Joséphine naît d'une famille debékés dans unegrande plantation de laMartinique. Elle arrive en métropole après son mariage avecAlexandre de Beauharnais, victime de laRévolution française, exécuté pendant laTerreur. Durant cette période, Joséphine est emprisonnée plusieurs mois. Fréquentant les salons parisiens, elle rencontre le général Bonaparte qui la rebaptise Joséphine et avec qui elle se remarie. Ce second mariage lui permet de devenir impératrice après la proclamation duPremier Empire. Elle se heurte à l'hostilité de sa belle-famille, attisée par son incapacité à engendrer un héritier. Napoléon divorce d'elle en 1809. Elle se retire dans son domaine deMalmaison.
Malgré son mariage stérile avec Napoléon, Joséphine a une importante postérité grâce aux enfants de son premier mariage. À travers eux, notamment via sa filleHortense de Beauharnais, elle est la grand-mère de l'empereurNapoléon III, qui règne sur laFrance de 1852 à 1870, durant leSecond Empire.
« Joséphine de Beauharnais » n’a été appelée ainsi que durant les cinq dernières années de sa vie, après son divorce d’avec Napoléon. Du temps de son mariage avecAlexandre de Beauharnais, elle se prénomme Marie Josèphe Rose. C'est Napoléon qui lui donne le prénom de Joséphine. Ainsi, les feuillesultraroyalistes annonceront la mort de« madame veuve de Beauharnais ». Elle n’a donc porté le nom de « Joséphine de Beauharnais » qu’en reprenant son nom de veuve après son divorce, tout en conservant le prénom sous lequel elle s’était fait connaître en tant qu’impératrice. On pourrait donc aussi bien parler de « Joséphine Bonaparte », « Rose de Tascher », « Rose Tascher de La Pagerie » ou « Rose de Beauharnais »[1].
Joseph-Gaspard est le fils aîné du seigneur de La Pagerie, Gaspard-Joseph, venu s'installer en Martinique en 1726 pour y faire fortune dans le commerce du sucre. Né sur l'île, Joseph-Gaspard rentre en métropole en 1751 et officie pendant quatre ans àVersailles en tant quepage de la dauphineMarie-Josèphe de Saxe, avant de servir dans les armes. De son côté, Rose des Vergers de Sannois est la fille unique d'une famille de planteurs, fondateurs de la propriété de la Petite Guinée en 1730[a 1]. Ce vaste domaine, bien que ne faisant pas partie des plus grandes exploitations martiniquaises, s'étend sur près de500 hectares et exploite plus de 200 esclaves valides en 1751[2].
C'est là que grandit Marie-Josèphe-Rose. Elle est baptisée plus d'un mois après sa naissance, le, en l'église Notre-Dame-de-la-Bonne-Délivrance[3],[4]. La famille loge dans un confort rudimentaire dans le bâtiment même de leur sucrerie après qu'uncyclone a dévasté leur maison principale en 1766. C'est sa mère qui s'occupe principalement de la gestion du domaine, tandis que son père, nostalgique de ses années en métropole, préfère côtoyer la bonne société deFort-Royal et mener une vie de plaisirs. Durant sa jeunesse, Marie-Josèphe-Rose, affectueusement surnommée « Yeyette » par ses parents, reçoit les soins de sa nourrice, Gertrude, avant d'être envoyée à l'âge de dix ans avec sa sœur cadette, Catherine-Désirée, chez les sœurs de la Providence à Fort-Royal[a 2].
Qu'on la nomme Rose ou Joséphine, elle triche durant toute sa vie sur la date de sa naissance pour se rajeunir. Les almanachs impériaux indiqueront tous les ans la date du. Sa fille, la reineHortense, continuera à maintenir cette fiction[5].
De son enfance martiniquaise, la future impératrice garda un caractère correspondant à l'image que se faisaient les Métropolitains desCréoles: paresseux, sensuel et capricieux. Elle joua beaucoup de cette image. Son habitude de manger du sirop decanne à sucre détériora précocement ses dents, ce qui la poussa à adopter un demi-sourire fermé qui lui donnait un air énigmatique[6].
Marie-Euphémie-Désirée, la sœur deJoseph-Gaspard de Tascher de La Pagerie, vit en métropole avec le marquisFrançois de Beauharnais[7],[Note 2]. Elle projette de marier le fils de ce dernier,Alexandre de Beauharnais, avec une des filles de Joseph-Gaspard. Comme lesTascher de La Pagerie, lafamille de Beauharnais est installée aux Antilles où elle possède égalementplantations et esclaves[8]. Le choix se porte d'abord sur Catherine-Désirée, mais lorsque la demande de mariage parvient en Martinique à la fin de l'année 1777, cette dernière est morte de latuberculose le précédent, à l'âge de 12 ans. Alexandre de Beauharnais accepte alors la main de la seconde. Conduite par son père enmétropole, Marie-Josèphe-Rose quitte son île natale à la fin du mois d'août 1779, à bord de laflûteIsle de France. Le mariage est célébré le àNoisy-le-Grand par l'abbé Durand[a 3]. Elle a 16 ans, lui 18. Durant le trajet vers la France et jusqu'à la fin de sa vie, Marie-Josèphe-Rose est accompagnée d'Euphémie, domestique dévouée et supposée demi-sœur « mulâtresse », pour laquelle elle gardera toujours une grande affection[9].
Le jeune couple s'installe à Paris, dans l'hôtel privé du marquis de Beauharnais,rue Thévenot[a 4], avant de louer un appartement rue Neuve Saint-Charles[a 5]. Marie-Josèphe-Rose, désormais vicomtesse, jouit d'une aisance qu'elle n'a encore jamais connue[10]. Très vite, il apparaît que les deux époux ne s'entendent pas. Alexandre est régulièrement absent : quand il n'est pas en garnison avec son régiment, àBrest puis àVerdun, il séjourne chez son ancien précepteur, Antoine Patricol, àLa Roche-Guyon. Si Joséphine se plaint de la rareté de la correspondance qu'entretient son mari, ce dernier lui reproche un certain manque d'éducation. Pour autant, la naissance de leur premier enfant, prénomméEugène, le, semble rapprocher le couple[a 4] mais après quelques semaines de vie commune, Alexandre s'éloigne de nouveau[a 6]. Joséphine confie Eugène à Euphémie, qui devient sa gouvernante[11].
