John Donne nait en1572 et est élevé au sein d’une famillecatholique. Son père, unforgeron se prénommant lui-même John, meurt en1576, laissant ses trois enfants et sa femme, Elizabeth. Celle-ci est la fille de l'écrivain et poèteJohn Heywood et d'Elizabeth Rastell, petite-nièce deSir Thomas More. En1593, Henry, le frère cadet de John, meurt defièvre en prison, où il a été enfermé pour avoir hébergé illégalement unprêtre. Son oncle,Jasper Heywood (1535-1598),prêtrejésuite, est condamné à l'exil sous peine de mort. Sous le règne d’ÉlisabethIre, lapersécution généralisée descatholiques, tant physique que financière, est en effet monnaie courante.
Ayant l'ambition de faire carrière dans les services de l'État, il commence des études de droit àThavies Inn en1591 et suit des études à l’université d'Oxford (à Hart Hall, qui deviendraHertford College) et à l’université de Cambridge, sans toutefois pouvoir obtenir un diplôme en raison de sa religion catholique. Dans lesannées 1590, avant ou peu après la mort de son frère, John Donne se convertit à l’anglicanisme.
Il a par ailleurs l’occasion de voyager sur le continent et, en1596-97, accompagne lecomte d’Essex dans une expédition àCadix et auxAçores.
En1598, il devient le secrétaire duGarde des SceauxThomas Egerton (lord Ellesmere). Bien qu'il soit très estimé par son protecteur, celui-ci le congédie en1601, pour avoir épousé en secret sa nièce, Ann More, mariage auquel la famille du lord s'oppose.
Destitué, un temps emprisonné, Donne partage alors avec sa femme, qui lui donne douze enfants, quatorze années difficiles où se succédent en vain les œuvres de circonstance pour gagner la faveur de personnages influents.
Ordonnéprêtre en1615, il devientprédicateur àLincoln's Inn (1616-1621), poste qu'il abandonne après avoir été nommé doyen de lacathédrale Saint-Paul (1621). Donne acquiert, grâce à sesSermons, dont 160 sont recueillis, une grande renommée. En1617, la mort de sa femme accroît son obsession de la mort mais aussi sa ferveur religieuse. Il meurt en février 1631 après avoir prononcé devantCharlesIer sa dernière prédication, « le Duel de la mort ».
John Donne est l’un desprédicateurs les plus estimés de son temps, mais aussi l’un des plus grands poètes non dramatiques. Il compose surtout despoèmes d’amour et dessonnets d'inspiration religieuse. SesHoly Sonnets publiés en 1635 sont mis en musique pour voix soliste et piano parBenjamin Britten en 1945 (pour 9 des 19 sonnets) puis par la compositrice américaineLouise Talma en 1951-1955.
La majeure partie de l'œuvre poétique de Donne (Satires,1595-98 –La Litanie,1609 –Élégies, Chants et Sonnets,1611 –Les Anniversaires,1611-12 –Le Nocturne,1612 –Les Lamentations de Jérémie,1631) suscite aussitôt l'étonnement et l'admiration de ses lecteurs par ses innovations formelles et thématiques. Métaphysique par excellence, la poésie de Donne cultive l'un des procédés fondamentaux de la poésie baroque, leconceit (qu'on peut traduire par « métaphore » ou « figure de rhétorique »), dont la présence systématique à la fin du poème déstabilise le lecteur et l'invite à ressaisir la forme du poème sous sa véritable forme. Leconceit – attesté enAngleterre auXIVe siècle au sens de « conception, notion, idée, pensée », puis, à partir de1530, au sens de l'italienconcetto, d’abord « concept » ou « pensée ingénieuse », puis « mot d’esprit » et « figure de rhétorique » – en rapprochant deux ordres de la réalité, matière et esprit, humain et divin, visible et invisible, projette l'esprit dans le monde de l'immédiateté, temporelle et spatiale, où la distance s'abolit dans le mouvement, et où l'éternité devient concrète.
