Les grandes révolutions de l’ère moderne entraînent chez nombre d’entre eux une perte ou un abandon de tout ou partie des repères traditionnels. Plusieurs tentatives sont menées pour les redéfinir en tant qu’entité confessionnelle, nationale ou culturelle de sorte qu’enfrançais, l'Académie française distingue entre lesJuifs (avec une majuscule — les « personnes descendant de l'ancien peuple d'Israël ») et lesjuifs (sans majuscule — « personnes qui professent le judaïsme »)[3].
Le nombre total des Juifs contemporains est difficile à évaluer[4] avec précision, et fait l'objet de différentes appréciations mais, selon une estimation effectuée en2016, il serait d'environ 14,4 millions[1]. Selon une autre comptabilisation, effectuée en2021 par la Berman Jewish DataBank, ce chiffre se situe entre 15,2 millions et 19,9 millions de personnes[5], soit moins de 0,2 % de la population mondiale. La majorité d'entre eux viten Israël etaux États-Unis, et les autres principalement enEurope,au Canada et enAmérique latine.
L’araméen reprend le mot sous la formeyehoudaï[7], transcritῘ̓ουδαῖος /Ioudaîos engrec ancien[8] puisjūdaeus enlatin[9]. C’est sur la base de ce mot latin que lefrançais nomme le patriarche Juda, son territoire laJudée et ses habitants les Judéens (l’anglais académique emploie le termeJudahite pour ces connotations ethnique ou géographique[10],anglicisme repris en français sous la forme « judaïte » parErnest Renan,Histoire du peuple d'Israël[11] et dans la critique qu'en faitThéodore Reinach[12]). Pour distinguer ces sens, l’hébreu moderne a recours au termeyehoudaʾi, « Judéen », distinct deyehoudi, « juif ».
AuXe siècle, l'ancien français fait évoluerjūdaeus enjudeu, qui se transforme ensuite enjuiu puis enjuieu auXIIe siècle[13]. De la forme féminine,juive, du motjuieu dérive, dès leXIIIe siècle, le mot français masculin « juif », qui parvient jusqu'à nos jours. D’autresethnonymes désignant les Juifs dans diverses langues contemporaines s'appuient sur cette même étymologie « judéenne », par exempleيهودي (yahūdī) enarabe,Jude enallemand,juutalainen enfinnois,Jew enanglais,židov encroate,jøde endanois,zsidó enhongrois, oużyd enpolonais. L’antijudaïsmechrétien accole au mot des significations déplaisantes : « Juif » devient par exemple synonyme d’usurier même quand la personne n’a aucune ascendance juive, du fait de leur haute prévalence dans l’un des seuls métiers que les autorités leur permettaient d’exercer. Dans les pays où le nom originel de « juif » est devenu péjoratif (giudeo,Ιουδαίος,jid,jidov), des noms qui dérivent du mot « hébreu » lui sont préférés commeebreo enitalien,Εβραίος /evraíos engrec moderne,еврей (ievreï) enrusse, ouevreu enroumain ; d'autres noms, telMusevi enturc, dérivent de celui deMoïse.
Une évolution supplémentaire, propre au français, se produit lorsqu’il est décidé d’émanciper les Juifs vivant enFrance, pour peu qu’ils renoncent à toute revendication nationale et confinent leurjudéité au niveau confessionnel. Conformément aux conventions typographiques de la langue française, qui imposent unemajuscule aux noms de peuples et uneminuscule aux noms de croyances[14], « Juif » s'écrit avec une initiale majuscule quand il désigne les Juifs en tant que membres du peuple juif (et signale ainsi leurjudéité), mais il s'orthographie avec une initiale minuscule lorsqu'il désigne les juifs en tant que croyants qui pratiquent lejudaïsme (et insiste en ce cas sur leurjudaïté).
Carte deJérusalem, peu avant l'an 70. L'emplacement duTemple est représenté en jaune.
La notion de Juif s'est structurée à travers l'histoire. Au cours des trois millénaires écoulés depuis l'époque de David et les premiers documents égyptiens évoquant le peuple d'Israël, elle a connu des évolutions ou infléchissements.
À l'époque la plus ancienne, lesIsraélites apparaissent comme une population aux pratiques religieuses très diversifiées[15], surtout définis par leur origine supposée commune[16], leur langue, leur territoire et leurs deux États.
À partir duIIe siècle av. J.-C., l'effervescence intellectuelle autour de la religion juive est attestée. Elle s'exprime à travers la diversité foisonnante de courants etsectes[17].
À la suite de l'apparition des prémices d'unculte chrétien, la destruction du Second Temple par lesRomains (en70 ap. J.-C.), et la destruction définitive duroyaume de Juda (Ier siècle), et enfin avec la rédaction desTalmuds, la religion juive s'unifie (IIe siècle -Ve siècle). Le rétablissement de l'État juif est alors abandonné, et renvoyé à des lointains temps messianiques.
C'est à partir duXIXe siècle, sous l'influence des idéeslaïques etnationalistes en occident, qu'une redéfinition politique etnationale de l'identité juive est mise en avant.
La plus ancienne source documentaire extra-biblique sur les Israélites est lastèle de Mérenptah, qui remonterait auxannées 1210 av. J.-C. et a été trouvée en1896 dans le sud de l'actuelIsraël. Dans cette stèle, le pharaonMérenptah proclame :« Israël est détruit, sa semence même n’est plus ». Le déterminatif des hiéroglyphes signifiant Israël (un homme, une femme et les trois traits marquant le pluriel), précise que le mot désigne une population. On ignore la localisation exacte de cette population, son périmètre ethnique ou religieux, son statut politique, mais la stèle confirme l'existence assez ancienne d'un groupe humain de ce nom dans le paysage cananéen de l'époque.
On ignore la date exacte de rédaction des Livres de la Bible hébraïque. La tradition juive les tient pour contemporains des faits qu’ils rapportent, tandis que les biblistes non littéralistes y voient une rédaction progressive ayant débuté auVIIe siècle av. J.-C. avec leDeutéronome[18] et s’étalant ensuite sur trois siècles. Selon ces derniers, la Bible n’est donc pas un témoignage historique fiable, en particulier pour les périodes les plus anciennes, mais elle exprime fidèlement la vision de la communauté qu’avaient ses rédacteurs.
Dès les premiers Livres de laTorah, les« Enfants d'Israël »[19] sont à la fois présentés comme un groupe religieux (pratiquant un culte monothéiste et comme un peuple, le« peuple d'Israël »[20]. Leur dieu, dont le Nom ineffable est transcrit sous la forme du tétragrammeYHWH, les appelle« Mon peuple »[21].
À ce stade, cependant, le « peuple d'Israël » n'est pas présenté comme une nation au sens étatique du terme. Cette notion apparaît dans lesLivres prophétiques avec le récit de la royauté deSaül, datée par la tradition aux alentours de l’an 1000 AEC :« Samuel dit à tout le peuple : Voyez-vous celui que l’Éternel a choisi ? […] Et tout le peuple poussa des cris, et dit : Vive le roi ! »[22].
À compter du livre de Samuel, la Bible affirme de façon permanente qu'il est de la volonté de Dieu que les Israélites soient son peuple, mais aussi qu'ils soient un royaume, sous une direction politique unique, la dynastie davidique dont viendra un jour futur leMessie[23].
Carte des royaumes deJudée etSamarie qui existaient selon la Bible en926 av. J.-C. (les frontières sont seulement indicatives).
En pratique, ces principes ne sont que partiellement mis en œuvre : au niveau national, le royaume unifié d’Israël éclate à la mort de Salomon en deux royaumes israélites rivaux avec leroyaume d’Israël, ou de Samarie (du nom de sa capitale) au Nord deCanaan et leroyaume de Juda (du nom de latribu royale) au Sud ; sur le plan religieux, le polythéisme est très présent au sein de la société israélite, tant au nord (« les enfants d'Israël firent en secret contre l'Éternel leur Dieu, des choses qui ne sont pas bien. […]. Ils fabriquèrent des idoles d'Astarté, ils se prosternèrent devant toute l'armée des cieux, et ils servirentBaal »[24]) qu’au sud (leroi Josias« ordonna […] de retirer du sanctuaire de Yahvé tous les objets de culte qui avaient été faits pourBaal, pourAshera et pour toute l'armée du ciel […]. Il supprima les faux prêtres que les rois de Juda avaient installés et qui sacrifiaient […] àBaal, au soleil, à la lune, aux constellations et à toute l'armée du ciel. […] Il démolit la demeure desprostituées sacrées, qui était dans le temple de Yahvé […] »[25]).
L’archéologie confirme ce polythéisme, montrant YHWH adoré avec d’autres dieux et déesses, comme Ashera (peut-être son épouse). Lesostraca de Kuntillet 'Ajrud, dans le désert duSinaï, datant duVIIIe siècle avant l'ère commune, portent ainsi l'inscription « bēraḫtī ʾetḫem lǝ-YHWH šomrōn [oušomrēnū] u-l-Ašratō » (« Je vous ai bénis par YHWH de Samarie et Son Asherah » ou « Je vous ai bénis par YHWH notre gardien et Son Asherah », selon qu'on lisešomrōn : Samarie oušomrēnū : notre gardien[26]). On trouve aussi la mention « YHWH et son Ashera » sur une inscription datant de la monarchie tardive (vers -600) dans la région de laShéphélah (royaume de Juda)[27]. En revanche, aucune archive connue des états de la région ne parle du royaume unifié de Saül, David et Salomon et seule lastèle de Tel Dan gravée auIXe siècle av. J.-C. (ainsi que, selon certains, lastèle de Mesha) atteste l’existence de deux royaumes israélites dont l’un est dirigé par la « maison de David ».
Frontières estimées des États du levant vers800 av. J.-C.
Les Israélites, au terme d'une évolution allant de laGenèse aupremier livre de Samuel sont ainsi dotés d'une triple caractéristique par la Bible : ils sont un groupe religieux, un peuple et une nation, ou plus exactement un royaume (rapidement divisé).
