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Jean Omer Marie Gabriel Monnet naît le àCognac au 9, rue Neuve des Remparts, dans une famille bourgeoise[1] de tradition catholique propriétaire d'une entreprise de négoce international de cognac.
Sa formation est essentiellement due aux conversations qu'il écoute, dès l'enfance, à la table familiale entre son père et ses clients étrangers, sur le commerce du cognac, un des premiers secteurs français à être très internationalisés.
Il interrompt ses études avant son baccalauréat, à16 ans, pour travailler dans l'entreprise familiale.
À18 ans, il s'installe àLondres et voyage plusieurs fois enAmérique du Nord pour l'entreprise familiale. Il en tire une parfaite maîtrise de l'anglais, une très bonne connaissance desAnglo-Saxons et de l’optimisation de l’affrètement maritime : les exportateurs de cognac utilisaient au maximum les capacités de fret des bateaux et veillaient à les charger au retour pour diminuer les coûts.
En 1914, après labataille de la Marne, à peine âgé de26 ans et fort de son expérience d'affréteur maritime, réformé pour raisons de santé, Jean Monnet obtient un entretien avec le président du Conseil,René Viviani, replié àBordeaux. Lui décrivant le gâchis que représente l'utilisation désordonnée des flottes marchandes française et britannique, il lui explique la nécessité de créer un pôle maritime franco-britannique, pour optimiser les transports de vivres, munitions et matières premières, et réussit à le convaincre.
En effet, les navires français ou anglais partaient vides pour les États-Unis pour revenir pleins, et inversement. Sous l'impulsion du ministre du Commerce,Étienne Clémentel, il participe ainsi à la délégation du ministère du Commerce à Londres.
À cette fin, il est nommé responsable de la coordination des ressources alliées, sous le statut de haut fonctionnaire interallié en 1916 pendant toute la durée restante de laPremière Guerre mondiale. Il est confirmé dans ses fonctions parGeorges Clemenceau[2].
En, sous la pression des Américains, la commission de coordination économique interalliée prend fin.
En 1919, Jean Monnet est un des artisans de la création de laSociété des Nations, organisation dont il est nommé numéro deux. À ce titre, il effectue des missions enHaute-Silésie, pour surveiller leplébiscite qui se déroule dans cette région, dans l’Empire Allemand, enAutriche, enPologne et enRoumanie. En 1920, il est appelé au poste de secrétaire général adjoint de la nouvelle organisation internationale. À moins de32 ans, il est le principal organisateur de la Conférence financière de Bruxelles de, reconnaissant que ladéflation après la guerre pourrait avoir des répercussions désastreuses sur l'économie mondiale.
Démissionnaire en pour rejoindre l'entreprise de commerce d'alcool de son père en grande difficulté à cause de laProhibition (1919-1933), Jean Monnet redresse la situation en convainquant son père Jean-Gabriel d'échanger ses vieilles eaux-de-vie contre une plus grande quantité d'eaux-de-vie jeunes plus en phase avec la demande du marché[3].
Travaillant entre les États-Unis et la France, il s'engage dans une carrière d'homme d'affaires et de financier international.
Monnet déménage en Amérique, pour accepter un partenariat avec Blair & Co., une banque new-yorkaise qui fusionne avecBank of America en 1929 pour former Bancamerica-Blair Corporation, société appartenant àTransamerica Corporation.
Jean Monnet et Silvia de Bondini vers 1934.
En, il rencontreSilvia de Bondini (1907-1982), unepeintre italienne, à Paris lors d'un dîner qu'il donne dans son appartement de larue de Condé[4],[5]. Elle a22 ans, lui 41. Récemment mariée àFrancesco Giannini, un employé italien de la Banque Blair (dont Jean Monnet était le représentant pour l'Europe) et fervente catholique[6], elle ne peut divorcer du fait de la loi italienne. Après cinq ans de procédure en Italie visant à obtenir un divorce, Jean Monnet, arrivé pour l’occasion deChine via leTranssibérien, l'épouse le àMoscou. L'idée d'un mariage à Moscou leur a été suggérée parLudwik Rajchman, considéré comme le fondateur de l'UNICEF, que Monnet a rencontré pendant ses fonctions à laSociété des Nations (et lié à l'ambassadeur soviétique en Chine, Bogomolov).
