Son père, Jean Le Goff, né en 1878, est issu d’une famille modeste. Après avoir étudié àRennes, il devientprofesseur certifié d'anglais. Il enseigne àThessalonique,Smyrne etAlexandrie puis devient professeur de lycée àToulon. Jean Le Goff est assez fermé à l'égard de la religion et adhère à la Mission Laïque[1]. Cette opinion anticléricale est renforcée lors de l'affaire Dreyfus. Durant laPremière Guerre mondiale, il sert comme soldat puis comme interprète auprès de l'armée américaine[5]. Cette expérience lui laisse une mauvaise opinion des Américains mais un sentiment positif vis-à-vis des Anglais. Il rencontre sa femme à Toulon et se marie le. Paralysé à la fin de sa vie, il meurt en 1958.
La mère de Jacques Le Goff, Germaine Ansaldi, d'origineitalienne, est née en 1891 enProvence[6]. Élevée dans une école religieuse, elle reçoit une éducation pieuse[1]. Professeure de piano, elle reste attachée aux coutumes et à la culture méridionales. Contrairement à son mari, elle est très proche de la religion qui l’encourage dans ses idées traditionalistes (mais sera opposée aurégime de Vichy)[5]. Elle meurt le.
Jacques Le Goff décrit son père comme étant « droit, honnête, dévoué et intègre ». Il cherche à comprendre le comportement de son père et par là, à découvrir comment une société peut être modelée par des mentalités et des comportements, forgés par l’histoire, ses tendances et ses évènements marquants. Les caractères opposés et complémentaires de ses parents ont beaucoup influencé Jacques Le Goff, notamment dans ses choix : au contact d’une éducation religieuse et d’un enseignement public, il a pu développer une liberté de conscience[5].
Il se forge des opinions politiques alors qu’il est encore assez jeune : en 1936, alors qu'il découvre leMoyen Âge en lisantIvanhoé, il s'enthousiasme pour les réformes sociales duFront populaire[6] ; il refuse de défiler devantPhilippe Pétain en première, mais« sur quoi, l'après-midi, un de mes camarades a usé de menaces : « Comme on te veut du bien, on te conseille fortement d'aller défiler sinon tu verras que les ennuis pour toi et ta famille ne seront pas petits. » J'ai raconté cela à la maison en rentrant, et ma mère, fort inquiète, a insisté pour que j'aille à la cérémonie. Finalement, je suis allé défiler. Lâcheté personnelle, donc. Cela n'arrange pas mes souvenirs[7] ». Ceci est inscrit sur des fichiers àVichy et il n’obtient aucune pension lorsqu’il fait sonhypokhâgne aulycée Thiers deMarseille. Il reste toujours opposé au régime de Vichy :« Pétain est la plus grande tache sur l’histoire de France »[8] estimait-il en 1987.
Jacques Le Goff développe une passion en tant qu’observateur de la politique. En effet, même s’il vote au départ pour leMouvement républicain populaire (MRP), il arrête très vite et ne se tourne pas vers lecommunisme comme c’était chose courante à l’époque (le fait qu’il ait assisté aucoup de Prague en est une cause). Cependant, il devient un militant duParti socialiste unifié (PSU)[9] de 1958 à 1962[10]. Attiré par lemarxisme[réf. souhaitée], qui lui paraît exiger une certaine ouverture d’esprit, il associe d’autres disciplines à son étude de l’histoire, et notamment l’anthropologie.
En 2013, il signe le manifeste du Laboratoire d'esprit civique[11].
Il entre en hypokhâgne aulycée Thiers deMarseille, mais suit peu les cours. Après un passage aulycée Louis-le-Grand àParis, il intègre l'École normale supérieure de la rue d'Ulm. Convoqué par leSTO, il se réfugie dans le maquis. Il lit beaucoup et rencontre leMoyen Âge avec la figure d’Ivanhoé deWalter Scott. Il obtient un certificat de français, latin et grec. Il doit suivre des cours dephilologie à laSorbonne pour finir sa licence et préparer sonagrégation de lettres, mais il abandonne après deux semaines et se tourne vers l’histoire. Il garde une mauvaise impression de la Sorbonne, mais se plaît à Paris où il a accès à d’autres formes de culture comme le cinéma et le théâtre[5].
En 1945, après un voyage àInnsbruck, leQuai d'Orsay lui propose de travailler sur l’histoire tchécoslovaque : il apprend letchèque et travaille sur le sujetLes Origines de l’université Charles de Prague au milieu duXIVe siècle. En 1946, il est séduit par la ville de Prague et décide de poursuivre ses études à l'université Charles de Prague de 1947 à 1948. En, il assiste aucoup de Prague et à la prise de pouvoir par les communistes[5].
