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Naissance | 1534 ou La Margelle, aujourd'hui enCôte-d'Or |
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Décès | L'Isle, aujourd'hui dans lecanton de Vaud |
Activité principale |
Langue d’écriture | français |
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Genres |
Œuvres principales
Jean de Léry, né en 1534 ou 1536 àLa Margelle, terre de Saint-Seine (actuellement laCôte-d'Or enFrance), mort vers 1613 àL'Isle (Suisse) à l’âge de 79 ans, est un grandvoyageur etécrivainfrançais, auteur de l’Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil.
D’origine modeste, Jean de Léry naît en 1534 ou 1536 àLa Margelle (aujourd'hui enCôte-d'Or) et apprend le métier de cordonnier. Il se convertit à laRéforme et effectue un premier voyage àGenève auprès deJean Calvin en 1552[1].
En 1556,Jean Calvin l'envoie avec treize autres Genevois rejoindre la « France antarctique » deNicolas de Villegagnon, établissement français fort de deux cents hommes, dans l'actuelle baie deRio de Janeiro.
Il y reste du au. La concorde religieuse semble d'abord régner mais, en octobre, les protestants sont chassés de « l'île Coligny » ouFort Coligny et doivent partager la vie des IndiensTupinambas. Son témoignage, comme celui d'André Thevet (1516-1590)[2] atteste des tribus amérindiennes venues du nord rencontrées vers le milieu duXVIe siècle dans la région deRio de Janeiro[2].
Le, Léry s'embarque pour la France ; cinq des compagnons protestants qui devaient partir avec lui se ravisent au dernier moment ; trois d'entre eux sont noyés par Villegagnon pour avoir refusé d'abjurer. Ces martyres sont racontés par Léry àJean Crespin, qui les utilise dans sonHistoire des martyrs (1564). Ces quelques mois passés dans l’intimité d’anthropophages marquent profondément Léry, déchiré entre son admiration des « sauvages » et son rejet du paganisme. Le retour en France dure près de cinq mois, et est marqué par des avaries, des tempêtes et une famine qui fait renaître la tentation de l'anthropophagie.
À son retour, ses amis le prient d'écrire un livre pour conter ses expériences, mais il perd deux fois le manuscrit. Il ne le publie qu’en 1578, sous le titreHistoire d'un voyage fait en la terre du Brésil, autrement dite Amérique. L'ouvrage est un immense succès puisqu'il est réédité 5 fois dans les années suivantes. Il servira de base au roman de Jean-Christophe Rufin, vainqueur du Prix Goncourt 2001,Rouge Brésil.
Le livre de Jean de Léry est aussi une réponse àAndré Thevet qui rejetait la responsabilité de l’échec de la colonie en France Antarctique sur les protestants.
À son retour du Brésil, Léry rentre à Genève, où il se marie, devientbourgeois de la ville (1560) et pasteur. Son ministère le conduit àBelleville-sur-Saône,Nevers etLa Charité-sur-Loire, où il adopte une attitude conciliante et tolérante à l'égard des catholiques[1]. Après lemassacre de la Saint-Barthélemy (1572), il se réfugie àSancerre,bientôt assiégée par les catholiques. Il y connaît la famine et est témoin d’une scène d’anthropophagie, où une fillette est mangée par sa grand-mère et sa mère ; l'événement lui rappelle les scènes de cannibalisme qu’il a pu observer lors de son séjour au Brésil. La cité finit par capituler, et Léry est chargé des négociations avecLa Châtre. Ces événements sont relatés dans l’Histoire mémorable du siège de Sancerre (1573).
Sa carrière pastorale se poursuit àCouches (aujourd'hui enSaône-et-Loire), puis en Suisse. Il déploie au cours de ces années une intense activité pour l'augmentation et les quatre rééditions de l’Histoire d'un voyage. Il est pasteur àL'Isle quand il meurt de la peste en 1613[3].
Jean de Léry est l’auteur de deux livres :
Spécialiste de littérature, Bruna Conconi estime que Léry a considéré les Sancerrois comme des victimes et des martyrs innocents[4]. Mais l'historien américain Adam Asher Duker a contesté ces propos, en démontrant que Léry assimilait les habitants de Sancerre aux Israélites anthropophages de l'Ancien Testament. Duker soutient que Léry tenait les Huguenots anthropophages pour les plus dépravés de toutes les tribus cannibales[5].