Il semble que les ambassadeurs américain et français à Moscou,William C. Bullitt etCharles Alphand, ont également joué un rôle dans l'opération. Silvia de Bondini prend en effet au préalable, et grâce aux relations de son mari, la citoyenneté soviétique afin de profiter d'une loi soviétique permettant le divorce unilatéral de son mari italien[4]. Elle prend ensuite la nationalité française le. Jean Monnet parle de sonmariage comme de « la plus belle opération de sa carrière ». Un jugement en leur faveur relatif à la garde d'Anna, leur fille née en 1931 alors que Silvia est encore mariée à Francesco Giannini, a lieu en 1937 à New York, mais il n'est pas reconnu dans tous les pays.
La famille Monnet rentre en France pour s'installer àHoujarray en 1945 avec leurs deux filles, Anna née en 1931, et Marianne née en 1941 à Washington DC[7].
« Monnet ajoutait cet instinct à ses assises charentaise et américaine, grâce à l'influence considérable de sa femme. Elle était italienne. Elle lui expliquait à merveille ce qu’il ne « sentait » pas. Ce fut vraiment une réussite humaine entre les deux. Je considère qu’on ne comprendrait pas Monnet si on oubliait Silvia. »
Leur mariage dure en tout45 ans et ils ont deux filles[9] : Anna en dont le père légal reste à l'époque Francesco Giannini, et Marianne en 1941[10],[11]. Ils sont mariés religieusement près de quarante ans plus tard à Lourdes par l’évêque du lieu,Henri Donze, après la mort de Francesco Giannini en 1974. Silvia meurt àRome en et est enterrée àBazoches-sur-Guyonne[12].
Il retourne à la politique internationale et, en tant que financier international, joue un rôle important dans les politiques de reprise économique de plusieurs pays d'Europe centrale et orientale. En, le ministre des Finances chinois invite Jean Monnet à présider un comité non politique Est-Ouest en Chine chargé du développement de l'économie chinoise. Pendant son séjour enChine, la tâche de Monnet consiste à associer des capitaux chinois à des sociétés étrangères et conduit à l'inauguration officielle de la Société chinoise de financement du développement (CDFC) ainsi qu'à la réorganisation des chemins de fer chinois.
En 1935, alors qu'il se trouve encore àShanghai, Monnet devint partenaire commercial deGeorge Murnane (ancien collègue de Monnet à la Transamerica), dans la société Monnet, Murnane & Co. Murnane était lié à des industriels et financiers : lafamille Wallenberg en Suède, lafamille Bosch en Allemagne, les Solvay et Boël en Belgique, ainsi queJohn Foster Dulles,André Meyer et la famille Rockefeller aux États-Unis.
En 1938,William Bullitt, ambassadeur desÉtats-Unis enFrance proposa au président du conseilÉdouard Daladier de désigner Monnet comme intermédiaire avec leprésident Roosevelt pour arranger la commande et la livraisons d'avions militaires américains à la France qui souffrait d'un grave déficit dans ce domaine[13]. Au début de laSeconde Guerre mondiale, après l'entrée en guerre en, Monnet fut amené à présider, dès, le comité de coordination basé à Londres et visant à mettre en commun les capacités de production de laFrance et duRoyaume-Uni en vue de préparer et de coordonner l'effort d'armement[14].
LorsqueWinston Churchill est nommé premier ministre duRoyaume-Uni le, Jean Monnet arrive à le convaincre, dans une note intituléeAnglo-French unity, de l'intérêt d'un projet, voté par laChambre des communes, d'union franco-britannique immédiate, avec un seul Parlement et une seule armée, pour renforcer la France et le Royaume-Uni face à l'Allemagne. Le généralCharles de Gaulle essaie de convaincrePaul Reynaud, leprésident du Conseil, de signer le traité pour cette union. Le, ce dernier déclare au téléphone à Churchill :« Nous sommes battus, nous avons perdu la bataille », et le lendemain le généralGamelin donne l'ordre de repli aux forces françaises qui se battent enBelgique, et le Paul Reynaud annonce à la radio la nomination du maréchalPétain au poste de vice-président du Conseil.