Prenant le contre-pied d'une tradition qui a fini par désincarner l'amour, il célèbre l'amour charnel en disant les choses crûment, mais sans jamais exclure la dimension spirituelle de l'union des amants. Apprécié d'Alexander Pope (1688–1744), admiré deSamuel Taylor Coleridge (1772-1834), pour qui il est celui qui a su « tresser en lacs d'amour des tisonniers de fer », Donne est « redécouvert » auXXe siècle, notamment parEzra Pound etWilliam Butler Yeats. L'exemplarité de l'œuvre poétique de John Donne, en particulier sur les rapports étroits entre le religieux et le profane, le corps et l'âme qui habitent ces vers complexes et directs, d'une fulgurante intelligence, marque aussi lepoète,dramaturge, etcritiquemodernisteanglo-américainT.S. Eliot (prix Nobel de littérature en1948), qui a remis au goût du jour les poètes métaphysiques anglais duXVIIe siècle. Celui-ci voit dans cette poésie érudite et brillante un moment où la « dissociation de la sensibilité », qui va devenir la ligne de partage de la modernité, ne s'est pas encore opérée.« Une pensée, pour Donne, était une expérience », dit T.S. Eliot.
« Nul homme n’est une île, un tout en soi ; chaque homme est part du continent, part du large ; si une parcelle de terre est emportée par les flots, pour l’Europe c’est une perte égale à celle d’un promontoire, autant qu’à celle d’un manoir de tes amis ou du tien. La mort de tout homme me diminue parce que je suis membre du genre humain. Aussi n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. »
— Devotions upon Emergent Occasions, 1624
C'est l'un des textes les plus célèbres de lalittérature anglaise. Dire qu’ « aucun homme n’est uneîle » ne saurait faire une apologie ducollectivisme, comme certains[Qui ?] ont voulu le faire croire. C’est une constatation d’évidence. Tout homme est « une part de l’ensemble », grâce à quoi nous bénéficions du commerce et de la culture. « La mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain » : nous en tirons l’enseignement qu’agresser autrui est s’agresser soi-même, c’est une règle morale sans exception et à laquelle nous pouvons souscrire sans réserve, sans toujours voir cependant qu’elle nous impose d’être au service d’autrui.
L'œuvre de John Donne est imprégnée par sa hantise de la mort, souhaitée car elle relie enfin l'Être à l'éternité, ou redoutée car elle le précipite dans le néant.
« Quoiqu'il ne soit point douteux que l'Église chrétienne condamne lesuicide, il s'est trouvé des chrétiens qui ont voulu le justifier. De ce nombre est le docteur Donne, théologien anglais qui [...] entreprit de prouver que le suicide n'est point défendu dans l'Écriture sainte ». C'est en ces termes que l'Encyclopédie deDiderot etd'Alembert évoque, à l'article « suicide », leBiathanatos de John Donne. Dans ce texte qui fascineThomas de Quincey etBorges, Donne, invoquantla Bible, interprète comme une mort volontaire le sacrifice duChrist et estime nécessaire « d'encourager les hommes à un juste mépris de cette vie ».
SesŒuvres sont réunies àLondres en1839, en 6 volumes in-8.
Un colloque sur « La poésie métaphysique de John Donne » a lieu enjanvier 2002 à l'Université François Rabelais de Tours. Les « Actes du Colloque », organisé par leGroupe de Recherches Anglo-Américaines, sous la direction de Claudine Raynaud ont été publiés[5].
Ce n'est pas le jour qui perce ; c'est mon cœur qui est percé,
Parce que toi et moi devons nous séparer
Reste, ou sinon toute joie chez moi mourra
Et périra dans sa prime enfance.
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There shall be no cloud nor sun, no darkness nor dazzling, but one equal light, no noise nor silence, but one equal music, no fears nor hopes, but one equal possession, no foes nor friends, but an equal communion and identity, no ends nor beginnings, but one equal eternity[6].
↑ab etcdiscovery.nationalarchives.gov.uk (base de données en ligne),consulté le.
↑Citation complète en anglais : « No man is anIland, intire of it selfe; every man is a peece of theContinent, a part of themaine; if aClod bee washed away by theSea,Europe is the lesse, as well as if aPromontorie were, as well as if aMannor of thyfriends or ofthine owne were; any mansdeath diminishesme, because I am involved inMankinde; And therefore never send to know for whom thebell tolls; It tolls forthee. »
↑Donne dit bienbell et nonknell comme le souligne Franck Lemonde (Préface àMéditations en temps de crise, p. 13). Certains ont pu postuler aussi l'influence du texte d'Edmond Rostand,Cyrano de Bergerac sur le roman d'Hemingway. La fameusetirade du nez pourrait avoir été inspirée par des éléments de ce texte, alors même que le véritableCyrano, contemporain de John Donne, connaissait les œuvres de celui-ci.