« L'ambivalence du langage pictural surpasse ici l'énigme du contenu et ouvre à la peinture ce nouvel espace de liberté où elle devient un art au même titre que la poésie »
La biographie de Jérôme Bosch manque de certitudes. Les rares informations qui le concernent sont extraites de documents relatifs à des copies tardives des archives deBois-le-Duc ou de livres de comptes de l'Illustre Confrérie de Notre-Dame, si bien que les auteurs ont pu le décrire tour à tour comme pragmatique ou visionnaire, ignorant ou érudit, dévot ou hérétique[3].
Jheronimus van Aken est issu d'une famille de peintres et d'enlumineurs[3] originaire d'Aix-la-Chapelle (Aachen,Aken en néerlandais), qui s’installe vers1423 àBois-le-Duc (s-Hertogenbosch), ville de commerce et siège du gouvernement duBrabant-Septentrional — le surnom de Bosch provenant du nom flamand abrégé de cette ville[4].
Il naît vers1450-1455[5]. Son père,Anthonius, installe en1462 l'atelier familial dans une maison située sur le côté est de la grand-place et baptisée, en l'honneur de son saint patron,In Sint Thoenis. C'est là que le jeune Jheronimus se forme, entre la fin des années1460 et le début des années1470, aux côtés de son frère aîné Goessen. Associé à son père entre1474 et1476, il disparaît ensuite des documents de Bois-le-Duc durant quatre ans, période pendant laquelle il aurait pu accomplir un tour decompagnonnage, c'est-à-dire un voyage destiné à compléter sa formation[6].
À son retour en1480, Jheronimus travaille sans doute dans l'atelier familial, dirigé par Goessen depuis la mort d'Anthonius vers1478. Après son mariage en 1478 avec une riche aristocrate, Aleid van de Meervenne[7], qui lui assure une aisance financière et un statut social sensiblement plus élevé, il acquiert la maisonIn den Salvator, sise au nord de la grand-place. En1486, il entre comme « membre notable » dans la confrérie Notre-Dame[8]. Respectueux des usages, l'artiste participe aux« banquets des cygnes[9] » et n'hésite pas à recevoir chez lui les membres de la confrérie, nouant ainsi des liens avec les plus hauts notables de la région. Il s'agit d'une association religieuse consacrée au culte de la Vierge, dont il devient le peintre attitré.
Il prend ainsi l'ascendant au sein de l'atelier familial, qu'il finit par diriger après la mort de Goessen en1497. Il répond alors à une demande croissante et s'entoure de collaborateurs, documentés en1503-1504, et parmi lesquels figurent ses neveux, Johannes (1470-1537) et Anthonis (1478-1516).
Resté à Bois-le-Duc, le peintre travaille alors tant pour la clientèle locale que pour la cour bruxelloise. Il meurt sans descendance en août1516, probablement de la peste qui emporte également son neveu Anthonis. Sur le registre de décès, à côté de son nom est mentionnéinsignis pictor (« peintre célèbre »). Le frère aîné d'Anthonis, Johannes, prend alors, selon toute vraisemblance, la direction de l'atelier familial, tandis queGielis Panhedel complète, en1522-1523, les volets de Jérôme Bosch pour le retable de la confrérie de Notre-Dame del'église Saint-Jean.
Hendrik Hondius I,Jheronimus Bosch,eau-forte extraite de Domenicus Lampsonius,Pictorum aliquot celebrium præcipué Germaniæ Inferioris effigies, La Haye (1610).
Un témoignage historique important,La Notizia[11] deMarcantonio Michiel, narre, en1521, que lesVisions de l'au-delà ornent le palais Grimani, demeure vénitienne du cardinalDomenico Grimani (1461-1523), fils du dogeAntonio Grimani et collectionneur raffiné, passionné par la peinture nordique. Bien que l'on n'en ait pas de preuve documentaire, les deux triptyques pourraient avoir, eux aussi, appartenu à sa collection. À la mort du cardinal Grimani, ses œuvres, léguées à larépublique de Venise, finissent dans les collections dupalais des Doges.