Dans le même temps, Joséphine s'immisce peu à peu dans la société aristocratique parisienne et fréquente les salons. Alors que son mari, et la tante de celui-ci,Fanny de Beauharnais, sont très actifs au sein des loges parisiennes, elle est à son tour initiée enfranc-maçonnerie, au sein de la loge de la Triple Lumière[a 6]. De retour auprès de sa femme au mois de, Alexandre s'embarque quatre mois plus tard pour laMartinique. Son ancienne maîtresse,madame de Longpré[Note 3], effectue ce voyage avec lui et tous deux entretiennent une nouvelle relation. En métropole, Joséphine entame une deuxième grossesse, pour donner naissance àHortense le. Furieux en apprenant la nouvelle, Alexandre doute de sa paternité et accuse Joséphine d'adultère. À son retour en France à l'automne suivant, il oblige Joséphine à quitter le domicile conjugal et la contraint d'entrer au couvent, à l'abbaye de Penthemont, tandis que leurs enfants sont confiés à une nourrice. Refusant son sort, elle dépose plainte auprès de Louis Joron, conseiller du roi et commissaire auChâtelet de Paris. Défendue par maître Moreau de Bussy, elle gagne son procès le. Alexandre est condamné par le prévôt de Paris à verser une pension à sa femme pour l'éducation de ses enfants, mais il fait enlever Eugène le, ce qui entraîne une nouvelle plainte de Joséphine. Par l'intermédiaire de sa tante, Marie-Euphémie-Désirée, un compromis est signé devant notaire le suivant par les deux époux. Alexandre reconnaît ses torts et accorde à sa femme une pension annuelle de6 000 livres, tout en lui laissant la garde définitive d'Hortense et celle d'Eugène jusqu'à ses cinq ans[a 7].
À sa sortie du couvent, Joséphine s'installe àFontainebleau chez sa tante et son beau-père, lemarquis de Beauharnais, où elle réside pendant trois ans avec Hortense et Euphémie[11]. On prétend qu'elle suit les chasses du roiLouis XVI et les beaux cavaliers qui y participent : lecomte de Crenay, leduc de Lorge ou lechevalier de Coigny. Elle connaît alors des difficultés financières car Alexandre ne lui verse pas régulièrement sa pension, mais ses parents lui viennent en aide en lui faisant parvenir deslettres de change depuis la Martinique. Enoctobre 1787, Joséphine et Hortense sont accueillies dans l'hôtel parisien du banquier suisse Jean-Jacques Rougemont[Note 4].
Sans argent et sans position sociale établie malgré une aisance certaine dans les relations mondaines, Joséphine choisit de retrouver sa terre natale et voir si elle peut améliorer sa situation qui reste très préoccupante[12]. Elle s'embarque avec sa fille et Euphémie à destination des Antilles françaises en. Pendant près de trois ans, elles n'y ont pas d'habitation fixe tandis que Joséphine gagne en influence dans la société martiniquaise[a 8],[11].
Barras, exilé àBruxelles par Napoléon en1801, écrit perfidement dans sesMémoires que, pendant ce séjour, la jeune femme libre« aurait eu des rapports avec des nègres » et aurait donné naissance à une fille naturelle, ces rumeurs servant par la suite à Alexandre de Beauharnais de motif à sa rupture avec Rose[13].
Tandis que laRévolution française éclate en 1789, les émeutes atteignent la Martinique l'année suivante. L'oncle de Joséphine, envoyé pour parlementer avec des rebelles qui se sont emparés dufort Bourbon, est notamment pris en otage et fait prisonnier.Fort-Royal est peu à peu encerclée et Joséphine, Hortense et Euphémie parviennent à s'enfuir pour s'embarquer sur la frégate laSensible. Après avoir accosté àToulon en, elles rejoignent leur tante àFontainebleau. Très actif depuis le début de la Révolution,Alexandre de Beauharnais a acquis une certaine position dans la vie politique du royaume. Élu député de la noblesse auxétats généraux en 1789, il appartient à la minorité des membres de son ordre qui soutiennent les réformes. Président desjacobins après la mort deMirabeau, il est ensuite élu à la présidence de l'Assemblée constituante, le, et joue un rôle de premier plan au moment de lafuite à Varennes. Tout en restant séparée de lui, Joséphine s'affiche alors comme son épouse et joue de sa position pour élargir le cercle de ses relations. Elle se rapproche alors de personnalités issues de milieux très variés voire opposés : Joséphine fréquente aussi bien les amis de son mari, comme lemarquis de La Fayette ou lemarquis de Caulaincourt, que les constituants de gauche, notamment par l'intermédiaire deCharlotte de Robespierre, ou encore des personnalités des milieux contre-révolutionnaires commeMichelle de Bonneuil. Très à l'aise dans les salons, elle cherche alors à entretenir des réseaux sans toutefois s'engager[a 9],[11].
La situation évolue défavorablement pour le couple Beauharnais au cours de l'année 1793[a 10]. Après la dissolution de l'Assemblée Constituante, Alexandre avait regagné les rangs de l'armée du Rhin. Jugé en partie responsable de lachute de Mayence le[14], il est limogé et contraint de regagner son fief deLa Ferté-Beauharnais, puis très vite inquiété. Laloi des suspects, adoptée par laConvention le, sème alors le trouble en France et menace de la peine capitale tous ceux accusés d'être contre-révolutionnaires. De son côté, Joséphine se réfugie àCroissy-sur-Seine, dans la maison d'une de ses amies créole, Madame de Hosten-Lamotte (l'adresse actuelle de cet hôtel particulier est le 12 Grande rue - espace Chanorier). Elle se fait alors délivrer un certificat de civisme par les autorités municipales. Elle tisse notamment des liens avec le président duComité de sûreté générale,Marc-Guillaume-Alexis Vadier, et fait libérer par son intermédiaire plusieurs de ses proches qui se retrouvent inquiétés. Elle échoue pourtant à sauver son mari Alexandre, arrêté au mois de[a 10].
