Judensau (littéralement enallemand : « Truie desJuifs ») est le terme utilisé pour désigner des motifs animaliersmétaphoriques apparus auMoyen Âge dans l’art chrétienanti-Juifs et dans lescaricaturesantisémites presque exclusivement dans les pays de langue germanique. L’utilisation du thème du cochon vise à humilier, car le porc est considéré comme un animal impur (enhébreu :Tame) et interdit à la consommation selon les lois de lacacherout.
Les premières représentations deTruies des Juifs datent duXIIIe siècle, enAllemagne. On en retrouve actuellement près d’une trentaine sous forme desculptures oubas-reliefs dans deséglises ou des bâtiments d’Europe centrale. À partir duXVe siècle, avec l’invention de l’imprimerie, apparaissent des caricatures dans despamphlets et des livres incendiaires. Depuis leXIXe siècle, ce terme est aussi utilisé comme injure verbale contre les Juifs. Les nazis réutiliseront ce terme en le modifiant enSaujude (qui correspond littéralement en français à « cochon de Juif ») mais qui a valeur de « sale Juif » en les comparant à des porcs, pour calomnier, humilier et menacer les Juifs.
De nos jours, l’utilisation de l’expressionJudensau à l’égard d’une personne ou en public est interdite et sanctionnée pénalement en Allemagne,Autriche etSuisse. En Allemagne, la peine peut même être aggravée en estimant qu’il y a eu une provocation à l’agitation populaire.
L’image médiévale de laTruie des Juifs représente un cochon (généralement une truie) en contact intime avec des gens. Les figures humaines sont très identifiables et portent des indices permettant d’identifier les Juifs, tels que lechapeau juif (Judenhut) ou l’anneau jaune (Judenring) de l’époque. Dans la majorité des cas, les Juifs présentent un visage de porcelet et sucent les tétines de la truie. Dans d’autres représentations, ils chevauchent le cochon à l’envers, avec le visage tourné vers l’anus du cochon, et recevant en plein visage l’urine qui gicle ou les excréments qui s'extraient. Dans d’autres encore, ils enlacent et embrassent le cochon.
Des sculptures ou images d’uneTruie des Juifs apparaissent à partir duIXe siècle en terre germanique et se trouvent dans de nombreux édifices, principalement des églises. Certaines de ces représentations sont si détériorées que le motif en est presque méconnaissable ; d'autres sont en bon état et certaines viennent juste d’être redécouvertes. Le tableau qui suit, établi par Isaiah Shachars en1974 et d’autres sources, donne la liste des principaux lieux où se trouvent ces représentations, classés par ordre alphabétique.
Ville | Pays | Époque | Bâtiment | Description | |
---|---|---|---|---|---|
1 | Aarschot | Belgique | XVe siècle | Église Notre-Dame | |
2 | Bacharach | Allemagne | vers 1290 | Wernerkapelle | En partie détruite |
3 | Bad Wimpfen | Allemagne | Église collégiale Saint-Pierre | Gargouille, copie restaurée, l'original est au Reichsmuseum | |
4 | Bâle | Suisse | Cathédrale de Bâle | Récemment retiré | |
5 | Bayreuth | Allemagne | Église paroissiale | Récemment retiré, endommagé | |
6 | Brandebourg-sur-la-Havel | Allemagne | vers 1230 | Cathédrale | Cloître, en bon état |
7 | Cadolzburg | Allemagne | 1380–1480 | Porte du château, il s'agit de la plus grande sculptureTruie des juifs | Très effritée |
8 | Calbe | Allemagne | XVe siècle | Église Saint-Stéphane | Gargouille |
9 | Colmar | France | vers 1350 | Collégiale Saint-Martin | Deux gargouilles |
10 | Cologne | Allemagne | 1308-1311 | Cathédrale | Plusieurs sculptures sur bois dans le chœur, en bon état |
11 | Cologne | Allemagne | 1310 | Église Saint-Séverin | Récemment retiré |