Membre de laconfrérie de Notre-Dame[13], vouée, comme son nom l'indique, à la célébration du culte marial, Jérôme Bosch est unclerc, il connaît le latin, possède une certaine culture et jouit d'une parfaite respectabilité ; il est donc irréprochable du point de vue des pratiques et de la morale religieuses. Il est probablement un adepte de cettedevotio moderna qui s'impose auxPays-Bas, reposant sur une piété moins dogmatique, plus affective, requérant du fidèle un engagement véritablement personnel, profond et sincère, fondé sur la prière et la méditation.
Ce climat de religiosité accrue se reflète dans l'œuvre de Bosch, imprégné de la notion de péché, traversé de visions exaltées. L'on peut avancer que jamais la culpabilité chrétienne n'a paru aussi abyssale que chez ce peintre de l'Enfer, réputé dès son vivant pour être un« faiseur de diables ».
« Inoubliables sont ses paysages de ténèbres et de fournaises, où des créatures de folle complexion et d'infinie cruauté soumettent les damnés à d'impensables supplices, cela peint avec une précision d'horloger, qui rend la chose irréfutable ; et avec une qualité, une finesse du pinceau, qui émerveille. »
— Manuel Jover,Jérôme Bosch, entre diables et délices, p. 53.
Dans ses grandes lignes, son œuvre (mincecorpus réductible à une quarantaine d'éléments, dont peu sont des attributions certaines) est le reflet de cette conception d'un monde irrémédiablement ruiné par le péché, l'originel d'abord, puis celui, quotidien, avide de possessions terrestres et de plaisirs charnels. C'est l'œuvre d'unmoraliste chrétien, qui assène ses visions pessimistes avec une sévérité n'ayant d'égale que sa verve imaginative.
C’est dans ses lectures et dans l’atmosphère d’hérésie et demysticisme régnant à son époque que Bosch puise une inspiration nouvelle, qui lui fait délaisser l’iconographie traditionnelle de ses débuts pour s’orienter vers des œuvres « sacrilèges » où le religieux se confronte aupéché et à ladamnation.
Vers 1510 apparaît une nouvelle évolution avec les tableaux « à demi-figures », représentations de personnages à mi-corps, placés au premier plan (Le Couronnement d’épines, 1510, MadridEscurial).
L'analyse la plus profonde et la plus influente, mais aussi la plus contestée de son univers fantasmagorique, a été l'œuvre de l'historien de l'art allemand,Wilhelm Fraenger.
Beaucoup d'œuvres habituellement attribuées à Bosch ont unepaternité aujourd'hui contestée par les experts, notamment ceux duBosch Research and Conservation Project (BRCP). C'est ainsi qu'en 2016, après de nombreuses désattributions, seuls 20 peintures et 20 dessins sont considérés de sa main[16].
Suiveur de Jérôme Bosch.Un prêtre (vers 1465-1516), dessin à la plume et encre marron (19,7 × 27,5 cm),Kupferstich-Kabinett.
L'atelier de Jérôme Bosch est une structure familiale à laquelle collaborent ses deux neveux, les fils de Goessen van Aken : Johannes (vers 1470-1537) et Anthonis (vers 1478-1516). Il est tentant comme hypothèse d'identifier ces derniers respectivement au Maître du Chariot de foin et au Maître du Jugement dernier de Bruges. Ce dernier est baptisé d'après untriptyque signé « Jheronimus Bosch » conservé àBruges, qui se réfère largement aux motifs duJardin des délices. Le même peintre est également l'auteur d'uneVierge à l'Enfant (Gand, collection particulière) en grande partie repeinte et qui possède la même fluidité de matière picturale. Il semble élaborer ses propres compositions à partir d'idées conçues par Jérôme Bosch, comme en témoignent plusieurs dessins définis par une écriture nerveuse, tels leNavire en flammes de l'Albertina[17] deVienne et lesScènes infernales duKupferstich-Kabinett[18] se trouvant auchâteau de la Résidence de Dresde. Sa production semble s'interrompre avec la mort du maître, ce qui plaide en faveur d'une identification avec Anthonis van Aken, mort lui aussi en1516.