Quelle que soit leur réalité historique, les récits intègrent deux idées :
La première est que le destin des Israélites est de vivre dans un seul royaume, sous la seule dynastie légitime, celle de Juda[29]. En sortant de ce royaume, les habitants de Samarie divisent le peuple ;
La seconde est qu'on peut être israélite tout en pratiquant lepolythéisme, même si on est alors un mauvais Israélite. Ce pluralisme religieux ne remet pas en cause l'appartenance commune au « peuple d'Israël », qui semble ainsi première.
Le premier exil et l'apparition des Juifs
Carte de la région vers700 av. J.-C., après l'expansionassyrienne. La Samarie et Juda font partie de l'empire, Juda avec un statut de vassal et non de simple province.
La population installée à Babylone semble avoir rompu de façon définitive avec le polythéisme. La Bible cesse en effet ses accusations régulières sur ce thème. Les formes fondamentales du monothéisme juif semblent s'être définitivement imposées dans l'épreuve de l'exil.
Les Juifs ne seront plus indépendants avant lamonarchie hasmonéenne, vers140 av. J.-C. Ils ne vivront plus exclusivement enJudée, mais se répandront progressivement à travers le Moyen-Orient à partir de laBabylonie.
Israélites et Samaritains
Après lalibération des exilés par l'Empereur perseCyrus II en537 av. J.-C., celui-ci leur donne la permission de retourner dans leur pays d'origine et de rebâtir letemple de Jérusalem détruit en 586. Les populations de l'ancien royaume de Samarie proposent alors leur aide. Celle-ci est refusée[31], et lesSamaritains sont accusés de ne pas être de purs Israélites, mais des immigrants d'origine assyrienne imitant les Israélites :« Le roi d'Assyrie fit venir des gens […] et les établit dans les villes de Samarie à la place des enfants d'Israël […]. Ils craignaient aussi l'Éternel […] et ils servaient en même temps leurs dieux d'après la coutume des nations d'où on les avait transportés »[32].
L'exil a en effet modifié les identités ethno-religieuses. Pour les anciens exilés deBabylone, laterre d'Israël est mal connue. Les anciennes définitions sont réinterprétées. Lacaptivité de Babylone a créé les Juifs au sens actuel du terme. Les populations se réclamant des anciens Israélites sont maintenant réparties en deux groupes pratiquant des religions proches : les Judéens et les Samaritains, toutes deux sous domination perse, et plus tardséleucide.
Deux éléments semblent marquants dans la rupture :
les Samaritains sont accusés de n'être pas d'ascendance israélite, mais de se contenter de se comporter comme des Israélites.
Une autre accusation juive existe, celle de pratiquer lepolythéisme. Elle ne semble cependant pas suffisante à justifier la divergence. En effet, letraité mineurMassekhet Koutim[33] duTalmud de Jérusalem admet que lesSamaritains ne sont plus polythéistes[note 2]. Mais l'accusation de ne pas être d'ascendance israélite subsiste. Avec l'importance du mont Garizim, elle apparaît donc comme centrale dans le rejet.
C'est à la fois la religion, la politique et la notion de peuple qui fonde donc le rejet desSamaritains et la structuration d'une identité juive distincte. Elle est non seulement celle de monothéistes qui suivent laBible (comme les Samaritains), mais qui affirment également au moins trois fortes spécificités : de meilleures pratiques religieuses (comme la centralité du temple de Jérusalem), une fidélité politique et « nationale » au royaume Judéen[34] et l'appartenance à un peuple nettement différencié par son origine supposée (les « vrais » Israélites).
La définition strictement nationale du « peuple juif » (une langue, un territoire, une direction politique) s'estompe donc. Malgré quelques principes généraux (centralité deJérusalem[note 3], Dieu Un et Unique, destin particulier du peuple Juif), le judaïsme duSecond Temple (de 515 av. J.-C. à 70 ap. J.-C.) éclate et se dilue en une multitude de courants et de sectes. Certains se reconnaissent dans lesRabbanim[36], d'autres dans lesprêtres du Temple, certains acceptent laTorah orale, d'autres non, certains acceptent des livres de la Bible que d'autres rejettent (Voir les livres acceptés par la version grecque de laSeptante et rejetés par leTanakh hébraïque, les livres "intertestamentaires", leslivres deutérocanoniques), certains professent l'éternité du monde quand d'autres sont créationnistes, certains professent l'immortalité de l'âme (pharisiens) que d'autres rejettent (sadducéens[note 4]), certains se montrent ouverts aux convertis quand d'autres les rejettent, certains se montrent ouverts à laculture hellénistique (dominante dans le Moyen-Orient de l'époque), que d'autres se font un point d'honneur de refuser.
Après la destruction dusecond Temple de Jérusalem en l'an70 ap. J.-C., ce judaïsme éclaté perd son autorité centrale. Le peuple juif perd aussi progressivement son État, réduit d'abord au statut de royaume vassal par lesRomains, puis finalement supprimé pour devenir une simple province. Enfin, une nouvelle religion apparaît, le christianisme. Issu du judaïsme, dont il tempère les règles strictes (respect duShabbat,circoncision,interdits alimentaires,interdiction des images[note 5]…) lechristianisme primitif met l'universalisme en avant. Les références au « peuple juif » et au « royaume de Juda » (dont le rétablissement était espéré par les Juifs) en disparaissent dès la fin duIer siècle.
Le judaïsme pharisien, qu'on peut désormais qualifier d'orthodoxe (le terme n’est utilisé qu'à partir duXIXe siècle), acte parallèlement la fin pratique de la dimension nationale du fait juif : il devient interdit, après la fin desZélotes (en67-73 ap. J.-C.) puis l'écrasement de larévolte de Bar Kokhba (en132-135 av. J.-C.), de« se rendre en terre d’Israël comme une muraille » et,a fortiori, de combattre pour le rétablissement d’un État juif[37],[38]. Ces défaites sont interprétées comme une manifestation du refus divin de rétablir la souveraineté juive sur laTerre sainte. En théorie l'idée nationale est cependant conservée, puisque la création d'un nouveau royaume d'Israël reste attendue pour l'avènement destemps messianiques.
Sans doute par compensation à cette évolution, lejudaïsme orthodoxe a par contre conservé et même renforcé la définition des Juifs en tant que peuple, freinant fortement lesconversions au judaïsme, perçues comme un facteur de dilution. Assez nombreuses dans l'Antiquité[39], celles-ci deviennent marginales, renforçant le particularisme ethnique.
Privé de centralité religieuse et politique, menacé par leprosélytisme chrétien, lejudaïsme va se restructurer en profondeur.
Devant la menace de dilution et d'oubli de la tradition, lesSages pharisiens décident de mettre laTorah orale par écrit, rompant ainsi avec un tabou ancien[40]. LaMishna est alors rédigée, auIIe siècle, par lestannaïm. Elle« se présente comme un code de loi, en quelque sorte les décrets d'application de la législation biblique. Elle est divisée en six parties […] 1. les lois agricoles ; 2. les fêtes ; 3. la législation familiale ; 4. le droit civil et pénal ; 5. le culte du temple ; 6. les lois de pureté »[41]. Entre leIIe et le Ve siècle, chaque article de laMishna est commenté en détail dans laGémara[42].« C'est à l'ensembleMishna (lois) etGémara (commentaire des lois […]) que l'on donna le nom de Talmud »[43], dont il existe deux versions : leTalmud de Jérusalem etcelui de Babylone, issus des académies religieuses de ces deux grands centres d'étude, et achevées auxIVe et Ve siècles.
À l'issue de ce travail, le visage du judaïsme a changé, les divergences d'interprétations entre sectes semblant appartenir au passé, au bénéfice d'un solidecorpus de règles religieuses unifiées.
Fort de ses adaptations face à la destruction de l'État juif, c'est le judaïsme orthodoxe qui va être la structuration idéologique principale des deux mille ans d'existence juive post-exilique.
Quand l'expansion vers l'Europe, l'Inde ou la Chine commence, les différentes sectes juives ont déjà disparu au profit dujudaïsme pharisien, nouveaujudaïsme orthodoxe. De ce fait, fortement structurées par lesTalmuds, les communautés de plus en plus dispersées n'ont pas éclaté en groupes religieux rivaux, les pratiques restant assez homogènes dans l'espace et dans le temps. On peut citer l'exception desJuifs éthiopiens, dont nul ne connaît clairement l'origine, ou celle des groupes en cours d'assimilation lors de leur redécouverte par le judaïsme (comme lesBene Israël des Indes), dont la « déviation » venait plus de l'oubli que d'une volonté d'innovation religieuse.
Si les caractéristiques religieuses des populations dispersées sont restées assez stables, leurs caractéristiques ethniques (apparences physiques) se sont cependant modifiées, par conversion, viol ou mariages mixtes, mais sans modifier de façon notable la définition traditionnelle du Judaïsme.
La culture des Juifs fut longtemps celle du ghetto et du statut dedhimmi. Les repères matériels de la politique et du culte ayant été détruits, ceux-ci s'étaient déplacés vers les domaines de l'étude et la religion. Les persécutions, expulsions et massacres qui alternaient avec des périodes de calme relatif étaient vécues comme l'accomplissement des paroles du Deutéronome« L’Éternel te dispersera parmi tous les peuples, d’une extrémité de la terre à l’autre […] L’Éternel rendra ton cœur agité, tes yeux languissants, ton âme souffrante »[45]. L'échec des révoltes menées par lesZélotes puisShimon bar Kokhba avaient conforté le peuple dans cette perception d'un exil voulu par Dieu, et leMessie fils de David, de figure politique qu'il était, avait été transmué en personnageeschatologique. Les Juifs se voyaient donc comme un« peuple au sein des nations », maintenu par le judaïsme (qu'on n'appelait pas encore orthodoxe), attendant patiemment sa délivrance deDieu.
LaHaskala
Sous l'influence de laphilosophie des lumières, un courant intellectuel juif apparaît à la fin duXVIIIe siècle. L'idée fondamentale de laHaskala est la sortie dughetto, l'entrée dans la modernité occidentale, à travers une éducation non exclusivement religieuse, l'initiation à l'économie moderne, et grâce à l'amélioration des relations entre les Juifs et les peuples au sein desquels ils vivent. Ce courant va susciter plusieurs réactions au sein des Juifs, les conduisant parfois à des modifications profondes de la perception de leur identité.
