvent problème est celui de l'incisions symbolique auprépuce. La majorité des hommesFalash Mura sont en effet circoncis (comme beaucoup d'éthiopiens) et l'exigence d'unecirconcision symbolique « est la chose la plus sensible ».« Il y a des gens qui ne veulent pas subir une circoncision rituelle et cela bloque toute la famille. Parfois, les gens restent au centre d'absorption, même après la fin du processus, seulement parce que le père n'a pas subi une circoncision[100] ».
Aux problèmes d'intégration économique, culturel et social que connaissent tous les immigrants éthiopiens s'ajoutent pour beaucoup deFalash Mura, surtout des jeunes, des problèmes d'identité, même après la conversion. Si la majorité des Israéliens les acceptent comme juifs, ce n'est pas toujours le cas desBeta Israel de la première vague d'immigration, dont beaucoup les voient toujours, conversion ou non, comme des chrétiens.« Il y a beaucoup de confusion parmi les jeunes sur cette question[100] ».
Présentation d'un programme de formation soutenu par l'armée.Tsahal est une voie d'intégration au sein de la société.
La plus grande difficulté des Éthiopiens réside sans doute dans le niveau de formation très bas des immigrants. À quelques exceptions près, ceux-ci n’avaient à leur arrivée aucune formation utilisable par une économie développée comme celle d’Israël, et ne connaissaient pas l’hébreu. L’analphabétisme était très répandu (90 % chez les adultes de37 ans ou plus, selon une estimation[103]), même si les jeunes étaient mieux formés et qu’une minorité avait fréquenté les établissements secondaires en Éthiopie. Concernant l’immigration plus récente desFalash Mura, des ONG (comme laNorth American Conference on Ethiopian Jewry) tentent de donner à ceux qui attendent des années en Éthiopie leur immigration une formation (assez basique) utilisable enIsraël, et des notions d’hébreu. 80 % des adultesFalash Mura deviendraient cependant chômeurs enIsraël[104].
Compte tenu de cet écart important entre les qualifications desBeta Israel et les besoins des entreprises israéliennes, un chômage important est constaté chez les immigrants : 65 % des plus de45 ans en 2005[88]. Ce chômage structurel participe à l’ancrage au bas de la pyramide sociale desBeta Israel. Les jeunes générations nées ou grandies enIsraël réussissent mieux leur insertion dans le tissu économique israélien, grâce à une éducation « moderne », mais les niveaux de formation constatés restent en moyenne plus modestes (en 2000, le taux de réussite au bac était de 33 %, contre 45 % pour la jeunesse juive en général[105]), et freinent l’apparition d’une véritable classe moyenne d’origine éthiopienne. En 2005, 3 000 jeunes sont cependant déjà diplômés de l’éducation supérieure, et 1 500 autres sont à l’université[88]. Mais même les diplômés ont souvent du mal à trouver un emploi.
Niveau d’éducation faible, niveau de vie très modeste, habitat défavorisé et parfois dégradé ou isolé, cet ensemble de situations liées entre elles expliquent sans doute le développement de la délinquance chez les jeunes d’origine éthiopienne : son taux en 2005 serait trois fois celui constaté chez les jeunes Israéliens toutes origines confondues[88].
Manifestation deBeta Israel contre le racisme, 2012.
Des réactions de racisme sont constatées, surtout là où des concentrations importantes deBeta Israel existent. L’anthropologue Lisa Anteby-Yemnini rapporte un événement raciste au sein des centres d’intégration entre nouveaux immigrants éthiopiens et ex-soviétiques :« vous saviez qu’enÉthiopie ils habitaient dans les arbres ? Ce sont des sauvages, et l’on veut nous faire croire qu’ils sont juifs ! » avait déclaré un participant d'un programme du centre d'intégration[106].En 2005, le maire d'Or Yehuda avait pendant quelques jours refusé d'accepter une douzaine d'élèvesBeta Israel dans les écoles de sa commune, pour protester contre les décisions administratives de répartition qui ne permettent pas « une absorption contrôlée des immigrants » mais imposent des concentrations en une même ville, ce qui génère des « ghettos » ; le maire de la commune deRamat Ha-Sharon les avait acceptés, leur avait offert le bus, et déclarait que le maire d'Or Yehuda devrait être arrêté[107]. Ilan Adamka, un Juif éthiopien, interviewé parHaaretz, avait notamment déclaré : « Israël est l’un des États les plus racistes au monde envers les Noirs […]. Quand j’étais plus jeune, j’ai essayé de me connecter à la musique israélienne, d’aller dans des clubs avec des amis blancs, mais on ne me laissait pas entrer. Aujourd'hui, les Éthiopiens fréquentent des clubs avec des musiques auxquels ils peuvent s'identifier »[93]. De façon moins abrupte, le même article indique que« beaucoup d’Éthiopiens de 20 ou 30 ans, qui sont nés en Israël ou y ont immigré jeunes, admettent que bien qu’ils soient passés par « le creuset » du service militaire[108], ils se sentent toujours différents et non désirés dans les lieux de rencontre des Israéliens et préfèrent traîner dans leurs propres endroits pour Éthiopiens seulement ». Confirmant ce sentiment d’exclusion, un sondage publié par leJerusalem Post en 2005 indiquait que 43 % des Israéliens ne souhaitaient pas qu’eux-mêmes ou leurs enfants épousassent un ou uneBeta Israel[109].