Joséphine est à son tour inculpée le et enfermée à laprison des Carmes où son ordre d'écrou est signé par la section des Tuileries du Comité révolutionnaire deux jours plus tard. Elle y retrouve Alexandre qu'elle est autorisée à rencontrer quelques heures par jour. Condamné par leTribunal révolutionnaire, il est guillotiné le. Lachute de Robespierre qui intervient peu après met fin au régime de laTerreur et Joséphine est finalement libérée le[15],[a 10]. Un greffier duComité de sûreté générale,Charles de La Bussière, probablement amoureux d'elle, s'attribue sa libération et affirme avoir fait disparaître son acte d'accusation[16]. Bien qu'aucune preuve formelle ne soit apportée pour accréditer cette thèse, Joséphine se montre reconnaissante en lui versant plus tard une somme de1 000 livres[a 10].
À sa sortie de prison, la situation financière de Joséphine est critique. Désormais veuve, elle ne dispose plus d'aucun revenu régulier, d'autant plus que les biens d'Alexandre ont été saisis, mais, tirant profit de son habileté dans les relations tout comme de la crise monétaire qui frappe la France, elle parvient très rapidement à retrouver son rang. Au début de l'année 1795, elle obtient auprès des autorités départementales duLoir-et-Cher la levée des scellés sur les biens de son défunt mari. Dans cette période délicate, elle bénéficie des conseils d'un homme de loi, Jean-Etienne Calmelet, qui la soutient dans ses différentes démarches. Elle reçoit également l'appui du député conventionnelMerlin de Thionville pour récupérer une série d'objets et de biens parisiens[17]. Dans le même temps, Joséphine contracte plusieurs prêts et sollicite le secours de ses proches. Elle fait mettre sur pied un montage financier qui permet à sa mère de lui envoyer plusieurs sommes en monnaie métallique. Ces pièces, qui transitent par l'établissement d'un banquier deHambourg, Matthiessen, sont ensuite échangées enassignats, fortement dépréciés[a 11]. À la fin de l'année 1795, à labourse de Paris, unlouis d'or peut s'échanger jusqu'à5 000 livres en assignats, ce qui permet à tous ceux qui ont un correspondant hors de France de spéculer en rapatriant la« bonne monnaie »[18]. Joséphine parvient à rembourser ses dettes et celles de son mari tout en augmentant son train de vie. Elle loue alors une maison de larue Chantereine à Paris (actuellement 50 rue des Victoires), où elle peut mener une existence raffinée sans pour autant supporter les charges financières d'un véritable hôtel particulier[a 11]. Joséphine profite également du fait que certains bailleurs choisissent de renoncer à leur loyer plutôt que de recevoir de la monnaie dépréciée : c'est ainsi qu'elle conserve la jouissance de sa maison de campagne deCroissy-sur-Seine[19], actuellement 6bis Grande rue. Désormais rétablie financièrement, Joséphine choisit de donner une solide éducation à ses enfants en les envoyant en pension dans des établissements deSaint-Germain-en-Laye. Ainsi,Eugène est accueilli au collège irlandais tenu par l'abbé Mac Dermott, tandis queHortense entre chezMadame Campan, l'anciennePremière femme de Chambre de la reineMarie-Antoinette[a 12].
En parallèle, Joséphine poursuit son ascension au sein de la société parisienne, insouciante, extravagante et joyeuse, qui se développe dans le cadre de laconvention thermidorienne. Proche deJean-Lambert Tallien, qui lui vient en aide dans diverses affaires, elle se lie d'amitié avec l'épouse de ce dernier,Thérésa. Inséparables, les deux femmes rivalisent d'élégance dans les salons. Elles incarnent et influencent fortement la mode de leur époque, se plaçant en tête de celles qu'on a appelées lesMerveilleuses[a 13]. Certains de ses biographes, comme Françoise Wagener ouAndré Castelot, la révèlent à cette époque comme une veuve joyeuse, ce que réfute un autre historien,Pierre Branda, en la présentant« plus volontiers comme une élégante raffinée qu'enmuscadine dévergondée »[a 14]. Si la rumeur prétend qu'elle collectionne les aventures amoureuses, parmi lesquelles sa relation avec le généralHoche, qui semble attestée entre 1794 et 1795[a 12], la fréquentation de l'un des hommes forts du régime,Paul Barras, vient renforcer sa réputation d'intrigante. Nommé comme l'un des cinq Directeurs par laconstitution du 22 août 1795, ce dernier se plaît à vivre en seigneur aupalais du Luxembourg qui devient un des hauts lieux de la vie mondaine. Barras et Joséphine deviennent très intimes, au point qu'on leur prête une relation amoureuse[a 15].
Durant cette période, Joséphine néglige ses enfants, qui le lui reprochent dans des lettres envoyées depuis les pensionnats où ils sont placés. Euphémie ajoute ses propres reproches à ceux d'Eugène et Hortense, qu'elle s'efforce de réconforter et de visiter[11].
Portrait de Joséphine dont les dents prématurément gâtées l’incitent à produire son fameux demi-sourire[20].
La première rencontre entre Joséphine etNapoléon Bonaparte, un officier militaire alors en disponibilité, a lieu au mois d'août 1795 dans le salon deThérésa Tallien, sans qu'aucun des deux ne prête une attention particulière à l'autre parmi les différents convives[a 16]. Selon de nombreuses sources, ils sont finalement présentés par le DirecteurPaul Barras au cours d'un dîner qu'il organise dans son propre hôtel le suivant[21]. Dans sonexil à Sainte-Hélène vingt ans plus tard, Napoléon lui-même livre une autre version de cette rencontre. À la suite de l'insurrection royaliste du 13 vendémiaire, où il se distingue en réprimant sévèrement les insurgés, un décret est signé pour interdire aux Parisiens de conserver des armes à leur domicile. Dans les jours qui suivent, le jeuneEugène de Beauharnais s'adresse directement à Napoléon pour que lui soit restitué le sabre deson père, alors saisi parmi d'autres armes. Touché par sa démarche, Bonaparte accepte. Dès le lendemain, Joséphine se déplace chez le général pour le remercier de sa bienveillance. À son tour, Napoléon demande à être reçu chez Joséphine et ses visites deviennent de plus en plus fréquentes. Cette version est attestée par les enfants de Joséphine, Eugène etHortense, de même que par Barras[a 16].
