Wanyan Aguda (1115-1123), premier empereur des Jürchen Jin et conquérant des Khitan Liao.Empire des Jürchen Jin (en violet) qui fait face aux Chinois Song (en gris).Plats en or de la dynastie jürchen Jin.
LesJürchen [mandchou :ᠵᡠᡧᡝᠨJušen, prononcé : [ʤuʃən] ;chinois :女真 (nǚzhēn) ] sont un peuple aujourd'hui disparu qui se développa enMandchourie sousl'empire khitan (907-1125). Ce terme est utilisé pour décrire collectivement un certain nombre de peuples d'Asie orientale parlant letoungouse qui vivent dans le nord-est de la Chine, une région qui sera plus tard connue sous le nom deMandchourie. Ayant vécu avant leXVIIIe siècle, les Jürchens sont les ancêtres en ligne directe desMandchous qui fonderont ladynastie Qing. Les origines des Jürchens sont obscures et les différents groupes composant ce peuple ont des modes de vie variés, pouvant être des chasseurs-cueilleurs, des pasteurs nomades ou des agriculteurs sédentaires. Généralement dépourvus d'autorité centrale et communicant peu entre eux, de nombreux groupes Jürchens tombent sous l'influence des dynasties voisines, leurs chefs payant un tribut et occupant des postes nominaux en tant que commandants héréditaires des gardes-frontières[1].
Les fonctionnaires chinois de la dynastie Ming (1368-1644) ont classé les différents peuples Jürchens en trois groupes, reflétant la proximité relative de ces derniers avec la Chine :
Les Jürchens sont surtout connus pour avoir fondé deux dynasties ayant conquis tout ou partie du territoire chinois. La première est la dynastieJin (1115-1234) fondée parWanyan Aguda. Ce dernier finit par envahir l'empire de Khitans et le Nord de la Chine, repoussant lesSong au Sud. Les Jin sont la première dynastie régnant sur la Chine à faire dePékin leur capitale sous le nom de Zhongdu (中都, « Capitale du Milieu »). Ils subissent les attaques deGengis Khan et de ses descendants, voyant leur territoire se faire grignoter pendant trois décennies par les Mongols avant de finalement disparaître. Un royaume des Jürchen va perdurer en Mandchourie durant le siècle suivant, jusqu'à la fondation de ladynastie Qing (1616/1636-1912). Il faut noter que cette dynastie porte au moment de sa création le nom de "Jin postérieurs", en référence à celle de 1115. Elle est fondée parNurhachi (r. 1616-26), un chef Jürchen Jianzhou qui unifie la plupart des tribus Jürchen, qui incorpore toute leur population dans des régiments militaires héréditaires connus sous le nom deHuit Bannières. Il ordonne également la création d'un alphabet jürchen basé sur l'écriture mongole. C'est Huang Taiji, le fils et successeur de Nurhachi, qui achève l'unification des Jürchens et décrète en 1635 que, dorénavant, le terme mandchou est le seul nom acceptable pour ce peuple[2].
Une carte italienne de 1682 montrant le "Royaume de Niuche" (i.e., Nǚzhēn) ou les "Kin (Jin) Tartares", qui "ont occupé et dirigent actuellement la Chine", au nord de Liaodong et de la Corée
Le nom Jürchen est dérivé d'une longue lignée d'autres variations du même nom.
Selon les linguistes, la forme khitan initiale du nom estLüzhen. La varianteNrjo-tsyin (aujourd'huiNüzhen, d'où l'anglaisNurchen) apparaît auXe siècle sous ladynastie Liao[3]. Les Jürchen sont également connus sous le nom interchangeable deNrjo-drik (aujourd'huiNüzhi), ce qui est traditionnellement expliqué comme étant la conséquence d'un « tabou de nom » chinois. En effet, le caractère chinois真, « vrai, véritable » présent dans la forme chinoise deNrjo-tsyin aurait été supprimé après l'intronisation de Zhigu, l'empereurLiao Xingzong, en 1031, parce qu'il apparaissait dans la forme sinifiée du nom personnel du nouvel empereur[3]. Cependant, lelinguiste chinois (mandchou)Aisin-Gioro Ulhicun(en) soutient qu'il s'agit d'uneétymologie populaire plus tardive et que la raison initiale de cette modification est les différentes prononciations au sein des différents dialectes concernant le -n final du nom[4].