Le, les troupes allemandes entrent àParis. Le,de Gaulle, en mission à Londres, dicte lui-même au téléphone le texte de la note àPaul Reynaud. Le même jour, il arrive àBordeaux, apprend quePaul Reynaud s'est démis de ses fonctions le soir-même et quePhilippe Pétain est devenu président du Conseil.
Le soir du, Jean Monnet reçoit à son domicile londonien le général de Gaulle, qui prépare son appel radiodiffusé du lendemain. Jean Monnet coopère momentanément avec lui, pour tenter de maintenir le gouvernement de la France aux côtés desAlliés. Néanmoins, il refuse de s'associer à lui pour le lancement de laFrance libre à laquelle il n'adhère jamais[15]. Monnet croit qu'il est plus efficace de coopérer à la victoire desAlliés en entrant au service du gouvernement britannique et c'est ce qu'il fait.
Paradoxalement, de Gaulle et Monnet, quoique très différents, ont immédiatement la même analyse sur la nature mondiale de la guerre et sur son issue victorieuse.
C’est donc tout à fait indépendamment deDe Gaulle que Monnet écrit le à Churchill et à Pétain pour démissionner de ses précédentes fonctions et se mettre à la disposition du gouvernement britannique[16].Churchill demande alors à Monnet de remplir pour le Royaume Uni les mêmes fonctions que celle qu’il occupait pour le Comité de coordination franco-britannique. Son titre officiel est « vice-président duBritish Supply Council ».
Jusqu'en 1945, il s'emploie à coordonner l'effort de guerre entre leRoyaume-Uni et lesÉtats-Unis. Dès 1942, il est prévu de construire 60 000 avions, 45 000 chars d’assaut et huit millions de tonnes de navires de guerre. Jean Monnet résume cette politique par une phrase célèbre :« Il vaut mieux 10 000 chars de trop qu'un seul de moins [que nécessaire] ».John Maynard Keynes a dit de lui qu’il avait abrégé la guerre d’un an[19].
Le, l'Afrique du Nord française, sous le contrôle dugouvernement de Vichy, voit débarquer les Américains dans le cadre de l'opérationTorch. Mais Vichy et ses troupes leur opposent une résistance vive et inattendue. Pour faire cesser les combats, lesAlliés traitent avec l'amiralFrançois Darlan, mais celui-ci est assassiné le par le jeune résistantFernand Bonnier de La Chapelle. En, Jean Monnet est envoyé par Roosevelt àAlger pour seconder le généralHenri Giraud choisi par les Américains pour prendre la tête de l'Armée d'Afrique et de l'administration (Giraud prend ainsi le titre deCommandant en chef civil et militaire)[20]. Son objectif est d’aider à créer les conditions de l’unité des Français pendant et après la guerre sur des bases démocratiques. Dans ce rôle, Jean Monnet contribue largement à l'abandon progressif par Giraud d'une partie de la législation deVichy[21]. Ainsi, dans son ordonnance du, Giraud indique :« Sont nuls les actes constitutionnels, lois et décrets postérieurs à la date du. » Cependant, dans une seconde ordonnance prise le même jour, il abroge à nouveau ledécret Crémieux du accordant la citoyenneté française aux « Israélites indigènes d’Algérie ». Celui-ci sera finalement rétabli le par leComité français de libération nationale.