Dès les premiers temps de leur relation, Napoléon se montre particulièrement passionné. Très épris, jaloux et possessif, il adresse de nombreux courriers à sa promise qu'il appelle le premier Joséphine, transformant ainsi son deuxième prénom[22],[Note 5]. Dans la soirée du[23], Joséphine et Napoléon se marient civilement à l'hôtel de Mondragon, siège de la deuxième municipalité de Paris. La famille Bonaparte n'est pas avertie de cette union, célébrée par le commissaire Collin-Lacombe devant un nombre réduit de témoins, dontBarras,Jean-Lambert Tallien, Etienne Calmelet etJean Le Marois, aide de camp du général. À cette occasion, les deux époux falsifient leur état civil : Joséphine se rajeunit de quatre ans et Napoléon se vieillit d'une année, ce qui ramène à un an seulement leur différence d'âge[a 17]. Joséphine reçoit en cadeau de noces une bague en émail noir portant la légende « Au destin »[24]. Si la précipitation du mariage étonne, elle s'explique par le départ imminent de Bonaparte, nommé général en chef de l'armée d'Italie le précédent, mais certains auteurs évoquent une possible grossesse de Joséphine qui aurait poussé les deux amoureux à régulariser leur situation[a 18].
Après le départ du général pour l'Italie, celui-ci adresse à sa femme des billets déchirants et enflammés pour lui témoigner sa passion, tandis qu'en retour, Joséphine se montre moins exaltée. Cela irrite fortement Napoléon qui lui en fait le reproche, de même que pour la fréquence selon lui trop rare de ses envois. Il l'accuse également de continuer sa vie mondaine tandis que lui se morfond dans son quartier général. La renommée qu'acquiert Bonaparte au fil de ses victoires profite à Joséphine qui étend ses réseaux à Paris, sa conversation étant de plus en plus recherchée dans les salons[a 19]. Dès la signature de l'armistice de Cherasco qui suit la défaite des troupes duroi de Sardaigne, Napoléon supplie Joséphine de le rejoindre mais sa demande reste dans un premier temps sans réponse, ce qui provoque en lui un profond désarroi. Préférant rester à Paris, Joséphine met en avant sa grossesse pour refuser ce voyage. Dans le même temps, Napoléon demande auDirectoire d'autoriser le départ de sa femme alors que les territoires conquis sont désormais suffisants pour assurer sa sécurité, ce qui lui est accordé le. Finalement, Joséphine accepte de rejoindre son mari et prend la route trois jours plus tard[a 20]. Elle laisse à Euphémie la gestion de son hôtel particulier qu'elle faisait remettre en état, ainsi que ses enfants[11].
C'est à son frèreJoseph que Napoléon confie le soin de conduire Joséphine à ses côtés[25]. Une suite nombreuse les accompagne, notamment le jeune officierHippolyte Charles, réputé pour avoir dès lors été son amant, ce qui semble peu probable selon des historiens commeThierry Lentz etPierre Branda, dans la mesure où Joseph ne s'est éloigné que rarement de sa belle-sœur et voyageait dans la même voiture qu'elle, en compagnie de Charles et du colonelJunot[a 21],[25].
Les honneurs qu'on témoigne à Joséphine et les réceptions qui rythment son trajet vers l'Italie montrent toute l'importance qu'elle représente sur le plan protocolaire en sa qualité de femme du général victorieux. ÀTurin, capitale duroyaume de Sardaigne elle est notamment reçue à dîner par le couple royal. Pour autant, ce voyage est pour elle des plus éprouvants. Dans sa correspondance avecMadame Tallien, elle évoque une« douleur de côté » continue et la fièvre qui ne la quitte pas[a 21]. Selon le docteur Alain Goldcher, ces douleurs seraient dues à unesalpingite, consécutive à une infection urinaire banale qui aurait entraîné une fausse couche et serait la cause de la stérilité de Joséphine[26].
Le convoi, en Lombardie, atteintMilan le mais ce n'est que quatre jours plus tard que Napoléon rejoint sa femme pour ne rester finalement que deux jours à ses côtés. Très occupé par les opérations militaires en cours, il doit souvent s'absenter et leurs entrevues ne durent pas plus de quelques jours. À chaque nouvel éloignement, chacun des deux époux démontre sa jalousie et soupçonne l'autre d'adultère dans des lettres parfois incendiaires[a 22].
Le, Joséphine rejoint le général àBrescia, à la demande de ce dernier. Une réception est donnée en leur honneur, mais devant la menace d'une offensive autrichienne, Joséphine est priée de se réfugier àVérone, où elle se rend aussitôt. Pendant deux jours, elle loge dans la maison queLouis XVIII occupait durant son exil, quelques mois plus tôt. Deux jours plus tard, tandis que les troupes du feld-maréchalWurmser approchent de la ville, Joséphine doit à nouveau s'enfuir pour rejoindreMilan. Elle fait étape dans la place forte dePeschiera où legénéral Guillaume, commandant la ville, ne peut garantir sa sécurité et lui demande de partir au plus vite. Joséphine se montre inflexible et refuse de quitter la ville tant qu'elle ne reçoit pas des instructions claires de la part de son mari. Le lendemain,,Junot arrive à la tête d'un détachement dedragons, porteur d'une lettre de Bonaparte enjoignant Joséphine de le rejoindre àCastelnuovo. Elle se met aussi en route, avec sa suite, mais dès la sortie de la ville, le convoi essuie le feu d'une chaloupe canonnière autrichienne. Deux dragons sont blessés mais Junot parvient à mettre tout le monde en sécurité. Le soir même, à Castelnuovo, le couple Bonaparte se retrouve et Napoléon décide d'envoyer Joséphine àLucques, loin de la zone des combats[a 23].