Jürchen est issu d'une anglicisation deJurčen[5],[6], un mot qui est une tentative de reconstruction d'une forme originale, aux origines floues, du nom autochtone[7], qui a été transcrite enchinois médiéval sous le nom deTrjuwk-li-tsyin (竹里真, zhúlǐzhēn)[note 1] et enpetite écriture khitan(en) sous le nom deJulisen[4]. LesethnonymesSushen(Chinois archaïque: */siwk-[d]i[n]-s/) etJizhen (稷真, jìzhēn)[8], présent dans des ouvrages géographiques comme leClassique des montagnes et des mers et leLivre des Wei sont peut-être descognats[9]. Elle est à l'origine des termesZorça deFra Mauro[6] etCiorcia de Marco Polo[10], qui reflètent la forme persane du nom des Jürchens[6]. Le linguisteEdward Vajda(en) considère que le nom des Jürchen dérive probablement des mots toungouses utilisés dans l'expression « peuple de rennes » et est apparenté aux noms des Orochs duKraï de Khabarovsk et desOroks deSakhaline[11]. À l'heure actuelle, la distinction entre "Toungouses des chevaux" et "Toungouses des rennes" est encore la répartition/division de base entre les différentes cultures toungouses[12].
Le linguiste finlandaisJuha Janhunen fait valoir que ces écrits anciens reflètent déjà la forme plurielle du nom en langue mongole classique, tel qu'il est écrit dans l'Histoire secrète des Mongols sous le nom deJ̌ürčät[7], et reconstruite plus tard sous le nom de *Jörcid[10]. La forme enlangue mongole moderne estJürčid[5] dont le -r- médian n’apparait pas dans les formesJucen[10] ouJušen[13][note 2] de la langue Jurchen tardive ou dans la formeJushen de la languemandchoue[10]. En mandchou, ce mot est plus souvent utilisé pour décrire lesserfs[13] - mais pas lesesclaves[14] - des Mandchous libres[13], qui, pour la plupart d'entre eux, sont les anciens Jürchens. En fait, pour décrire le peuple historique qui a fondé la dynastie Jin, les Mandchous ont repris à leur compte le nom mongolJurcit[10],[3].
Habitants de laSibérie en train de capturer unrenne
La première mention des Jürchens dans les archives chinoises date de 748. À cette date, ils habitent les forêts et les vallées fluviales de la région qui est maintenant divisé entre laprovince chinoise duHeilongjiang et la région russe duKraï du Primorié. Dans les documents antérieurs à cette date, cette région était connue comme étant la patrie desSushen (vers 1100 Av. J.C), desYilou (vers 200 Av. J.C), des Wuji (vers 500) et desMohe (vers 700)[17]. Les études menées depuis la périodeQing font remonter l'origine des Jürchens à la "tribu Wanyen des Mohos" vivant autour du mont Xiaobai, ou aux "Heishui Mohe" vivant sur les rives dufleuve Amour[18]. Certaines sources soulignent la continuité entre ces peuples anciens et les Jürchen[19], mais cela reste du domaine de la conjecture[20].
Les ancêtres les plus probables des Jürchens sont les tribus toungouses Mohe, des sujets du royaume multiethnique deBalhae. Les Mohé aiment manger du porc, dont ils pratiquent l'élevage extensif, et sont principalement sédentaires. Ils utilisent des peaux de porc et de chien pour leurs manteaux. Ils sont principalement des fermiers et cultivent le soja, le blé, le millet et le riz, en plus de la chasse[21]. Comme tous les peuples toungouses, les Mohé pratiquent l'esclavage. Les chevaux sont rares dans la région qu'ils habitent, ce jusqu'auXe siècle, période à laquelle ils tombent sous la domination desKhitans. À la place des chevaux, les Mohe utilisent des rennes comme monture[22].