La réforme du judaïsme
Le mouvement réformé apparaît enAllemagne dans la première moitié duXIXe siècle. Lejudaïsme réformé, fortement influencé par laHaskala, est en fait composé de divers courants, considérant le judaïsme comme formé d'un noyau moral à conserver et d'une écorce rituelle à abroger ou à réformer. La notion de « peuple juif » elle-même est limitée, voire contestée, au nom d'une meilleure intégration dans les sociétés occidentales. Les Juifs doivent se comporter, s'exprimer, s'éduquer et s'habiller comme leurs concitoyens, renoncer à leur particularisme culturel, à leurs langues (comme leyiddish), à leurs vêtements traditionnels, à leurs quartiers spécifiques, et lejudaïsme doit devenir une religion privée, en accord avec la société et ses valeurs. En France, où il prend le nom dejudaïsme libéral, le judaïsme réformé a eu pour précurseurOlry Terquem qui s'employa à traduire et à diffuser les idées réformistes de Berlin.
Le culte est alors réformé sur le modèle protestant, lacacherout (l'ensemble des lois alimentaires juives) est majoritairement oubliée et l'abandon des pratiques traditionnelles va chez certains jusqu'à proposer l'abandon duchabbat et de lacirconcision. Laliturgie est simplifiée, les livres de prières (siddour) sont rédigés enallemand et non enhébreu, lesservices abrégés, enrichis d'un sermon et d'un accompagnement musical. De cette redéfinition du fait religieux juif axée sur l'adhésion à une religion intériorisée, il ressort que la dimension de « peuple séparé » doit disparaître ou être atténuée.
L'impact de la réforme provoque alors la formation de nouveaux courants religieux, favorables ou opposés à celle-ci.
Elle engendre d'abord l'ultra-orthodoxie juive, qui prône l'exact inverse des valeurs de la réforme, en adoptant un séparatisme assez strict, et en renforçant la pratique dujudaïsme au prix d'une rupture avec la modernité.
Elle est également rejetée par les « orthodoxes modernes », qui se laissent néanmoins pénétrer par certaines idées de laHaskala, conciliant une vie moderne avec la tradition.
En réaction à la réforme, mais également au durcissement de l'orthodoxie, naît la critique positive-historique du rabbinZacharias Frankel qui tente dans la seconde moitié duXIXe siècle de concilier tradition et modernité. Ce courant, partisan d'une plus grande souplesse rituelle que les orthodoxes, a cependant une vision du judaïsme assez similaire, notamment dans sa dimension politique. Cette opinion « centriste » s'individualise auxÉtats-Unis en 1902 sous le nom deConservative Judaism.
LaHaskala a exprimé à l'origine une volonté de faire des Juifs des citoyens comme les autres mais l’une de ses interprétations sera dans la seconde moitié duXIXe siècle d'en faire un peuple comme les autres, c'est-à-dire doté d'un État.
Historiquement, les prophètes de l'exil à Babylone (notammentEzéchiel) furent les premiers à exprimer la nostalgie deSion. Sous leur influence religieuse, un modeste noyau de Juifs demeura toujours enterre d’Israël et des petits groupes de juifs religieux « montaient » régulièrement en terre d’Israël depuis l’Antiquité, souvent après des accès de persécutions anti-juives et surtout vers les villes saintes deSafed,Tibériade,Hébron etJérusalem. Cependant, ces déplacements n'impliquaient aucun projet politique et une tradition talmudique assez répandue jugeaita contrario qu’une arrivée massive des Juifs sur la terre ancestrale enfreindrait lestrois serments que Dieu avait fait jurer au peuple juif et aux nations. Il était certes enseigné que « lestemps messianiques auront lieu lorsque les Juifs regagneront leur indépendance et retourneront tous en terre d'Israël[46] » mais l’espoir se résumait le plus souvent à une prière prononcée en concluant leséder dePessa'h, « L'an prochain à Jérusalem ».
Cependant, l'Organisation sioniste mondiale, créée en1897 parTheodor Herzl, entend moins rétablir le culte des offrandes (comme le souhaitait le rabbin Kalischer) que répondre à la « question juive », après que l'affaire Dreyfus a, selon Herzl, prouvé l’échec de l’assimilation en France, dans le pays même qui avait été le premier à émanciper les Juifs, en1791.
De 1918 à 1948, la population juive sur le territoire de la Palestine mandataire passe de 83 000 à 650 000 personnes du fait d’un importanttaux de natalité mais aussi et surtout d'une forteimmigration motivée par l’antisémitisme et les troubles politiques en Europe.
Les Juifs desanciennes communautés de Palestine mandataire, très religieux, ne se mélangent pas à ces nouveaux immigrants, relativement indifférents voire, pour certains, vigoureusement hostiles à la tradition (cette hostilité est souvent l’apanage de courants de gauche, tels que lesPoale Sion,Hachomer Hatzaïr ou lesionisme libertaire ; cependant, le petit courant ultra-nationaliste desCananéens se réclamera dupaganisme et d'une identité hébraïque non juive, appelant à un dépassement du sionisme en faveur d'une identité israélienne/hébraïque détachée de la diaspora). Ils sont également vilipendés par la plupart des autorités spirituelles de l’époque[47] :Samson Raphaël Hirsch se distancie du projet sioniste (Amants de Sion y compris) en invoquant les trois serments ; pourElhanan Wasserman, ils sont l’« ennemi de l’intérieur » et d’autres estiment que la conférence de San Remo est« un clin d’œil de la providence divine mais [que les sionistes] l’ont ruiné »[48]. Cependant, le sionisme trouve son défenseur en la personne du rabbinAbraham Isaac Kook. Autorité respectée, il articule une synthèse entresionisme et tradition, faisant ressortir les nombreux points communs entre celle-ci et la praxis sioniste (qu’il n’épouse pas). Il prédit que le repeuplement juif en terre d’Israël, même s'il est conduit par des« athées et des blasphémateurs », amènera avec le temps à faire émerger« la dimension religieuse et spirituelle du projet sioniste »[49]. Cependant, il ne parvient pas à infléchir la position de l’Agoudat Israel, fondée en Pologne en 1912 par diverses mouvances orthodoxes (dont les mouvements hassidiques deSatmar etToldos Aharon(en)) pour s’opposer au sionisme.
LaShoah, destruction massive dujudaïsme diasporique européen, modifie fortement le cours des choses. Au cours de celle-ci, le Juif est défini par des critèresraciaux plutôt que religieux (on peut lire dans cette tendance de l’antisémitisme moderne, par opposition à l'antijudaïsme religieux traditionnel, l’influence des nationalismes européens né à la fin duXVIIIe siècle, volontiers laïques). Privés de leurs droits puis ghettoïsés tandis que la plupart des pays opposés à Hitler leur ferment les portes, beaucoup se rallient au sionisme, y compris dans les milieux religieux, à l’exemple du rabbinYissachar Shlomo Teichtal(en) qui décide que l’installation des Juifs, même sionistes, en Israël ne conduit pas à la perte du peuple juif mais à son salut. Confrontés à l’antisémitisme ambiant après la fin de la guerre, de nombreux survivants choisissent de rejoindre le foyer national juif, adhérant au sionisme laïc ou au sionisme religieux. Au sein même de l’orthodoxie et d’une partie de l’ultra-orthodoxie juives, on révise ses positions : beaucoup perçoivent la Shoah et les évènements qui l’ont précédée comme une rupture des trois serments par les nations qui avaient« promis de ne pas opprimer Israël trop durement » et l’Agoudat Israël elle-même devient « a-sioniste » plutôt qu’antisioniste. En réaction, les pans de l’ultra-orthodoxie demeurés fidèles à leurs idées premières se fédèrent et fondent laEdah Haredit.
Le 15 mai 1948 est proclamé l'État d'Israël. Ladéclaration d'indépendance du 14 mai indique« Eretz Israël est le lieu où naquit le peuple juif. C'est là que se forma son caractère spirituel, religieux et national. […] Contraint à l'exil, le peuple juif demeura fidèle au pays d'Israël à travers toutes les dispersions, priant sans cesse pour y revenir, toujours avec l'espoir d'y restaurer sa liberté nationale. […] C'est de plus, le droit naturel du peuple juif d'être une nation comme les autres nations et de devenir maître de son destin dans son propre État souverain. […] L'État d'Israël sera ouvert à l'immigration des Juifs de tous les pays […] il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d'éducation et de culture. […] Confiant en l'Éternel tout-puissant, nous signons cette déclaration sur le sol de la patrie »[50].
Les références au « peuple juif » (terme utilisé huit fois dans le texte) sont essentiellement faites sous l'angle national : les termes « nation », « national », « pays » ou « État » appliqués au « peuple juif » ou à la « terre d'Israël » sont utilisés 39 fois.
À l'inverse, les références à la religion juive sont limitées à trois passages. Il est au départ fait mention du« caractère spirituel, religieux et national » du peuple juif, qui a fait« don de la Bible au monde entier ». Il est plus loin indiqué que« le peuple juif demeura fidèle au pays d'Israël à travers toutes les dispersions, priant sans cesse pour y revenir », mais la notion de prière peut ici s'interpréter de façon religieuse ou laïque. La dernière allusion au religieux est aussi la plus appuyée, puisqu'elle indique que les signataires de la déclaration d'indépendance sont« confiants en l'Éternel tout-puissant ».
La déclaration d'indépendance reprend la démarche qui était majoritairement celle dusionisme depuis son origine : renforcer fortement la dimension nationale du fait juif (la notion de peuple débouchant pour les sionistes de façon étroite sur la notion de nation), et atténuer sa dimension religieuse, mais sans la nier.
La première version de laloi du retour (1950), précise que tout Juif a droit à l'émigration versIsraël, mais ne précise pas ce qu’est un Juif. Les premières instructions ministérielles données indiquaient d'ailleurs que toute personne revendiquant de bonne foi sa judaïté devait être acceptée. L’État juif refusait de rentrer ainsi dans une définition religieuse de la judaïté, et insistait plutôt sur une vision plus nationaliste : le sentiment commun d'appartenance.