Pendant cette nouvelle séparation, les relations se tendent entre Joséphine et son mari. L'affairiste Antoine-Romain Hamelin, qui l'accompagne fréquemment lors de ses déplacements en Italie, évoque à ce moment une nouvelle liaison avec l'officierCharles[27]. Une violente dispute éclate entre les deux époux au mois de novembre suivant : alors que Napoléon s'empresse de gagnerMilan après sa victoire lors de labataille du pont d'Arcole pour y rejoindre Joséphine, celle-ci se trouve finalement àGênes où elle a décidé de passer quelques jours sans le prévenir[a 24].
Pour autant, le rôle de Joséphine prend une nouvelle dimension lors de ce séjour en Italie. Fort de ses succès, Napoléon façonne alors un nouveau personnage : il se comporte en véritable souverain en Italie et construit notamment son image politique par la diffusion de deux journaux,Le Courrier de l'armée d'Italie etLa France vue de l'armée d'Italie, deux feuilles qu'il contrôle et dont il assure parfois l'écriture. Dans cette optique, le rôle de Joséphine devient central : elle seule« triomphant de son invincible époux », elle apparaît désormais comme un personnage dont l'emprise est réelle sur son mari, ce qui tend à rassurer l'opinion. Bonaparte se sert ainsi de l'image de sa femme dans le jeu de pouvoir qu'il organise, comme le soulignePierre Branda :« Tandis qu'il fascinait et inquiétait par son allure martiale, Joséphine rassurerait les âmes effrayées et emporterait les cœurs.[a 25] » Malgré ce rôle de représentation, Joséphine s'ennuie éperdument en Italie et ne cache rien de sa peine dans la correspondance qu'elle entretient avec ses amis :« Eh bien, je préfère être simple particulière en France. Je n'aime point les honneurs de ce pays-ci. Je m'ennuie beaucoup. » Son exil se prolonge néanmoins puisque Bonaparte refuse son retour en France, un retour qui n'est rendu possible que par la signature dutraité de Campo-Formio, qui met fin à lacampagne d'Italie, le suivant[a 26].
De retour en France, les Bonaparte jouissent d'une popularité certaine et le prestige des victoires militaires de Napoléon rejaillit tout autant sur Joséphine. Le, un bal somptueux est donné en son honneur parTalleyrand au siège duministère des Relations extérieures. Mais la campagne d'Italie modifie leurs rapports au sein du couple : dans l'intimité, Napoléon« règn[e] sans partage » et accapare notamment l'hôtel particulier de Joséphine,rue de la Victoire[Note 6], dont il fait son quartier général. Il se rapproche également des enfants de Joséphine, notamment d'Eugène qu'il prend sous son aile au sein de l'armée d'Italie. Contrainte de s'effacer derrière son mari, Joséphine semble, en apparence, se contenter de son rôle, mais son désir d'indépendance est alors plus fort[a 27]. En parallèle, sa relation amoureuse avecHippolyte Charles, jusqu'alors soupçonnée, est désormais avérée. Elle explique également le retour tardif de Joséphine à Paris : alors que le traité de paix est signé le, elle ne rentre en France qu'à la fin du mois de décembre afin de rester auprès de son amant toujours en poste dans la péninsule. Les lettres qu'elle lui adresse régulièrement au cours de l'année 1798, révélées par l'historien Louis Hastier dans son ouvrageLe Grand Amour de Joséphine, témoignent de son attachement et des sentiments passionnés qui l'habitent. Mais au delà de la relation amoureuse, Joséphine s'associe également à Charles dans les affaires : à sa demande, elle appuie l'attribution du contrat de fournitures des armées à l'entreprise des frères Bodin, originaires de laDrôme comme le jeune officier[a 28].
Au début du mois de mai suivant, Joséphine et Euphémie suivent Napoléon àToulon où ce dernier s'embarque pour lacampagne d'Égypte, avant d'aller prendre les eaux àPlombières, dans lesVosges, dont les eaux sont alors réputées comme un remède à l'infertilité[a 29],[11]. Le, elle y est victime d'un accident grave : le balcon sur lequel elle est installée en compagnie de son amie, madame de Cambis, et de deux militaires, s'affaisse sous le poids de ses occupants, ce qui entraîne leur chute. Blessée à la clavicule et fortement contusionnée, Joséphine doit rester alitée pendant plusieurs jours[a 30],[28]. À sa demande, Euphémie va chercher Hortense à Paris, où ces dernières rentrent deux mois plus tard[11]. Joséphine ne rentre à Paris que le et doit renoncer à rejoindre Napoléon en Égypte après le désastre que connaît la marine française lors de labataille d'Aboukir et qui condamne toute tentative de liaison maritime avec la France. C'est en Égypte que Napoléon apprend l'adultère de Joséphine. Son frèreJoseph l'en avait pourtant averti quelques mois plus tôt à Paris, mais il refusait de le croire[a 31]. Hors de lui, il envisage un temps le divorce[29],[30], puis se console dans les bras d'une maîtresse,Pauline Fourès, la femme d'un officier de chasseurs à cheval[a 31].
À Paris, les relations entre Joséphine et sa belle-famille se dégradent fortement : chacun de ses membres refuse les invitations à dîner qu'elle leur envoie[a 31]. L'aventure amoureuse entre Joséphine et Hippolyte Charles prend fin, probablement du fait de ce dernier, au début de l'année 1799[a 29].
Le suivant, sur les conseils du maire de CroissyJean Chanorier, elle fait l'acquisition duchâteau de Malmaison, propriété du banquierJacques-Jean Le Couteulx du Molay, pour la somme de 325 000 francs[31]. En attendant le retour de son mari, elle s'y retire pendant quelques semaines afin de lui montrer l'image d'une« épouse attentionnée et patiente »[a 32].
À son retour d'Égypte, Bonaparte est résolu à divorcer, mais il y renonce finalement par attachement àHortense etEugène, et suivant les conseils de quelques proches, dontBarras et le munitionnaireCollot[32],[a 33].