Dans son gros succèsHistoire d’un voyage fait en la terre du Brésil (cinq éditions du vivant de l'auteur : 1578, 1580, 1585, 1599, 1611), Jean de Léry décrit plusieurs aspects de la vie des indigènes. Les jugements qu'il porte sur eux semblent un peu contradictoires. Il les respecte et les admire. Il les représente comme des gens beaux et forts mais aussi primitifs et bestiaux. Au chapitreVIII, il confronte leur nudité avec l’habillement recherché des Européennes, conçu pour séduire et inciter au vice. Mais il ne suggère pas d'en revenir à la nudité, comme l'ont fait les adamites de Bohême : il défend au contraire la modestie dans l'habillement.
Les parallèles entre indigènes et Européens sont récurrents. Les Caraïbes ont les mêmes caractéristiques que les prêtres de l’Église catholique de son temps : ils sont superstitieux et très puissants. Les indigènes apparaissent comme plus raisonnables et même plus humains que les paysans en France. En accueillant les étrangers, ils semblent beaucoup plus hospitaliers que les Français dont la politesse est artificielle.
LesToüoupinambaoults sont à peu près comme les hommes qui habitaient le jardin d’Eden. Sans péché, ils vivent simplement au paradis avant la Chute, sans les maux de la société. Par contre, ils sont anthropophages. Ils tuent leurs ennemis et les cuisent sur le boucan. Tous les membres de la tribu mangent une partie du prisonnier de guerre. Cette cérémonie prouve la puissance de la tribu mais ces rites cannibales démontrent aussi le respect pour les ennemis. Les Français, d’un autre côté, font des choses horribles à leurs voisins. Ces comparaisons résultent probablement des guerres de religion qui commençaient quand Léry est revenu en France et de la déception qu’elles pouvaient inspirer quant aux mœurs des Européens.
Ce livre révèle que Léry était un homme à la fois ouvert et dogmatique dont les préjugés étaient essentiellement religieux. Il considère le christianisme comme la vérité absolue. Dans le chapitreXVI, il remarque que la seule croyance religieuse des Tupinambas est la peur du diable. Ils ont peur du tonnerre parce que c’est le bruit causé par Aygnan, leur personnification du mal. Léry échoue à convertir les Tupinambas parce qu’ils ignorent la différence entre le vice et la vertu et nient l’existence de Dieu. La langue devient un grand problème quand on ne peut pas bien expliquer le divin. En enseignant, Léry doit utiliser les gestes et les mots simples. D'un autre côté, il compare les Caraïbes aux prêtres européens qui ont toute la puissance du peuple et vendent leurs pouvoirs prétendus. Malgré toutes leurs fautes, Léry trouve qu’ils ont les mêmes idées de la résurrection du corps et de l’immortalité de l’âme que les chrétiens. De la sorte, les indigènes sont supérieurs aux athées en France.
L’Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, publiée en 1578, répond au récit d’André Thévet,Les singularités de la France antarctique, autrement nommée Amérique, & de plusieurs terres et isles decouvertes de nostre temps, publié en 1557. Selon Léry, le livre de Thévet est « farci de mensonges »[6]. C’est ainsi que Léry décide de réciter les « calomnies [que Thevet] a [mises] en avant »[6]. Léry n’argumente pas seulement au moyen de mots, mais aussi de dessins. À l'inverse, les dessins de Thevet décrivent des cannibales répugnants. Léry présente une interprétation différente de la notion de cannibalisme parmi les Tupinambas. Les images de Léry montrent souvent les Tupinambas lors de célébrations, et jamais de boucheries humaines comme chez Thevet. Car selon Léry, « le cannibalisme est une affaire de vengeance »[7].
Le protestant Jean de Léry avait pour but de corriger et clarifier ce qu’avait dit le catholique André Thévet. Par comparaison avec celles de Thévet, ses images critiquent le massacre de la Saint-Barthélemy (1572). Le cannibalisme des ennemis pratiqué par les Tupinambás est un rite traditionnel et guerrier, alors que le massacre des protestants a consisté à tuer sans raison ni rite des milliers d’innocents et de civils. Léry montre avec ses images que les cannibales du Brésil sont en fait plus civils ou humains que les catholiques qui ont massacré les protestants.
