Il étudie ensuite laphilosophie et larhétorique àPau (1698–1701), puis il enseigne la cinquième[1] àLimoges (1701–1702), la quatrième, la troisième et les humanités àSaintes (1702–1705), et la rhétorique à Pau (1705–1706).
De Pau, il est envoyé d’abord àPoitiers, où il fait un an de philosophie et deux ans dethéologie (1706–1709), ensuite aucollège Louis-le-Grand, à Paris, où il termine son cours dethéologie (1709–1711) ; il estordonnéprêtre la même année, à Paris.
Vie quotidienne desAmérindiens enNouvelle-France. Illustration extraite desMœurs.La Femme chassée du ciel tombe sur la tortue. Dessin extrait de l'ouvrage deLafitau,p. 95.Fabrication dusirop d'érable par les Amérindiens en Nouvelle-France. Illustration extraite desMœurs.
Lafitau est un observateur attentif des coutumes amérindiennes. Il fait paraître en1724Mœurs des sauvages américains comparées aux mœurs des premiers temps, où il tente, en les mettant en parallèle avec celles dessociétés de l’Antiquité, de démontrer que les mœurs desIroquois ne sont pas aberrantes.
Il s’efforce aussi de prouver l’origine commune des Amérindiens et des Occidentaux et d’étayer ainsi le concept d’unité de l'humanité tiré de laGenèse (Adam etÈve, couple initial unique). Il raconte ainsi le mythe amérindien de la création de l'Île de la tortue en y ajoutant des connotations judéo-chrétiennes[3].
Lafitau fait preuve d’une grande minutie et d’une précision inégalée pour l’époque[4]. Il a été, ditWilliam N. Fenton(en), « le premier éclat de lumière sur la route de l'anthropologie scientifique[5] ».
Son ouvrage a ététraduit en néerlandais de son vivant même, et d'autres traductions ont suivi.
« L'aureliana de Canada, en chinois gin-seng, en iroquois garent-oguen »
Contrairement à ce qu'il croit, Lafitau n'est pas le premier Européen à observer le ginseng qu'on appelle aujourd'huiginseng américain[6].
Toutefois, le fait central ici n'est pas l'antériorité de l'envoi de la plante en France, mais l'identification du ginseng chinois et du ginseng américain et ses conséquences économiques. Lafitau, puis les Amérindiens, puis les botanistes parisiens ont considéré comme identiques les plantes américaine et chinoise.
De plus, Lafitau est certainement à l'origine de ce qu'on appellerait en termes modernes un coup médiatique suivi, en économie, d'uneruée vers l'or.
« Dès l'année 1700 » : On reçoit au Jardin du roi du ginseng américain (aujourd'huiPanax quinquefolius), envoyé parMichel Sarrazin. C'est ce que ditSébastien Vaillant en 1718[7],[8].
1704 : Sarrazin envoie àGuy-Crescent Fagon (premier médecin de Louis XIV) du ginseng sous le nom d'Aralia humilis fructu majore[9].
1709 : Pierre Jartoux, missionnaire jésuite en Chine, est en voyage de cartographie en Tartarie. S'y trouvent également 10 000 Tartares qui ramassent du ginseng pour l'empereur[10],[11].
1711 :Jartoux écrit le 12 avril 1711 à son procureur général[12]. Il mentionne que la plante pourrait également pousser au Canada[10], étant donné la similitude des climats.
: Lafitau lit pour la première fois, à Québec, la relation du père Jartoux sur le ginseng chinois[11],[13].
1716 : Lafitau tombe sur du ginseng près d'une maison qu'il fait construire. Les fruits rouges sont bien visibles. Il envoie la plante à Québec, « à un homme intelligent[14] ». « On » part pour Montréal, on se rend à la mission et on trouve la plante. Les Amérindiens reconnaissent leur plante dans le dessin[15] qu'a fait Jartoux en Chine[16].
1718 : Le mémoire de Lafitau auRégent paraît en France. Lafitau baptise la planteAureliana canadensis[17] en l'honneur du Régent[18]. (Carl Anton von Meyer donnera en 1843 les noms que nous connaissons aujourd'hui[19].)
1718 : Parution de l'ouvrage de Sébastien Vaillant dont une partie s'intitule « Établissement d'un nouveau genre de plante nommé Araliastrum, duquel le fameux ninzin ou ginseng des Chinois, est une espèce ».
1753 : Création du genrePanax.
Dans son mémoire, Lafitau mentionne Vaillant (avec Jussieu) deux fois :
« C'est sur ces raisons que M. de Jussieu et M. Vaillant m'ont fait l'honneur de me dire qu'ils ne doutaient point que la plante du Père Jartoux et celle qui vient du Canada ne fussent le véritable gin-seng[20]. »
« Je l'ai vu dans l'herbier de M. de Jussieu et celui de M. Vaillant[21]. »
Par contre, Vaillant ne mentionne pas Lafitau dans le chapitre qu'il consacre au ginseng. Il dit que la plante a été reçue de Sarrazin « dès l'année 1700[7] ».