Cette vision est également pour une bonne part à l'origine de l'évolution de la loi à la suite de l'affaire du « frère Daniel », néOswald Rufeisen, ancien militant sioniste converti aucatholicisme. Selon laHalakha[51], il reste Juif indépendamment de sa religion. Mais l’État d'Israël ne voulait pas se retrouver avec des « Juifs chrétiens » ou des « Juifs musulmans » officiellement reconnus. L'application stricte de laHalakha aurait abouti paradoxalement à une rupture totale du lien entre les notions de Juifs en tant que peuple et de juifs en tant que religion, les Juifs devenant purement un peuple. C'est dans ce but que fut voté l'amendement de 1970 qui précise« « un Juif » désigne une personne née d’une mère juive ou convertie au judaïsme et qui ne pratique pas une autre religion »[52].
Depuis 1970, l'État est en conflit larvé avec les orthodoxes à propos de cet amendement, ceux-ci réclamant, sans succès, qu'il soit précisé dans la loi que seules les conversions faites selon laHalakha des orthodoxes sont acceptées. Ce qui représenterait une rupture avec le puissant judaïsme américain, majoritairementréformé. Outre ce refus, l'État a aussi accepté de reconnaître comme Juifs lesSamaritains et lesKaraïtes, petites communautés rejetées par les orthodoxes.
Dans la tension ancienne entre définition des Juifs en tant quepeuple/nation, et celle des juifs en tant que religion, l'État d'Israël favorise donc nettement une vision nationale du fait juif, refusant à ce titre l'application stricte des lois religieuses, mais prenant également bien soin de ne pas rompre avec la religion juive. Celle-ci garde d'ailleurs un statut officiel : le rabbinat orthodoxe est une institution d'État, et lesrabbins orthodoxes ont le monopole du mariage des Juifs vivant enIsraël, même des non-croyants.
Qui est juif : religion juive et appartenance juive
Cette identité religieuse n'était pas absolue. Ainsi, selon Daniel Boyarin, une interrogation sur la distinction entre la notion de Juif et de judaïsme existait dans l’Antiquité aprèsPlaton chez les Juifs hellénisés d'Alexandrie[54]. De même, lahalakha (loi religieuse juive) n'impose pas la pratique religieuse pour appartenir au peuple juif, puisque pour elle, même un Juif converti à une autre religion reste juif[55].
Cependant, ces idées restaient marginales ou théoriques. Le « peuple d'Israël » étant censé avoir été voulu par Dieu pour recevoir ses préceptes, séparer les deux notions n'avait guère de sens dans des sociétés traditionnelles très marquées par la religion. Les formes prises par cette religion à travers l'histoire et l'espace ont cependant été diversifiées (judaïsme orthodoxe,karaïsme,Juifs éthiopiens).
À compter duXVIIIe siècle apparaît enOccident lemouvement des Lumières. Celui-ci, sous l'influence des philosophes français, prétend fonder une pensée politique et sociale dégagée du religieux (mais pas forcément anti-religieuse). Dès la fin duXVIIIe siècle apparaît le versant juif de ce mouvement, laHaskala. Prônant des valeurs profanes, elle suscite de nouvelles interrogations, chez les Juifs et chez les non-Juifs, sur les éventuelles définitions non-religieuses du fait juif.
Bien qu'il ait longtemps été le trait considéré comme déterminant pour les Juifs, lejudaïsme n'est pas une entité monolithique, ni même unitaire.
Avant leVIe siècle AEC, la Bible parle d'Israélites polythéistes, syncrétistes, idolâtres, priant uniquementBaal ou d’autres dieux « étrangers », ce qui est confirmé au moins en partie par l'archéologie (cf. supra). Il n'existe donc pas à l'époque de religion unifiée, et le fait israélite apparaît plus comme « national » que comme strictement religieux.
Après le retour desexilés de Babylone, la religion mosaïque éclate entre Judéens (Juifs) etSamaritains, ces derniers récusant l'interprétation des prophètes et la centralité deJérusalem.
À compter duXIXe siècle, laHaskala entraîne d'une part la réforme du judaïsme, qui remet en question la validité de la loi orale[note 6], voire de la loi écrite elle-même, de l'autre la revendication dunationalisme juif qui minimise fortement la dimension religieuse du fait juif, nombre de Juifs revendiqués, voirenationalistes, refusant ainsi toute religion. Le judaïsme éclate une nouvelle fois : le terme « orthodoxe » apparaît pour définir ce qui était jusque-là forme dominante du judaïsme. Au sein de cejudaïsme orthodoxe même, différentes tendances se dessinent (mais sans rupture officielle), depuis le fidéisme absolu desharedim jusqu'à l'ouverture des « orthodoxes modernes », souvent considérés avec suspicion par les premiers. Entre le radicalisme desultra-orthodoxes et des premiers réformés, des juifs, cherchant à moderniser leurs traditions sans les abandonner, forment lejudaïsme libéral et lejudaïsme conservateur, ainsi que d'autres courants moins importants, comme leJudaïsme reconstructionniste.
Le judaïsme historique n'est donc pas incarné par un seul courant. Il existe d'ailleurs plusieurs versions de la Bible, quelque peu différentes : laBible hébraïque (qui comporte24 livres), laBible samaritaine (qui ne reconnaît d'autorité qu'au Pentateuque et au Livre de Josué), laSeptante (qui comporte deslivres deutérocanoniques), ainsi que des versions moins « canoniques » comme lesmanuscrits de Qumrân, la Bible desEsséniens. Des traditions complémentaires (Talmuds etMidrash dujudaïsme rabbinique,hēḳeš etsevel ha-yǝrūšāh dujudaïsme karaïte,Mēmar Markah desSamaritains) accentuent encore plus les divergences. Les sources des uns sont rejetées par les autres, et le degré de leur autorité, absolue ou relative, peut également être discuté parmi ceux qui les reconnaissent. À cette diversité de textes ou d'interprétation s'ajoutent enfin les particularismes liés à la dispersion des populations se considérant comme descendantes des anciens Israélites pendant 2 500 ans sur une importante partie de la planète.
Divergences de textes, divergences sur l'interprétation des textes, absence de centralisation religieuse, diversité d'époques et diversité de pays ont donc produit des divergences religieuses non négligeables. Le judaïsme, quoique ayant justifié le maintien d'une spécificité juive au cours desdiasporas juives, n'est ni unitaire ni même la seule forme dejudéité pour l'ensemble des Juifs revendiqués.
Les Juifs en tant que peuple
Les deux sens du mot Juif ou juif sont déjà perçus auXVIIIe siècle puisque l'Encyclopédie deD'Alembert etDiderot[56] définit le mot juif comme« sectateur de la religion judaïque » mais affirme, deux paragraphes plus loin, qu'il s'agit d'un peuple à l'histoire bien connue.
Bien avant cette définition moderne, la Bible avait défini les Israélites en tant que peuple. Les occurrences du terme « peuple d'Israël », faisant suite à celui d'« Enfants d'Israël », insistant sur une origine commune, y sont particulièrement nombreuses, et ce dès leDeutéronome, livre que la majorité des tenants de lacritique bibliste[18] pensent avoir été le premier mis en forme, vers la fin duVIIe siècle av. J.-C. Les références y désignent un groupeendogame (ne se mélangeant pas aux autres peuples)« Tu ne contracteras point de mariage avec ces peuples, tu ne donneras point tes filles à leurs fils, et tu ne prendras point leurs filles pour tes fils »[57], ayant une relation directe avec Dieu« Pardonne, ô Éternel ! à ton peuple d’Israël, que tu as racheté »[58], et occupant un territoire,« le pays dont l’Éternel, ton Dieu, te donne la possession »[59].
Dans les livres plus tardifs de la Bible apparaît une nouvelle notion, celle de « peuple juif ». Au sens strict, les Juifs, ou Judéens, sont les Israélites du Sud, habitant leroyaume de Juda. Il ne s'agit donc pas d'une notion religieuse, les règles religieuses étant supposées s'appliquer de façon indifférenciée aux Israélites du Nord et du Sud, mais d'une notion géographique et politique. En pratique, les Israélites du Nord ayant disparu (thèse desdix tribus perdues) ou s'étant transformés enSamaritains (thèse desSamaritains, rejetée par les Juifs), les Juifs se sont considérés comme les derniers Israélites, les termes « peuple juif » devenant pour eux (et à leur suite pour les chrétiens) synonyme de « peuple d'Israël », synonymie refusée par lesSamaritains. Ainsi, bien que chaque groupe se soit défini comme « peuple d'Israël », le rejet mutuel des deux communautés a entraîné en pratique la création de deux peuples bien distincts, chacun avec son territoire, ses coutumes et sa direction.
Après la dispersion des Juifs à travers la planète, le sentiment d'être un peuple est resté une obligation religieuse. Au contraire du christianisme, lui-même issu du judaïsme, ce dernier a refusé tout universalisme religieux, et en particulier toute conversion en masse des « nations » (Goyim) au sens biblique, c'est-à-dire des non-juifs.
Bien que traditionnelle, la définition des Juifs en tant que peuple a donc été contestée par certains groupes issus du judaïsme, que ceux-ci recherchent une assimilation partielle (réformés) ou une assimilation totale (convertis). Des groupes se réclamant de la religion de la Bible hébraïque, sans forcément refuser que d'autres se définissent comme Juifs en tant que peuple, se sont eux-mêmes définis comme étant des groupes séparés ayant une identité spécifique (Karaïmes européens,Samaritains).
Au-delà de ces débats, la grande majorité des Juifs religieux, ainsi que beaucoup de non-croyants, sont restés très attachés à l'idée de « peuple juif » (qu'il soit vu ou non comme le peuple de l'Alliance et de laTorah) du fait de la place centrale de cette notion dans l'enseignement religieux du judaïsme.
LaShoah a fortement contribué à renforcer cette dimension de peuple : qu'ils soient religieux, socialistes, sionistes, assimilés, convertis, et quelle que soit leur nationalité, les Juifs ont alors été considérés comme un ensemble homogène à exterminer, ce qui a fortement renforcé le sentiment d'avoir un destin commun.
Avant la Révolution française, le terme denation était quasiment un synonyme de celui de peuple. On parle donc souvent (Voltaire, notamment[65]), de « nation juive », au sens de peuple juif.