Les relations de Monnet avec legénéral de Gaulle, qui est encore àLondres, sont tendues. Monnet arrive de Washington où la méfiance est grande vis-à-vis de l’homme du 18 Juin que Roosevelt soupçonne de tendances antidémocratiques. Monnet déplore lui-même l’attitude, qu’il juge intransigeante, du Général vis-à-vis du commandement d’Alger à un moment où, à son sens, l’union entre lesFrançais dans la guerre devrait être la priorité. La tension entre les deux hommes atteint son paroxysme àAlger en. Monnet est indigné par lediscours dede Gaulle du[réf. nécessaire], qu’il juge provocateur, de mauvaise foi et de nature à faire échouer les négociations qu’il mène pour la formation duComité français de libération nationale. Il s’en ouvre àHarry Hopkins, le très proche conseiller de Roosevelt, dans une note datée du qui ne laisse aucune illusion sur le jugement qu'il porte alors sur le général de Gaulle. Il écrit en effet :« Cela me rappelle le discours qu’Hitler a fait avant l’affaire tchécoslovaque. La même technique, la même forme, le même objet, les mêmes promesses illusoires. Heureusement, ce sentiment n’est pas seulement le mien :Catroux etMacmillan ont la même impression[22]. »
Ce jugement très sévère s'exprime dans un contexte d'une extrême tension entre les deux hommes. Monnet, dans une note manuscrite personnelle, ira même jusqu'à écrire :« Il faut se résoudre à conclure que l'entente est impossible avec [le général de Gaulle] ; qu'il est un ennemi du peuple français et de ses libertés ; qu'il est un ennemi de la construction européenne, qu'en conséquence, il doit être détruit dans l'intérêt des Français, des Alliés et de la paix ; (…) pour cela, il faut que, de son intransigeance actuelle, le monde soit convaincu qu’il ne veut pas l’union. Je propose, à cet effet, de simplement publier la lettre et l’aide-mémoireGiraud[23]. »
Après cet épisode d’opposition frontale entre les deux hommes, legénéral de Gaulle joue l’apaisement. Jean Monnet, de son côté, prend progressivement conscience de l'inexpérience politique deGiraud. AvecHarold Macmillan et legénéral Catroux, il joue finalement un rôle significatif dans le processus conduisant de Gaulle à la tête duComité français de libération nationale en. Monnet est ensuite nommé commissaire à l'Armement au sein du Comité, puis commissaire en mission dans leGouvernement provisoire créé en. En mission pour celui-ci auxÉtats-Unis, où Monnet garde des contacts nombreux et influents, il négocie les accords du prêt-bail et les premiers accords de crédit pour 1945[24].
Les Français concluent un accord de prêt-bail et de prêt-bail inversé. Jean Monnet, représentant dugouvernement provisoire français signe des accords. De gauche à droite :Henri Bonnet, ambassadeur de France,Joseph C. Grew, sous-secrétaire d'État et Jean Monnet.
Dès 1943, ses projets pour l'Europe intègrent les exigences américaines concernant les suppressions des droits de douane et des contingentements européens, ainsi que la création d'une« unité économique commune »[25].
Pour Jean Monnet, l'économie de guerre était planifiée, et il est naturel que l'économie de la reconstruction le soit aussi, mais son but n'est pas d'adopter la philosophie de la planification à lasoviétique, ni surtout de transposer enFrance ses méthodes autoritaires. Son but est d'insuffler du dynamisme, pas d'imposer des objectifs. À la libération, il est chargé par le général de Gaulle du plan pour relancer l'économie, en tant quecommissaire au Plan, de à 1952, dans le cadre des prêts américains duplan Marshall. Il présente un éphémèreplan Monnet, visant à prendre le contrôle des zones de production de laRuhr. Il est le père de la planification à la française. Le travail de ses services consiste à étudier la situation, à mettre en évidence les priorités, à évaluer les volumes de production souhaitables, à lancer les discussions sur les moyens de les mettre en œuvre, et surtout à lancer la reconstruction et la modernisation de l'appareil de production. Il est avecLéon Blum le négociateur de l'accord Blum-Byrnes de 1946, qui ouvre le territoire français à laproduction cinématographique américaine.
Construction européenne et président de la Haute Autorité de la CECA
Dès 1950, des rapports signalent que l’Allemagne se relève beaucoup plus vite que laFrance. Certains craignent que les vaincus soient à nouveau tentés par une revanche. De plus, il faut définitivement intégrer l’Allemagne dans le camp occidental alors que laguerre froide débute et que le centre de l'Europe risque de devenir un espace d'instabilité et de guerre Est-Ouest. LaFrance se doit de prendre l'initiative, de tendre la main à l'ennemi d'hier et de proposer de lier les destins des deux principaux pays de l'Europe continentale.
Jean Monnet travaille en secret sur un projet de mise en commun ducharbon et de l’acier, principales sources d'une possible industrie de guerre. Au printemps 1950, il présente son projet àRobert Schuman, qui s'assure de l'accord du chancelier allemand,Konrad Adenauer, et fait le unedéclaration solennelle pour inviter tous les pays intéressés à poser« les premières bases concrètes d'une fédération européenne ».