Pour continuer sa formation, il étudie àOxford pendant un an, mais ne s’y plaît pas. À la suite de cela, il travaille un an auCNRS, mais c'est à nouveau un univers qui ne lui convient pas.
En1960, il obtient un poste à laVIe section de l'École pratique des hautes études. Deux ans plus tard, il se voit offrir un poste de directeur d’études. Il accepte, car il aime la liberté de recherche et la possibilité de nombreux échanges intellectuels ; il se rend enItalie, enAllemagne et enPologne. Il y travaille sur le développement intellectuel au Moyen Âge. En 1960, il assisteBraudel qui travaille en histoire économique. Ceci lui permet de rencontrer des historiens étrangers, notamment des historiens polonais dans le cadre d'un échange avec l'institut d'histoire de l'Académie polonaise. C'est à cette occasion qu'il rencontre sa femme, Anna Dunin-Wasowicz, médecin spécialiste de psychiatrie infantile qu’il épouse en 1962 àVarsovie[5].
Bien qu’il ne fasse pas de thèse d’État, il accède en 1969 à la direction desAnnales avecEmmanuel Le Roy Ladurie etMarc Ferro ; puis en 1972 il devient président de laVIe section de l'École pratique des hautes études[1] qu’il transforme en établissement autonome en 1975 : l’École des hautes études en science sociale (EHESS). Il y met en place un groupe d'anthropologie historique de l'Occident médiéval. Dans ce contexte, il apprend le rôle et le fonctionnement des institutions, ce qui lui redonne de l’intérêt pour l’histoire politique.
Pour comprendre et expliquer la continuité des évènements historiques, Jacques Le Goff s'intéresse à l'histoire des sociétés et en particulier à celle des mentalités qui pour lui constituent une histoire plus« subtile » :« l’histoire est mue par des mouvements profonds et continus, elle ne connaît pas de rupture brusque. » Il ne donne pas trop d'importance à la croisade dans son ouvrageCivilisation de l'Occident médiéval. Il ne sacralise pas non plus laRévolution française[15].
Pour Jacques Le Goff, l’histoire ne peut être objective : c’est une« activité presque involontaire de rationalisation ». Il s’est penché sur l’Histoire comme mémoire, sur l'histoire des mentalités et des sensibilités en utilisant des documents traditionnels et des documents qui témoignent du vécu passé et récent, comme des confessions ou encore des objets de la vie quotidienne[16]. Il porte également son intérêt sur la place des sentiments et de l'affectivité dans l'Histoire. À cet égard, il s'intéresse à deux épisodes historiques : d’abord le début duXIe siècle, période d'entente entre la monarchie et l’Église. En effet,Helgaud de Fleury fait passerRobert le Pieux pour un saint alors que ce dernier répudie sa femme, en enlève une autre qu'il épouse et ainsi devient bigame. Le second épisode se situe à la fin duXIIe siècle, lorsquePhilippe Auguste veuf se remarie, mais qu’il ne consomme pas le mariage et fait emprisonner sa femme pour pouvoir se remarier. Il cherche à montrer avec ces deux épisodes que le cœur et les sentiments sont alors plus forts que la raison d'État. L'époque médiévale l'attire à travers l'attitude à l'égard de la femme, l'appréciation positive du travail et l'omniprésence de la religion[17].
En 1960, lorsqu'il écrit pourLes Grandes Civilisations chez Arthaud, il se charge de l’iconographie et sa subjectivité ressort nettement : il montre une chrétienté violente et archaïque qui s’oppose à la créativité d’un puissant essor. Dans ce livre, il accorde une grande importance à l’histoire des mentalités et de la sensibilité et on peut y percevoir une tonalité marxiste[18],[19].
On lui reconnaît également un réel talent pour la vulgarisation scientifique[20],[21]. En 1968, il débute dans l'émissionLes Lundis de l'Histoire surFrance Culture, destinée à un public cultivé, qu'il anime seul jusqu'en 1972. C'est une activité qu'il poursuit jusqu'à son décès, et en 1971, il est associé au projetFaire de l'histoire qui est une histoire desAnnales destinée à un public plus large. Il cherche à être un homme de son temps en s’adressant à plusieurs catégories d’auditeurs, mais aussi en essayant de communiquer davantage. C’est à cette époque, en 1977, qu’il réunit tous ses articles écrits entre 1964 et 1976 et les publie sous le titrePour un autre Moyen Âge. Il écrit également des articles sur le domaine de l'histoire et de l'historien pour l'Enciclopedia Einaudi[22].