Quant au Maître du Chariot de foin, il serait l'auteur de toute une série d'œuvres attribuées jusqu'ici à Jérôme Bosch lui-même, mais qui pourrait en réalité trahir la main d'une autre personnalité ré-élaborant ses inventions. Sa production, qui comprend plusieurs panneaux signés « Jheronimus Bosch », se caractérise elle aussi par une exécution rapide et fluide. Elle semble s'étendre au-delà de1516, ce qui apporte un argument en faveur d'une identification avec Johannes van Aken, qui reprend sans doute les rênes de l'atelier familial jusqu'à sa propre mort, en1537.
Dans la production du Maître du Chariot de foin, plusieurs œuvres font la part belle à l'une des spécialités de Jérôme Bosch : les « diableries ». C'est le cas des trois ensembles qui, aujourd'hui conservés àVenise[19], y ont été probablement apportés par le marchand d'art anversois,Daniel Bomberg, et vendus au cardinalDomenico Grimani, autour de1520[20].
Au même moment, le triptyque desTentations de saint Antoine est visible sur le marché de l'art anversois, où il est acquis par l'ambassadeur du roi duPortugal,Damião de Góis[21]. Il fait l'objet de plusieurs copies complètes (Bruxelles,Musées royaux des beaux-arts de Belgique) ou partielles, plus ou moins fidèles, mais suscite aussi un nombre considérable de pastiches élaborant de nouvelles compositions à partir des idées et des motifs de Jérôme Bosch.
La multiplication de ces interprétations libres entraîne une mode des « diableries », devenues un véritable genre auquel se rattachent plusieurs générations de peintres actifs àAnvers. Parmi ceux-ci,Jan Wellens de Cock (vers 1480-1527)[22] paraphrase le répertoire « boschien » dans un langage délié qui peut se rattacher au « maniérisme anversois » et entretient des relations étroites avec celui du Maître du Chariot de foin, comme l’illustrent notammentLes Tentations de saint Antoine dumusée d'art et d'histoire de Genève. Plus jeune d'une génération,Jan Mandyn (actif entre 1530 et 1560 environ) adapte le répertoire à l'esthétique du milieu duXVIe siècle, comme le fera aussiPieter Huys (actif de 1545 à 1577), qui signe et date de1547Les Tentations de saint Antoine dumusée du Louvre[23].
Parallèlement à ces suiveurs qui traduisent les idées de Bosch dans leur propre langage, d'autres vont plus loin en les interprétant dans une veinearchaïsante[24] qui entretient, de fait, des frontières mal définies avec la falsification.Gielis Panhedel[25] illustre parfaitement le phénomène.
Né vers1490 et formé àBruxelles par son père,Aert Panhedel[26], il a peut-être complété sa formation dans l'atelier de Bosch àBois-le-Duc, où il achève en1522-1523 les volets duretable de la confrérie de Notre-Dame, identifiés à deux panneaux mis en vente par la galerie Fischer[27] deLucerne, en1955. Ceux-ci, montrant l'unDavid etAbigaïl (1521-1523) et l'autreSalomon etBethsabée[28] (id.), permettent d'attribuer au peintre plusieurs autres œuvres longtemps rattachées à la jeunesse de Jérôme Bosch, commeL'Escamoteur, dumusée municipal de Saint-Germain-en-Laye[29], dont l'idée développe une autre spécialité de Bosch : la représentation de proverbes et de scènes de la vie quotidienne.