Dans un discours de 1950, Jean Monnet déclare :
« La prospérité de notre communauté européenne est indissolublement liée au développement des échanges internationaux. Notre Communauté contribuera à régler les problèmes d’échange qui se posent dans le monde… Nous sommes déterminés à rechercher sans délais dans des conversations directes, les moyens de mettre en œuvre l'intention déclarée du gouvernement britannique d’établir l’association la plus étroite avec la Communauté. Nous sommes convaincus que nous pouvons envisager une collaboration étroite et fructueuse avec les États-Unis, qui depuis la proposition faite par Monsieur Schuman le, nous ont donné des preuves répétées de leur sympathie active… Mais, nous ne sommes qu'au début de l'effort que l'Europe doit accomplir pour connaître enfin l'unité, la prospérité et la paix. »
Letraité de Paris de 1951 entérine la création de laHaute Autorité qui s'inspire des agences fédérales américaines, l'Assemblée des Six, une Cour de Justice qui veille au respect du traité et un Conseil de ministres qui assure l'harmonisation des politiques des États membres. C'est la préfiguration d'une Fédération européenne. LaCECA est créée et Jean Monnet devient, de 1952 à 1955, le premier président de laHaute Autorité (Autorité Monnet) de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), installée àLuxembourg, le. Dès 1953, le charbon et l'acier circulent librement au sein des pays membres de la CECA.
Pour lui, cette « Europe des Six » est le seul moyen de lier l'Allemagne et la France et de désamorcer la renaissance d'une rivalité séculaire, en plaçant les productions de l'acier et du charbon dans le cadre d'une délégation de souveraineté. Il veut aller plus loin toutefois, et envisage une armée nationale allemande[26], ce qui semble être un dangereux retour en arrière. Il propose finalement la création d'une armée européenne, présentée parRené Pleven dans le cadre d'un Plan deCommunauté européenne de défense (CED). Un premier traité sera signé, mais sous legouvernementMendès France le Parlement français le rejette néanmoins en 1954.
À la suite de cette première grave crise européenne, Jean Monnet démissionne de la Haute Autorité et fonde leComité d'action pour les États-Unis d'Europe au 82avenue Foch au (16e arrondissement de Paris), pour poursuivre son activité en faveur de l’unité européenne à travers lui. Ce comité regroupe les forces syndicales et politiques des six pays et représente plus de dix millions de personnes. Il prône une fédération européenne et propose de placer le siège des institutions communautaires dans un« district fédéral » échappant aux souverainetés nationales. Jean Monnet l'anime jusqu'en 1975, et il travaille sur les projets de traité pour le Marché commun et d'Euratom, qui privilégie une filière américaine d'approvisionnement contre l'indépendance nucléaire française[27], projets qui aboutissent autraité de Rome, le et sur le projet d'élargissement de la Communauté auRoyaume-Uni.
Jean Monnet résume la philosophie de son projet européen dans la formule :« Nous ne coalisons pas les États, nous rassemblons les hommes. »
De Gaulle s'opposeviolemment[réf. nécessaire] à la CED et critique fermement la mise en place de la CECA et dutraité de Rome. Outre qu'il ignore le détail des intrigues que Monnet avait menées contre lui auprès deRoosevelt, l'ancien chef de la France Libre se méfie de Monnet tout comme il s’était méfié de Roosevelt. Monnet était pour lui un banquier deWall Street. Monnet s'était rallié directement aux Anglo-Saxons pendant la Seconde guerre mondiale et avait ensuite soutenu le généralHenri Giraud, à Alger. Ainsi, de Gaulle n'hésitera pas à le traiter de« petit financier à la solde des Américains »[28]. Monnet s'oppose à de Gaulle par ses projets concrétisant l'idée de supranationalité. Ceux-ci, selon de Gaulle, mettent en danger le droit à l'indépendance de la France, sous attaque depuis 1939. De Gaulle, dira plus tard que la Commission Européenne doit être« une commission commune qui ne soit naturellement pas constituée avec des Jean Monnet, des apatrides soi-disant supranationaux, mais avec des fonctionnaires qualifiés »[29]. Néanmoins, quand il revient au pouvoir en 1958, de Gaulle ne remet plus en cause les premiers acquis de la construction européenne, dont Jean Monnet est pourtant un des principaux instigateurs. De Gaulle favorise la mise en place de la CEE enlançant les négociations[réf. nécessaire] de lapolitique agricole commune (PAC), qui consacre le principe communautaire et l'autorité de la Commission avec un droit de veto pour la France (principe d'unanimité). Cependant, tant que de Gaulle reste au pouvoir, la France demeurera hostile au transfert important de souveraineté prôné par Monnet.