AuXIe siècle, les Jürchens sont des vassaux des souverainsKhitans de ladynastie Liao. Par contre, les Jürchens de la région de la rivière Yalu sont des vassaux du royaume coréen deGoryeo depuis le règne deWang Geon, qui a fait appel à eux durant les guerres de la période desTrois Royaumes tardifs. Mais les Jürchens changent d'allégeance entre Liao etGoryeo à plusieurs reprises par opportunisme. Ils offrent des tributs aux deux cours par nécessité politique et par attrait des avantages matériels qui découlent de leur soumission[23].
Avant que les Jürchens ne renversent les Khitan, leurs femmes mariées et leurs filles étaient violées par les envoyés des Khitans, une coutume qui suscite le ressentiment des Jürchens à l'égard de leurs suzerains[24].
La situation change lorsqueWanyan Aguda, le chef de la tribu Wanyan, unifie les différentes tribus Jürchen en 1115 et se proclame empereur. En 1120, il s'empare deShangjing, également connue sous le nom de Préfecture de Linhuang (chinois traditionnel :臨潢府), la capitale du nord de la dynastie Liao[25]. Pendant lesguerres entre les dynasties Jin et Song, qui débutent après la chute des Liao, les Jürchen envahissent les terres de ladynastie Song et annexent la majeure partie de la Chine du Nord. Ilss'emparent de la capitale de la dynastie chinoise,Bianjing, en 1127, et leurs armées repoussent les Song jusqu'au sud du fleuveYangtze. Finalement, la frontière entre les terres des Jürchens et celles des Song se fixe le long du fleuveHuai.
Pour gérer leurs nouvelles conquêtes, ils commencent par créer les États fantoches de Da Qi etDa Chu(en), mais ces tentatives se soldent rapidement par des échecs et ils décident de gérer directement les territoires conquis. Ils adoptent un nom dynastique, à l'image des autres dynasties ayant régné sur la Chine et choisissent "Jin" (金), qui signifie "or". Il ne faut pas confondre cette dynastie avec lesdynasties Jin (晋) antérieures, le sinogramme qui les désigne provenant du nom de la région entourant les provinces duShanxi et duHenan. Le nom de la dynastie Jürchen, lui, dérive de la "rivière d'or" (Jurchen :antʃu-un ;Mandchou:Aisin) qui coule en Mandchourie, dans la région d'origine de la tribu Wanyan. Avec le temps, les Jürchens qui délaissent leur mode de vie nomade/semi-nomade pour s'installer dans les villes chinoises finissent par se marier avec des hommes et des femmes appartenant aux autres ethnies vivant en Chine. Les dirigeants Jin eux-mêmes en arrivent à vivre en suivant les normes confucéennes.
Après 1189, la dynastie Jin entreen conflit ouvert avec les Mongols, le territoire des Jürchens étant la cible d'attaques directes et de grande ampleur de la part deGengis Khan et de ses successeurs. En 1215, après avoir perdu beaucoup de territoire au profit des Mongols, les Jürchen déplacent leur capitale vers le sud, quittant Zhongdu (actuellement Pékin) pour s'installer à Kaifeng. Les empereurs Jin tentent alors de regagner leur puissance perdue en relançant laguerre contre les Song pour annexer le sud de la Chine. Mais après trois campagnes successives, cette guerre s’achève par une défaite cinglante des Jürchens, qui se retirent définitivement de la Chine du sud[26]. En 1224, les deux belligérants s'accordent sur un traité de paix qui met fin au versement annuel d'un tribut aux Jin par les Song et rompt les relations diplomatiques entre les deux pays[27].