Début 2013, est révélée l'affaire descontraceptifs de longue durée injectés à des émigrantesBeta Israel dans lesannées 2000[110]. SelonGal Gabbay, l’auteur du documentaire israélien « Vacuum », qui reprend le témoignage de 35 femmesBeta Israel, ayant reçu une injection deDepo-Provera dans des camps de transit en Éthiopie avant d'immigrer en Israël :« Il faut comprendre que ces femmes dans les camps de transit sont très vulnérables. Elles veulent quitter l’Éthiopie et venir en Israël. Donc elles sont dans une position délicate. Et puis, elles viennent d’une culture d’obédience très forte. Avant de quitter leur pays, quelqu’un leur a dit que la vie serait difficile en Israël (...) et on leur a fortement recommandé de prendre cette injection. »[111]. Lecontraceptif avait un effet d'une durée de trois mois. Une infirmière israélienne aurait avoué que ces femmes n'avaient pas réellement compris les implications de l'injection, du fait de la barrière linguistique[112]. Armin Arefi, journaliste, après avoir visionné le documentaire, va jusqu'à accuser Israël, d'avoir « forcé » l'administration du contraceptif « à leur insu ». Notamment en se basant sur le témoignage d'une femme qui avait déclaré qu'on ne lui avait pas dit que ce n'était pas un vaccin[113]. À la suite de leurs plaintes, une enquête a été menée et n'a pas pu trouver de preuve permettant d'établir qu'elle aurait été contrainte et le gouvernement israélien a démenti ces accusations[114]. Le gouvernement israélien a aussitôt publié un communiqué à l'attention des gynécologues leur demandant de ne pas administrer de Depo-Provera à des patients s'ils n'en comprennent pas tous les effets[115].
L’incident le plus célèbre a été le déclenchement de heurts inédits, le 30 avril 2015 en marge d'un rassemblement. Un millier de juifs originaires d'Éthiopie étaient venus dénoncer les discriminations dont ils se disent victimes, après la diffusion d'une vidéo d’une caméra de vidéosurveillance du 26 avril dans une rue deHolon, près de Tel Aviv. On y voit un jeune soldat d'origine éthiopienne, Damas Pakedeh, être pris à partie par un policier qui lui demande de s'éloigner avant de le rouer de coups, probablement exaspéré par sa réticence à obéir[116].Le journaliste Danny Adino Abeba, lui-même éthiopien, du quotidienYediot Aharonot déclare le lendemain :« si la hiérarchie policière ne se donne pas les moyens de mettre un terme aux violences subies par les descendants d'immigrants éthiopiens, nous assisterons à une « intifada noire » émaillée de graves violences »[117].Benyamin Netanyahou qui a suspendu l’officier de police condamne formellement le racisme à la télévision israélienne et déclare le 30 avril :« Les responsables de ces actes seront châtiés. […] Les immigré éthiopiens et leurs familles nous sont précieux, l'État d'Israël fait des efforts pour faciliter leur intégration au sein de notre société et le prochain gouvernement continuera à faire de même. »Pakedeh a été reçu par le présidentReuven Rivlin et Nétanyahou dans le bureau du premier ministre. Rivlin dit que le déclenchement de manifestations de colère a« révélé une « plaie ouverte et saignante au cœur de la société israélienne » et que le pays doit répondre à leurs griefs ». La violence a pris une grande partie du pays, y compris le gouvernement, au dépourvu. Rivlin déclare qu'Israël voyait« la douleur d'une communauté pleurer sur un sentiment de discrimination, de racisme et d'être sans réponse »[118].
Depuis cet incident qui fait office d’électrochoc, la situation semble nettement moins crispée, la perception des Éthiopiens par l’ensemble de la population est transformée et l’état semble mieux prendre en compte les difficultés de cette population[119].