12 | Eberswalde | Allemagne | Église Sainte-Marie-Madeleine | ||
13 | Erfurt | Allemagne | XIVe siècle | Cathédrale | |
14 | Francfort-sur-le-Main | Allemagne | Tour du vieux pont | N’existe plus | |
15 | Freising | Allemagne | Cathédrale | N’existe plus | |
16 | Gniezno | Pologne | vers 1350 | Cathédrale | |
17 | Heiligenstadt | Allemagne | vers 1300 | Chapelle Sainte-Anne | |
18 | Heilsbronn | Allemagne | Cloître | ||
19 | Kelheim | Allemagne | Pharmacie municipale | N’existe plus | |
20 | Lemgo | Allemagne | Église Sainte-Marie | ||
21 | Magdebourg | Allemagne | vers 1270 ou 1493 | Cathédrale | |
22 | Metz | France | Cathédrale Saint-Etienne (Stephansdom) | ||
23 | Nordhausen | Allemagne | vers 1380 | Cathédrale | Bien conservée |
24 | Nuremberg | Allemagne | XIVe siècle | Église Saint-Sébald de Nuremberg | Bien conservée, restaurée |
25 | Ratisbonne | Allemagne | 1371 | Cathédrale | Sur le pilier à l'entrée sud-ouest[1] |
26 | Salzbourg | Autriche | Tour de l’hôtel-de-ville | N’existe plus | |
27 | Spalt | Allemagne | 1350 ouXVe siècle | Maison privée, Stiftsgasse 10 (auparavant Herrngasse 147) | |
28 | Strasbourg | France | 1280-1300 | Cathédrale | Bon état (en 1973)[2] |
29 | Spalt (quartier Theilenberg) | Allemagne | Tour de l’église | ||
30 | Wiener Neustadt | Autriche | XVe siècle | Anciennement maison 16 Hauptplatz, maintenant dans un musée | Bien conservée |
31 | Wittemberg | Allemagne | Église paroissiale | ||
32 | Uppsala | Suède | vers 1350 | Cathédrale | |
33 | Xanten | Allemagne | Cathédrale | ||
34 | Zerbst | Allemagne | 1446–1448 | Église Saint-Nicolas |
La représentation la plus ancienne connue (aux alentours de 1230), se trouve sur lechapiteau d’une colonne dans lecloître de lacathédrale de Brandebourg. Elle représente laJudensau comme un mélange entre un Juif et un cochon. Ce type de figuration ne sera plus représenté ultérieurement. AuXIIIe siècle, on trouve des exemples dans différentes communes allemandes : àLemgo,Xanten,Eberswalde,Wimpfen et àMagdebourg. I. Shachar impute auXIVe siècle les motifs àHeiligenstadt,Cologne (Cathédrale),Metz,Ratisbonne,Colmar,Nordhausen,Uppsala (Suède) etGnesen (Pologne).
Le reste des sculptures deJudensau appartient auXVe siècle.
Aujourd’hui, certaines sculptures de laTruie des Juifs n’existent plus, comme celles àFreising sur la cathédrale, àFrancfort-sur-le-Main, àSalzbourg sur la tour de l'Hôtel de ville et àKelheim. Cette dernière portait la date de1519.
Tandis que les représentations les plus âgées, se trouvaient sur des constructions religieuses, celles-ci apparaissent auXVe siècle sur des bâtiments profanes tels que l’hôtel de ville de Salzbourg permettant ainsi une plus grande diffusion de leur motif.
Victor Hugo fait probablement allusion à laJudensau au livre IV, chapitre I « les bonne âmes » deNotre Dame de Paris, dans la description deQuasimodo faite par Agnès la Herme :
« J'imagine, que c'est une bête, un animal, le produit d'unjuif avec une truie ; quelque chose enfin qui n'est pas chrétien et qu'il faut jeter à l'eau ou au feu. »
Les images les plus tardives, apparues auXVe siècle peuvent être interprétées, d’après Angelika Plum, comme une première forme de caricature hostile aux Juifs, remplissant trois fonctionssociaux-psychologiques principales :
Ceci avait pour but de dénigrer en public les fidèles de la religion juive de façon particulièrement humiliante, et à les exclure de la communauté des humains, en les présentant à l'opposé de leur culture :
Pour le spectateur, l’image suggérait que les Juifs en faisant ces choses repoussantes, n’étaient plus des êtres humains, mais d’une espèce voisine de celle du cochon.
