Une célébration dans unesynagogue réformiste avec mixité où la participation des hommes et des femmes est égalitaire.
AuXIXe siècle, dans un contexte historique d’évolution vers l’émancipation desJuifs, les tensions entre la société moderne et le mode de vie des communautés israélites traditionnelles se firent plus aiguës qu'auparavant. Divers courants de pensée naquirent alors qui, encourageant les juifs à embrasser la modernité, les invitaient à se mêler à la société extérieure. LesJüdische Reform-Genossenschaft (« unions judaïques réformées ») deFrancfort-sur-le-Main et deBerlin furent les premières à recevoir une existence officielle. Une des figures de proue du courantréformé futSamuel Holdheim.
Une majorité des communautés réformées est regroupée dans l’Union mondiale pour un judaïsme progressiste, fondée à Londres en 1926, dont le siège se trouve à Jérusalem[1]. Selon un recensement de l’Union publié en 2025, elle aurait 1,8 million de membres et 1,250 congrégations dans 50 pays[2].
Le peuple d'Israël a été élu, et doit se concevoir comme la force motrice de l'humanité selon la prophétie d’Isaïe : « Je t’ai placé comme une lumière pour les nations ». Le peuple élu est chargé d'une mission auprès de tous les êtres humains, en pratiquant activement latsedaka à l’échelle de la société et en œuvrant pour larédemption du monde (tikkoun olam), qui amènera l’ère messianique. Le judaïsme réformé ne croit pas en un Messie personnalisé.
LaBible hébraïque et leTalmud sont des textes fondateurs, mais s'ils sont d'inspiration divine, ils sont de rédaction humaine, et pratiquer lalecture critique est admis.
L'histoire du judaïsme montre une évolution de la tradition dans le temps et laHalakha (loi juive) doit donc être adaptée aux normes et valeurs de l'époque, ce qui signifie, auXXIe siècle, la prise en compte de la raison et de l’éthique actuelles, ainsi que de la liberté de conscience individuelle. Il en ressort que si la valeur spirituelle et morale qui sous-tend lesmitzvot (commandements) reste fondamentale, l'aspect rituel ne l'est pas toujours car le rite est un moyen et non une fin en soi. Chacun choisit donc sa pratique et sa croyance. Cependant, tout en laissant au croyant beaucoup de latitude dans les modalités concrètes du rituel, le mouvement réformé contemporain insiste sur l'importance des rites marquant la vie juive qu'avaient voulu abolir les anciens mouvements réformés radicaux :chabbat,fêtes juives, usage liturgique de l'hébreu, rites de passage.
Ces rites se distinguent cependant toujours de ceux dujudaïsme orthodoxe :
Lacacherout n’exige pas de changement de vaisselle et ne doit pas entraîner l’isolement des juifs la pratiquant.
La liturgie contient toujours, en parallèle à l'hébreu, de nombreux passages dans la langue du pays, et sont supprimés les passages considérés en contradiction avec la vie moderne, par exemple la bénédiction« Loué sois-Tu… qui ne m'as pas fait femme »[3] Distinction considérable du modèle orthodoxe, lesoffices de prière réformés font usage d’instruments de musique et de choristes pour entraîner la congrégation.
Le judaïsme réformé est égalitaire, ayant aboli la séparation des hommes et des femmes lors des offices. Les femmes sont comptées dans leminian. Les rites de passage (excepté la circoncision) sont les mêmes pour les deux sexes. Il n'est pas rare que desfemmes occupent le poste de rabbin, portent letalit et lestephiline, traditionnellement réservés aux hommes, ou soient appelées à lecture de laTorah.
Le judaïsme réformé n'accepte généralement pas lesmariages interreligieux, mais facilite grandement la conversion du futur conjoint, après unenseignement religieux que le conjoint juif doit également suivre. AuxÉtats-Unis, certains rabbins réformés célèbrent les mariages mixtes si le couple promet de mener une vie juive et d'élever leurs enfants dans cette religion, et acceptent les conjoints non juifs comme membres de lasynagogue, ou même comme titulaires de certaines fonctions pendant les offices.
Leguett (divorce selon la loi juive) est accordé de façon égalitaire : la femme et l’homme signent tous deux le certificat, et il est accordé dès que le divorce civil a été enregistré, alors que le judaïsme orthodoxe requiert la répudiation de la femme au moyen d'un acte qu'il a écrit. Les mouvements réformés ont en outre prévu des dispositions légales permettant aux femmes d’obtenir leguett.
Le mouvement réformé accepte généralement le principe du double lignage non exclusif,considérant comme Juifs les enfants dont seul le père est Juif et qui ont reçu une éducation juive, alors que pour lesorthodoxes l'appartenance religieuse est rigoureusement fonction de celle de la mère.
Les demandes de conversion sont reçues pourvu que le postulant fasse preuve de sincérité et suive un enseignement religieux complet d’environ deux ans.
Le mouvement réformé prône l'intégration dans la nation du pays hôte. À son origine, il rejete donc le projetsioniste. Cette position est reconsidérée après laSeconde Guerre mondiale et laShoah. Bien que ne faisant pas activement la promotion de l'immigration en Israël, il assiste ceux qui désirent la faire. Il soutient le processus de paix.