Le, la mort d'un jeune de 19 ans originaire d'Éthiopie tué par le tir d'un policier hors service lors d'une altercation entraîne des manifestations violentes d'Israéliens d'origine éthiopienne dans tout le pays. Ils dénoncent une « discrimination systématique »[120].
Si le terme « Noir » commence à être revendiqué par la jeune génération, il a par contre été rejeté par ses parents, car en Éthiopie, dans« le système de perceptions raciales qui domine le monde desBeta Israel[57] » les « Noirs » (t’equr) étaient lesBarya, minoritéBeta Israel méprisée d’origine servile (voirinfra). LesBarya vivent maintenant en Israël, et sont officiellement reconnus comme Juifs, mais les distinctions sociales existent toujours, et des préjugés racistes virulents existent à leur encontre chez beaucoup deBeta Israel (sales, ignorants, sauvages, maudits, impurs), et pas seulement dans l’ancienne génération[57]. Les mariages avec eux restent normalement prohibés. Les nouvelles réalités israéliennes ayant rendu lesBarya indépendants de leurs anciens maîtres, on voit aussi apparaître une revendicationBarya, parfois pleine de colère, contre l’exclusion par les autresBeta Israel.
L’utilisation aujourd’hui courante du terme « Éthiopien », en lieu et place deBeta Israel ou même de « Juif d’Éthiopie », et ce tant par les intéressés que par leur environnement israélien, confirme la structuration ethno-communautaire des jeunes générations autour d’une couleur de peau et d’une origine[réf. nécessaire]. C'est aussi le cas pour tous les autres groupes ethniques juifs (Irakiens, Teïmanim (Juifs yéménites), Français, Marocains, etc.).
La chanteuse israélienneAveva Dese(he), d'origine éthiopienne.
Très rapidement, l’auto-organisation des Éthiopiens a émergé comme une réalité politique en Israël. Elle est plus le fait des immigrés duGondar que de ceux duTigré ou desFalash Mura, plus discrets. Dès la fin de 1985 ont été menées des protestations collectives contre les exigences du rabbinat de pratiquer une cérémonie de conversion simplifiée avant tout mariage. Les associations n’ont depuis lors cessé de se multiplier, à tel point qu’on a pu dire, en exagérant beaucoup, qu’il y en avait autant que de familles. Lisa Anteby-Yemini parle d’« amour du litige »[121]. La sociétéBeta Israel est en effet basée sur le village et la famille élargie, et bâtir des solidarités transcendant les anciennes divisions semble encore difficile. L’émiettement des associations reste important, même si la majorité en est regroupée au sein de l'Organisation des juifs éthiopiens en Israël. Ces divergences n’empêchent pas des mouvements de revendication assez réguliers.
Le plus important a été celui de 1996, quand il a été découvert que les dons de sang faits par les Éthiopiens étaient discrètement et systématiquement détruits par les services de santé, pour cause de contamination d'une minorité par le virus duSida[122]. La colère fut très vive, et les accusations de racisme particulièrement virulentes, ponctuées de manifestations de masse et d'une forte mobilisation de la communauté.
Tous les partis politiques israéliens tentent de séduire l'électorat « éthiopien », mais globalement il se montre plutôt favorable à la droite, du fait des initiatives deMenahem Begin en faveur desBeta Israel dès 1977[67]. Un parti se crée en 2019 à l'initiative d'un membre du Likoud[123].
À la fin des années 2010, l’intégration des Éthiopiens à la société israélienne progresse, quoique la situation sociale et culturelle desBeta Israel et leur totale acceptation par la société israélienne restent difficiles. Leur culture traditionnelle, fondée sur l’isolement face à leur ancien milieu chrétien, la vie villageoise, la famille élargie et des traditions religieuses spécifiques, semble ne pas pouvoir survivre dans la société urbaine et moderne d’Israël.
Nonobstant quoi, les exemples de réussites d'Israéliens d'origine éthiopienne sont nombreux. Outre le domaine politique, etBelaynesh Zevadia(en) nommée en 2012 ambassadrice d’Israël enÉthiopie[133], l'armée d'Israël compte de nombreux officiers éthiopiens, dont le lieutenant colonelAvi Yitzhak(he), médecin et commandant au sein du Département de médecine opérationnelle deTsahal[134]. De même le sport israélien, en particulier, le football et le marathon.
Yityish Aynaw, surnommée Titi, a été élueMiss Israël le. Pour la première fois de son histoire, le pays hébreu a couronné une reine de beauté noire, d’origine éthiopienne[135].