À compter de laRévolution française, « nation » prend une signification plus politique. Une nation devient d'une part un État (comme dans l'expression « Organisation des Nations unies »), et d'autre part un peuple ayant l'objectif politique de maintenir ou de créer un État. Dans cette seconde signification, une nation est en pratique un peuple dont une partie au moins des membres a des objectifsnationalistes.
Le concept de nation juive (au sens politique) est à l'époque de la Révolution étranger aux Juifs. En effet, le culte s'est réorganisé depuis la fin duroyaume de Juda sur des attentes messianiques, pluseschatologiques que politiques, et l'exil est vécu comme l'accomplissement des prédictions duDeutéronome. Les Juifs considèrent toujours que leur destin est de vivre dans un État spécifique (la promesse de la terre donnée par Dieu[66]), mais ils attendent que celui-ci les y ramène, ainsi qu'Il l'avait fait lors de l'exil babylonien, et cette attente se traduit par l'étude et les prières.
Pour l'école « subjective », qui insiste sur le sentiment d'appartenance[69], la majorité des Juifs sont une nation (au moins ceux qui le désirent).
L'école « objective » à dominante territoriale refuse la définition des Juifs en tant que nation, voire en tant que peuple.
L'école « objective » à dominante historique, ainsi que l'école « subjective » l'acceptent plus facilement.
La nouvelle idée nationale ne s'est imposée que progressivement au sein des masses juives. Quatre grandes oppositions juives au sionisme se sont identifiées : l'opposition de la majorité des orthodoxes, considérant que le messie peut seul recréer l'État juif ; l'opposition des adhérents du nationalisme du pays de résidence considérant qu'une double fidélité nationale est impossible ; l'opposition des anti-nationalistes de principe[70], en général d'extrême-gauche ; les partisans d'un nationalisme autonomiste spécifiquementYiddish, comme lesbundistes ou lesfolkistes. Progressivement, le sionisme, d'abord assez marginal, a gagné en importance, en particulier en réaction aux troubles politiques de l'Europe orientale et à l'antisémitisme. La montée de celui-ci, puis son paroxysme au cours de laShoah, atténue d'ailleurs les fortes oppositions entre Juifs sionistes et antisionistes. Créé entre autres pour combattre lessionistes, le partiultra-orthodoxeagoudat Israël finit même par collaborer avec ceux-ci sous la pression de la montée de l'antisémitisme desannées 1930, puis acceptera la création d'Israël en 1947 dans le traumatisme suivant legénocide.
Ces débats ne sont toujours pas clos, certains Juifs religieux (laEdah Haredit) continuant à rejeter fermement l'idée d'un État juif politique, et beaucoup d'antisionistes politiques refusant toujours la revendication sioniste sur laPalestine. Cependant, malgré l'antisionisme dominant du régime soviétique, celui-ci avait reconnu les Juifs comme une « nationalité » soviétique à part entière, et soutenu la création d'Israël à l'ONU en1947.
Au sein même de la société israélienne, le débat sur la « nation juive » a amené à développer des approches assez sensiblement différentes de celles des religieux. C'est ainsi que lesSamaritains ou lesKaraïtes, groupes rejetés par les orthodoxes du périmètre dujudaïsme, ont été acceptés comme faisant partie de la descendance du « peuple d'Israël » des origines, et à ce titre comme membres de la « nation » (donc bénéficiant de laloi du retour). Les convertis par les rabbins réformés (surtout américains) sont aussi acceptés malgré le refus des orthodoxes, leur conversion étant considérée par l'État comme l'affirmation d'une volonté claire de changement de « nation ». L'État privilégie ainsi, dans une certaine mesure, le sentiment d'appartenance national et pas seulement le sentiment d'appartenance religieuse.
Indépendamment du sionisme, on peut aussi noter l'existence d'un nationalisme non sioniste, surtout incarné par leBund, parti ouvrier juif créé en1897. Bien que se définissant comme Juif, le nationalisme du Bund était surtout centré sur une identitéyiddish, et ne s'adressait guère aux Juifs des autres communautés.
Un Juif ashkénaze.Juifs de Chine, vers le début duXXe siècle.Un jeuneFalash Mura enÉthiopie, en 2005.Des Juifs des Indes (Cochin), vers 1900.
Uneethnie est une population humaine dont les membres s'identifient mutuellement, habituellement sur la base d'une ancestralité ou généalogie commune présumée[71], et possédant des traits culturels, comportementaux, linguistiques, rituels et/ou religieux communs. Selon ces critères, en particulier la revendication à une ascendance commune, les Juifs peuvent donc être considérés comme uneethnie : la traduction grecque de « peuple juif » est d'ailleursethnos tôn Ioudaiôn[72].
Le termeEthnic Jew s'utilise en anglais (particulièrement aux États-Unis) pour désigner une personne d'ascendance juive établie, mais ne se rattachant au judaïsme ni par la culture ni par la religion, voire ayant adhéré à une autre foi. La dimension culturelle ou religieuse dans cette approche est donc totalement occultée au bénéfice d'une stricte définition en termes d'ascendance.
Cette vision peut être partagée par des convertis. Par exemple,Benjamin Disraeli, bien que baptisé dans son enfance etanglican pratiquant, répliquait àDaniel O'Connell en 1835 :« Oui, je suis Juif, et tandis que les ancêtres de l'honorable gentleman étaient des brutes sauvages sur une île inconnue, les miens étaient prêtres dans leTemple de Salomon ».
Elle peut l'être aussi par des non-Juifs, selon des critères qui leur sont propres. Ainsi, les nazis se souciaient moins de définir les Juifs en termes de « religion » que d'« influence », laquelle dépendait d'une part du nombre d'ascendants « présumés juifs », et d'autre part de l'« appartenance confessionnelle »[73]. De nombreux « Juifs non juifs » (c'est-à-dire des Juifs s'étant convertis à d'autres religions commeEdith Stein ouIrène Némirovsky) furent ainsi exterminés durant laShoah et les frères Wittgenstein, dont la mère n'était pas juive, furent inquiétés[74].
LaHalakha (la loi religieuse juive, dictée par lejudaïsme orthodoxe), a également une définition des Juifs qui s'exprime partiellement en termes d'ascendance : est Juif (indépendamment de sa religion) celui qui est né d'une mère juive, ou celui qui s'est converti au judaïsme.
Selon la revendication religieuse d'une « ancestralité commune présumée », les Juifs sont donc plutôt une ethnie, lesconversions au judaïsme étant censées être peu nombreuses. Le terme « ethnie » est cependant peu utilisé en français, ayant acquis une connotation négative rappelant les discriminations antisémites et les critères nazis de « racialité juive ».
Conversions
La revendication d'une origine commune est par ailleurs contrebalancée par l'extrême divergence de types physiques existant entre les communautés juives. Celle-ci s'explique entre autres par le phénomène des conversions.
Ainsi, à l'époque romaine déjà, les écrits deDion Cassius[62] et lesSatires deJuvénal indiquent des conversions assez nombreuses. Les estimations selon lesquelles 10 % de la population romaine était juive[75] ne peuvent s'expliquer sans conversion.
Des conversions de masse ont pu avoir lieu jusqu'au Moyen Âge. Par exemple :
Même après le Moyen Âge, des passages en masse au judaïsme, comme celles desSubbotniks de Russie ou lesDönme de Turquie ont pu ponctuellement se produire[81],[82],[83].
Bon nombre d'études portant sur la génétique des populations ont été menées concernant l'impact de ces conversions sur l'histoire des populations juives. Quoique de nouvelles études soient encore à attendre, pour apporter des précisions ou trancher certaines discussions entre auteurs[84], les lignes générales qui se dégagent militent en faveur d'une nette dominationmoyen-orientale (notamment des régions palestiniennes, syriennes et turques)[85],[86] dans les origines duchromosome Y des populations juives actuelles (transmis uniquement par les hommes). Cette dominante ne permet pas de trancher la question du poids des conversions masculines dans cette zone, car les études ne différencient pas le chromosome Y des populations juives de celui des populationsnon-juives de la zone, qui sont très proches. Mais elles permettent d'indiquer que le poids des influences masculines extérieures auMoyen-Orient est nettement minoritaire (pouvant cependant aller jusqu'à une estimation de 23 % pour les populations ashkénazes).
À l'inverse, les études existantes penchent assez nettement pour une origine majoritairement non moyen-orientale pour l'ADN mitochondrial (transmis uniquement par les femmes)[87],[88]. Ces apports ont des origines géographiques distinctes mais peu nombreuses[88],[89], ce qui laisse à penser que les conversions ont été localisées et rares au cours de l'histoire juive, même si le poids global de ces entrées est finalement présent. Chez lesBene Israël deBombay, l'origine est très tranchée : moyen-orientale pour les marqueurs génétiques masculins, et locale pour les marqueurs génétiques féminins[86]. Il est cependant à noter que dans le cas des Ashkénazes au moins, certains auteurs ont défendu une origine majoritairement moyenne-orientale des marqueurs génétiques mitochondriaux[84].
Finalement, ces études montrent qu'une origine des populations juives actuelles (du moins de celles qui ne vivaient pas à l'époque moderne au Moyen-Orient) est située de façon notable à l'extérieur de la zone de dispersion originelle des Juifs, au Proche-Orient. Mais le poids de marqueurs génétiques originaires de cette zone reste très important, particulièrement pour les marqueurs génétiques d'origine masculine, ce qui tend à montrer un impact relativement ponctuel des phénomènes de conversion. Mais certains discussions entre spécialistes restent encore à trancher, et les positions actuelles de la recherche peuvent donc évoluer.
Ces points communs démontrent une certaine continuitéendogamique, mais ne sont cependant pas contradictoires avec des divergences non négligeables, acquises au cours des siècles d'immersion au sein d'autres populations par les conversions, les viols ou les adultères. Les types physiques desJuifs de Chine, desJuifs des Indes, desJuifs Ashkenazim ou desJuifs éthiopiens sont ainsi très différents, et montrent un niveau de mélange interethnique assez élevé.