En 1555, André Thévet,cosmographe du roi de France, est parti avec l'explorateur,chevalier de MalteVillegagnon au Brésil pour trouver de nouvelles terres à coloniser. Après son retour en 1556 il a publié ses découvertes dans ses deux récits :Les Singularitez de la France antarctique (1557) puis laCosmographie universelle (le livre XXI est consacré aux Tupinambás) (1575)[8]. La tribu qu’il a observée et sur laquelle il a formulé ses conclusions était les Tupinambas du Brésil, selon lui, « le peuple le plus cruel et inhumain de toute l'Amérique » et qui mange « ordinairement chair humaine, comme nous ferions du mouton »[9]. Auprès de cette même tribu, Jean de Léry a passé dix mois. Le chapitre pour lequel Thévet fut le plus critiqué par ce dernier est celui qui porte sur le cannibalisme. Ce chapitre contient des gravures de batailles épiques comme de l'abattage et de la consommation humaine ; on y voit même des enfants qui jouent avec une tête humaine séparée du corps comme avec un ballon.Images de Thévet
Sur une des gravures, « Contenance des Sauvages devant que venir au combat », dans la scène d'une bataille une anamorphose fait apparaître un homme avec les bras et les jambes allongées[10]. Sur une autre gravure, « Comme ce peuple couppe et porte le Brésil és navires », les indigènes utilisent des outils européens : cela « paraît quelque peu insolite dans la scène d'anthropophagie rituelle où la société indigène est prétendument dépeinte en elle-même »[11].
Selon Lestringant, la raison pour laquelle les gravures exagèrent tellement est de montrer le manque de civilisation des Tupinambas pour inciter les Français à coloniser la région[11]. De plus, les images qu’André Thévet a créées du roi aztèque,Moctezuma le second, manquent de crédibilité : les images monarchistes militent de fait en faveur de la colonisation du Nouveau Monde par les Espagnols[12].
La controverse des images est continuée par celle des représentations. Un chrétien peut-il décrire le cannibalisme sans préjugé ?
Hans Staden, unmarin etsoldatallemand, écrivitNus, féroces et anthropophages (1557) pour raconter ses aventures pendant dix mois comme prisonnier des Tupinambas[13].
Il y a deux interprétations de la représentation des anthropophages dans ce récit. Selon l’anthropologue William Arens, Staden a des préjugés contre les autochtones brésiliens avant d’aller au Nouveau Monde : il croit que les autochtones sont plus animaux qu’humains[14]. Staden croit que les Tupinambas ne sont pas des « vrais » humains. Les « vrais » humains ont une culture. Les Tupinambas, puisqu’ils sont anthropophages, semblent en manquer pour cet observateur : pour Staden, la capacité de manger la chair humaine implique une animalité et une absence des traits humains[15]. Encore d’après Arens, Staden est très sexiste envers les femmes Tupinambas. Staden présente les femmes comme les « plus sauvages des sauvages »; elles montrent plus d’enthousiasme pour manger la chair humaine que les hommes[16]. Selon H. E. Martel, Staden nie l’hospitalité des Tupinambás et il dramatise le mauvais traitement qu’il a subi[17].
Par contre, Donald Forsyth soutient que le récit de Staden est le résultat de ses observations et non de ses préjugés[18] : ce serait un compte-rendu descriptif et simple en un style objectif[15].
Contrairement à ses contemporains, André Thévet et Jean de Léry, Staden n’utilise pas son récit et les descriptions du cannibalisme comme véhicule pour ses idéologies religieuses[19]. De plus, Staden ne souligne pas la nature ritualiste ou sacrificielle du meurtre de la victime du cannibalisme (comme un genre dubaptême) ainsi que le font Thevet et Léry[20].
On peut reconnaître l’influence de cette œuvre de Léry sur l’essai deMichel de Montaigne,Les Cannibales. Malgré les similarités du sujet, les deux auteurs ont des buts différents. Montaigne présente les indigènes d’une façon abstraite, quand Léry en parle sur la base d'une expérience personnelle.
Longtemps méconnue, l’œuvre de Jean de Léry a bénéficié d’un regain d’intérêt, notamment grâce à l’éloge qu’en a faitClaude Lévi-Strauss dansTristes Tropiques et à l’étude fondatrice que lui a consacréeMichel de Certeau dansL'Écriture de l'Histoire. Frank Lestringant, spécialiste de la littérature de voyage, a accordé une large place aux ouvrages de Jean de Léry comme à ceux d’André Thevet.
Le romancierJean-Christophe Rufin a tiré de l’Histoire d'un voyage son romanRouge Brésil (Éditions Gallimard,prix Goncourt 2001).
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