Il a été marié deux fois, en 1948, à Andrée May (deux filles), puis en 1993 avec Dolorès Lyotard, la mère de son fils David né en 1986. Il est le père deCorinne Enaudeau, également philosophe, spécialiste de son œuvre.
Tout au long de sa carrière universitaire Jean-François Lyotard a contribué aux revuesL'Âge nouveau,Les Temps modernes,Socialisme ou barbarie,Cahiers de philosophie,Esprit,Revue d'esthétique,Musique en jeu,L'Art vivant,Semiotexte,October,Art Press International,Critique,Flash Art,Art Forum,Po&sie...
Sans doute l'essai le plus connu et le plus cité de Lyotard,La Condition postmoderne : rapport sur le savoir (1979) a popularisé, à tort ou à raison, l'expression de « postmodernisme ». L'ouvrage est à l'origine une commande du gouvernement du Québec. La thèse centrale de Lyotard est que lesprogrès des sciences ont à la fois rendu possible et exigé la fin de la crédulité à l'égard desmétarécits de laModernité, qui visent à donner des explications englobantes et totalisantes de l'histoire humaine, de son expérience et de son savoir. Les deux grands récits narratifs qui justifiaient le projet scientifique des Lumières seraient, selon lui, le métarécit de l'émancipation du sujet rationnel d'une part, et d'autre part le métarécithégélien de l'histoire de l'Esprit universel. Or, aprèsAuschwitz d'une part, mais aussi en raison de l'informatisation de la société et du passage à unesociété postindustrielle, le savoir scientifique perdrait ces légitimations ; le savoir est alors réduit à une simple « marchandise informationnelle », dénuée de toute légitimation[7].
Ce texte prend la forme d'une conversation semi-formelle entre Lyotard et Jean-Loup Thébaud, qui se place ostensiblement dans la position du disciple interrogeant le maître sur ses concepts fondamentaux. L'intersection de deux concepts, lepaganisme et lajustice, est discutée en profondeur et d'une manière qui reste fidèle à l'approche adoptée dans les essais précédents et ceux qui suivront, c'est-à-dire centrée sur l'épistémologie moderne et la relation entre savoir et langage. Le titre de la traduction anglaise -Just Gaming - donne un aperçu du caractère très original de cet échange où la justice est constamment ramenée auxjeux de langage au sein desquels les décisions justes doivent être formulées. Préparant sa thèse célèbre qui sera approfondie plus tard dansLe différend, Lyotard insiste sur la différence fondamentale entre les discoursontologique et prescriptif. « Ce qui doit être ne peut être déduit de ce qui est »[8]. Dans la modernité, les discours qui encadraient l'action politique pouvaient aisément se justifier en proclamant avoir mis en application une idée essentielle de la justice. Une action était jugée « juste » si elle représentait adéquatement l'idée universelle de la justice. Cette manière de penser la justice est profondément platonicienne, nous dit Lyotard, qui préfère, quant à lui, l'approche plus pragmatique qu'adopteAristote dans saRhétorique, par exemple, où les décisions justes sont le résultat d'une « lecture correcte » d'un cas. Cette approche centrée sur une lecture « dialectique » des dilemmes (le concept de dialectique étant constamment défini chez Lyotard comme la « discussion sur les opinions ») est au cœur du paganisme lyotardien, qui met en cause la présence d'un esprit universel (dont le « monothéisme métaphorique » sert de contrepoids au « paganisme criticiste » prôné par Lyotard) et insiste sur la nécessité de porter de nouveaux coups dans le procès d'établissement de l'être des choses et d'inventer de nouveaux critères de jugement. Ces idées jettent évidemment les bases d'une lecture de la société postmoderne, où les discours politiques ne peuvent plus prétendre à une « reconnaissance ontologique » de leurs dictats.
La pensée de Lyotard est difficile à classer ; on la place souvent au carrefour de laphilosophie, de lalinguistique et de lacritique littéraire. Lyotard a d'ailleurs participé à toutes ces sphères du savoir contemporain, et on l'associe souvent à la discipline de lalittérature comparée. Dans la lignée deRoland Barthes,Jacques Derrida et de la critique duconcept d'auteur, Lyotard écrit une fable postmoderne, véritable « critique dusujet ». Il a par ailleurs travaillé sur la question dunégationnisme.
De tous ses livres, un ouvrage semble occuper un lieu particulier dans l'œuvre : en quatrième de couverture duDifférend, Lyotard en parle comme son « livre de philosophie ». Cet essai se place ostensiblement dans la catégorie de laphilosophie du langage. Lyotard, qui y met en cause la « présence » du sujet moderne de la connaissance (dont il avait montré le « métarécit de l'émancipation » dansLa Condition postmoderne : rapport sur le savoir) dit qu'au départ « il y a une phrase » : on ne sait ni qui la prononce, ni ce qu'elle dit, ni à qui elle est adressée. La phrase est lafigure par laquelle se fonde sa vision du langage et des rapports qu'il entretient avec la pensée[9].
Lyotard ouvre son propos sur la question dunégationnisme, prenant l'exemple deRobert Faurisson, qui nie l'existence même des chambres à gaz. Lyotard interroge alors le concept detémoignage et sa relation avec l'entreprise de destruction systématique des Juifs d'Europe, ainsi que le rapport entre témoignage,histoire (des historiens), (dé)négations de l'histoire historienne et des témoignages, (im)possibilité de témoigner pour le « musulman », etc. Il montre ainsi ce qui sépare le témoignage impossible de sa propre destruction de la science historienne. Influencé par les réflexions dePrimo Levi, ces interrogations au sujet du témoignage ont été reprises parGiorgio Agamben. De cette prémisse découle tout le reste de son propos, qui met en cause les grandes présuppositions de la pensée moderne et annonce le besoin de nouveaux paradigmes.