Cela leur déniait la dignité d’homme et cela provenait justement de leur religion : Dieu distingue l’homme des autres créatures qui peuvent lui servir, mais qui ne doivent pas être confondus (Genèse:1-2). En même temps, ce motif cimentait une distance sociale effective vis-à-vis de la minorité juive. C’est pourquoi, on peut considérer ce type de caricature comme précurseur de l’antisémitisme de race plus tardif.
Le cochon symbolise dans la tradition biblique, l’impureté et lepéché que la personne doit combattre et surmonter car Dieu l’a créé à son image. Ainsi, leChrist d’aprèsMarc (5,1-20), chasse les mauvais esprits d’une personne et les envoie dans un troupeau de cochons qui se jette dans la mer et se noie. LaDeuxième épître de Pierre (2, 22), décrit la punition pour ceux qui se détournent de la foichrétienne :
« Ce que dit le proverbe leur est arrivé : le chien remange ce qu'il a vomi et la truie se vautre après avoir fait ses besoins dans sa crotte. »
Ici, le « retour » au judaïsme est représenté comme une conduite de cochon. Ceci n’est pas nouveau, car déjà certainspères de l’Église insultaient les Juifs et leshérétiques en les traitant deCochons ; auIVe siècle,Jean Chrysostome dans ses huit sermons 388 sur l’office juif dans lasynagogue s’abaissait aussi à ce type de dénigrement[3].
Avec l’adoption des vertus et défautshellénistiques, la théologie chrétienne depuis leVe siècle a édicté la liste desseptpéchés capitaux : les deux derniers, lagourmandise (en latin:gula) et laluxure (luxuria), étaient souvent symbolisés dans les représentations figuratives par un cochon. Cela incarnait les impurs et les pécheurs, dont le ventre était rempli de saletés et qui ne laissaient à leurs descendants que des excréments. (Psaumes: 17,14)
Jusqu’auIXe siècle, ces péchés n’étaient pas encore identifiés aujudaïsme, mais seulement comparés.Raban Maur, dans sonencyclopédieDe Universo (847) mettait côte-à-côte sur la même page des Juifs et des cochons, puisque les deux auraient été athées, pécheurs et obscènes. Après cela, il se référait à « l’auto-imprécation » dans l’Évangile selon Matthieu (27, 25) : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! ». Là, les Juifs comme les cochons, étaient représentés par une allégorie, afin de mettre en garde le simple chrétien avec des images frappantes. De même, lesmoines et lessinges incarnaient le péché d'inconstantia (infidélité, instabilité).
Les sculptures dans les églises duhaut Moyen Âge symbolisent la vision du christianisme triomphant régnant sur le monde, en opposition avec l'Ecclésia (l'Église) victorieuse de la Synagogue vaincue :Ecclesia et Synagoga. Sur le portail sud de la cathédrale deStrasbourg, par exemple, la Synagogue est représentée par une jeune femme majestueuse, noble, parfaite et toute à l'affliction de sa défaite. Ses yeux bandéssymbolisent la cécité de l'hérésie[réf. nécessaire], mais en aucun cas, ne ridiculise les Juifs. Cette sculpture date des environs de1230.
Aussi, les premières sculptures de laTruie des Juifs duXIIIe siècle, présentaient bien les Juifs de façon négative, certes, mais ne se moquaient nullement du judaïsme: Les Juifs étaient seulement pris comme exemples pour représenter tous les pécheurs[4]. Mais déjà la première représentation de laTruie des Juifs (autour de 1230) conduisait à l’amalgame du Juif et de la truie. Elle vient de l'époque où le "rejet" du judaïsme constituait un ciment socio-politique. LeIVe concile du Latran (1215) met en place uneghettoisation des communautés juives médiévales et unediscrimination entre autres d'ordre vestimentaire.