Symptomatique de l'importance acquise par lesEthiopim dans la société israélienne, au début de 2020, à la veille d'une élection législative, un parti politique, leLikoud, s'engage à réaliser, d’ici la fin de l'année, l'immigration de tous les derniers juifs encore en Éthiopie, qu'il chiffre à 7 000 personnes[138].
↑« Falashas », dansEncyclopaedia Judaica,vol. 3,(ISBN0685362531),p. 500 : (trad.) « LesBeta Israel, ainsi que le groupe s'appelle lui-même, étaient connus des autres jusqu'à récemment comme les Falashas, terme regardé par le groupe comme méprisant. ».
↑LeLivre des Nombres (19, 11) fixe la période d’impureté à sept jours ; ce commandement n’est plus pratiqué par lejudaïsme rabbinique actuel, ce qui choque desBeta Israel.
↑Dérivé d’une racine proto-sémitique signifiant « poser le front au sol » ; c'est donc un lieu de prosternation. Enarabe,masjid, qui désigne unemosquée, a la même origine.
↑Sur le rôle desdäbtära, cf. Stephen Kaplan (1990), Kay Kaufman Shelemay (1992) et W. Leslau (1957).
↑abcd eteHagar Salamon, « Blackness in transition : decoding racial constructs through stories of Ethiopian Jews »,Journal of Folklore Research,vol. 40,no 1,(lire en ligne).
↑Les populations d’une large partie de l’Éthiopie, de l’Érythrée ou de laSomalie sont issues d’un métissage très ancien entre populations africaines et populations du sud de l’Arabie. Voir à ce sujet(en) « Genetics affinities of Ethiopian Jews »,Israel Journal of medical sciences,vol. 27,,p. 246-250(lire en ligne), ou l'étude de Ornella Semino, Chiara Magri, Giorgia Benuzzi, Alice A. Lin, Nadia Al-Zahery, Vincenza Battaglia, Liliana Maccioni, Costas Triantaphyllidis, Peidong Shen, Peter J. Oefner, Lev A. Zhivotovsky, Roy King, Antonio Torroni, L. Luca Cavalli-Sforza, Peter A. Underhill, et A. Silvana Santachiara-Benerecetti publiée le 6 avril 2004 dansThe American Journal of Human Genetics[3].
↑Pot rouge ou un symbole phallique. VoirJ. G. Abbink, « The Falashas in Ethiopia and Israel : the problem of ethnic assimilation »,Social anthropologische Cahiers, Nijmegen, ICSA,vol. XV,, cité dansLes enfants de la reine de Saba, p. 80.
↑La loi du retour précise en effet que « Les droits d’un Juif [à l'immigration] sont aussi accordés aux enfants et petits-enfants d’un Juif, à son conjoint et au conjoint d’un enfant ou d’un petit-enfant d’un Juif ».
↑T. Wagaw, en 1993, estime que plus de 90 % des adultes de plus de37 ans sont analphabètes lors de leur immigration. Par contre il estime que 37 % des jeunes de moins de25 ans ont suivi une scolarité de six ans ou plusAnteby-Yemini 2004,p. 115.
↑Seth J. Frantzman, « Des Israéliens comme les autres : Il y a deux ans, des manifestations d’Israéliens originaires d’Éthiopie contre les discriminations secouaient le pays. Depuis, le gouvernement a pris de nouvelles dispositions »,The Jerusalem Post,(lire en ligne).
DanielFriedmann et UlyssesSantamaria,Les enfants de la reine de Saba : les juifs d'Éthiopie (Falachas) : histoire, exode et intégration, Paris, Édition Métailié,, 411 p.(ISBN2864241854).
Daniel Friedmann et Ulysses Santamaria, « Les Falachas entre l'assimilation en Éthiopie et l'intégration en Israël, identité et changement »,European Journal of Sociology,vol. 30,no 1,,p. 90-119(lire en ligne).
Antoinette Brémond, « La vie en Israël : les juifs d’Éthiopie, Beta Israel ou Falashas »,Écho d'Israël,no 30, (« Lien vers l'article archivé »(archivé surInternet Archive) ; article initialement consulté le)
Hagar Salamon, « Blackness in transition : decoding racial constructs through stories of Ethiopian Jews »,Journal of Folklore Research,vol. 40,no 1,(lire en ligne[PDF]) ; article sur lesBaryas Falashas et les hiérarchies raciales au sein de la communauté.
La version du 12 novembre 2006 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.