Pour les articles homonymes, voirLa Bruyère.
| Nom de naissance | Jean de La Bruyère |
|---|---|
| Naissance | Paris, |
| Décès | (à 50 ans) Versailles, |
| Activité principale | |
| Autres activités | |
| Distinctions |
| Langue d’écriture | français |
|---|---|
| Mouvement | Classicisme |
| Genres |
Œuvres principales
Jean de La Bruyère, né le àParis[1] et mort le àVersailles[2], est unmoralistefrançais.
La Bruyère est célèbre pour une œuvre unique,Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle (1688). Cet ouvrage, constitué d’un ensemble de brèves pièces littéraires, compose une chronique essentielle de l’esprit duXVIIe siècle.
La Bruyère fut l’un des premiers écrivains à mettre en avant lestyle littéraire, en développant un phrasé rythmé dans lequel les effets de rupture sont prépondérants. Ce style incite à lalecture à haute voix, donnant ainsi à cette activité le statut de jugement moral grâce à l’effetrhétorique obtenu par la lecture orale sur les auditeurs. La Bruyère consacre au demeurant toute une section desCaractères aux effets pervers de l’éloquence. Nombre d’écrivains ont suivi le chemin stylistique tracé par La Bruyère : depuisMarivaux jusqu’àProust etAndré Gide, en passant parBalzac.
On a des raisons de penser que Jean de La Bruyère est né dans un village voisin deDourdan, où sa famille avait des attaches ; on a retrouvé son acte debaptême, qui établit qu’il a été baptisé le en l’église Saint-Christophe-en-la Cité, sur l’île de la Cité[1],[3]. Il est le fils aîné de Louis de La Bruyère, contrôleur général des rentes de l’Hôtel de Ville,bourgeois de Paris[2], et d’Élisabeth Hamonyn, fille d'un procureur auChâtelet. De nombreux documents attestent que l’écrivain appartient à une famille roturière du monde des procureurs[4]. Son trisaïeul paternel était Jean de La Bruyère,apothicaire dans la rueSaint-Denis ; mais, contrairement à ce qu’avait cruSainte-Beuve, son bisaïeul n’était pas le chefligueur Mathias de La Bruyère, lieutenant civil de laprévôté etvicomté de Paris, qui n’est qu’un homonyme : les origines de la famille de « La Bruyère ou Brière » sont à chercher du côté duPerche où un de ses ancêtres était paysan.
Il est vraisemblablement élevé à l’Oratoire de Paris, et obtient, à20 ans, le titre de licencié endroit à l’université d’Orléans, après la soutenance de ses thèses sur les tutelles et les dotations le. On a la preuve qu’il connaît legrec ancien, et l’allemand — ce qui est inhabituel à cette époque. Il revient vivre à Paris avec sa famille, dont la situation de fortune est modeste, et il est inscrit au barreau, mais plaide peu ou point. Il a longtemps été gêné financièrement ; il doit attendre l’héritage d’un oncle, en1673, pour pouvoir acheter une charge detrésorier général de France au bureau des finances de lagénéralité de Caen[5], charge qui lui apporte un revenu : elle valait une vingtaine de milliers delivres et rapportait environ12 350 livres par an ; elle conférait en outre l’anoblissement avec le titre d’écuyer.

Il effectue le voyage deNormandie pour son installation, en, puis, les formalités remplies, il retourne à Paris, et ne paraît plus à Caen. Il mène une existence de retraite studieuse, vivant petitement,rue des Augustins à Paris. En 1679, un vol de 2 500 livres dans son secrétaire le laisse sans ressources. Il s’engage alors comme précepteur chez le marquis de Soyecourt[Note 1]. Il vend sa charge en1686.
La Bruyère connaît ensuite une remarquable ascension sociale qui lui permet d’accéder aux hautes sphères de la société aristocratique française, et d’y obtenir une avantageuse protection. Depuis le, il est en effet l’un des précepteurs du jeuneduc de Bourbon — petit-fils duGrand Condé — ainsi que deMademoiselle de Nantes, fille naturelle deLouisXIV et deFrançoise de Montespan[2]. Cet emploi est confié à La Bruyère, d’après l’abbéd’Olivet, sur la recommandation deJacques-Bénigne Bossuet, « qui fournissait ordinairement aux princes, a ditFontenelle, les gens de mérite dans les lettres dont ils avaient besoin ». La Bruyère fréquentait en effet l’évêque deMeaux depuis quelques années. Il s’installe chez son nouveau maître, àl’hôtel de Condé, le[6].