Dès le retour de Napoléon, la maison de larue de la Victoire devient le centre des réunions qui préparent lecoup d'État du 18 Brumaire[33]. Joséphine se retrouve, de fait, au cœur des intrigues. Bien qu'elle soit proche des membres du pouvoir en place, notamment les directeursBarras etGohier, qui lui fait la cour, elle choisit de rallier la cause de son mari[a 34]. L'historienne Françoise Wagener évoque un nouveau« pacte » scellé entre les deux époux[34]. Si son rôle demeure secondaire dans la préparation du coup d'État, elle accompagne Bonaparte dans chacune de ses sorties et active ses différents réseaux pour obtenir des informations[a 34].
Après l'avènement duConsulat et la nomination de Napoléon comme Premier consul en, le couple Bonaparte s'installe auPalais du Luxembourg, mais Bonaparte trouvant le logis trop exigu, il prend finalement ses quartiers auchâteau des Tuileries à partir du. Joséphine ne s'y plait guère, trouvant le lieu sinistre. Très occupé par son travail à la tête de l'exécutif, Napoléon est peu présent aux côtés de sa femme et ne prend qu'à peine le temps de manger avec elle. Joséphine ne cache pas son ennui, aussi bien aux Tuileries que dans leur domaine de laMalmaison, où le couple séjourne habituellement du vendredi au lundi midi[a 35]. De même, Napoléon s'évertue à la tenir à l'écart de toutes les questions politiques, dont elle s'informe néanmoins par le biais de ses réseaux, notamment les ministresTalleyrand etFouché[a 36].
Le Premier Consul entend néanmoins se servir de Joséphine dans sa stratégie de pouvoir et afin de renforcer son emprise sur la société. Il lui attribue ainsi un rôle officieux : outre le fait d'accompagner Napoléon dans la plupart de ses déplacements officiels, une obligation protocolaire impose dès lors aux membres du corps diplomatique de rendre visite à Joséphine en sortant des audiences officielles avec Bonaparte. Tout comme son influence grandit, la place de Joséphine gagne en importance au sein du palais gouvernemental, au point que l'historienPierre Branda la qualifie de« consulesse ». Celle-ci prend peu à peu des allures de souveraine, plus encore après la déclaration du Consulat à vie en 1802[a 36].
Par ailleurs, Joséphine intervient personnellement pour favoriser le retour de certaines famillesémigrées, ce qui fait dire à l'historienFrédéric Masson, à propos de la commission chargée d'examiner les demandes de radiation de la liste des émigrés :« Impossible d'ouvrir un dossier d'émigré, surtout d'émigré qualifié, sans y trouver une note ou un billet de Mme Bonaparte[35]. » De même, dans les premiers mois duConsulat, elle s'entretient régulièrement avec des proches du futurLouis XVIII et de son frère lecomte d'Artois. Elle se montre favorable à une restauration des Bourbons et cherche à convaincre son mari d’œuvrer en ce sens, en vain[a 37]. Son attachement à la noblesse transparaît également dans la défense duduc d'Enghien, qu'elle tente de sauver alors que celui-ci est accusé de comploter contre Bonaparte et d'avoir cherché à l'assassiner[36]. À l'inverse, et contrairement à une idée largement répandue, son influence dans le rétablissement de l'esclavage dans les colonies françaises est négligeable, comme le souligne Pierre Branda[a 38] :« Fille des îles, une légende tenace lui attribue notamment la responsabilité du rétablissement de l'esclavage dans les colonies. Compte tenu de sa proximité avec les Antilles, il semblerait en effet logique qu'elle ait tenté d'influencer Bonaparte sur ce sujet. Rien ne permet toutefois de l'affirmer. Au contraire, il semble même qu'elle s'en soit sinon désintéressée, du moins fort peu préoccupée. Quel pouvait être son intérêt ? Sauver la rentabilité des domaines familiaux ? En aucune façon. »SelonPatrice Gueniffey, l'impératrice n'aurait joué aucun rôle dans cette affaire[37]. Pourtant Joséphine est proche, à Paris, du cercle des grands propriétaires créoles réunis dans leclub de Clichy[38], dont l'un des membres,Louis-Narcisse Baudry des Lozières, lui dédie, en 1802,Les Égarements du nigrophilisme[39]. Cependant, faute de preuves écrites, les historiens restent divisés sur la question[38].
Tandis que le pouvoir de Bonaparte s'étend de plus en plus, les rapports entre Joséphine et sa belle-famille ne cessent de se dégrader. Le clan Bonaparte n'accepte pas les bontés attribuées par Napoléon aux enfants du premier mariage de Joséphine, mais plus encore, c'est la question de l'hérédité qui devient un sujet d'affrontement récurrent entre eux : puisqu'elle ne semble pas en mesure de donner des enfants au Premier consul, les frères de ce dernier cherchent à le convaincre de divorcer[a 39]. Pour se sortir du« piège de l'hérédité », Joséphine favorise alors le mariage de sa filleHortense avec le frère cadet de Napoléon,Louis Bonaparte. Cette solution présente le double avantage de préserver sa place tout en assurant l'avenir du régime. En adoptant les enfants à naître de Louis et Hortense, Joséphine et Napoléon tiendraient alors leur héritier naturel[a 40].
Aimant les beaux atours, elle fait partie des quelques femmes qui déterminent les tendances de la mode (robes de mousseline ou de linon, châles en cachemires, robe-chemise), les créateurs de mode n'ayant pas encore cette influence à cette époque[40].
Le, leSénat vote l'instauration du gouvernement impérial, proclamant Napoléon empereur héréditaire des Français. Lanouvelle constitution fait peu de cas du statut de l'impératrice. L'article 18, en fixant les conditions de la régence, exclut qu'elle puisse l'exercer, contrairement à l'usage répandu sous l'Ancien Régime. Pour autant, sa position est sécurisée par l'article 15 qui précise que l'empereur peut fixer le douaire de l'impératrice et l'assigner sur la liste civile, tout en stipulant que ses successeurs ne pourront rien changer à ces dispositions. Cet article assure ainsi l'avenir de Joséphine qui peut espérer jouir de revenus confortables en cas de répudiation, ou bien après la mort de l'empereur[a 41].