Dans les années 1980, il s’intéresse à l’imaginaire politique durant le Moyen Âge (ses symboles, ses rites, ses cérémonies, ses rêves, ses images) et écritL'Imaginaire médiéval. Il porte ses recherches sur le rêve, la culture populaire et les croyances collectives dans la société du Moyen Âge, sur les mentalités ainsi que sur leurs modifications et évolutions. Il essaie même de prendre en compte des hypothèses sur la conscience et l’inconscient. Il se pose également des questions sur l’Histoire qui se fait et l’Histoire qu’il reste à faire et souhaite pour cela étudier le rire au Moyen Âge[23].
Parallèlement, il s’intéresse à la civilisation matérielle et culturelle populaire, à travers les vêtements, les aliments, les romans, mais aussi les paroles et les gestes[15],[24].
En 2007, l'abbaye de Fontevraud consacre à son livreHéros et Merveilles du Moyen Âge une grande exposition sous la direction deXavier Kawa-Topor[25]. Il prononce, à cette occasion, sa dernière conférence publique, le en compagnie d'Umberto Eco.
Dès son enfance, Jacques Le Goff se montre réticent vis-à-vis de la pratique religieuse. Malgré une éducation religieuse, il ne prend connaissance de laBible que lorsqu’il se tourne vers l’étude de l’histoire médiévale.
Il n’apprécie guère lathéologie, et lui préfère l'histoire de la sensibilité, des rites et des pratiques religieuses. Il étudie la pratique religieuse minimale constituée par trois sacrements : lebaptême, lemariage et l’extrême onction. Pour lui, la pratique religieuse revêt un aspect destructeur. C’est pourquoi il ne s’intéresse que peu au bas Moyen Âge où ladevotio moderna et lecomtemptus mundi lui rappellent cette perspective subversive. En revanche, il avouera une "dévotion" poursaint François d'Assise[26] auquel il a consacré en 1999 une monographie,Saint François d'Assise.
Les questions religieuses constituent un de ses grands centres d'intérêt. Il s'intéresse notamment à la parole religieuse médiévale. Faute de documents à propos des messes, il se tourne vers l’étude des manuels de confesseur, du nouveaudroit canonique[27]. Cela lui permet d’avoir une nouvelle vision de la société et de son évolution.
Concernant l'islam, Jacques Le Goff considère que« malgré une hostilité le plus souvent très vive des Français à l'égard des musulmans, la France a fait du Moyen Âge à nos jours des emprunts culturels et humains à l'islam qui ont enrichi et continuent d'enrichir sa vie sociale et intellectuelle »[28].
Ayant passé son enfance dans un quartier deToulon, cette ville marque l’esprit de Jacques Le Goff à plusieurs niveaux. Dans un premier temps, étant né sur le cours La Fayette, il habite une position stratégique dans la topographie géographique et sociale de Toulon. Ce point lui reste en mémoire et il s’intéresse par la suite à la topographie sociale des villages. Le cours La Fayette permet également de délimiter deux quartiers de Toulon, et lui montre ainsi l’importance que peuvent jouer les frontières.
Il voit l’arrivée des équipements électroménagers et les changements de société qui s’ensuivent. C’est pourquoi il garde en mémoire l’importance de la civilisation matérielle et de son évolution, mais aussi que la rue était avant cela une unité de sociabilité, par exemple à l'occasion des rencontres aux lavoirs collectifs.
Il passe le début de laSeconde Guerre mondiale isolé près deSète. En 1943, il est convoqué par le STO (Service du travail obligatoire) à Marseille. Il se rend dans lesAlpes et entre dans laRésistance où il a pour tâche de recevoir des armes et des médicaments parachutés par les Anglais. Mais même s’il vit la guerre, il ne la ressent pas et n’a pas conscience des changements qui s’opèrent, car pour lui les guerres ne sont pas un grand moteur de l’histoire, même si elles sont capables d'accélérer ou de retarder les évolutions. On retrouve toujours sa pensée selon laquelle l’histoire politique et l’histoire des grands évènements doivent céder la place à une histoire plus profonde et plus longue qui s'écrit sous la forme de lentes évolutions.
Héros du Moyen Âge, Le roi, le saint, au Moyen Âge, Paris, Gallimard Quarto, 2004.
De la pertinence de mettre une œuvre contemporaine dans un lieu chargé d'histoire : Entretien avec Pierre Soulages à propos des vitraux de Conques (préface deXavier Kawa-Topor, photographies Pascal Piskiewicz). Toulouse, 2003. Le Pérégrinateur Éditeur
Biographie de Jacques Le Goff sur le site de l'EHESS
« La peur au Moyen Âge », à propos deConjurer la peur : Sienne, 1338 : essai sur la force politique des images, dePatrick Boucheron ; dernière émission de Jacques Le Goff pourLes lundis de l'histoire surFrance Culture, diffusée le