La date et le lieu de naissance exacts du peintre restent inconnus. Selon les écrivains et historiens flamandsLucas D'Heere (1559) etMarcus van Vaernewijck(nl) (1568), Jan van Eyck serait né àMaaseik, dans la région mosane, à l'époque située dans laprincipauté de Liège et actuellement dans laProvince de Limbourg (Belgique). Cette information est corroborée par le fait que quelques textes de la main du peintre sont écrits en dialecte mosan et par le fait qu'en 1449, la fille de Jan entre dans un couvent de Maaseik. Il pourrait être né aux alentours de 1390[1].
Très peu de choses sont connues de sa famille. Plusieurs Van Eyck sont signalés pendant cette période àMaastricht. On lui connaît deux frères et une sœur :Hubert, peintre, est installé à Bruges et entame la réalisation du retable deL'Agneau mystique àGand, décédé en 1426 ; Lambert, lui aussi peintre, est mentionné dans un livre de compte du duc de Bourgogne en 1431 et est sans doute l'auteur d'un portrait deJacqueline de Bavière dont on conserve une copie dessinée ;Marguerite, qui aurait été active àGand auprès de Hubert[2]. Il pourrait être aussi lié au peintre deRené d'Anjou, lui aussi d'originemosane et portant le même nom :Barthélemy d'Eyck[3],[4].
On ne sait rien de ses études, mais il lisait certainement le latin et un peu le grec. Il connaissait bien les œuvres dePline l'Ancien et d'autres auteurs anciens dans lesquels il avait appris les propriétés des couleurs ainsi que des principes de géométrie[5].
Dans les années1422-1425, il est employé àLa Haye, à la cour deJean III de Bavière, comte deHollande et deZélande, prince-évêque élu deLiège depuis 1389, en qualité de peintre de la cour et valet de chambre. En 1424, il est désigné sous le nom de« Mayster Jan den Maelre »,peintre de cour alors qu'il réalise la décoration avec son atelier, du palais duBinnenhof, alors résidence des comtes de Hollande. Il ne reste aucune œuvre de Jan van Eyck de cette période hollandaise sinon des copies d'œuvres perdues. C'est le cas deL'Homme à l'œillet de laGemäldegalerie (Berlin), copie ancienne qui comporte les insignes de l'ordre de Saint-Antoine, protecteur de lamaison de Wittelsbach, famille de Jean de Bavière, le dessin de la partie de pêche conservé au Louvre attribué à un suiveur et parfois au maître lui-même, représentant la cour hollando-bavaroise et enfin quelques miniatures extraites desHeures de Milan-Turin issues de son atelier[1].
Le, le prince-évêque meurt et Jan van Eyck quitte aussitôtLa Haye pour rejoindreBruges. Le, une lettre patente le fait peintre de cour etvalet de chambre au service dePhilippe le Bon,duc de Bourgogne[6]. Sa mission n'est pas attachée à une résidence du duc ni pour des travaux traditionnels de décorations pour des fêtes, il est chargé de missions exceptionnelles et secrètes comme l'indiquent les archives bourguignonnes à son sujet. Une rente annuelle fixe lui est régulièrement attribuée jusqu'à sa mort. Il doit pour cela rester proche du duc et déménage àLille, résidence ducale habituelle, où il est mentionné avant le[1],[7].
Parmi ces missions, il est payé le pour un pèlerinage et un voyage lointain et secret, puis le pour« certains loingtains voyages secrez ». Il pourrait s'agir d'un voyage de repérage et pèlerinage enTerre sainte pour le duc. Certains tableaux issus de son atelier, tel queLes Trois Maries au Sépulcre de Rotterdam, comportent en effet des vues topographiques précises de laJérusalem de l'époque. Il obtient à chaque déplacement des sommes beaucoup plus importantes que sa rente annuelle. En juillet et, il perçoit de nouveau des sommes pour des missions diplomatiques à l'étranger. L'une d'entre elles pourrait être un voyage à la cour d'Alphonse V d'Aragon, àValence pour lui demander la main de sa nièce Isabelle d'Urgel pour Philippe le Bon. Le roi d'Aragon lui achète par la suite plusieurs œuvres et lui envoie son peintre attitré,Lluís Dalmau, pour qu'il soit formé auprès de lui entre 1431 et 1436. Entre le et le, il est de nouveau envoyé en ambassade, la seule attestée par les textes, mais cette fois-ci auPortugal, afin de négocier le mariage entre le duc de Bourgogne etIsabelle de Portugal auprès du père de celle-ci,JeanIer de Portugal. À cette occasion, en, il réalise deux portraits de la future duchesse, au château d'Aviz, expédiés au duc le. Le peintre fait sans doute aussi un passage par l'Espagne, peut-être àSaint-Jacques-de-Compostelle, àValladolid à la cour deJean II de Castille et àGrenade, auprès deMohammed VIII al-Mutamassik[7],[8].
Pendant cette période, Jan van Eyck effectue aussi des déplacements personnels. Il est invité le lors de la Saint Luc àTournai. La corporation locale des peintres y organise un banquet en son honneur. Il y rencontre sans doute à cette occasionRobert Campin et Roger de la Pasture, futurRogier van der Weyden, ou encoreJacques Daret, tous membres de cette corporation. Il retourne d'ailleurs à Tournai le[7],[9].