La guerre avec les Mongols reprend en 1230 et, après un siège qui dure environ un an, Kaifengtombe aux mains des Mongols en 1233. L'empereurJin Aizong s'enfuit à Caizhou pour s'y réfugier, mais la ville tombe à son tour en 1234, marquant la fin de la dynastie Jin.
Après la chute de la dynastie Jin, les Jürchens se replient sur la Mandchourie, qui est sous le contrôle indirect de l'empire Mongol depuis 1217, puis direct à partir de 1233. Lorsque ladynastie Yuan est fondée parKubilai Khan, la Mandchourie fait partie des terres mongoles contrôlées par le nouvel empire.
La conquête mongole ayant provoqué la destruction des structures gouvernementales existantes, les Mongols commencent par développer un système de gouvernance souple, conçu pour tirer de la Mandchourie des ressources économiques et militaires tout en maintenant la stabilité locale. En 1286, le statut de la région et des Jürchens évolue lorsque Kubilai fonde la province de Liaoyang (遼陽行省). En 1286, cette province est transformée en Xuanweisi (宣慰司), mais à la fin de l'année 1287 elle redevient une province, après que le Khan ait personnellement réprimé la révolte de Nayan, le commandant mongol du Xuanweisi[28].
La re-création de la province de Liaoyang s'inscrit dans le cadre des efforts de Kubilai Khan pour rétablir l'ordre dans la région après la révolte de Nayan et consolider le contrôle de la dynastie Yuan sur la Mandchourie. Pour ce faire, il nomme des nobles mongols comme Dorji ou les membres du clan Hong[29], à des postes élevés au sein de l'administration de la Mandchourie. Il y nomme également des généraux aussi loyaux que le Coréen Hong Kun-sang. De manière générale, Kublai fait de grands efforts pour maintenir un équilibre entre les intérêts du trône de Goryeo, ceux des nobles mongols locaux, ceux des dirigeants de la communauté coréenne en Mandchourie, et ceux de sa propre cour pour rétablir l'ordre dans le nord-est de son empire[30].
En 1368, lorsque larévolte des Turbans rouges s’achève par la chute de la dynastie Yuan au profit de ladynastie Ming, la Mandchourie reste sous le contrôle des Mongols. En effet, après avoir été expulsé de Chine, le dernier empereur Yuan fonde ladynastie Yuan du Nord, centrée sur la Mongolie, qui continue de gouverner la Mandchourie pendant deux décennies. Naghachu, un fonctionnaire yuan en poste en Mandchourie depuis 1362, réussit à prendre le contrôle des tribus mongoles de la région. En 1387, les Ming lancent unecampagne militaire pour vaincre Naghachu. Ladite campagne se termine par la reddition de Naghachu et la prise decontrôle de la Mandchourie par les Ming.
Enfin débarrassés des Mongols et de leur gestion prédatrice, les Jürchens commencent à retrouver une certaine autonomie et jouer un rôle politique en Mandchourie
Un Jürchen chassant à cheval, d'après une peinture sur soie (encre et couleurs) duXVe siècle.Gravure sur bois de la fin de la dynastie Ming représentant un guerrier Jürchen.
Les chroniqueurs chinois de la dynastie Ming distinguent trois groupes différents de Jürchens :
les Jürchens Haixi (chinois :海西女真), vivant dans le territoire qui correspond actuellement à la province duHeilongjiang
les Jürchens Jianzhou vivant dans le territoire qui correspond actuellement à la province duJilin.
Tous ont un mode de vie pastoral-agricole, pratiquant la chasse, la pêche et une agriculture limitée. En 1388, l'empereurMing Hongwu envoie une mission pour établir le contact avec les tribus Odoli, Huligai et T'owen.
Très vite, la question du contrôle des Jürchen devient un point de discorde entre la Corée duroyaume de Joseon, très présent dans la région, et les premiers Ming[31].
