La famille d'Auguste Renoir (73,rue Caulaincourt, Paris) vers 1902-1903 : Auguste Renoir, sa femmeAline Charigot tenant Claude, Jean (avec un béret) et Pierre.
Il est le deuxième fils du peintreAuguste Renoir[note 1]. Sa mère estAline Charigot, ancien modèle de son père, qu'Auguste Renoir a épousée en 1890. Pour s'occuper de lui, les Renoir font venir d'Essoyes, le village d'Aline,Gabrielle Renard, qui est lamuse du peintre et conserve des relations très profondes avec Jean.
Le, alors qu'il vient de passer dans les chasseurs alpins, Renoir a le col du fémur fracturé par une balle, au cours d'une patrouille sur les hauteurs d'Orbey, enAlsace, blessure qui le fera boiter toute sa vie[6]. Il évite de justesse l'amputation grâce à la présence fortuite du professeur Laroyenne de Lyon[note 2]. Celui-ci, alors chirurgien sous les drapeaux, s'oppose à cette intervention chirurgicale et lui fournit les soins nécessaires.
En, hospitalisé àBesançon, il apprend la mort de sa mère à l'hôpital deNice. Convalescent à Paris, aux côtés de son père, Jean passe sa vie dans les cinémas, voyant jusqu'à vingt-cinq films par semaine, dontLes Mystères de New York et les films deCharlie Chaplin. En1916, il retourne au front et sert dans l'aviation, où sa mauvaise jambe ne le gêne pas. Il est affecté dans une escadrille de reconnaissance, et y apprend la photographie[note 3].
En1920, il s'installe comme céramiste àCagnes-sur-Mer[7] ; il y épouse le à10 heures l'un des modèles de son père,Andrée Heuschling[8],[9],« d'une beauté insolite ». Jean, qui veut faire d'elle une vedette de cinéma, écrit un petit sujet,Catherine ou Une vie sans joie, qu'il finance lui-même et fait réaliser parAlbert Dieudonné. Andrée Heuschling devientCatherine Hessling. Le film achevé est une déception pour Jean, mais, dit-il,« le démon de la mise en scène était en moi. » La découverte, en1924, du film d'Erich von Stroheim,Folies de femmes (Foolish Wives), l'enthousiasme, et décide de la suite de sa carrière.
Son premierlong métrage,La Fille de l'eau (1924), est une fable bucolique à l'esthétique impressionniste, dans lequel jouent sa jeune épouse et son frère aîné,Pierre Renoir. L'accueil mitigé réservé au film ne décourage pas le cinéaste. Il se lance peu après dans une production coûteuse,Nana, d'après le roman d'Émile Zola, en1926. Pour financer ce film, il vend plusieurs toiles héritées de son père. L'échec commercial du film le détourne pour longtemps de la production. Suivent une série de réalisations aux inspirations très diverses,La Petite Marchande d'allumettes (1928), d'aprèsAndersen, incursion dans l'expressionnisme ;Tire-au-flanc (1928), comédie militaire ;On purge bébé (1931), d'aprèsGeorges Feydeau, son premier film parlant.
En 1927, Jean Renoir accepte de jouer un simple rôle dansLa P'tite Lili, court métrage d'Alberto Cavalcanti, pour aider Catherine Hessling à devenir une vedette de cinéma. Par une étonnante coïncidence, ce film réunit les trois compagnes de Renoir qui ont le plus compté dans son existence : sa première épouse Catherine Hessling, sa « monteuse et compagne »[10] des années 1930,Marguerite Renoir, etDido Freire, amie de Cavalcanti, qui devient sa seconde épouse[11].
La Chienne (1931) marque un tournant dans l'œuvre de Jean Renoir. C'est un des premiers films français parlants, adapté d'un roman deGeorges de La Fouchardière. Le film offre àMichel Simon un rôle de petit-bourgeois martyrisé par son épouse et abusé par une femme de petite vertu elle-même manipulée par son souteneur. Le tournage deLa Chienne est par ailleurs à l'origine de la séparation de Renoir et Catherine Hessling, dépitée d'avoir été remplacée parJanie Marèse pour le premier rôle féminin.
À partir de 1932, Renoir vit avecMarguerite Houllé, rencontrée en 1927 sur le tournage deLa P'tite Lili, sa monteuse attitrée qui travaille sur tous ses films de 1931 à 1939. Marguerite prend le nom de Marguerite Renoir, bien que leur vie commune n'ait jamais été officialisée.
Sa vie commune avec Marguerite Renoir marque une transformation dans son œuvre[note 4]. Née dans une famille ouvrière, fille de syndicaliste, sœur d'un militant communiste, elle le convainc peu à peu de défendre la cause ouvrière, et le présente augroupe Octobre dont font partie entre autresJacques Prévert,Roger Blin etMaurice Baquet. En 1936, Renoir lui offre un rôle à ses côtés dansPartie de campagne.
Désormais, sa production prend une dimension ouvertement politique, marquée par les idées duFront populaire :Le Crime de monsieur Lange (1935),Les Bas-fonds,La vie est à nous (1936),La Marseillaise (1937).La vie est à nous est produit par lePCF, etLa Marseillaise coproduit par laCGT, avec un original système de participation des spectateurs qui achètent leur place à l'avance. Ce film est un semi-échec commercial. Renoir, qui n'a jamais été membre du Parti communiste, écrit régulièrement dans des périodiques de gauche, le quotidienCe soir, la revueRegards etCiné-Liberté.