En 1430, un document ducal fait penser que Van Eyck réside de nouveau à Bruges. Van Eyck conserve par ailleurs des commandes privées en parallèle de son travail pour le duc. En 1432, il achève àGand le retable deL'Agneau mystique entamé par son frère Hubert pour le bourgeoisJoost Vijdt. Cette année-là, il paie des intérêts d'hypothèque à l'église Saint-Donatien de Bruges pour une maison qu'il a achetée : il y a sans doute installé à demeure son atelier. Il y reçoit entre le et le, la visite du bourgmestre et des échevins de la ville qui rétribuent de petites gratifications ses commis[7],[9],[10].
Jan van der Straet, estampe 14 tirée deNova Reperta, [ca. 1600], gravure au burin par Théodore Galle, Folger Shakespeare Library, Washington.
Il réalise pour la ville plusieurs commandes : il réalise notamment en 1435 la polychromie de plusieurs statues représentant des comtes et comtesses de Flandre pour la façade de l'hôtel de ville. C'est aussi à cette époque qu'il réalise ses commandes privées les plus célèbres : le portrait de Tymothéos en 1432, sa plus ancienne œuvre signée,L'Homme au turban rouge en 1433,Les Époux Arnolfini en 1434 etLa Vierge au chanoine Van der Paele entre 1434 et 1436[11].
Vers 1433, le maître se marie à une« damoiselle Marguerite », qui est peut-être d'origine noble et dont il réalise leportrait en 1439, alors qu'elle est âgée de 33 ans. Leur premier enfant naît en 1434, le duc en est le parrain et lui donne en cadeau six tasses en argent. Jan van Eyck continue de travailler pour le duc : il voit sa rente annuelle transformée en rente à vie en 1435 et augmentée, passant de 100 à 360 livres par an. La cour des comptes de Lille refuse d'entériner cette augmentation et, devant la menace de Van Eyck de renoncer à sa charge, le duc prend la défense de son peintre par un courrier venu de Dijon en date du :« nous le voulons entretenir pour certains grans ouvraiges, en quoy l'entendons occuper cy après et que nous trouverions point le pareil à nostre gré ni si excellent en son art et science »[11].
Il effectue en effet toujours des travaux pour le duc : il participe à la décoration de ses résidences deHesdin en 1432,Bruxelles en 1433 etLille en 1434[7]. Il continue toujours à effectuer des missions pour lui jusqu'à la fin de sa vie : il est envoyé àArras en 1435, à l'occasion de lanégociation de la paix entre la Bourgogne, l'Angleterre et la France. En 1436, il effectue une dernière fois,« certains voyaiges loingtains es estranges marches », sans doute en terre non chrétienne, alors que Philippe le Bon envisage de mener une croisade. En hiver 1440, les comptes bourguignons signalent que le peintre remet au duc« certaines tables ainsi que d'autres objets secrets » qu'il a achetés pour lui[11],[12].
Jan van Eyck meurt le et est inhumé dans le cloître de l'église Saint-Donatien. Le, Lambert, son frère, demande et obtient le droit de transférer sa tombe dans l'église, près desfonts baptismaux[11],[13].
Dès 1456, l'historien italienBartolomé Facio, dans son livreDe Viris illustribus, le présentait comme le plus éminent peintre de son siècle[5].
L'historien d'art néerlandais Boudewijn Bakker[14] formule l’hypothèse fertile que les chefs-d’œuvre de la peinture flamande, truffés d’autant d’énigmes et de mystères que les cathédrales européennes, se lisent « à plusieurs niveaux », tout comme l’exégèse biblique de l’époque faisait appel à une méthode de lecture ancestrale, dite « à quatre niveaux » : littéral, allégorique, allusif et mystique.Origène (185-254), puisAmbroise de Milan auIVe siècle, reprennent cette méthode pour laLectio divina, c’est-à-dire l’exercice de la lecture spirituelle visant, par la prière, à pénétrer le plus profondément possible un texte sacré.
Crucifixion (1441)
On pense que le théologienDenys le Chartreux, confesseur du duc de Bourgogne, a pu conseiller le peintre sur le contenu iconographique de certains grands retables. Dans son œuvre,De l’attractivité du monde et de la beauté de Dieu, le théologien affirme que la beauté du monde visible n'est que prégustation de la sagesse divine. Le peintre, en peignant, devient l'instrument du créateur pour chanter l'éloge de Dieu. La nature qu'il peint est elle-même une vastethéophanie.
Van Eyck attache un soin extrême à reproduire la nature avec précision :« Il est le premier à avoir dépeint avec une telle précision les rochers, les nuages, la Lune et la silhouette des oiseaux en plein vol [...], les reflets dans l'eau[15]. » Ainsi, il est considéré comme le premier peintre à avoir représenté avec exactitude, dans le tableau de laCrucifixion, la Lune dans saphase gibbeuse décroissante, toute piquetée par ses mers[16].