Afin de conforter sa légitimité, Napoléon décide de se faire sacrer le2 décembre 1804. Malgré les protestations de sa famille, il choisit de couronner également Joséphine lors de cette cérémonie dans lacathédrale Notre-Dame de Paris. Elle devient donc la première souveraine française à recevoir cet honneur depuisMarie de Médicis en 1610. Pour le clan Bonaparte, l'humiliation est totale puisque les trois sœurs de Napoléon sont contraintes de soutenir le manteau de l'impératrice pendant la cérémonie[a 42]. Joséphine remporte une autre victoire symbolique en obtenant la bénédiction nuptiale de son mariage, ce qui rend en principe plus difficile un divorce. À l'arrivée du papePie VII en France pour assister au sacre, elle lui révèle au cours d'une audience qu'elle n'est mariée que civilement avec l'empereur, celui-ci s'étant toujours opposé au mariage religieux. Le pape annonce immédiatement à Napoléon son refus de consacrer une union républicaine. Le mariage religieux est donc célébré en urgence auxTuileries par le cardinalJoseph Fesch, oncle de l'empereur, à la veille du sacre[41],[a 42].
Le couronnement de Joséphine renforce le prestige et le cérémonial qui entoure sa fonction. Elle bénéficie dès lors d'une Maison de l'impératrice, rassemblant quarante-trois officiers et directement rattachée à laMaison de l'Empereur[a 43]. Dans les préséances à la Cour, Napoléon et son épouse sont traités sur le même pied, mais celle-ci doit se tenir à l'écart de tout sujet politique, comme le confie lacomtesse de Rémusat, l'une de ses dames du palais :« Elle recevait beaucoup de monde, avec bonne grâce, et se faisait remarquer par l'insignifiance prescrite et bienveillante de ses paroles[42]. » De même, la presse contrôlée par l'État fait peu de cas de l'impératrice. Dans les colonnes des journaux, elle apparaît principalement dans les moments de doute, pendant les campagnes militaires de l'empereur, où la figure tutélaire et respectée de sa majesté doit rassurer l'opinion[a 44].
Comme sous leConsulat, l'un des seuls pouvoirs non officiels de Joséphine est celui de nomination : elle facilite ainsi la carrière d'un grand nombre de ses amis, souvent pour leur obtenir un grade d'officier. Selon différents historiens, plusieurs centaines d'hommes ont pu bénéficier de ses largesses tout au long du règne de Napoléon[a 45]. De même, elle participe au renouveau de lafranc-maçonnerie que l'empereur entend contrôler. Joséphine s'emploie notamment à« ranimer l'activité des loges dites d'adoption, essentiellement féminines et tournées vers la charité avec ostentation[a 45]. »
Après le couronnement, Euphémie devient gênante pour Napoléon, en raison des rumeurs, justifiées ou non, sur la parenté entre elle et son épouse. De plus, l'empereur tient Euphémie pour responsable des dons importants que fait Joséphine, qui sait se montrer prodigue envers les personnes moins favorisées. L'impératrice lui fait épouser Lefebvre, son valet de chambre, qui fut aussi au service de l'empereur et avait accompagné Eugène en Égypte. Le vieux domestique avait développé une affection pour le prince français aussi importante que celle d'Euphémie, ce qui les avaient rapprochés[11].
Original de la lettre de l'impératrice Joséphine en date du 15 décembre 1809, par laquelle elle consent à la dissolution de son mariage.Archives nationales.Le divorce de l'Impératrice Joséphine, 15 décembre 1809, parHenri-Frédéric Schopin.
L'absence de naissance dans le couple Bonaparte devient une affaire d'État à mesure que Napoléon renforce son pouvoir. Dans le même temps, l'empereur multiplie les infidélités, notamment avecÉléonore Denuelle de La Plaigne, la lectrice de sa sœurCaroline, qui donne naissance le aupremier fils naturel de Napoléon[a 46], qu'il choisira de prénommer « Léon », diminutif de son propre prénom. La position de Joséphine devient d'autant plus fragile que le petitNapoléon-Charles, fils d'Hortense et Louis Bonaparte et considéré implicitement comme l'héritier du trône impérial, meurt ducroup le suivant. Désormais convaincu de sa capacité d'être père, Napoléon souhaite un héritier légitime : un divorce pour raison d'État semble inéluctable[a 47].
Joséphine se retire au château de Navarre, puis auchâteau de Malmaison qu'elle a acheté en1799 et reçoit, au printemps1814, les monarques européens vainqueurs de Napoléon.
Dépensière, toujours endettée, extrêmement coquette (elle possède des centaines de robes fournies par le marchand de modesLeroy, de chaussures ou de bijoux), elle continue après son divorce à bénéficier des largesses de Napoléon, comme l'atteste soninventaire après décès[45]. En dix ans, il lui donne plus de trente millions. Malgré cela, elle est en quasi-faillite cinq ou six fois et Napoléon chaque fois, quoique rechignant, apure ses comptes[46].
Bien que sujette à de nombreux malaises, elle accepte de recevoir le tsarAlexandreIer dans lechâteau de Saint-Leu, propriété de sa fille Hortense, le. Elle contracte unepneumonie qui l’emporte le vers midi, dans sa grande chambre duchâteau de Malmaison, à l'âge de 50 ans. Les médecins pratiquant l'autopsie confirment la pneumonie accompagnée d'une angine gangréneuse[47].
Les funérailles solennelles ont lieu le2 juin avec la plus grande pompe, dans la modeste et petite église du village de Rueil[48]. Joséphine est inhumée en l'église Saint-Pierre-Saint-Paul deRueil-Malmaison, d'abord dans un caveau provisoire dans la cave du presbytère. Ce n'est en effet que le que ses cendres sont transférées dans le tombeau commandé par ses deux enfantsEugène etHortense, ces derniers passant plus de dix ans à lever les obstacles auprès des autorités pour faire ériger ce mausolée. Son monument funéraire, œuvre de l'architecteLouis-Martin Berthault et du sculpteurPierre Cartellier, est surmonté d’une effigie en marbre deCarrare de Joséphine dans la même attitude que dans le tableau duSacre deDavid. Berthault construit quatrecolonnes ioniques supportant une voûteplein cintre. Cartellier sculpte la statue de Joséphine enorante et en costume de cour, disposant habilement le peigne de sa coiffure de manière à simuler le diadème, alors que legouvernement de la Restauration avait défendu de représenter Joséphine avec aucun des attributs impériaux[49].