L'empereurYongle (r. 1402-1424) pousse plus loin que Hongwu et trouve des alliés parmi les différentes tribus Jürchen pour l'aider dans sa lutte contre les Mongols. Il accorde des titres et des noms de famille à divers chefs Jürchen et s'attend à ce qu'en retour, ils lui versent périodiquement un tribut. L'une des épouses de l'empereur Yongle est une princesse Jürchen, ce qui fait que certains des eunuques qui le servent sont également des Jürchens[32]. Descommanderies chinoises sont établies en prenant comme base des unités militaires tribales et elles sont dirigées par leurs propres chefs tribaux héréditaires. Durant le règne de Yongle, 178 commanderies sont créées en Mandchourie. Plus tard, des marchés aux chevaux sont fondés dans les villes frontalières du nord deLiaodong. Les contacts accrus avec les Chinois permettent aux Jürchens de développer des structures organisationnelles plus complexes et plus sophistiquées que pendant la période ou la Mandchourie était sous le contrôle des Mongols.
Les Coréens traitent les Jürchen de manière rude, en faisant appel à leurs guerriers en échange d'avantages matériels et en lançant des expéditions punitives en cas de refus. Pour apaiser la situation, la Cour du royaume de Joseon leur décerne des titres et des diplômes, en faisant du commerce avec eux, et cherche à les acculturer en faisant en sorte que les femmes coréennes épousent des Jürchens et en les intégrant dans la culture coréenne. Mais ces mesures n'aboutissent à aucun résultat concret et les combats continuent entre les Jürchen et les Coréens[33],[34]. La situation évolue lorsque les Ming se rapprochent des Jürchen, dont ils veulent se faire des alliés capables de protéger leur frontière Nord[35]. En 1403, Ahacu, le chef du clan Huligai, verse un tribut à l'empereur Yongle. Peu après, Mentemu, le chef du clan Odoli des Jürchens Jianzhou, cesse de payer son tribut à la Corée pour devenir un vassal de la Chine.Yi Seong-gye, le premier souverain duroyaume de Joseon, demande alors aux Ming de renvoyer Mentemu en Corée, mais sa demande est refusée[36]. L'empereur Yongle est alors déterminé à arracher les Jïurchen de l'influence coréenne et à en faire des vassaux de la Chine pour sécuriser sa frontière et avoir des alliés dans salutte perpétuelle contre les Mongols[37],[38]. Les Coréens essayent bien de persuader Mentemu de rejeter les propositions des Ming, mais sans succès[39],[40],[41][42]. Les unes après les autres, les différentes tribus Jürchen finissent par verser un tribut à la dynastie Ming[43]. Ces tribus sont divisés en 384 gardes par les Ming[35] et les Jürchens deviennent donc les vassaux des empereurs chinois[44]. Le nom donné à la terre des Jürchen par la dynastie Ming est Nurgan. Par la suite, une armée coréenne dirigée par Yi-Il etYi Sun-sin expulse les Jürchens du territoire coréen.
Les Jürchen passent donc sous l'administration nominale de cette commission, qui est finalement dissoute en 1434. Malgré cette disparition, les chefs des tribus Haixi et Jianzhou continuent d'accepter les titres que la cour des Ming leur décerne.
La neuvième année du règne de l'empereurMing Xuanzong, les Jürchens sont victimes d'une famine qui les a contraints à vendre leurs filles en esclavage et à se rendre à Liaodong pour demander de l'aide et du ravitaillement au gouvernement de la dynastie Ming[50],[51].
Fondation de la dynastie Qing et naissance des Mandchous
À partir de 1586,Nurhachi, un chef des Jürchens Jianzhou, entreprend d'unifier les tribus Jürchen, ce qui lui prend trente ans. En 1635, son fils et successeur,Huang Taiji, rebaptise son peuple "Mandchous", rompant ainsi clairement avec leur passé de vassaux des Chinois[52],[53],[54].