Le jeune duc de Bourbon était alors âgé de16 ans, et il venait d’achever sa seconde année dephilosophie aucollège de Clermont, qui était dirigé par lesJésuites. C’est avec deux répétiteurs jésuites, les pères Alleaume et du Rosel, et avec lemathématicien Sauveur, que La Bruyère partage le soin d’achever l’éducation du jeune duc, auquel il est chargé d’enseigner, pour sa part, l’histoire, lagéographie et les institutions de la France. La tâche est ingrate et l’élève,épileptique et inappliqué, traverse parfois des crises redoutables. Condé suit de près les études de son petit-fils, et La Bruyère, comme les autres maîtres, doit lui faire connaître le programme de ses leçons et les progrès de son élève, qui, à vrai dire, était assez médiocre. Le, le duc de Bourbon épouseMlle de Nantes, qui est âgée de onze ans et dix mois ; La Bruyère est invité à partager ses leçons entre les deux jeunes époux. Le, leGrand Condé meurt àFontainebleau, et l’éducation du duc de Bourbon, devenuduc d’Enghien, est considérée comme terminée. La Bruyère reste néanmoins dans la maison de Condé en qualité de « gentilhomme ordinaire de Monsieur le Duc », chargé de la bibliothèque[2]. Il loge à l’hôtel du prince àVersailles, auPetit Luxembourg à Paris, et auchâteau de Chantilly[7]. Au sein de la maison des Condé, lamorgue et le goût de l’esprit sont poussés parfois jusqu’à la plus extrême cruauté, comme en témoigneSaint-Simon[7]. « Sa férocité était extrême et se montrait en tout. C’était une meule toujours en l’air, qui faisait fuir devant elle, et dont ses amis n’étaient jamais en sûreté, tantôt par des insultes extrêmes, tantôt par des plaisanteries cruelles en face, et des chansons qu’il savait faire sur-le-champ, qui emportaient la pièce et qui ne s’effaçaient jamais… Il se sentait le fléau de son plus intime domestique… »[8] La Bruyère, qui a naturellement l’humeur sociable et le désir de plaire, a dû souffrir de sa condition obscure et de sa position subalterne de « gentilhomme » domestique, qui lui imposait l’obligation de défendre sa dignité. Il évita néanmoins les persécutions auxquelles était en butte le pauvreSanteul, mais on sent l’amertume de l’amour-propre blessé dans les plus âpres passages de son chapitreDes Grands. Il visite plusieurs foisBoileau dans sa maison d'Auteuil, et lui fait lecture d'extraits du livre qu'il prépare, inspiré desCaractères deThéophraste. Boileau dira de lui : « C'est un fort honnête homme, et à qui il ne manquerait rien, si la nature l'avait fait aussi agréable qu'il a envie de l'être. Du reste, il a de l'esprit, du savoir et du mérite. »[9]
La première édition desCaractères paraît à Paris, chez Étienne Michallet, à l’automne de 1687, sous ce titre : lesCaractères de Théophraste, traduits du grec, avecles Caractères ou les Mœurs de ce siècle. L’ouvrage comptait cent pages de traduction et deux cents pages originales. Le nom de l’auteur ne figura sur aucune édition publiée de son vivant. Cette première édition qui contenait surtout des remarques, et presque point de portraits, connut un succès très vif tout de suite. Dès lors, la biographie de La Bruyère se confond à partir de 1688 avec la vie de son ouvrage[10]. Deux autres éditions parurent dans la même année 1688, sans que La Bruyère eût le temps de les augmenter notablement. En revanche, la4e édition (1689) reçut plus de trois cent cinquante caractères inédits ; la cinquième (1690), plus de cent cinquante ; la sixième (1691) et la septième (1692), près de quatre-vingts chacune ; la huitième (1693), plus de quarante, auxquels il faut ajouter leDiscours à l’Académie. Seule la9e édition (1696), qui parut quelques jours après la mort de La Bruyère, mais revue et corrigée par lui, ne contenait rien d’inédit[11]. La vente de son ouvrage n’enrichit point La Bruyère, qui d’avance en avait destiné le produit à doter la fille de sonlibraire Michallet — cette dot fut ainsi de 100 000 F à 300 000 F[12].