Tombe de Jean Monnet (la deuxième à gauche) auPanthéon.
En effet, selon de Gaulle, la construction européenne doit se fonder « sur des réalités », sur les États et seulement sur eux. À l'inverse de Monnet qui souhaite une intégration du rôle américain, de Gaulle estime en outre que l'Europe unie se résume surtout à un partenariat franco-allemand ; il aurait dit à ce propos :« L'Europe ? C'est la France et l'Allemagne ; le reste, c'est les légumes ! » Il reste ainsi fidèle à la vision de la France qu'avaientArmand Jean du Plessis de Richelieu etJacques Bainville[30] sur l'Allemagne. Dès son retour au pouvoir en 1958, il manifeste clairement sa priorité diplomatique en prenant l'ambassadeur de France à Bonn,Couve de Murville, comme ministre des Affaires étrangères. Puis il reçoit le chancelierKonrad Adenauer chez lui, àColombey, honneur qu'il ne répétera jamais pour quiconque. La messe solennelle, célébrée dans la cathédrale de Reims avec le chancelier allemand, et la libération des derniers Allemands condamnés pour crimes de guerre en France sont autant de gestes symboliques qui doivent se conclure par letraité de l'Élysée de. De Gaulle scelle ainsi la réconciliation entre ce qu'il appelait« les Gaulois et les Germains ».
Lelobbying des Américains auprès des parlementaires allemands parvient néanmoins à neutraliser ce traité. LeBundestag allemand, en ratifiant le traité de 1963, le fait précéder d'un préambule qui replace cet accord dans le cadre de l'Alliance atlantique et réaffirme la priorité de l'alliance germano-américaine sur le partenariat franco-allemand[31].
Jean Monnet accorde le primat aux forces de l'économie et au commerce international, qu'il connaît bien. De Gaulle, imprégné d'une profonde culture historique, et conscient de la faiblesse économique française au lendemain de la guerre, privilégie les relations entre États souverains.
En 1963, Jean Monnet crée, àLausanne, l’Institut de recherches historiques européennes pour rassembler des archives significatives et de leur consacrer des recherches. Il assure la présidence de cet institut jusqu’en 1965.
Jean Monnet utilise pour la mise en place de la CECA, puis duMarché commun, l'expérience acquise au cours des deux guerres mondiales : donner des pouvoirs limités mais réels à des institutions supranationales, dans des secteurs essentiels. La nature essentielle des secteurs concernés permettra l'accroissement graduel des pouvoirs d'influence de ces institutions.
De nombreux hommes politiques, en France et à l'étranger, rendent hommage à Jean Monnet. En 2004, le Premier ministreJean-Pierre Raffarin déclare ainsi :« Dans notre monde, j'en rencontre beaucoup qui veulent être quelqu'un (…). Moi, je me sens plutôt dans le camp de ceux qui, comme Jean Monnet, veulent faire quelque chose[32]. »
Le centre de recherches européennes, devenuFondation Jean Monnet pour l'Europe et situé àLausanne, est unefondation d’utilité publique, apolitique et non partisane, créée en 1978 par Jean Monnet, avec l'aide d'Henri Rieben, dont le but est d’accueillir l’ensemble des archives de Jean Monnet. La fondation concentre également un certain nombre d'archives européennes[33].