« Notre "gurun" (tribu, état) portait à l'origine les noms de Manju, Hada, Ula, Yehe et Hoifa. Des personnes autrefois ignorantes [nous] ont souvent appelés "jušen". Le terme "jušen" fait référence au Coo Mergen des barbares de Sibe et n'a rien à voir avec notre "gurun". Notre gurun établit le nom de Manju. Son règne sera long et se transmettra sur de nombreuses générations. Désormais, les personnes doivent appeler notre "gurun" par son nom d'origine, Manju, et ne pas utiliser le nom dégradant précédent. »
En effet, les pays et peuples voisins ont depuis longtemps assimilé les Jürchens à de simples sujets des Ming. Ainsi, lorsque les Coréens du royaume de Joseon veulent parler des terres habitées par les Jürchens[note 3], ils les désignent comme faisant partie du "pays supérieur" (sangguk), c'est-à-dire la Chine des Ming[55]. Pour échapper à ce passé, les Qing excluent délibérément les références et les informations montrant que les Jürchens/Mandchous étaient des vassaux de la Chine lorsqu'ils rédigent l'Histoire des Ming, ce afin de cacher leur ancienne relation de soumission. Pour cette raison, les rédacteurs de ce texte n'utilisent pas leMing Shilu (chinois traditionnel 明實錄,chinois simplifié 明实录, « Véritables documents Ming ») comme source d'information sur les Jürchens pendant la période de domination des Ming sur la Mandchourie, car il contient trop d'éléments prouvant le lien de vassalité des premiers aux seconds[56]. L'empereurYongzheng tente même de réécrire les archives officielles afin de pouvoir prétendre que les Aisin Gioro n'ont jamais été des sujets des dynasties et empires passés, en essayant de faire croire que Nurhaci a accepté des titres officiels Ming comme Général Tigre Dragon (longhu jiangjun 龍虎將軍) pour "faire plaisir auCiel"[57].
Pendant la dynastie Qing, les deux éditions originales des livres "Qing Taizu Wu Huangdi Shilu" et "Manzhou Shilu Tu" (Taizu Shilu Tu) sont conservées dans le palais et interdites d'accès au public car elles montrent que le clan impérial mandchou desAisin Gioro a été le vassal de la dynastie Ming[58],[59].
Undragon-tortue provenant d'une tombe Jürchen du XIIéme siècle, actuellement situé dans le parc central de la ville russe d'Oussouriisk.
La culture Jürchen partage de nombreuses similitudes avec le mode de vie des chasseurs-cueilleurs de latoundra sibérienne et manchourienne et celui des peuples côtiers. Comme lesKhitans et lesMongols, ils tirent de la fierté des prouesses physiques, de l'équitation, du tir à l'arc et de la chasse. Les Mongols et les Jürchens utilisent le titre deKhan pour désigner les dirigeants d'une entité politique, qu'ils soient "empereur" ou "chef". Un chef particulièrement puissant est appeléBeile ("prince, noble"), ce qui correspond auBeki mongol et auBeg ouBey turc. Tout comme les Mongols et lesTurcs, les Jürchen ne suivent pas les règles de laprimogéniture pour la transmission du pouvoir : selon la tradition, tout fils ou neveu capable peut être choisi pour devenir chef.
Contrairement aux Mongols[60][61], les Jürchens vivent au sein d'une société sédentaire et agraire[62],[11]. Leurs principales cultures céréalières sont le blé et le millet, mais ils cultivent également du lin et élèvent des bœufs, des porcs, des moutons et des chevaux[63]. "Tout au plus", les Jürchens ne peuvent être décrits que comme étant des "semi-nomades" alors que la majorité d'entre eux sont sédentaires[23].