Motsch, spécialiste de Lafitau, conclut ainsi[22] :
« Lafitau fait désormais partie de l’histoire botanique, tout commeVaillant à qui revient le mérite d’avoir identifié un nouveau genre, appelé araliastrum. Sarrazin etJohn Ray l’avaient déjà identifié parmi d’autres espèces et le ginseng en devient une sous-catégorie. Enfin,Sarrazin admettait en novembre 1717 dans une lettre que le ginseng avait, avant la découverte de Lafitau, échappé à son attention. Chacun y trouve donc sa part. Laissons donc la découverte de l’aralia à Sarrazin et celle de la classification à Vaillant, mais quant à la découverte du ginseng, celui « de Tartarie, découvert en Canada par le père Joseph François Lafitau, missionnaire des Iroquois au Sault Saint Louis », elle lui revient à juste titre. »
On voit dans le ginseng américain une façon de profiter du grand usage que fait lamédecine chinoise de cette plante (qu'on appellera 130 ans plus tardPanax, mot qui signifiepanacée).
« Le ginseng que les Chinois tiraient à grands frais du nord de l'Asie fut porté des bords duSaint-Laurent àCanton. Il fut trouvé excellent et vendu très cher ; la livre, qui ne valait d'abord à Québec que deux francs, y monta jusqu'à vingt-cinq. Il en fut exporté une année pour cinq cent mille francs. Le haut prix de cette racine excita une aveugle cupidité. On la cueillit en mai au lieu de la cueillir en septembre on la fit sécher au four au lieu de la faire sécher à l'ombre et lentement[23] ; dès lors elle ne valut plus rien aux yeux des Chinois[24]. »
— François-Xavier Garneau,Histoire du Canada
L'histoire se conclut par un triste proverbe queH.-A. Verreau, un siècle plus tard, entendait dire aux vieillards : « C'est tombé » ou « ça tombera comme le gin-seng[25] ».
Lafitau revient en France en1717, principalement pour faire valoir ses arguments (meilleures terres, meilleure situation stratégique) en faveur de la relocalisation du Sault Saint-Louis. Il devait également apporter sa contribution à la longue histoire de la lutte contre la vente d'alcool aux Amérindiens. Lafitau obtient la relocalisation (au site actuel).
Joseph-FrançoisLafitau (1681-1746) (M.DCC.XVIII),Mémoire presenté a son altesse royale Monseigneur le duc d'Orleans, regent du royaume de France, concernant la précieuse plante du gin-seng de Tartarie, découverte en Canada par le P. Joseph François Lafitau, de la Compagnie de Jesus, missionnaire des Iroquois du Sault Saint Louis., Paris, chez Joseph Mongé, ruë S. Jacques vis-à-vis le Collége de Louis le Grand, à Saint Ignace,(DOI10.5962/bhl.title.115143,présentation en ligne,lire en ligne[PDF])
Mémoire…, Montréal, Sénécal, Daniel et Compagnie, 1858
Mœurs des sauvages américains comparées aux mœurs des premiers temps, figures en taille-douce gravées parJean-Baptiste Scotin, Paris, Saugrain l'aîné – Hochereau, 1724[26]
Facsimilé de la traduction allemande publiée à Halle en 1752–53, augmentée par Reim d'un index et de commentaires ; Reim toutefois ignorait le travail de Fenton et Moore
↑Ces classes se faisaient approximativement au même âge que les classes decinquième,quatrième ettroisième actuellement en France.
↑Julien Garnier (1643–1730). Lafitau s'efface devant lui : « c'est, dis-je, dans le commerce de ce vertueux missionnaire avec qui j'étais très étroitement lié, que j'ai comme puisé tout ce que j'ai à dire ici des Sauvages » (Mœurs,p. 4). Sur Garnier, voir l'article duDictionnaire biographique du Canada.
↑Selon une source, il fait venir le dessin : Marcelle Sirois-Labrecque, Gaston Labrecque, Marie-Paule Labrecque-Marceau, Association des Labrecque,Les Labrecque en Amérique : 1657–2007, AMÉCA,p. 156,(ISBN2923090705 et9782923090702).
PierreJartoux, « Lettre du Père Jartoux au Père Procureur général des missions des Indes et de la Chine »,Lettres édifiantes et curieuses concernant l'Asie, l'Afrique et l'Amérique, Société du Panthéon littéraire,t. 3, 1843 (12 avril 1711),p. 183–187(lire en ligne) OuDocument
(en)William N. Fenton(en) et Elizabeth L. Moore, « J.-F. Lafitau (1681–1746), precursor of scientific anthropology », dansSouthwestern Journal of Anthropology, Summer, 1969,vol. 25,no 2,p. 173–187
William N. Fenton et Elizabeth L. Moore, « Lafitau et la pensée ethnologique de son temps », dansÉtudes littéraireslire en ligne
Traduction partielle, par Céline Pelletier, de l'introduction deCustoms of the American Indians compared with the customs of the primitive times, by Father Joseph François Lafitau, edited and translated by William N. Fenton and Elizabeth L. Moore, Toronto, The Champlain Society,vol. I, 1974, CXIX–365p.
GwénaëlLamarque, « Joseph-François Lafitau (1681–1746) et son œuvre : un modèle ou une exception en son temps ? »,Passeurs D'histoire(S): Figures des Relations France-Québec en Histoire du Livre,(lire en ligne)
Mélanie Lozat, Sara Petrella (éds.),La plume et le calumet. Joseph-François Lafitau et les « sauvages ameriquains », Paris, Classiques Garnier, coll. « Rencontres », 2019.