À partir de cette date, le judaïsme est de plus en plus dévalué, comme une religion dépravée, sale et ridicule. Cela s’aperçoit sur les motifs desJudensau ultérieurs. Sur lesstalles de la cathédrale d’Erfurt, le conflit des religions est représenté comme un tournoi (début duXVe siècle). Pendant que l’Église chevauche sur son cheval, la synagogue est assise sur un cochon. ÀAarschot dans lesFlandres belges, un chapiteau de colonne explique le motif :« Ici, chevauche un Juif sur unbouc ». Le bouc étant le symbole dudiable, on dépasse maintenant la simple dérision satirique.
Lebas-relief de laTruie des Juifs de l’église paroissiale de Wittemberg (vers 1440) représente une image ostensiblement "perverse", qui devait provoquer de l’aversion et de l’écœurement. Le juif apparaissait maintenant comme une créature immonde. En outre, une inscription en hébreu :« Schem Hamphoras » (le Nom explicite), mettait en relation le nom deDieu avec un animal impur pour les Juifs. Cela correspond pour les Juifs à un monstrueuxblasphème, et montre de façon évidente, que vers la fin du Moyen Âge l’opposition originale de l’Église et de la Synagogue s’est transformée dans tous les milieux sociaux en un mépris total du judaïsme en tant que tel.
Dès1517,Martin Luther prononce ses sermons, à l'origine de laRéforme, dans l’église du château deWittemberg. Sonlibelleantijudaïque de1546, porte d’ailleurs comme titreSchem Hamphoras comme l’indication marquée sur le bas-relief[5].
« Derrière la truie, se trouve unrabbin qui soulève la patte droite de la truie, se dresse derrière la truie, se penche et regarde avec grand effort le Talmud sous la truie, comme s'il voulait lire et voir quelque chose de très difficile et d'exceptionnel. »
Luther en positionnant leTalmud sous la truie, se moque de l’exégèse rabbinique et de lafoi juive en la considérant comme ridicule et sale ; ainsi, il exclut tout dialogue idéologique imaginable avec les Juifs ainsi que la reconnaissance de leur tradition millénaire indépendante.
LaJudensau deFrancfort est particulièrement provocatrice. Elle faisait partie des peintures murales datant de1475 qui se trouvaient sur la tour du vieux pont deFrancfort-sur-le-Main près de laJudengasse (ruelle aux Juifs). Elle est restée une des attractions touristiques de la ville jusqu'à la destruction de la tour du pont en1801.
Elle représentait un rabbin qui chevauchait à l'envers une truie, un jeune Juif sous le ventre de la truie et suçant les tétines, un autre vers l'anus ou la vulve et aspirant ; derrière se trouvait le Diable et une Juive chevauchant un bouc (symbole du Diable). Au-dessus, le cadavre mutilé deSimon de Trente, victime supposée d’unmeurtre rituel attribué aux Juifs. Une phrase expliquait :
« Aspire le lait, mange la crotte,
C'est votre meilleure nourriture »
Cela devait souligner que les Juifs n’étaient pas des créatures normales, et qu’ils se trouvaient plus proches des animaux et du diable que des êtres humains. Le lien fait avec le meurtre rituel ne pouvait qu'attiser lespogroms[6]. Cette représentation était largement répandue grâce à des gravures sur bois ou des estampes, présentant parfois quelques variantes, dont plusieurs ont pu être conservées. Sur les imprimés, le diable a le plus souvent la physionomie attribuée aux Juifs et porte l’anneau jaune.
Avec l’invention de l’imprimerie, on trouve des caricatures deTruie des Juifs dans de nombreux livres et pamphlets, surtout de la période de la Réforme. AuXVIe siècle, des médailles se moquant des Juifs, avec le même type de motif, font aussi leur apparition.
LaJudensau est si populaire qu’il existe même une pièce de théâtre pour lemardi gras, deHans Folz, datant duXVe siècle. Dans cette pièce,Ein spil von dem herzogen von Burgland (Une pièce du duc du château), il est recommandé à la fin, de trouver une peine pour les Juifs[7].