Parmi les grandes populations juives actuelles, seuls les Juifs d'Éthiopie ne montrent pas trace d'origine syro-palestinienne[85],[88]. Au contraire, leurs marqueurs génétiques indiquent une origine exclusivement ou très majoritairement locale, donc un phénomène de conversion de grande envergure[90].
Dans le cadre d'une approche par la génétique, et malgré certains points communs, les Juifs ne sont donc pas une ethnie homogène.
Au-delà de l'approche par la génétique et l'origine réelle, la question de l'ascendance reste importante dans la définition du fait juif, puisqu'on devient généralement juif par sa mère. Mais cette règle souffre, même aujourd'hui, de nombreuses exceptions ou applications problématiques.
Ainsi en est-il des Juifs convertis à d'autres religions. Pour le Talmud[91], ils restent Juifs. Mais l'État d'Israël a refusé cette démarche purement ethnique, et a imposé dans laloi du retour une démarche plus « nationale », fondée également sur le sentiment d'appartenance commun. À ce titre, les Juifs convertis à d'autres religions sont refusés comme Juifs[note 7]. La population africaine desLemba, qui se réclame d'ascendance juive, et dont les études génétiques ont confirmé qu'elle était porteuse de gènes communs avec ceux descohanim juifs[92], n'est pas reconnue comme juive.
À l'inverse, les personnes converties au judaïsme, bien que n'étant le plus souvent pas « ethniquement » juives (sauf cas de retour au judaïsme), sont considérées comme juives. Cette intégration dilue progressivement lepatrimoine génétique.
Finalement, le caractère ethnique n'est pas une condition nécessaire ni suffisante pour l'appartenance au judaïsme, bien que la question de l'ascendance y soit importante. Le fait juif se caractérise, selonShmouel Trigano, bien davantage par la culture, le rituel, ou les langues[93].
Enfants juifs en habits traditionnels, avec leur professeur, auheder deSamarcande entre 1909 et 1915.
De nombreuses cultures juives ont existé à travers les millénaires et les pays de résidence.
La question culturelle juive est complexe en ce que le maintien d'une identité spécifique à travers les siècles a sans doute été aidé par les cultures très spécifiques, comme la culture ashkénaze, ou la culture judéo-arabe. Leurs membres avaient un fort sentiment d'appartenance appuyé sur ces cultures, en particulier sur des langues spécifiques (des langues locales influencées par l'hébreu), mais aussi sur des littératures ou desphilosophies juives particulières.
Mais malgré des cultures juives très fortes, il n'existe aucune unité culturelle juive au-delà de la religion (du moins pour les orthodoxes) et de sa langue liturgique, l'hébreu.
Finalement, les Juifs n'ont pas eu à travers le temps une culture, mais plutôt un particularisme communautaire, lequel a produit régulièrement de nouvelles cultures juives spécifiques.
Souvent très autonomes, ces groupes ont cependant correspondu entre eux, permettant le maintien d'une identité juive relativement stable. Le rituel séfarade s'est ainsi répandu à partir de l'Espagne et duPortugal à travers tout lebassin méditerranéen, tandis que lesJuifs de Cochin (Inde) faisaient traditionnellement venir leurs livres saints duYémen.
Les communautés vraiment isolées, comme lesJuifs de Chine, les Bene Israël deBombay (Inde) ou lesJuifs éthiopiens, ont fini par s'assimiler totalement (Juifs de Chine), assez largement (ceux de Bombay), ou par développer des formes religieuses particulières (Juifs éthiopiens).
Les plus grands ensembles culturels juifs historiques sont dans l'Antiquité les Juifs de langues hébraïque puisaraméenne, les Juifs hellénisés, qui auront une influence théologique décisive sur le christianisme naissant, et les Juifs de culture perse.
À partir du Moyen Âge, les trois premiers groupes s'éteignent, tandis que les Juifs de culture perse restent nombreux. De nouvelles cultures apparaissent à l'époque, qui dureront jusqu'à l'époque contemporaine : Juifs de culture arabe, de cultureséfarade (groupe originaire d'Espagne, du Portugal et qui finira par avoir une forte influence culturelle et religieuse sur toutes les communautés dubassin méditerranéen) et de cultureashkénaze (de lavallée du Rhin à laRussie).
Page 14 de laHaggadah illustrée par Kaufmann (1854-1921).
L'hébreu est la langue liturgique du judaïsme, la langue du peuple d'Israël. Beaucoup de mots et expressions ouest-sémitiques (cananéennes) proches de l'hébreu de la Bible existent déjà dans leslettres d'Amarna, textes diplomatiques duXIVe siècle avant l'ère commune, écrits enakkadien, ce qui confirme l'ancienneté de cette langue.
Son importance en tant que langue nationale est attestée dans le livre desJuges[94] : afin de différencier les gens deGalaad de ceux d'Ephraïm, il est demandé « comment s'appelle ceci ». Si l'infortuné répondSibolet, et nonSh'ibolet, il est instantanément passé au fil de l'épée. L'hébreu fut donc la langue du peuple juif tant que celui-ci demeura sur sa terre, c'est-à-dire jusqu'à la destruction duPremier Temple de Jérusalem. De plus, la tradition rabbinique enseignait que l'hébreu était la langue de sainteté (lashon hakodesh), avec laquelle le monde avait été créé[95].
Ceux qui sont encore des Israélites se dispersent en partie à travers leMoyen-Orient (d'abord enBabylonie, puis au-delà), à compter de la destruction duPremier Temple de Jérusalem, en -586. Au contact de Babylone, l'hébreu se mâtine de plus en plus d'araméen,lingua franca de l'époque, qui prend une place de plus en plus prépondérante dans les derniers Livres de la Bible,Daniel etEzra, où la proclamation de la restauration du Temple est écrite en Araméen[96]. L'hébreu biblique évolue, et l'hébreu mishnaïque apparaît avec le retour des Juifs de Babylone. La question du statut de l'hébreu (langue parlée ou langue exclusivement littéraire ?) fait l'objet de longs débats.Abraham Geiger pensait que la langue de la rue était l'araméen, et celle des Sages l'hébreu[97]. Hanoch Yalon[note 8] professait qu'à l'inverse, l'hébreu était la langue du commun et des enfants, tandis que les érudits parlaient araméen ou grec[note 9]. L'anecdote de la servante de Rabbi[98], fille de maison dans un endroit d'érudition permet en effet de formuler cette seconde hypothèse. Et siJésus de Nazareth enseigna en araméen, les lettres deShimon bar Kokhba étaient rédigées en hébreu[99].
L'hébreu n'est pratiqué durant tout le Moyen Âge que par les érudits[note 10]. Cethébreu rabbinique possédait des tournures propres, et empruntait souvent à l'araméen. Parallèlement à l'extinction de l'hébreu en tant que langue quotidienne, naissent plusieurs « langages », en fait un mélange des langues du terroir et d'un lexique hébraïque ; ces dialectes sont écrits en caractères hébraïques. Tel est par exemple le cas duTsarphatique, la langue des gloses deRachi, témoignage vivant de lalangue d'oïl ou les différentes formes dejudéo-arabe utilisées par les Juifs d’Eretz Islam, deMaïmonide àJuda Halevi.
Deux de ces dialectes se démarquent comme ayant été parlés par de larges pans de la communauté juive : leyiddish, pratiqué à l'origine par les Ashkénazes et lejudéo-espagnol par les Séfarades. Les autres dialectes, dhzidi,judéo-arabe,judéo-provençal,yévanique, etc. ne dépassaient pas la sphère régionale : le judéo-arabe algérien était incompréhensible pour un Juif tunisien, et inversement, alors qu'aux variations locales près, le yiddish put servir delingua franca à tous les Juifs qui le parlaient, quelles que soient leurs origines.
AuXIXe siècle, les organisateurs de laHaskala souhaitent faire disparaître leyiddish, langue dughetto, pour apprendre aux Juifs résidant en Allemagne l'allemand et l'hébreu. Ils développent la première littérature laïque moderne en hébreu, et publient des journaux en cette langue. La tentative fait cependant long feu, les masses préférant apprendre l'allemand et les religieux réprouvant toute utilisation profane de la « langue de sainteté ». Cependant, une première modernisation linguistique de la langue liturgique se fait jour, ajoutant de nouveaux mots pour décrire des concepts inexistants dans la langue religieuse.
L'ensemble des dialectes juifs tend également à disparaître au profit des langues des pays où résident les Juifs de la Diaspora.
Leyiddish demeure en usage comme langue du quotidien dans certaines communautés orthodoxes, notamment aux États-Unis, en Israël et àAnvers. Toutefois, aux États-Unis où se trouvent les plus grandes communautés yiddishisantes, ce yiddish évolue, se mêlant d'une part à l'anglais pour former leYinglish, et ayant d'autre part donné naissance à un jargon employé quasi exclusivement dans les académies talmudiques, d'où son nom deYeshivish.
En revanche, du fait de plusieurs facteurs, dont la Shoah, l'exode juif des pays arabes, l'émigration, l'assimilation et autres, de nombreux dialectes juifs, dont le judéo-espagnol, sont tombés en désuétude, tandis que d'autres, comme le judéo-provençal, ont disparu[note 11].
Judaïté et judaïsme : synthèse
Lejudaïsme est au sens premier « la doctrine [des Israélites] de Juda », comportant des rites et des préceptes fondés sur laTorah. Toutefois, beaucoup de Juifs actuels pratiquent des versions du rituel éloignées dujudaïsme orthodoxe. Certains, comme lesKaraïtes[100] ou les personnes converties par les rabbinsréformés, ne sont pas reconnus comme juifs par celui-ci. De plus, si lejudaïsme réformé considère comme Juif un individu dont seul le père est juif, pour peu qu'il ait été élevé dans le judaïsme, ce n'est absolument pas le cas pour le judaïsme orthodoxe[101]. Des juifs pratiquant leur forme du judaïsme sont ainsi considérés comme non-juifs par les juifs orthodoxes, qui acceptent en leur sein de parfaits athées pour autant que leur mère soit juive[102].
Cette contradiction apparente vient de la définition non-exclusivement religieuse du fait juif. Un Juif est en effet d'après laBible un membre du « peuple d'Israël », par sa naissance (ou plus rarement par sa conversion) et les ultra-orthodoxes eux-mêmes superposent cette définition à leur définition religieuse.
