Fils de Lucien etSuzanne Roubaud, Jacques Roubaud a une sœur et deux frères, dont Jean-René, qui s'est suicidé en 1961, à 22 ans. Il passe son enfance àCarcassonne puis àParis après laSeconde Guerre mondiale ; il se dit un élève moyen[4]. Reconnu très tôt parLouis Aragon, il publie un premier recueil de poésies en 1944 sous le titrePoésies juvéniles, puis un second en 1952, intituléVoyage du soir.
Véritablement fasciné par les formes fixes des poèmes comme lesonnet (il dit en avoir lu plus de cent cinquante mille), lerenga et lasextine (L'Oulipo qualifie de « n-ine » ou encore « quenine » les généralisations de la sextine à des nombres autres que 6[5]), il apprend depuis tout jeune des milliers de vers et des centaines de poèmes par cœur[6]. En 1961, il se consacre exclusivement à la composition de sonnets, entamant dès lors une démarche expérimentale dans la plupart de ses travaux littéraires. La série des « pseudo-romans » autour du personnage de « la Belle Hortense », de même que ses nombreux livres de poèmes pour enfants, ou la majeure partie de ses contes, pour enfants ou adultes, ne relèvent cependant pas à proprement parler, ou seulement à la marge, de cette démarche.
Étudiant enhypokhâgne, l'expérience ne lui plaît pas. Il y met fin à la suite d'un commentaire d'un poème desChimères deGérard de Nerval. Il dit détester les concours et les examens. Vouant une grande admiration à l'œuvre dugroupe Bourbaki, aux études de lettres il préfère les mathématiques, qu'il enseigne à partir de1958,« pour des raisons utilitaires[7] », commeassistant délégué puismaître assistant à l'université de Rennes.
À Rennes, il rencontre le mathématicienJean Bénabou (cousin de l'oulipienMarcel Bénabou), avec qui il se lie d'amitié et qui apparaît dans plusieurs de ses textes poétiques[8]. Ensemble, ils démontrent un théorème important dethéorie des catégories, qui porte leur nom[9],[10]. Il est professeur de mathématiques à l'université Paris-Nanterre[11] de 1970 à 1991[12],[13]. En 1990, il publie ses travaux destinés initialement à une thèse non soutenue[14] :« La forme du sonnet français de Marot à Malherbe. Recherche deseconde rhétorique »[15],[16].
Les mathématiques ont une grande influence sur son activité littéraire, poétique (comme dans∈) ou de fiction (voir la série desHortense[17] basée sur lasextine — 6 volumes prévus, dont 3 publiés). Il serait l'auteur d'un passage d'inspiration mathématique deLa Disparition, deGeorges Perec, qui cite notammentJean Bénabou sous les traits du « cousin d'Ibn Abbou »[18].
En décembre 1965, il fait partie des six poètes pour lesquelsLouis Aragon organise une soirée baptisée « Six poètes et une musique de maintenant » authéâtre Récamier, à Paris[19].
En 1966, Jacques Roubaud est invité d'honneur de l'Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo)[20]. La même année il y est coopté parRaymond Queneau. Il devient l'inventeur de nombreuses contraintes telles que le « baobab » et le « haïku oulipien généralisé ». Il est le cofondateur, avecPaul Braffort, de l'Atelier de littérature assistée par les mathématiques et les ordinateurs (Alamo) en 1981[21].
En 1968, il est, avecJean-Pierre Faye etMaurice Roche, le cofondateur de la revueChange, qui accueillera des textes d'oulipiens. Auparavant, il avait fourni de nombreuses contributions à la revueAction poétique. En 1969, il est à l'origine de la création du Cercle Polivanov, qui publiera lesCahiers de poétique comparée[22].
Il épouse en première noces Sylvia Bénichou (1935-2025), fille de l'universitairePaul Bénichou[23].
Il épouse en 1980 la photographe et écrivaine d'origine canadienneAlix Cléo Roubaud ; gravementasthmatique depuis l'enfance, elle meurt à trente et un ans en 1983 d'une embolie pulmonaire. Jacques Roubaud évoque sa disparition dansQuelque chose noir etLe Grand Incendie de Londres.
Jacques Roubaud a été directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) jusqu'en 2001. Il a travaillé en collaboration avec de nombreux artistes, notamment Micaëla Henich,Christian Boltanski et le compositeur françaisFrançois Sarhan, pour lequel il écrit laGrande Kyrielle du sentiment des choses en 2002. La compositriceKaija Saariaho a par ailleurs mis en musique des extraits desÉchanges de la lumière dans son œuvre pour chœurNuits, Adieux (1991) et donné à son concerto pour violon (1994) le titreGraal Théâtre, en référence à l'œuvre de Roubaud et Delay. Le premier opéra de Saariaho,L'Amour de loin (2000), est d'ailleurs inspiré des ressources sur le troubadourJaufré Rudel traduites et présentées par Jacques Roubaud dansLa Fleur inverse.