« Je dis, avant toute chose, que l'homme
La plus grosse cochonne se pavane
En dessous il se blottit
Et aspire ses tétines avec bruit
Leur Messie est étendu sous la queue »
L’association des Juifs avec la truie et/ou le diable est aussi transmise par les images caricaturales qui circulent où on les voit avec des oreilles de cochon, des pieds de bouc et des cornes. Un pamphlet anti-juifs de1571 montre la figure des Juifs recouverte d’une capuche jaune, avec le corps repoussant, des griffes comme les griffes du diable, des pattes d’oie, le visage d’un cochon avec des cornes et des bois. L’un d’entre eux, un jongleur avec une cornemuse, est à cheval sur une truie qui mange ses excréments[8].
AuxXVIIe et XVIIIe siècles, les représentations desJudensau deWittemberg et deFrancfort étaient particulièrement populaires. Elles étaient représentées dans de nombreux livres et servaient à la propagande anti-juive. On retrouve encore auXIXe siècle certaines représentations, principalement dans des séries d'images imprimées, où les Juifs sont associés à des cochons.
AuXIXe siècle, la propagande anti-juive suppose que l’association entre Juifs et cochons est, grâce aux images imprimées, déjà fortement implantée dans l’esprit du peuple. Dans l’Empire allemand, la tradition des caricatures antisémites dans le contexte de l’émancipation des Juifs (1870-1890), se renforce.
À cette époque, l’insulte verbale de laTruie des Juifs est usuelle, et l’expression existe dans la littérature traitant duMoyen Âge. Le dictionnaire allemand desfrères Grimm de1877, ne contient cependant pas ce mot composé.
Depuis larévolution de novembre 1918, ladroite nationaliste utilisait cette expression pour dénoncer lescriminels de novembre. Ainsi, vers lesannées 1920, une chanson à boire des nationalistes allemands attaquait le ministre des affaires étrangères de laRépublique de Weimar :
« Faites claquer les fusils - tak, tak, tak
Sur la racaille noire et rouge.AussiRathenau, le Walther,
Ne vivra pas très vieux,
Flinguez leWalther Rathenau,
La maudite Truie des Juifs[9] ! »
Cet appel au meurtre sera entendue et Rathenau sera assassiné en 1922 dans la rue.
Lesnazis vont aussi avoir recours à ce thème. Depuis leMoyen Âge, ce motif est fortement ancré dans l’imaginaire populaire commestéréotype antisémite, et servira de préparation idéologique de laShoah. Le journalDer Stürmer continue depuis1923 la tradition des caricatures antisémites. Il associe les motifs religieux juifs à des motifs pornographiques et racistes et relie, en invoquant l’histoire de l’Église, laTruie des Juifs à des meurtres rituels, auxvampires et àSatan.
Ces caricatures représentent les Juifs avec des dents obliques, des griffes d'animaux, les bords de la bouche dégoulinants et un regard avide qui séduisait et "empoisonnait" les groupes de jeunes filles blondes. Le thème, désormais, vise non seulement lemélange de races, mais aussi les attaques contre la racearyenne.
Dans une caricature duStürmer de1934, le motif de laTruie des Juifs symbolise le pouvoir prétendu des Juifs sur les médias. La truie transpercée par une fourche à fumier, porte l'inscription :Maison d'édition de littérature juive. La légende de l'image est : « Bien que la truie soit morte, on doit encore faire crever ses porcelets ». Les porcelets sont représentés sous les traits d'Albert Einstein,Magnus Hirschfeld, Alfred Kerr,Thomas Mann etErich Maria Remarque[10].
Les événements d’actualité étaient présentés de façon caricaturale afin de montrer que le caractère typique et durable des Juifs provenait de leur race, de leur religion et de leur culture. À la différence des images duXIXe siècle dont l’intention était par la moquerie d’encourager une certaine mise à l’écart de la population juive, les nouvelles caricatures politiques s’attaquent à une minorité opprimée présentée aux lecteurs comme parfaitement exécrable. Cela ne permettait en rien de clarifier des rapports politiques complexes, mais était uniquement axé sur la recherche d’unbouc émissaire.