En général, la pensée occidentale moderne présuppose la possibilité d'unconsensus sur certains référents « extra-textuels » (le temps, l'espace, la loi, la justice, l'être, etc.), des référents qui existent en dehors de leur présentation dans une conversation, un texte écrit ou un document audio-visuel. Lyotard soutient que le statut « extra-textuel » de ces référents est problématique et qu'il n'existe pas de plate-forme universelle sur laquelle penser l'émergence etl'historicité de ces référents, qui doivent toujours être présentés dans une phrase qui en invente le concept, en quelque sorte. Pour que la phrase « la séance est levée » ait un sens, il faut qu'une autre phrase ait contextualisé les concepts de « séance » et de « lever une séance » ; ces deux concepts ne vont pas de soi, ne sont pas des objets susceptibles d'être saisis par une conscience universelle ; ils sont toujours propres à un certain discours.
Lyotard insiste beaucoup dans leDifférend sur le concept de « jeux de langage », qu'il emprunte au philosophe autrichienLudwig Wittgenstein, un penseur qui, bien qu'associé à la philosophie analytique anglo-saxonne, s'en démarque par son refus (dans lesInvestigations philosophiques, notamment) de certains « éléments simples » donnésa priori.
Le langage n'est pas un objet statique qu'on pourrait définira priori. Il est plutôt composé de certains jeux, dont les règles changent à mesure que leurs participants y portent des coups. « Raconter », « juger », « interroger », « analyser » sont tous des jeux différents qui ont leurs règles propres. Lyotard soutient qu'il n'existe pas de plate-forme universelle où on pourrait juger de tous ces jeux de langage. Dans toute phrase, il y a inévitablement un « différend ». Un discours savant, inscrit dans le jeu du savoir positif, ne pourra pas « s'entendre » avec un discours de l'expérience phénoménologique, ou d'une expérience ésotérique, qui ont tous deux droit de cité dans la pensée contemporaine.
De même, pour reprendre son exemple tiré du discours marxiste, le travailleur qui fait face au patron subira un « tort » si sa force de travail est traitée comme une marchandise, puisque, pour le travailleur, ce travail fait partie de son être, de son expérience de vie, et qu'on fait violence à cette expérience en l'assimilant à un objet pouvant être marchandé, exploité pour du profit. Le jeu de langage du patron fait subir un tort au discours du travailleur si ce dernier n'a pas les moyens de faire valoir son point de vue. La discussion de ces deux jeux ne peut pas se faire dans un espace neutre, un espace du « litige » où une règle universelle permettrait de trancher le débat.
Lyotard insiste, en terminant, sur l'importance de donner droit de cité à des discours, des nouveaux « jeux de langage », qui permettent aux nouveaux torts de se dire et de s'écrire. L'essai porte avec lui une vision politique manifeste qui n'est jamais portée à l'avant-plan, et qui pourtant en constitue le prétexte (une caractéristique propre à d'autres textes lyotardiens commeDiscours, figure,La Condition postmoderne ouL'Enthousiasme où il positionne le savoir comme une arme idéologique).
La thèse de Lyotard, publiée sous le titreDiscours figure (1971), porte sur l'esthétique. Lyotard s'est beaucoup consacré aux questions esthétiques, et d'une manière qui cherche à rompre avec la perspectivehégélienne, chez qui l'art devait se penser comme matérialisation de l'esprit.
L'expositionLes Immatériaux, présentée au Centre Pompidou 28 mars - 15 juil. 1985 sous la responsabilité du philosophe Jean-François Lyotard et deThierry Chaput, interrogeait le rôle des nouvelles technologies dans la modernité[11].
On doit au peintreJean Labellie un portrait de Jean-François Lyotard.
Sous le nom de Jef, il est l'un des personnages du romanPierrot-la-lune, dePierre Gripari, qui fut son camarade d'études.
DansUne histoire consternante, le chercheur Hassan Givsan, parle de son livre,Heidegger et “les juifs” (1988) où la métaphysique occidentale ne s’est pas détruite durant la Shoah, mais seulement des « témoins » d’une « autre pensée », des « otages » de la « Loi » rappelant « l’être-jeté » deMartin Heidegger et la notion de massacre sans témoin développée par le négationnisteRobert Faurisson[12]. Ce "litige" ou ce "différend" est développé dansLe Monde, parChristian Delacampagne[13].
L'Assassinat de l'expérience par la peinture, Monory, Paris, Le Castor Astral, coll. « Le mot et la forme », 2003.
Pourquoi philosopher ?, Paris, PUF, 2012 [1964]
Logique de Levinas, textes rassemblés, établis et présentés par Paul Audi, postface de Gérald Sfez, Lagrasse, Verdier, 2015
Jean-François Lyotard: Ecrits sur l'art contemporain et les artistes / Writings on Contemporary Art and Artists , dir.Herman Parret, six volumes, Leuven: U.P. Leuven, 2009-2013
Jean-François Lyotard: The Interviews and Debates, (en Anglais) textes rassemblés, établis et présentés par Kiff Bamford, London: Bloomsbury, 2020