La Bruyère se présente à l’Académie française en 1691, et c’estÉtienne Pavillon qui est élu. Il se représente deux ans plus tard, chaudement recommandé par le contrôleur généralPontchartrain, et cette fois il est élu, le, en remplacement de l’abbé de La Chambre, et malgré l’opposition deFontenelle, deThomas Corneille et desModernes. Son discours de réception, qu’il prononce le de la même année, soulève des orages. Il y fait l’éloge des champions du parti des Anciens,Bossuet,Boileau,La Fontaine etRacine. Il dénonce aussi les Partisans (P.T.S.), ces parvenus ignorants et outrageusement enrichis, chargés du recouvrement des impôts. Mais en contestant, au sein de l’Académie, la valeur deCorneille comparé àRacine, il inflige un véritable camouflet au frère du dramaturge,Thomas Corneille, et à son neveu,Fontenelle, qui siègent tous deux comme académiciens. Il est alors violemment attaqué dans leMercure galant, le journal des Modernes, qu’il a placé jadis « immédiatement au-dessous de rien »[13] ; les principaux rédacteurs de cette revue ne lui pardonnent pas d’avoir exalté Racine aux dépens de Corneille, et publient une critique au vitriol du discours de réception à l’Académie, dont « toute l’assemblée a jugé qu’il « était immédiatement au-dessous de rien » », retournant ainsi contre La Bruyère les termes mêmes dont il s’était servi pour qualifier leMercure Galant. La Bruyère réplique à l’article duMercure dans la préface de son discours, et il se venge de Fontenelle en publiant, dans la8e édition de son livre, le caractère de Cydias, dont tout le monde reconnut l’original[14].
Les dernières années de la vie de La Bruyère sont consacrées à la préparation d’un nouvel ouvrage, dont il avait pris l’idée dans ses fréquents entretiens avecJacques-Bénigne Bossuet, à savoir lesDialogues sur le Quiétisme, qu’il laissa inachevés. En philosophe chrétien, La Bruyère saisissait ainsi l’occasion d’attaquer la doctrine défendue parMadame Guyon et parFénelon[15]. Ces Dialogues ont été publiés après sa mort, en 1698, par l’abbé Elies du Pin, docteur en Sorbonne, qui compléta les sept dialogues trouvés dans les papiers de La Bruyère, par deux dialogues de sa façon. Il est probable qu’il ne se gêna point non plus pour remanier les sept premiers ; mais, avec cette réserve, l’authenticité desDialogues, qui n’était point admise par Walckenaër, paraît certaine au plus récent éditeur de La Bruyère, Gustave Servois. Ajoutons que l’on a vingt lettres de La Bruyère, dont dix-sept sont adressées au prince deCondé, et nous aurons achevé l’énumération de ses œuvres complètes.
Il meurt àVersailles, dans la nuit du 10 au, d’une attaque d’apoplexie. Le récit de sa fin nous a été transmis par une lettre d’Antoine Bossuet, frère de l’évêque deMeaux. « J’avais soupé avec lui le mardi 8, écrit-il ; il était très gai et ne s’était jamais mieux porté. Le mercredi et le jeudi même, jusqu’à neuf heures du soir, se passèrent en visites et en promenades, sans aucun pressentiment ; il soupa avec appétit, et tout d’un coup il perdit la parole et sa bouche se tourna. M. Félix, M. Fagon, toute la médecine de la cour vint à son secours. Il montrait sa tête comme le siège de son mal. Il eut quelque connaissance.Saignée,émétique, lavement de tabac, rien n’y fit… Il m’avait lu deux jours auparavant desDialogues qu’il avait faits sur lequiétisme, non pas à l’imitation desLettres Provinciales (car il était toujours original), mais des dialogues de sa façon. C’est une perte pour nous tous ; nous le regrettons sensiblement. » Bossuet lui-même écrivait de son côté le : « Toute la cour l’a regretté, et monsieur le Prince plus que tous les autres. »Saint-Simon en a dit : « Le public perdit bientôt après (1696) un homme illustre par son esprit, par son style et par la connaissance des hommes : je veux dire La Bruyère, qui mourut d’apoplexie à Versailles, après avoir surpasséThéophraste en travaillant d’après lui, et avoir peint les hommes de notre temps, dans ses nouveaux caractères, d’une manière inimitable. C’était d’ailleurs un fort honnête homme, de très bonne compagnie, simple, sans rien de pédant, et fort désintéressé. Je l’avais assez connu pour le regretter, et les ouvrages que son âge et sa santé pouvaient faire espérer de lui. »
La Bruyère mourutcélibataire et pauvre. Sa mort, « si prompte, si surprenante », suivant les expressions de son successeur à l’Académie, l’abbéClaude Fleury, fit naître le soupçon qu’il aurait été empoisonné.
Sa sépulture, initialement dans l'église basiliqueSaint-Julien de Versailles, détruite en 1797[16], n'est pas connue[17],[Note 2].
Sur les autres projets Wikimedia :
| Précédé par | Suivi par | |||||
|---|---|---|---|---|---|---|
|
|
| ||||