En Martinique, Joséphine de Beauharnais est perçue comme la fille des colons, desBékés, et soupçonnée d'avoir incité l'Empereur àrétablir l'esclavage en 1802. En 1991, la statue est décapitée par un groupe d'inconnus. La statue n'a pas été restaurée et est restée en l'état[50], jusqu'à sa destruction en 2020 par des manifestantsanticolonialistes[51],[52]. Ce courant de pensée marginal est attribué à l'ignorance par l'historienPatrice Gueniffey, qui considère que Joséphine de Beauharnais« ne fut pour rien dans le rétablissement de l’esclavage aux colonies par Bonaparte en 1802 », mais que celui-ci s'explique par des considérations de politique étrangère vis-à-vis de l'Angleterre[37]. Par ailleurs, d'après l'historien guadeloupéenHenri Bangou, son esclavagisme et sa négrophobie restent à démontrer. D'après lui, sous le Directoire, elle a correspondu avecToussaint-Louverture, détentrice d'une propriété àSaint-Domingue, elle lui demanda de la protéger, requête à laquelle il accéda[53].
Passionnée de botanique, Joséphine contribue à introduire de nombreuses espèces florales en France, notamment des plantes d'origine subtropicale dans ses serres chaudes du château de la Petite Malmaison[56]. L'impératrice est à l'origine de la première impulsion quant à l'acclimatation de végétaux exotiques sur laCôte d'Azur. Elle entreprend une correspondance suivie avec le préfet desAlpes-Maritimes,M.-J. Dubouchage et envoie sur laCôte d'Azur de nombreuses plantes en provenance de La Malmaison[57].
Bénéficiant de l’aide de l’État, et étant nostalgique des végétaux exotiques de LaMartinique, elle réunit dans les serres de son château de la Malmaison de nombreuses plantes étrangères remarquables. Joséphine est ainsi à l’origine de l’introduction d’espèces nouvelles dans les Alpes-Maritimes, plantées dans lejardin botanique créé en septembre 1801 dans l’enceinte de l’École centrale du département, quartier Saint-Jean-Baptiste àNice, sous l’égide de la Société d’agriculture des Alpes-Maritimes. Cejardin botanique comprend deux parties dont l’une, d’une surface de 30 perches est destinée « à cultiver et à acclimater des plantes exotiques » et l’autre, d’une surface de 25 perches, comprend une grande serre.
Entre1803 et 1814, Joséphine envoie des botanistes à travers le monde pour enrichir la collection de sa roseraie de la Malmaison qui rassemble plus de 242 cultivars dont 167roses galliques. Malgré le blocus, le pépiniéristeJohn Kennedy traversait laManche pour la fournir en roses. Sa roseraie comprenait desgallica, desmoschata et desdamascena mais aussi deschinensis et de nouvelles espèces. Les collections de la Malmaison ont été un trésor pour les pépiniéristes français. Leur catalogue de1791 comportait 25 espèces, celui de1829 en comptait 2 562 dont beaucoup sans grand intérêt ont rapidement disparu.
Lama présent dans la ménagerie de Joséphine et qui a été étudié par les professeurs du Muséum national d'histoire naturelle.
Dans le désir de faire de laMalmaison un véritable « jardin des Délices », Joséphine y introduisit également des oiseaux et des mammifères exotiques. Grâce à la nouvelle notoriété du couple Bonaparte, les animaux étaient soit envoyés à Paris en guise de cadeaux diplomatiques soit rapportés desguerres napoléoniennes tels des trophées[58]. La ménagerie de Joséphine ne s’inscrivait pas exclusivement dans des préoccupations d’apparat, mais également scientifiques. En effet, l’Impératrice entretenait d’étroites relations avec les professeurs duMuséum national d’histoire naturelle que ce soit pour l’échange d’espèces[59] ou pour faire de ces animaux des objets d’étude au service de l’histoire naturelle[60].
À l’inverse de laménagerie de Versailles, théâtrale et fastueuse, celle de Joséphine demeurait modeste. Surtout, les animaux n’étaient point enfermés dans des enclos mais évoluaient librement dans le parc[61], s’inscrivant dans l’idée dujardin à l’anglaise qu’était le parc de la Malmaison sous lePremier Empire[62].
↑Cette manière de faire est habituelle pour Napoléon qui agissait de même avecDésirée Clary, son premier amour, qu'il appelait Eugénie. VoirBranda 2020,p. 111.
↑La rue Chantereine est renommée rue de la Victoire à la fin de l'année 1797 en hommage à la campagne victorieuse de Napoléon.
↑Jean-Claude Fauveau,Joséphine l'impératrice créole : L'esclavage aux Antilles et la traite pendant la Révolution française,Éditions L'Harmattan,,p. 69.
↑Mathieu-Mathurin Tabaraud,Du divorce de Napoleon Buonaparte avec Joséphine, veuve Beauharnais, et de son mariage avec Marie-Louise, archiduchesse d'Autriche, Egron,,p. 5.
↑Recueil général des lois et des arrêts, volume 38, Bureaux de l'Administration du recueil,,p. 76.
↑Serge Grandjean,Inventaire après décès de l'impératrice Joséphine à la Malmaison, RMN,, 295 p..
↑Napoléon Joseph Ernest baron de Méneval,L'impératrice Joséphine,Calmann-Lévy,,p. 320.
↑Nathalie Sarrabezolles, « Un monument de piété filiale : le tombeau de Joséphine de Beauharnais à Rueil-Malmaison »,Livraisons d'histoire de l'architecture,vol. 4,no 4,,p. 131-142.
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Jean-Claude Fauveau,Joséphine l'impératrice créole. L'esclavage aux Antilles et la traite pendant la Révolution française, Paris, L'Harmattan, 2010, 390 p.(ISBN978-2-296-11293-3).
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CharlesLambolez,Saint-Pierre -Martinique 1635-1902 : Annales des Antilles françaises – Journal et album de la Martinique, naissance, vie et mort de la cité créole – livre d’or de la charité, Paris-Nancy, Berger-Levrault & cie,, 509 p.(lire en ligne),p. 105 et 112