Le mouvement réformé se composait de divers courants préconisant des réformes assez radicales dans la théologie et les pratiques judaïques. Se basant sur l’analyse historique et les Études juives (Wissenschaft des Judentums) commencées parLeopold Zunz (1794-1886), ils déniaient à laTorah et auTalmud toute valeur de parole divine intouchable, et jugeaient de nombreuses observanceshalakhiques contraignantes comme inutiles, sans fondement et obsolètes. Certains réformés proposèrent même l'abandon de lacacherout, duchabbat et de lacirconcision. Laliturgie fut simplifiée : on utilisa des livres de prières (siddour) en allemand, les services furent abrégés et s'enrichirent d'un sermon et d'un accompagnement musical.
Ces transformations étaient justifiées par une visionhégelienne de l'histoire qui en faisait une révélation en marche, remplaçant la vision traditionnelle d'une révélation déjà accomplie. Lesjuifs n'étaient plus un peuple en exil attendant son propre salut replié sur lui-même, mais une communauté présente au monde, dont la mission était de proclamer lemonothéisme. L'idée de rebâtir letemple de Jérusalem et d'y reprendre les sacrifices fut abandonnée, ainsi que les prières pour le rétablissement d'un État propre. Le mouvement réformé à ses débuts était anti-sioniste et préconisait l'allégeance nationale exclusive au pays de résidence.
Ces réformes manifestaient un besoin de renouveau religieux, mais également un désir de moins se démarquer du reste de la société, d'où certains aspects offrant une ressemblance extérieure avec leprotestantisme : nouveau costume desrabbins, nom des lieux de culte (synagogue changé entemple), proposition d'un rite de confirmation pour les adolescents.
L'Union réformée deBerlin était la plus radicale, mais tous les partisans du mouvement progressiste ne souhaitaient pas des changements aussi poussés. Des rencontres rabbiniques eurent lieu àBrunswick en1844, àFrancfort en1845 et àBreslau en1846. L'unanimité ne fut pas atteinte et en1854,Zacharias Frankel (1801-1875), directeur du séminaire de Breslau, fonda lemouvement Massorti dit « conservateur », progressiste mais moins radical que les Unions réformées. Ultérieurement, le mouvement réformé revint lui aussi sur certaines de ses positions les plus extrêmes.
En 2006 a eu lieu l'ordination de trois rabbins en Allemagne, sortis du collègeAbraham Geiger dePotsdam, d'inspiration libérale. Ce sont les premiers rabbins ordonnés dans ce pays depuis le nazisme.
La révolution française et l’héritage desLumières conduisent à des changements importants au sein de la société française. L’étude scientifique du judaïsme connue en Allemagne sous le nom deWissenschaft des Judentums ou Science du Judaïsme se développe en France pendant le troisième tiers duXIXe siècle et encourage les Juifs à embrasser lamodernité par un judaïsme ouvert et réformé. Son approche doit également permettre la connaissance et la compréhension des valeurs juives aux non-Juifs.
L'un des précurseurs de ce judaïsme réformé est le savant mathématicien et polytechnicienOlry Terquem. Parallèlement à ses activités scientifiques, il mène un combat de polémique littéraire en faveur du judaïsme libéral (notamment sous le pseudonyme de « Tsarphati ») à destination de ses coreligionnaires orthodoxes et milite pour une refonte du judaïsme. Par son érudition, il a été un passeur de sciences entre l’Allemagne et la France, en lisant et en traduisant inlassablement des textes de Berlin. Pour beaucoup de réformateurs, l'étude duTalmud est désormais incompatible avec l'intégration et devient ainsi caduque, comme l'évoque dès 1821 Olry Terquem :
« (…) rien n'a échappé à l'influence dominante, excepté le culte, qui se traîne toujours dans son allure ancienne, avec son accoutrement asiatique, à travers la civilisation européenne… » (Première Lettre d'un israélite français à ses coreligionnaires, Paris, 1821,p. 10).
L'une de sesLettres porte le titre :« …sur l'urgente nécessité de célébrer l'office en français le jour dedimanche, à l'usage des Israélites qui ne peuvent assister à l'office asiatique de la veille, comme unique moyen de rendre désormais l'éducation religieuse possible en France », ce qui le place délibérément sur une position des plus radicales.
Olry Terquem prône cette réforme pour lui indispensable du judaïsme, afin de faire face aux multiples conversions de Juifs auchristianisme (par exemple la conversion des frères Libermann deSaverne). Il prend position dans l’affaire de son frère, le docteur Lazare Terquem converti sur son lit de mort en par l’abbéThéodore Ratisbonne, en présence de sa femme et de sa belle-famille (les époux Daniel) quiabjurent en 1837. Cette affaire interpelle les membres du Consistoire qui protestent contre cette prétendue conversion aucatholicisme auprès des autorités sans obtenir gain de cause. Olry Terquem estime que le docteur Lazare Terquem« …était non seulement israélite, mais encore anti-catholique au suprême degré », et condamne avec énergie le comportement du père Théodore Ratisbonne qui« …travaillé d’une maladie qu’on peut appeler la baptisalgie, serait prêt à arroser d’eau lustrale tout un cimetière d’Israélites ».