Dans le contexte de la persécution systématique des Juifs, à partir duboycott des commerces et établissements juifs (), se développe unepropagande incendiaire dont les effets seront historiquement sans précédent. Depuis leslois de Nuremberg de1935, sur la protection de la pureté du sang allemand, les rapports sexuels sont strictement interdits entre les Allemands non-juifs et les Juifs. Les partenaires mâles encourent des peines de prison, tandis que les femmes non juives, ayant couché avec un Juif, sont accusées demélange des races, humiliées et traînées en public avec une pancarte autour du cou portant l’inscriptionputain des juifs[11]:
« Je suis la plus grosse cochonne de l’endroit, et je ne couche qu’avec des Juifs »
En raison du contexte historique passé, les insultesJudensau (la Truie des Juifs) etSaujude (cochon de Juif) sont considérées aujourd’hui comme une offense incontestable.Pourtant ce type d’expression peut encore s’entendre de nos jours dans les stades defootball, à l’encontre de sportifs ou arbitres juifs ou israéliens. Cette insulte doit être considérée, non seulement comme une insulte habituellexénophobe, comme sa varianteTruie desTurcs, mais comme un moyen précis de déshumanisation des Juifs.
Depuis le début des années 1990, des attaques contre les personnes d’origine juive ont augmenté en Allemagne. D’autres délits ont été commis contre les biens juifs, comme la profanation de tombes ou de mémoriaux. De même, la tombe où sont enterrésBertolt Brecht et sa femme,Hélène Weigel qui était d’origine juive, a été recouverte de l'inscriptionCochon de Juif en1989, peu de temps après la chute dumur de Berlin.
Dans la nuit du, jour anniversaire de la naissance d’Hitler, desnéonazis jettent une moitié de tête de cochon dans le jardin de lasynagogue d’Erfurt. Ce geste est répété le par le néonazi Thomas Dienel et troisskinheads avec deux moitiés de tête de cochon, après le décès de Heinz Galinski, président du Comité Central desJuifs d'Allemagne. Le message joint indiquait : « Enfin ce cochon de Galinski est mort. Encore plus de Juifs doivent mourir »[12].
En octobre1993, le mémorial de la déportation des Juifs, situé àBerlin Grunewald, est souillé avec des têtes de cochons. En octobre1998, des néonazis lâchent sur l’Alexanderplatz deBerlin, un porcelet avec uneétoile de David et le nom d’Ignatz Bubis, président de la communauté juive d’Allemagne, peints dessus.
Cette forme d’outrage n’est pas uniquement dirigée vers les représentants de la communauté juive en Allemagne, mais contre tous les Juifs. L’intention est d’insulter collectivement les Juifs (« Tous les Juifs sont des cochons/truies ») dans le but de provoquer une agitation populaire.
Pour dédramatiser cela, Meir Mendelssohn, un artiste israélien provocateur connu, accusé d’avoir souillé la tombe d’Ignatz Bubis enIsraël, avait invité le, le public dans le cadre d'une soirée théâtrale organisée parChristoph Schlingensief auVolksbühne Berlin:
« ... dire le motJudensau, est tout à fait normal, tout à fait naturel. »
La question se pose de savoir s’il faut retirer les représentations desJudensau historiques ou les conserver en place comme témoignage d’une époque. Actuellement les historiens et les administrateurs des monuments historiques argumentent s’il faut conserver dans leur contexte architectural des motifs extraordinairement choquants, des critiques voient dans leur maintien une sensibilité déficiente à l’égard de l’antisémitisme.
Déjà en1945, après la fin de la guerre, la représentation située sur la pharmacie municipale deKelheim avait été retirée, probablement sur instruction d’un officier de l’armée américaine.