Enfin, la notion de peuple et le souvenir de l'État juif de l'Antiquité ont engendré, au contact du nationalisme européen duXIXe siècle unnationalisme juif, lesionisme, revendiquant une nation pour les Juifs, un État. Cette revendication n'est pas acceptée par tous les Juifs.
La superposition de ces trois notions (religion, peuple et nation), avec leurs frontières qui ne coïncident pas, a mené à de nombreux problèmes de définition. Il existe ainsi, outre ce qui a été mentionné plus haut, des Juifs nationalistes et anti-religieux, des juifs religieux mais non nationalistes, lesEdah Haredit, juifs reconnus par l'État d'Israël mais pas par les juifs orthodoxes (karaïtes ou personnes converties par des rabbins réformés), des groupes se voulant israélites et non Juifs, mais légalement reconnus comme Juifs par l'État d'Israël (Samaritains), des juifs orthodoxes reconnus par certains groupes d'orthodoxes, mais pas par d'autres (Beta Israël[note 12]).
Les 13 ou 14 millions de Juifs actuels, mais aussi ceux du passé, sont donc au croisement des trois notions de peuple, de religion et de nation, sans que ni les Juifs ni les non-Juifs soient intégralement d'accord sur ces notions ou sur leur périmètre exact. Ces problèmes de périmètres et de définitions, quoique bien réels, ne concernent cependant que des marges, et permettent l'existence d'une « communauté juive » relativement stable.
Démographie et géographie
En1939, il y avait 17 millions de Juifs dans le monde. Vers1945, il n’en restait plus que 11 millions. Les Juifs seraient aujourd'hui 14,4 millions[103].
Le professeurSergio DellaPergola, démographe de l'Université hébraïque de Jérusalem, indiquait en2015 que la croissance démographique annuelle des Juifs dans le monde s'élevait à 0,67 %, à comparer à la croissance mondiale de 1,13 % pendant la même période[1].
Les évolutions fines sont cependant contrastées. Aujourd’hui, en Israël et endiaspora, lesharedim (ultra-orthodoxes) sont en croissance démographique assez rapide. Il y avait chez les Juifs israéliens 6 % deharedim déclarés en2002 et 9 % en2012[104]. Sauf cas médicaux, les familles ont entre 5 et 10 enfants (7 enfants par famille en moyenne en Israël en2005). Il s’agit pour lesharedim d’un commandement religieux important : « croissez et multipliez » (Genèse 1:28, 9:1,7).
À l'inverse, les populations juives moins pratiquantes, souvent avec un niveau socio-économique plus important, ont une démographie plus classiquement occidentale, d'un assez faible niveau, qui ne compense pas les mariages mixtes assez nombreux hors d'Israël.
Les mêmes différences peuvent être constatées entre pays : la population juive de l'ex-Union soviétique est en diminution rapide, par émigration, tandis que, pour les mêmes raisons et du fait d'une natalité relativement forte, la population juive israélienne augmente assez vite.
Difficultés des études démographiques de la population juive
Le professeurSergio DellaPergola explique pourquoi le décompte des Juifs est toujours une opération délicate[1] particulièrement dans les pays où le recensement n'indique pas la religion, comme les États-Unis (ou la France) : premièrement, il faut se fier à des raisonnements et des preuves empiriques fondés sur des concepts démographiques et des techniques de recherche ; deuxièmement, il faut que ces techniques de base soient stables dans le temps de façon à pouvoir dégager des tendances ; enfin, il faut ignorer les thèses que l'on souhaite démontrer comme la croissance rapide, la stabilité ou un lent déclin.
Les pays de résidence
Historiquement, on distinguait trois régions principales (mais non exclusives) dans lesquelles se sont formées les trois grandes cultures juives :
D'après le professeur Sergio Della Pergola, 37 % de la Communauté juive mondiale vivait en Israël en 2001 : 8,3 millions de Juifs en Diaspora, et 5 millions en Israël[106] (5,1 millions en 2003[107]).
Proportion plus importante encore, dès 2000, 48 % des enfants juifs de 14 ans et moins vivaient en Israël[103]. La différence entre la proportion des jeunes Juifs vivant en Israël (près de 50 %) et celle des Juifs en général (un peu plus du tiers), est le produit de deux évolutions. D'une part, les Juifs israéliens, en particulier les religieux, ont une natalité plus élevée que celle des Juifs des pays occidentaux. D'autre part, une forte proportion des Juifs des pays occidentaux a des enfants non juifs, conséquence d'un nombre élevé de mariages mixtes, mariages peu nombreux en Israël. Le nombre des Juifs vivant en Israël, mais aussi sa proportion, semble donc amené à augmenter, même sans immigration.
Confirmation de cette tendance, leJewish People Policy Planning Institute estimait que la part du judaïsme israélien était montée en 2007 à 41 %[108] des 13,2 millions de Juifs vivant dans le monde, le nombre de Juifs en diaspora ayant diminué de 100 000 en une seule année, celui des Juifs vivant en Israël ayant augmenté de 300 000 (surtout par croissance interne).
Sur les 8,3 millions de Juifs vivant en dehors d'Israël, l'Amérique du Nord (Canada et États-Unis) en comptait au début des années 2000 6,06 millions[103], dont 5,3 millions dans les seuls États-Unis[107], la France environ 550 000[note 13] et l'Angleterre environ 400 000.
Évolution de l'assimilation
Le démographe Sergio Della Pergola indiquait en2003 que les mariages mixtes explosaient au sein de ladiaspora juive.
« [EnFrance,] les mariages mixtes augmentent, quoique suivant un parcours non strictement linéaire : les pourcentages d’enquêtés ayant des époux non juifs passent de 22 % parmi les 60 ans et plus à 37 % parmi les 50-59 ans, se réduisent à 31 % parmi les 40-49 ans, et continuent leur lente montée à 37 % parmi les 30-39 ans, et 40 % parmi les moins de 30 ans. Il y a une fréquence des mariages mixtes double en province par rapport à la région parisienne. Ces chiffres sont aujourd’hui largement dépassés auxÉtats-Unis et dans le reste de l’Europe. Finalement, parmi ceux qui vivent en couple sans être mariés, 83 % ont des partenaires non juifs — ce qui laisse présager une augmentation des mariages mixtes dans le futur »[107].
Si les membres des communautésultra-orthodoxes ne pratiquent pas le mariage mixte, celui-ci est beaucoup plus développé chez les Juifs ayant une pratique religieuse plus faible. En Europe, où les rabbins réformés sont peu nombreux, très peu de conjoints non juifs se convertissent. Les rabbins orthodoxes sont en effet traditionnellement hostiles à la conversion pour mariage, et celle-ci est donc peu pratiquée. AuxÉtats-Unis, leslibéraux (réformés etconservateurs) convertissent volontiers les conjoints ou leurs enfants non juifs. Mais même aux États-Unis, seuls environ 10 % des conjoints se convertissent.
Finalement, les démographes s'attendent à une forte diminution du nombre des Juifs vivant hors d'Israël, essentiellement par assimilation. Du point de vue de la pratique religieuse, les tendances sont plus contrastées. On note à la fois une augmentation du nombre des laïcs (Juifs sans pratique religieuse notable) et une augmentation des pratiquants réguliers. Ces deux croissances se font au détriment des pratiquants partiels, dit traditionalistes, dont le nombre diminue. Ainsi, en France, en2003,« davantage de personnes affirment fréquenter régulièrement une synagogue (22 %, contre 9 % en1975), mais aussi plus de personnes n’y vont jamais 49 %, contre 30 % en1975) »[107]. En Israël, la tendance est identique[109].
Malgré le basculement partiel des traditionalistes vers une pratique religieuse plus stricte, et malgré un phénomène de « repentance » (techouva) touchant certains laïcs, la pratique religieuse sembleappelée à diminuer en diaspora[réf. nécessaire] ; elle demeure plus importante en Israël grâce à la très forte démographie des pratiquants[note 14].
Notes et références
Notes
↑Nombre incluant les Juifs sous administration israélienne en Israël, enCisjordanie et sur leGolan.
↑Le Talmud de Jérusalem reprend beaucoup moins fréquemment l'accusation de polythéisme que le Talmud de Babylone. Il semble que la proximité géographique entre ses rédacteurs et les Samaritains leur ait permis de mieux vérifier les anciennes accusations duLivre des Rois[Lequel ?].
↑Toutefois disputée par certains Juifs d'Éléphantine, qui ont érigé un Temple àYWH
↑Encore que de façon différenciée selon les courants, et en tout état de cause de façon moins poussée que lesKaraïtes ; les juifs réformés ne proposent pas uneautrehalakha, mais un « allègement » de l'« ancienne ».
↑Voir le cas « frère Daniel » (supra), dont les rabbins reconnaissaient la judéité, mais pas l'État.
↑« Tu ne contracteras point de mariage avec ces peuples, tu ne donneras point tes filles à leurs fils, et tu ne prendras point leurs filles pour tes fils. »,Deutéronome 7:3.
↑« j’élèverai ta postérité après toi, […] et j’affermirai pour toujours le trône de son royaume. Je serai pour lui un père, et il sera pour moi un fils. […] Ta maison et ton règne seront pour toujours assurés, ton trône sera pour toujours affermi. »,2 Samuel 7: 12-16.
↑« Les ennemis deJuda et deBenjamin [les deux tribus du Sud] apprirent que les fils de la captivité bâtissaient un temple à l'Éternel […]. Ils vinrent auprès deZorobabel et des chefs de familles, et leur dirent : Nous bâtirons avec vous […]. MaisZorobabel, Josué, et les autres chefs des familles d'Israël, leur répondirent : Ce n'est pas à vous et à nous de bâtir la maison de notre Dieu ; nous la bâtirons nous seuls à l'Éternel »,Livre d'Esdras 4-1 à Esdras 4-4.
↑maseḫet kūtīm », Kirchheim,Septem Libri parvi Talmudici,p. 31-36.
↑En particulier sous la « restauration » hasmonéenne, période ou les relations avec les Samaritains semblent politiquement particulièrement mauvaises. Voir par exemple le Premierlivre des Maccabées 3-10, ou la destruction du temple samaritain par Jean Hyrcan vers -108.