Plus récemment, la méthode de Jean Monnet est quelquefois remise en cause par certains hommes politiques, commeDominique Strauss-Kahn, qui affirme dans un rapport remis àRomano Prodi en :
« Aujourd'hui la méthode Monnet est arrivée à épuisement. Le déséquilibre qu'elle a généré — des compétences politiques de plus en plus importantes confiées à une institution de nature technique — provoque une crise institutionnelle profonde : l'Union européenne est malade de son déficit démocratique. »
Jean Monnet lui-même concevait cependant les institutions de ce qui allait devenir l'Union européenne, et notamment sa Commission, comme le moyen d'enclencher un processus menant aux États-Unis d'Europe, non comme une fin.« Ce que nous préparons, à travers l'action de la Communauté, n'a probablement pas de précédent. Cette communauté est fondée elle-même sur des institutions qu'il faut renforcer tout en sachant que la véritable autorité politique, dont se doteront un jour les démocraties européennes reste à concevoir et à réaliser », dit-il dans les dernières pages de ses mémoires, publiées en 1976, trois ans avant sa mort. (Mémoires, Jean Monnet, Fayard éditeur)
Néanmoins, les seuls fonds américains vérifiables et précisément quantifiables octroyés à Monnet pendant cette période sont venus par lafondation Ford pour soutenir son secrétariat immédiat[34]. La fondation, qui aurait reçu un soutien financier de la part du gouvernement des États-Unis, a délibérément employé de nombreux agents de laCIA pendant les années 1950 et 1960[35],[36],[37]. Il convient de noter le contexte des financements. En effet, après la Seconde Guerre mondiale, alors que laGuerre froide débutait, les Américains voulaient empêcher la progression du communisme en Europe[b] pour défendre les valeurs occidentales, empêcher unetroisième guerre mondiale et assurer le succès du plan Marshall[38]. Dans ce contexte, aucun document ne permet d'affirmer que Monnet ait été sous influence américaine. À la fin de sa vie, il poussait même pour plus d'égalité dans les relations transatlantiques, notamment à travers la Déclaration d'interdépendance qu'il fait signer parHenry Kissinger.
Le jour du centenaire de la naissance de Jean Monnet, le, le président françaisFrançois Mitterrand préside la cérémonie du transfert des cendres du Père de l'Europe auPanthéon de Paris.
En 1992, la France frappe une monnaie commémorative en argent de 100 francs qui est créée parJoaquin Jimenez. Jean Monnet y est représenté, entouré des douze étoiles du drapeau de la Communauté européenne et de l'inscription « Communauté européenne - Jean Monnet - Unir les Hommes ».
↑« La prospérité de notre communauté européenne est indissolublement liée au développement des échanges internationaux. Notre Communauté contribuera à régler les problèmes d’échange qui se posent dans le monde. Nous sommes déterminés à rechercher sans délais dans des conversations directes, les moyens de mettre en œuvre l’intention déclarée du gouvernement britannique d’établir l'association la plus étroite avec la Communauté. Nous sommes convaincus que nous pouvons envisager une collaboration étroite et fructueuse avec les États-Unis, qui depuis la proposition faite par Monsieur Schuman le, nous ont donné des preuves répétées de leur sympathie active. Nous assurerons toute liaison utile avec les Nations unies et l'Organisation européenne de coopération économique. Nous développerons avec leConseil de l'Europe toutes les formes de collaboration et d'assistance mutuelle prévues par le traité. Mais, nous ne sommes qu'au début de l'effort que l'Europe doit accomplir pour connaître enfin l’unité, la prospérité et la paix. »
↑En effet, Richard J. Aldrich rappelle que les États-Unis ont également financé jusqu'à 1950 de nombreux mouvements anticommunistes de résistance, qui étaient issus de la Seconde Guerre mondiale (Aldrich 1997,p. 186).
↑Eric Roussel (sous la direction de Jean-François Sirinelli),Dictionnaire historique de la vie politique française au XXe siècle, Paris, Presses universitaires de France,, 1067 p.(ISBN2-13-046-784-9), Jean Monnet
↑AndreasWilkens,« Jean Monnet, Konrad Adenauer et la politique européenne de l’Allemagne fédérale – Convergence et discordances (1950-1957) », dansJean Monnet : L’Europe et les chemins de la paix, Éditions de la Sorbonne,coll. « Internationale »,(ISBN979-10-351-0382-8,lire en ligne),p. 147–201
↑Pascale Winand, « De l'usage de l'Amérique par Jean Monnet pour la construction européenne », dans Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (dir.),Jean Monnet, l'Europe et les chemins de la paix, Publications de la Sorbonne, 1999,p. 253-272.
↑Les Grandes énigmes de la Résistance, Bernard Michal, 1968, page 185
↑Alain Peyrefitte, -C'était de Gaulle, Tome II, page 163, à propos d'une organisation européenne de défense
Marie-LaureDjelic, « Genèse et fondements du plan Monnet : l'inspiration américaine »,Revue française d'études américaines,no 68,,p. 77-86(lire en ligne).