Les similitudes et les différences entre les Jürchens et les Mongols ont plus ou moins été soulignées parNurhachi, par opportunisme politique[64]. Nurhachi a déclaré à des envoyés Mongols :
« les langues des Chinois et des Coréens sont différentes, mais leurs vêtements et leur mode de vie sont les mêmes. C'est la même chose pour les Mandchous (Jušen) et les Mongols. Nos langues sont différentes, mais nos vêtements et notre mode de vie sont les mêmes »
Par la suite, il rajoute que le lien avec les Mongols n'est pas basé sur une véritable culture commune, mais plutôt sur des raisons pragmatiques d' "opportunisme mutuel". C'est cet opportunisme qui peut expliquer cette autre déclaration de Nurhachi aux Mongols, sensiblement différente de la première:
« Vous les Mongols, vous élevez du bétail, vous mangez de la viande et vous portez des peaux. Mon peuple laboure les champs et vit de céréales. Nous ne sommes pas un seul pays et nous avons des langues différentes[65] »
Sous la dynastie Ming, les Jürchen vivent au sein de sous-clans (mukun ouhala mukun) issus d'anciens clans (hala). Les membres de ces clans ne sont pas forcément liés par le sang, et la division et l'intégration d'un clan par un ou plusieurs autres clans est courante. Les ménages Jürchen (boo) vivent en familles (booigon), qui sont composées de cinq à sept membres liés par le sang et d'un certain nombre d'esclaves. Ces ménages forment des escouades (tatan) pour effectuer des tâches liées à la chasse et à la cueillette de nourriture et des sociétés (niru) pour des activités plus importantes, telles que la guerre.
Les Jürchens "Haixi" sont des "semi-agriculteurs", les "Jianzhou" et "Maolian" (chinois :毛怜) sont sédentaires, tandis que les "Yeren" ("sauvages") pratiquent la chasse et la pêche[66]. Les "Jianzhous" pratiquent la chasse, le tir à l'arc à cheval, l'équitation, l'élevage et l'agriculture sédentaire[67]. Globalement, les archives chinoises décrivent les Jürchens comme étant pour l'essentiel un peuple d'agriculteurs et d'éleveurs[68]. À noter que les Jürchens vivant dans les régions situées au nord de Shenyang pratiquent l'agriculture sur brûlis[69].
« The (people of) Chien-chou and Mao-lin [YLSL always reads Mao-lien] are the descendants of the family Ta of Balhae. They love to be sedentary and sow, and they are skilled in spinning and weaving. As for food, clothing and utensils, they are the same as (those used by) the Chinese. (Those living) south of the Ch'ang-pai mountain are apt to be soothed and governed Les (habitants de) Chien-chou et Mao-lin sont les descendants de la famille Ta du Balhae. Ils aiment être sédentaires et semer (c.a.d "sont des agriculteurs), et ils sont habiles à filer et à tisser. En ce qui concerne la nourriture, les vêtements et les ustensiles, ils sont les mêmes que (ceux utilisés par) les Chinois. (Ceux qui vivent au) sud de la montagne Ch'ang-pai sont aptes à être apaisés et gouvernés[71]) »
En 1126, les Jürchens ordonnent à tous les ChinoisHan de sexe masculin présents dans les territoires qu'ils ont conquis d'adopter la coiffure traditionnelle Jürchen en se rasant le front et en tressant le reste de leurs cheveux enqueue-de-cheval[72]. Ils doivent aussi adopter obligatoirement la tenue traditionnelle des Jürchens[72]. Par la suite, cet ordre est annulé[72]. À peu près à la même époque, les différents groupes derebelles Chinois en lutte contre les Ming se mettent aux aussi à porter leurs cheveux en "queue de cheval" Jürchen, pour terroriser la population chinoise[73].
Le, le princeDorgon, alors régent des Mandchous, publie un décret réinstaurant l'obligation pour les Chinois d'adopter la coiffure traditionnelle jürchen/mandchoue[74],[75], ou soncoho (chinois :辮子 ; pinyin :biànzi), la punition en cas de non-respect de cet édit étant la mort[76]. Cette politique de soumission symbolique à la nouvelle dynastie aide les Mandchous à distinguer leurs alliés de leurs ennemis[note 4]. Par contre, pour les fonctionnaires et les lettrésHan, la nouvelle coiffure est "un acte humiliant de dégradation"; car elle viole un précepte confucéen commun voulant qu'il faut préserver son corps intact, alors que pour les gens ordinaires, couper leurs cheveux "équivaut à la perte de leur virilité[note 5]".