En1988, lesculpteurWieland Schmiedel de Crivitz dans leMecklembourg-Schwerin, recevait la commande du consistoire de l’église paroissiale deWittemberg pour la réalisation d'une plaque commémorative placée au sol, en dessous du bas-relief de laJudensau, afin d’attirer l’attention des visiteurs sur les conséquences historiques de l’antisémitisme : "LaShoah". Elle se présente sous la forme de barbelés en forme de croix, encerclant uneBible, sur laquelle on peut lire le psaume (130:1) enhébreu : « Du fond de l’abîme je t’invoque, ô Éternel ». Une phrase de l’écrivain berlinois Jürgen Rennert est inscrite autour de la plaque :
« Le nom propre de Dieu, leSchem Hamphoras injurié, que les Juifs sanctifiaient de façon presque indicible pour les chrétiens, est mort dans les six millions de Juifs, sous un signe de croix. »
Le, l'Église Évangélique de Berlin-Brandebourg émettait de sa propre initiative une clarification synodale et recommandait :
« Si les œuvres d'art restent en place, le spectateur devra avoir l'attention attirée par des explications […] sur les fautes et les égarements de l'Église et être instruit de sa nouvelle position. »
ÀBayreuth, en2005, l’Église protestante a apposé une plaque avec l’inscription :
« La sculpture antisémite en pierre de ce pilier est devenu méconnaissable. Que soit passée pour toujours l'hostilité au judaïsme. »
Jusqu’à maintenant, seules quelques plaques explicatrices sont placées dans certaines églises.
Ceci ne pouvait suffire pour certains combattants contre l'antijudaïsme et l'antisémitisme, qui demandaient que les représentations soient purement et simplement retirées de la vue.Ainsi a eu lieu àCologne en2002 une campagne de protestation où l'artiste activiste munichois Wolfram P. Kastner affirmait que le motif de laJudensau de la cathédrale représentait « le cas typique de création d’images de violence dans nos têtes ».
De même, Kastner, en 2005 àRatisbonne, attaque les responsables d'un document éducatif représentant la sculpture de la cathédrale, d’ailleurs fortement érodée. Ce document avait fait l’objet d'un consensus entre le diocèse de Ratisbonne, le Ministère de l’Éducation et de la Culture et la communauté israélite deBavière.
Ce document indiquait :
« La sculpture doit être considérée comme le témoignage en pierre d'une époque passée et doit être vue en rapport avec son temps; Elle est répugnante pour un spectateur d'aujourd'hui, dans son expression anti-juive. »
Un contre-projet de Kastner qui insistait sur la complicité des chrétiens a été refusé par les représentants de l’Église.
Au début duXXIe siècle, l'artiste munichois Günter Wangerin se joint à Kastner pour demander avec insistance que soient retirées toutes lesJudensauen[13] en bois figurant à l'intérieur de lacathédrale de Cologne (et aussi lescroix gammées gravées sur sa façade) ou au moins que soient mises en place des plaques explicatives mais lecollège épiscopal et (de)Barbara Schock-Werner, la responsable de la conservation et la restauration de la cathédrale, ont répondu qu'il n'était pas possible d'ôter cesjudensauen qui sont actuellement protégées des regards par un cordon (!), ni de placer des clarifications, au motif que l'endroit n'était pas un musée mais un lieu de culte[14],[15].
Dans l'interview de 2005 accordée par Achim Hubel,conservateur du patrimoine au Département des Monuments historiques de l'université deBamberg, il est dit que face à unejudensau, les explications d'unguide devraient suffire et que si on apposait une plaque sous toutes lesjudensauen qui incitent à l'antisémitisme, il faudrait en placer aussi sous tous lescrucifix qui incitent à la peine de mort[16],[1].
Aussi, leDr Rudolf Reiser, rédacteur scientifique de laSüddeutsche Zeitung et auteur d'une soixantaine d'ouvrages, a quant à lui commis un livre dont le but est de réparer « les erreurs d'interprétation et de fausses associations » en précisant que ces représentations ne figurent pas une truie mais une louve, à mettre en parallèle avec celle deRémus et Romulus[1].
Chroniques récentes : 2004-2005