Jacques Roubaud revendique plusieurs influences à travers ses nombreux et divers centres d'intérêt :littérature médiévale, en particulier l'énorme corpus de lamatière de Bretagne, en français et en anglais[27] ; poésie des troubadours, dont il est sans doute un des plus grands connaisseurs en France (reprise par exemple de la forme extrêmement complexe de lasextine dansQuelque chose noir) ;poésie japonaise ancienne ; prose japonaise ancienne (leGenji Monogatari) ;jeu de go (il a publiéun traité sur ce sujet en collaboration avec Pierre Lusson etGeorges Perec) ; ou encore littérature de langue anglaise : écrivains britanniques, notammentLewis Carroll etAnthony Trollope, poètes britanniques jusqu'à la fin duXIXe siècle, parmi lesquelsGerard Manley Hopkins ; poètes américains duXXe siècle.
Il est ainsi réputé pour ses nombreuses traductions, dont il a rassemblé une partie dans un volume intituléTraduire, journal, où ne figure aucun des poèmes en version originale : il estime que le poème cible est une œuvre à part entière, distincte du poème-source et autonome. Pourtant, son anthologie de la poésie des troubadours parue chez Seghers comporte les œuvres originales en langue d'oc.
Il a déclaré :
« Un poème est un objet artistique de langue à quatre dimensions : pour la page (c’est-à-dire pour l’œil), pour l’oreille (ce que nous entendons), pour la voix (ce que nous prononçons) et pour une vision intérieure[28],[29]. »
« Yhwh convoque » et « Dans le désert » (avec Marie Borel et Jean l'Hour), « Livre de Joël » (avec Jean l'Hour), « Paroles de Qohélet » et « Esther (grec) » (avec Marie Borel et Jean l'Hour), dansLa Bible, Paris, Bayard, 2001.
Graal théâtre : Gauvain et le chevalier vert, Lancelot du Lac, Perceval le Gallois, L'enlèvement de Guenièvre, Paris, Gallimard, 1977De ce futur cycle de dix pièces, ils publient celles qui seront les III, IV, V et VI de la décalogie.
Graal théâtre : Joseph d'Arimathie, Merlin l'enchanteur, Paris, Gallimard, 1981 (pièces I et II de la décalogie)
Graal théâtre : Joseph d'Arimathie, Merlin l'enchanteur, Gauvain et le Chevalier vert, Perceval le Gallois, Lancelot du Lac, L'enlèvement de la reine, Morgane contre Guenièvre, Fin des temps aventureux, Galaad ou la Quête, La tragédie du roi Arthur, Paris, Gallimard, 2005[44].
Morphismes rationnels et algébriques dans les types d'A-algèbres discrètes à une dimension, thèse de doctorat,université de Rennes, 1967, Publications de l'Institut de statistique de l'université de Paris, vol. XVII,no 4, 1968,p. 1-77.
La Forme du sonnet français de Marot à Malherbe : recherche de seconde rhétorique, thèse de doctorat d'État,université Paris IV, 1990.
↑UneAnthologie en sera également publiée la même année chezP.O.L sous le titreSoleil du soleil : Le sonnet français de Marot à Malherbe(ISBN2-86744-175-7).
↑Eric Loret, « Jacques Roubaud, autobiografiction »,Le Monde,(lire en ligne, consulté le).
↑Christine Marcandier, « Jacques Roubaud : « Qu’est-ce que cela peut être, une autobiographie ? » (Le grand entretien) »,Diacritik,(lire en ligne, consulté le).
↑Fabienne Darge, « La folle quête du Graal théâtralJacques Roubaud et Florence Delay ont décliné en dix pièces les aventures des chevaliers de la Table ronde »,Le Monde,(lire en ligne, consulté le).
↑« À Lorient de Jacques Jouet et Jacques Roubaud »,Le Monde,(lire en ligne, consulté le).
Jean-Jacques Poucel,Jacques Roubaud and the Invention of Memory, Chapel Hill, University of North Carolina Press (collection "North Carolina studies in the Romance languages and literatures", 85), 2006, 287 p.
Christophe Reig,Mimer, Miner, Rimer : le cycle romanesque de Jacques Roubaud, préface de Bernard Magné, Amsterdam, Rodopi,coll. « Faux-Titre »no 275, 2006, 470 p.
Roubaud — Rencontre avec Jean-François Puff, Paris,éditions Argol, 2008, 145 p.
Christophe Reig, « Jacques Roubaud, piéton de Paris - échantillons de mémoire urbaine »,Relief,vol. 2,no 1,(lire en ligne).
BaptisteFranceschini,L'oulipien translateur : la bibliothèque médiévale de Jacques Roubaud (Thèse de doctorat en Littérature française, francophone et comparée -Université Bordeaux 3 etUniversité de Montréal),(lire en ligne).