SesLettres tsarphatiques d’Olry Terquem le placent au rang de réformateur d'un judaïsme éclairé et précurseur qui affirme la concordance entre la tradition, la culture, la foi et les principes du judaïsme et le monde dans lequel nous vivons. La connaissance est nécessaire à la conscience, la compréhension est indispensable à l’observance et l’étude doit se poursuivre tout au long de la vie.
Cette forme de judaïsme prend un essor bien plus important après laSeconde Guerre mondiale et reste considérée comme dissidente par rapport auConsistoire israélite de France, ce qui a certes constitué un frein sérieux à son développement comme pour tous les courants qui n’étaient pas déjà représentés au sein du Consistoire. À peine nommé au Consistoire israélite de France, le nouveaugrand-rabbinGilles Bernheim a déclaré en 2008 qu’il ne reconnaîtrait jamais le judaïsme libéral et que ce mouvement ne serait jamais accepté au Consistoire.
Pendant plus de soixante ans, l’ULI ou « synagogue de Copernic » selon le nom donné le plus souvent, fut donc la seule synagogue libérale du pays.
Le, à l'issue d'une grave crise institutionnelle, le rabbin Daniel Farhi, entouré d'une cinquantaine de familles, quitte « Copernic » et crée avec Roger Benarosch (président) et Colette Kessler (directrice de l'enseignement) le MJLF (Mouvement juif libéral de France). C'est à partir de cette première scission et dans cette dynamique que trois autres communautés libérales se créeront au fil des ans. La CJL (Communauté juive libérale) par le rabbin Pauline Bebe et Remy Schwartz, Guehilath Guesher par le rabbin Tom Cohen, et enfin l'AJTM (Alliance pour un judaïsme traditionnel et moderne) par le rabbin Gabriel Farhi.
En 2018, il y a douze rabbins libéraux en exercice en France, dont cinq sont des femmes :Pauline Bebe,Floriane Chinsky etDelphine Horvilleur exercent dans des communautés parisiennes, Sophie Bismut à Marseille depuis 2024,Daniela Touati à Lyon depuis 2020 etIris Ferreira à Strasbourg depuis 2021. Iris Ferreira est aussi la première femme ordonnée en France, les autres femmes rabbins ayant été ordonnées en dehors du pays.
Bien que né en Allemagne, le judaïsme réformé est aujourd'hui devenu un mouvement à nette prédominance américaine, où il serait d'ailleurs le courant majoritaire. Au milieu duXIXe siècle le mouvement réformé s'implanta sous le nom deReform judaism auxÉtats-Unis où il compte 2 millions d'adhérents (près de la moitié des 5 200 000 de juifs aux États-Unis).
« Les principes fondateurs du mouvement réformé américain, décrit dans laplate-forme de Pittsburgh de 1885, ont affirmé un engagement monothéiste, mais ont rejeté plusieurs des pratiques rituelles [traditionnelles], y compris les lois qui régissent la nourriture, la pureté sacerdotale et les vêtements, comme des insultes à la sensibilité moderne. […] [la Plate-forme] a également rejeté l'objectif d'un retour à Sion »[11].
Le premiersiddour (livre de prière) du mouvement, de 1892, était radicalement en rupture avec la tradition : refus du retour à Sion, de la résurrection des morts, de la notion de peuple élu. Les rabbins étaient rebaptisés « ministre » (du culte), comme dans leprotestantisme. Par la suite, le ralliement au mouvement (d'origine allemande) de nombreuxJuifs émigrés d'Europe orientale, et plus traditionalistes[11], rapprocha la doctrine de la tradition, une tendance lente mais permanente depuis les origines du mouvement.
Dans l'édition 1922, le terme « rabbin » a été substitué au « ministre » original[11].
L'édition 1941 exprimait son soutien ausionisme[11].
En 1998, laConférence centrale des rabbins américains (la direction réformée), adopta une décision favorisant le respect de lacacherout et duchabbat, un mouvement de retour partiel vers la tradition aboutissant à un nouveau livre de prière, leMishkan T'filah. Celui-ci, « est plus traditionnel […] en termes de restauration de la liturgie traditionnelle »[11]. Mais s'il se rapproche des anciens rituels, le judaïsme réformé reste fermement attaché à diverses innovations, comme sa consécration derabbins de sexe féminin, ou une plus grande souplesse dans les conversions aujudaïsme.
En Israël, les réformés (comme les conservateurs et les reconstructionnistes) n'ont eu longtemps aucun poids. Sous l'influence d'unealya croissante de juifs américains, plusieurs communautés existent aujourd'hui, dont l'activité va en progression. LeMouvement israélien pour le judaïsme progressiste regroupe plus de 180 000 adhérents. Les tensions avec les juifsorthodoxes (et plus encore avec lesharedim) sont parfois importantes.