L’apport technique de Van Eyck à la peinture occidentale est capital. Il a porté la technique de lapeinture à l'huile à la perfection (sans pour autant la créer)[17],[18]. Le liant utilisé par Van Eyck était à base d'huilesiccative et d'un autre élément qui rendait le liant consistant, ce qui était l'une des difficultés rencontrées par les utilisateurs de la peinture à l'huile auparavant. Il a porté la technique de la peinture à l'huile et le réalisme des détails (notamment le rendu des matières) à un sommet jamais atteint avant lui, sauf peut-être par le peintre grecApelle[19], la technique flamande permettant aussi la netteté de ceux-ci.
L’œuvre de Jan van Eyck, en dehors de ce chef d’œuvre exceptionnel qu'est le retable de l'Agneau mystique, est composé surtout de représentations de laVierge Marie et de portraits. Van Eyck a ainsi été considéré comme le fondateur du portrait occidental. Ses modèles sont presque toujours représentés enbuste : le visage, vu des trois-quarts, est tourné vers la gauche, et les yeux fixent souvent le spectateur, ce qui constituait à l’époque une innovation radicale.
La paternité des œuvres de « Van Eyck » antérieures à 1426 (mort d’Hubert) est discutée et l’attribution à Hubert ou à Jan est délicate. Le retable deL'Agneau mystique (1432, à la cathédrale Saint-Bavon,Gand[18]), a ainsi été commencé par son frère et achevé par lui en, sans que l’on sache exactement quelle est la part de chacun des deux frères.
Les Époux Arnolfini (selon l'interprétation généralement retenue[20]) (1434[18], à laNational Gallery deLondres) représente en pied, dans un intérieur flamand, un riche marchand toscan établi à Bruges,Giovanni Arnolfini, et son épouse. Un miroir convexe accroché et centré sur le mur du fond reflète la posture des époux vus de dos et deux personnages. Au-dessus de ce miroir convexe, la signature du peintre et la date de la peinture sont inscrits.
Un document daté de 1439 et tiré des archives des ducs de Bourgogne semble indiquer que Jan van Eyck était impliqué dans la réalisation de manuscrits enluminés : il a en effet reçu une somme d'argent pour rémunérer des enlumineurs brugeois. Cependant, la question se pose toujours de savoir si Jan van Eyck a participé directement à la peinture deminiatures encore conservées de nos jours. Les historiens de l'artPaul Durrieu etGeorges Hulin de Loo ont tous deux cru déceler la main d'Hubert van Eyck et de Jan dans l'ajout de plusieurs miniatures au manuscrit desTrès Belles Heures de Notre-Dame dans sa partie désignée sous le nom desHeures de Turin-Milan (aujourd'hui partiellement détruites). Les deux frères sont ainsi identifiés comme les Maîtres G (7 miniatures) et H (6 miniatures) parmi les nombreux intervenants dans cette partie du livre d'heure. Cependant, cette hypothèse a depuis été largement contestée par de nombreux autres historiens de l'art. Pour certains, il ne s'agit que d'artistes inspirés par le style eyckien. Même la date de réalisation de ces peintures fait débat, hésitant entre les années 1420, qui les ferait remonter à la période où le peintre travaille pour Jean de Bavière, ou les années 1435 voire après 1440. Si la part d'Hubert et de Jan ne parvient plus à être distinguée, la peinture de Jan a sans aucun doute beaucoup marqué cette dizaine de miniatures et de nombreux points communs avec ses tableaux ont pu être repérés[21].
Miniatures des Heures de Milan-Turin au caractère eyckien
↑Ce titre a été attribué au tableau depuis 1857 selon l'interprétation deJoseph Archer Crowe etGiovanni Battista Cavalcaselle. De nombreuses interprétations divergentes ont été émises depuis. En 2016 Jean-Philippe Postel après avoir évoqué les interprétations précédentes, a savamment argumenté son interprétation où un certain Hernoul-le-Fin serait en train de faire un vœu en lien avec une jeune femme morte à l'époque de réalisation du tableau, la jeune femme dont il tient la main. (L'affaire Arnolfini : enquête sur un tableau de Van Eyck, Actes Sud,(ISBN978-2-330-06091-6)).
↑DominiqueDeneffe,« La Miniature eyckienne », dans Bernard Bousmanne et Thierry Delcourt,Miniatures flamandes : 1404-1482, Bibliothèque nationale de France/Bibliothèque royale de Belgique,, 464 p.(ISBN9782717724998),p. 166-171
Sophie Caron (dir.),Jan Van Eyck. La Vierge du chancelier Rolin, Paris, Éditions du Musée du Louvre / In Fine éditions d’art, 2024, 238 p.(ISBN978-2359064308).
Ludovic Balavoine,Jan van Eyck. "Als Ich Can", Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion,, 286 p.(ISBN978-2-7574-3335-5).
Till-Holger Borchert,Le siècle de Van Eyck - 1430-1530 - Le monde méditerranéen et les primitifs flamands (catalogue de l’exposition « Jan Van Eyck, les primitifs flamands et le sud, 1430-1530 » organisée par le Groeningemuseum de Brugge, Bruges, Ludion, 2002.