Malgré ces réticences, vite réprimées dans le sang, cette obligation est maintenue jusqu'à la chute de ladynastie Qing
Si leurs ancêtres Mohe ne respectaient pas les chiens, les Jürchens commencent à les respecter à l'époque de la dynastie Ming et transmettent cette tradition aux Mandchous. Dans la culture Jürchens, il est interdit d'utiliser la peau des chiens et de blesser, tuer ou manger les chiens. Les Jürchens croyaient que le "plus grand mal" existant est l'utilisation de la peau de chien par les Coréens[78].
Les Jürchens pratiquent des rituelschamaniques et croient en une déesse suprême du ciel nomméeabka hehe, ce qui signifie littéralement "femme du ciel". Les Jürchens de ladynastie Jin pratiquent lebouddhisme, qui devient la religion dominante des Jürchens, et letaoïsme[80].
Pendant la dynastie Qing, et sous l'influence de la pensée confucéenne, la déesse suprême du ciel féminine est remplacé par un "père du ciel" nommé Abka Enduri (abka-i enduri,abka-i han)[81].
La langue écrite Jurchen disparait peu de temps après la chute de la dynastie Jin. C'est ainsi que, lorsque le Bureau des Traducteurs des Ming, l'administration chargée de recevoir et traduire les missives des différents peuples et États vassaux de la Chine, reçoit en 1444 un message des Jurchen, aucun des traducteurs n'arrive à déchiffrer le jurchen. Du coup, il est décidé que toutes les lettres des Jürchens devant être envoyées aux Ming doivent être écrites en mongol[82].
↑Ce sont le gouvernement Japonais et Franke qui ont créé la prononciation en Mandarin moderneZhulizhen[3].
↑Attesté pour la première fois dans un glossaire de la fin du XVe siècle du Bureau des Traducteurs de ladynastie Ming.[13]
↑Du point de vue coréen, cela correspond aux territoires situés au nord de la péninsule coréenne, au-delà des rivièresYalu etTumen
↑"Du point de vue des Mandchous, l'ordre de se couper les cheveux ou de perdre la tête n'a pas seulement réuni les dirigeants et les sujets en une ressemblance physique ; il leur a aussi fourni un test de loyauté parfait."[74]
↑Dans leClassique de la piété filiale, on trouve une citation deConfucius disant que "le corps et les cheveux d'une personne, cadeaux de ses parents, ne doivent pas être endommagés : c'est le commencement de la piété filiale". (身體髮膚,受之父母,不敢毀傷,孝之始也). Avant la dynastie Qing, les Chinois adultes ne se coupaient pas les cheveux, mais les portaient plutôt sous la forme d'un nœud occupant le dessus du crâne.[77]
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↑Shih-Shan Henry Tsai, "Perpetual Happiness: The Ming Emperor Yongle". Published by University of Washington Press, 2002.(ISBN0295981245)Partial text on Google Books.p. 158.
↑Telin Stele (from: "Политика Минской империи в отношении чжурчженей (1402 -1413 гг.)" (The Jurchen policy of the Ming Empire), in "Китай и его соседи в древности и средневековье" (China and its neighbors in antiquity and the Middle Ages), Moscow, 1970.(ru)
↑Tsai (1996) décrit la personne à la retraite comme "le commissaire en chef Kang Wang"; il faut supposer qu'il s'agissait d'un titre et d'un nom chinois attribués à un chef local (probablementNivkhe ).
↑Pamela KyleCrossley,A Translucent Mirror: History and Identity in Qing Imperial Ideology, University of California Press,, illustrated, reprint éd., 303–4 p.(ISBN0520234243,lire en ligne)
↑Traduction en anglais provenant deSino-J̌ürčed relations during the Yung-Lo period, 1403–1424 par Henry Serruys, traduction en français réalisée pour cet article depuis la version anglaise
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