Dans son chef-d'œuvre,La Règle du jeu (1939), sorti en juillet, Renoir prévoit l'effondrement des valeurs humanistes et brosse un tableau sans complaisance des mœurs de la société française. À la veille de laSeconde Guerre mondiale, ce film est son plus grand échec commercial. Renoir a raconté qu'à la première de son film, il a vu un homme qui essayait de mettre le feu à la salle avec un journal et des allumettes[12].François Truffaut, dans son livreLes Films de ma vie, écrit :
« La Règle du jeu (1939) c'est le credo des cinéphiles, le film des films, le plus haï à sa sortie, le plus apprécié ensuite. »
Sa liaison avec Marguerite se termine, et il vit désormais avec Dido Freire, rencontrée sur le tournage deLa P'tite Lili, engagée commescripte sur le tournage deLa Règle du jeu, et qui devient sa dernière épouse.
Sur les conseils de l'ambassadeur de France, enmai 1940, il quitte prématurément le tournage (une seule séquence est tournée par Renoir, le reste par son ami et scénaristeCarl Koch) pour rentrer à Paris. En juillet, grâce au réalisateurRobert Flaherty, Renoir obtient un visa de travail pour les États-Unis.
Il avait cependant initialement offert ses services à Vichy, le critique cinématographiquePascal Mérigeau notant :« Renoir ne s'est pas opposé au courant dominant, […] il l'a accompagné, s'exprimant et se comportant comme le pétainiste convaincu que probablement il n'était pas, au service de la seule cause qui lui importait, la sienne propre[13]. »
Il quitte Marseille avec Dido en pour Lisbonne et les États-Unis. Sur le bateau, il rencontre un passager notable,Antoine de Saint-Exupéry, avec lequel il travaille sur une adaptation du roman de celui-ci,Terre des hommes, qui n'aboutira pas.
Renoir arrive àHollywood le. Après de nombreuses et longues négociations, il signe enfin un contrat avec la Fox et dirigeL'Étang tragique (Swamp Water) en 1941, écrit parDudley Nichols, scénariste attitré deJohn Ford, film tronqué par les contraintes de la production qui exige de nombreux plans tournés en studio. Néanmoins le film poursuit le cheminement de Renoir dans sa réflexion sociale, qui met en relief la différence, l'exclusion, puis la réhabilitation des personnages, incarnés ici parAnne Baxter etWalter Brennan. Le film est un échec commercial et Renoir doit défendre ses convictions pour poursuivre son œuvre (il tourne six films aux États-Unis). Il épouseDido Freire en, àLos Angeles, avecCharles Laughton etDudley Nichols comme témoins.
Jean Renoir termine sa période américaine avecLa Femme sur la plage (The Woman on the Beach) en 1947, avecRobert Ryan etJoan Bennett, un film noir, amputé au montage, qui ne trouve pas son public.Darryl F. Zanuck déclare, après cet échec :« Renoir a beaucoup de talent, mais il n'est pas des nôtres. » Sans aucune amertume, Jean Renoir est toujours profondément reconnaissant envers les États-Unis. Il prend d'ailleurs la double nationalité, comme son filsAlain[note 5], né en 1921 de son union avec Catherine Hessling.
En 1949, Renoir découvre le roman deRumer Godden,The River, et décide de partir pour l'Inde tourner son premier film en couleurs,Le Fleuve (The River), film épousant le rythme duGange et attentif aux êtres vivants. Ce film a une influence durable sur le cinéma indien et surSatyajit Ray.
Rencontrant des difficultés de plus en plus importantes à produire ses films, il se tourne alors vers la télévision (Le Testament du docteur Cordelier, 1959 ;Le Petit Théâtre de Jean Renoir, 1969-1971) et se consacre plus largement à l'écriture : il publie un livre sur son père,Pierre-Auguste Renoir, mon père (1962), son autobiographie,Ma vie et mes films (1974), un essai (Écrits 1926-1971, 1974), quelques pièces de théâtre,Orvet (1955), ainsi que plusieurs romans (Les Cahiers du capitaine Georges,1966 ;Le Crime de l'Anglais,1979).
Jean Renoir meurt àBeverly Hills, où il s'était retiré, le. Il est enterré àEssoyes, dans l'Aube, près de son père, de son frère Pierre et de sa seconde épouse Dido[14].
↑Il s'agit de Lucien Antoine Marcellin Laroyenne (1876-1950), fils du professeurLucien Laroyenne, lui aussi professeur des universités à Lyon (1831-1902). Cf.« Lucien Laroyenne », surgw.geneanet.org(consulté le).
↑Après sept années comme militaire d'active, Jean Renoir devient lieutenant de réserve. En septembre 1938, il est affecté au Service cinématographique des armées, tourne avecde Lattre en Alsace. Il est radié des cadres de l'armée en 1944. Cf. Stephane Launey, « Jean Renoir sous l'uniforme »,Revue historique des armées, 2010.
↑« Il fera la preuve qu'il est proche des humbles et porté vers des idées de gauche dans l'avant-guerre, très certainement influencé par Marguerite Houllé, sa collaboratrice et compagne. » Cf.GuyCavagnac,Jean Renoir : le désir du monde, Paris, Société des découvertes Editions H. Berger,, 159 p.(ISBN978-2-9508147-0-8,OCLC971707367),p. 14.
↑Alain Renoir a combattu dans le Pacifique au sein de l'armée américaine.
2020 :Le Parti du cinéma de Pauline Gallinari et Maxime Grember, La Générale de production, diffusionLCP, 52 min.Une séquence est consacrée au filmLa vie est à nous réalisé en 1936.