↑Voir la page en anglais sur le site de laKnesset :[1].
↑Du moins quand ces termes étaient pris au sens propre. Il existait des sens figurés assez nombreux, généralement péjoratifs. Ainsi, pour le Dictionnaire de l'Académie française (1694) :
« - JUIF. s. m. On ne met pas icy ce mot comme le nom d'une Nation; mais parce qu'il s'employe figurément en quelques phrases de la Langue. Ainsi on appelle, Juif, un homme qui preste à usure. C'est un Juif, il preste à dix pour cent.
- On dit prov. qu'Un homme est riche comme un Juif, pour dire, qu'Il est fort riche. Et cela ne se dit guère que d'un gros Marchand, d'un Banquier &c. - On dit aussi prov. d'Un homme qui va & vient sans cesse çà & la, que C'est le Juif errant. - Judaïque. adj. de tout genre. Qui appartient aux Juifs. La Loy Judaïque. les Antiquitez Judaïques. - Judaïser. v. n. Suivre & pratiquer en quelques points les cérémonies de la Loy Judaïque. C'est Judaïser que de garder le jour du Sabbat. Ces Hérétiques Judaïsoient en s'abstenant de manger de la chair de pourceau.
- Judaïsme. s. m. La Religion des Juifs. Faire profession du Judaïsme. »
↑Ainsi, pourShlomo Sand (Comment le peuple juif fut inventé),Am ne signifie originellement pas « le peuple » comme fondement d'un État, mais est un terme plus vague qu'il conviendrait plutôt de traduire par « les gens ».
↑a etbFlavius Josèphe,Antiquités judaïques,livre XIII, chapitre 9, paragraphe 1 : « Hyrcan prit aussi les villes d'Idumée, Adora et Marissa, soumit tous les Iduméens et leur permit de rester dans le pays à la condition d'adopter la circoncision et les lois des Juifs. Par attachement au sol natal, ils acceptèrent de se circoncire et de conformer leur genre de vie à celui des Juifs. C'est à partir de cette époque qu'ils ont été des Juifs véritables ».
↑ab etc« d'autres hommes […] ont adopté les institutions de ce peuple, quoiqu'ils lui soient étrangers. Il y a des Juifs même parmi les Romains : souvent arrêtés dans leur développement, ils se sont néanmoins accrus au point qu'ils ont obtenu la liberté de vivre d'après leurs lois » -Dion Cassius,Histoire romaine,Livre trente-septième, chapitre 17.
↑a etbRabbinJosy Eisenberg,Une histoire des Juifs, 1970, page 128 et suivantes. « Il est probable que le monde gréco-romain compta davantage de semi-prosélytes que d'authentiqueprosélytes. […] Toujours est-il que leur nombre total fut considérable ».
↑Par exemple dansDeutéronome 21:1 :« dans le pays dont l’Éternel, ton Dieu, te donne la possession ».
↑Voir par exempleJohann Gottlieb Fichte,Discours à la nation allemande (Reden andie deutsche Nation), 1807-1808.
↑Sur l'opposition au moins partielle à l'existence d'un peuple juif, entre autres pour des raisons de diversités d'origines (conversions), voirComment le peuple Juif fut inventé,Shlomo Sand,Éditions Fayard, septembre 2008,(ISBN978-2-213-63778-5).
↑« Une nation est donc une grande solidarité […]. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune […] un plébiscite de tous les jours […]. Oh ! je le sais, cela est moins métaphysique que le droit divin, moins brutal que le droit prétendu historique. […] Une nation n'a jamais un véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le vœu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir. »,Ernest Renan,Qu'est-ce qu'une nation ?, 1882.
↑Selon Kimberly Cornish, dans son ouvrageLe Juif de Linz, le philosopheLudwig Wittgenstein, qui était condisciple de Hitler, fut le Juif auquel Hitler fait référence dansMein Kampf dans le passage concernant sa scolarité à Linz, et bien des éléments des écrits antisémites d'Hitler seraient des projections des jeunes Wittgenstein sur tout le peuple juif.Ludwig Wittgenstein, qui n'est pas mort durant la Shoah, était Juif selon les critères nazis, puisque trois de ses grands-parents l'étaient, bien que ses grands-parents paternels se soient convertis au protestantisme. Il ne l'était cependant pas selon les critères halakhiques, puisque sa grand-mère maternelle n'était pas Juive.
↑Selon le premier livre des rois, « leurs descendants qui étaient restés après eux dans le pays et que les enfants d’Israël n’avaient pu dévouer par interdit, Salomon les leva comme esclaves de corvée, ce qu’ils ont été jusqu’à ce jour » (Premier livre des Rois 9). L'inexistence de toute spécificité jébuséenne enJudée aux époques historiques amène beaucoup d'auteurs à pencher pour une assimilation des populations conquises.
↑Cette thèse est par exemple développée par Paul Wexler dansThe Non-Jewish Origins of the Sephardic Jews, Albany:State University of New York Press, 1996. Plus réservé, Daniel Schroeter note effectivement l'existence de légendes locales sur la conversion de Berbères à l'époque pré-islamique, mais note aussi que si cette thèse a été largement reprise auXXe siècle, elle ne repose sur aucun texte d'époque, et reste donc incertaine. Voir son approche dans « LA DÉCOUVERTE DES JUIFS BERBÈRES », par Daniel J. Schroeter, inRelations Judéo-Musulmanes au Maroc : perceptions et réalités, ouvrage collectif sous la direction de Michel Abitbol, Paris: Éditions Stavit, 1997,p. 169-187. Ces traditions semblent assez anciennes, puisque l'historienIbn Khaldoun (XIVe siècle) indique qu'à la veille de laconquête musulmane du Maghreb, « une partie desBerbères professait lejudaïsme, religion qu'ils avaient reçue de leurs puissants voisins, les Israélites de la Syrie. Parmi les Berbères juifs, on distinguait les Djeraoua, tribu qui habitait l'Aurès et à laquelle appartenait laKahina […]. Les autres tribus juives étaient les Nefouça, Berbères de l'Ifrikïa, les Fendelaoua, les Medîouna, les Behloula, les Ghîatha et les Fazaz, Berbères du Maghreb » (Ibn Khaldoun,Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale, traduction de William McGuckin de Slane, éd. Paul Geuthner, Paris, 1978,tome 1,p. 208-209).
↑Herman Rosenthal et S. Hurwitz,« Subbotniki »,Jewish Encyclopedia, 1901-1906.
« Mais, est-ce qu’il y a encore des Ashkénazes ? Le monde ashkénaze n’était pas une réalité ethnique, mais une réalité culturelle, halakhique, philosophique… Force est de rappeler que l’identité juive ce n’est pas simplement l’identité, le folklore, la culture matérielle… c’est avant tout une culture intellectuelle et spirituelle. »
↑Das Judenthum und seine Geschichte von der Zerstörung des zweiten Tempels bis zum Ende des zwölften Jahrhunderts. In zwölf Vorlesungen. Nebst einem Anhange: Offenes Sendschreiben an Herrn ProfessorDr Holtzmann. Breslau: Schletter, 1865-71. (en : Judaism and its history: in 2 parts, Lanham [u.a.]: Univ. Press of America, 1985.(ISBN978-0-8191-4491-1).
↑LeTalmud de Babylone (Roch Hachana 26b) rapporte que des érudits (ayant perdu l'usage de l'hébreu) se pressent auprès deJuda HaNassi pour connaître la signification du motsrougin, tant et si bien que sa servante s'exclame : « Jusqu'à quand comptez-vous venirsirougin sirougin ? » (« Jusqu'à quand comptez-vous défiler l'un à la suite de l'autre ? »), ce qui leur permet de comprendre la signification du mot.
↑The Documents from the Bar Kokhba Period in the Cave of Letters (Judean Desert studies). Jerusalem: Israel Exploration Society, 1963–2002. Vol. 3, « Hebrew, Aramaic and Nabatean–Aramaic Papyri »,edited Yigael Yadin, Jonas C. Greenfield, Ada Yardeni, Baruch A. Levine(ISBN978-965-221-046-3).
↑La notion de demi-Juif est tout à fait étrangère aujudaïsme orthodoxe, pour lequel il faut être né d'une mère juive ou avoir été converti par un rabbin orthodoxe. Toutefois, après laShoah, où des personnes moururent par centaines de milliers pour avoir un parent juif, il fut décidé que les enfants de Juifs pourraient se voir en certains cas plus facilement convertis, cf. responsum 33 628 du rabbin Élie Kahn sur lesite cheela.org
↑Selon un sondage réalisé en et, auprès de 7 616 Israéliens de plus de 20 ans, 8 % de la population juive israélienne seraitharedi, 9 % orthodoxe « moderne », 39 % traditionaliste et 44 % laïque. Ces chiffres seraient de 13 % d'haredim et de 52 % de laïcs chez les Juifs israéliens nés enIsraël et non à l’étranger. Les religieuxlibéraux etmassortim ne sont guère nombreux en Israël et ne sont pas pris en compte dans cette étude. Selon une tendance marquée depuis des décennies, le nombre des orthodoxes « modernes » et des traditionalistes diminue, tandis que celui desharedim et des laïcs augmente : 6 % deharedim et 42 % de laïcs en2002. Cette polarisation croissante fait craindre à beaucoup d’observateurs une division de plus en plus forte avec le temps de la société juive israélienne. Le niveau de vie desharedim est plus faible : 29 % desharedim déclarent que leur famille a une voiture, contre 73 % des laïcs. 27 % desharedim déclarent vivre dans des logements surpeuplés, contre 2 % des laïcs. Sondage rapporté par leJerusalem Post du.
Salo W. Baron,Histoire d'Israël,tome IDes origines au début de l'ère chrétienne ettome IILes premiers siècles de l'ère chrétienne,PUF, coll. « Quadrige », 1986.
Christoph Pan, Beate Sibylle Pfeil, Michael Geistlinger,National Minorities In Europe, Purdue University Press, 2004(ISBN978-3700314431) : « The Peoples of Europe by Demographic Size », table 1,p. 11f.