Lui aussi de la génération suivante, le Maître du volet double-face dumusée des beaux-arts de Valenciennes est nommé d'aprèsun panneau qui montre d'un côté saint Jacques devant le magicienHermogène[30], de l'autreLes Tentations de saint Antoine. Actif sans doute àAnvers au milieu duXVIe siècle, il est également l'auteur d'œuvres autrefois attribuées à la jeunesse de Bosch, comme leEcce Homo dumusée d'art d'Indianapolis[31], caractérisé par un fond d'or. Sa production se définit par une lecture un peu sèche des modèles « boschiens », par une palette vive et par une conception singulière des personnages aux yeux ronds. S'y rattachent les cartons de touteune série de tapisseries réalisées d'après des œuvres ou, du moins, des inventions de Bosch, commeLe Jardin des délices,Le Chariot de foin ou encoreLa Charité de saint Martin, dans laquelle les mendiants peuvent être aisément comparés aux personnages monstrueux du tableau de Philadelphie.
Un nouveau Jérôme Bosch : Pieter Brueghel l'Ancien
C'est dans ce milieu qu’apparaîtPieter Brueghel l'Ancien (vers1525-1569). Il commence sa carrière àAnvers en produisant pour le marché de l'art des œuvres inspirées de Bosch et se rattachant pleinement à la veine archaïsante. Durant les années1550, il collabore régulièrement avec l'éditeurHieronymus Cock[32](imprimeur et marchand d’estampes), pour lequel il produit plusieurs dessins destinés à la gravure.
Datée de1557, l'estampe intituléeLes grands poissons mangent les petits en est un bon exemple[33]. Fondée sur la transcription littérale d'un proverbe, elle emprunte à Jérôme Bosch son idée générale ainsi que la plupart de ses motifs. Mais la manière de combiner ceux-ci revient à Brueghel lui-même, dont on reconnaît la conception spatiale. On peut dès lors s'interroger sur le statut de l'inscription « Hieronymus Bos / inventor », qui apparaît dans l'angle inférieur gauche[34]. La formule se réfère de toute évidence à l'invention générique et non à la composition spécifique, à moins qu'elle laisse croire à un dessin de Bosch lui-même, ce qui s'apparenterait à un phénomène de falsification.
En1572, dans sesPictorum aliquot celebrium Germaniae inferioris effigies (Les Effigies des peintres célèbres des Pays-Bas),Dominicus Lampsonius, caractérise Brueghel comme un« nouveau Hieronymus Bosch […] habile à imiter tant par le pinceau que par le crayon les subtiles chimères de son illustre maître ». Il célèbre ainsi le succès commercial de Jérôme Bosch, qui connaît alors son apogée et dont l'héritage, à travers la renaissance des genres, sera décisif dans l'histoire de l'art occidental[36].
Le Jardin est la principale pomme de discorde entre spécialistes. Puisque, entre les volets latéraux, leParadis terrestre avec Adam uni à Ève, à gauche, et l'Enfer, à droite, le seul lien est le péché, certains[37] ont déduit queLe Jardin, au milieu, était une sorte de triomphe du péché, une apothéose de la luxure, se concluant en enfer, déroulement logique dans la perspective chrétienne. Et que la fonction de touttriptyque, en ce temps, étant d'orner un autel, celui-ci ne faisait pas exception.
D'autres auteurs ont vu dans l'œuvre une sommeésotérique, interprétant systématiquement chaque détail sous l'angle de la connaissancealchimique. Celle deHans Belting, notamment est passionnante[38].
La Lithotomie ou La Cure de la folie est une huile sur toile réalisée en 1485. Cette œuvre est attribuée à un suiveur par le ((Bosch Research and Conservation Project-BRCP)), ainsi que parGerd Unverfehrt(de).
Au centre d'un paisible paysage estival, nous pouvons voir un chirurgien extraire un objet du crâne de son patient. À leur gauche se trouvent un moine et une religieuse qui assistent à l'opération en plein air.
La scène est de forme circulaire, sans doute une référence à la Terre dont la forme symbolise l'harmonie entre les hommes et le cosmos : cette scène, mise en relation avec la cupidité humaine, est susceptible de montrer une importance donnée à ces pratiques. Néanmoins, la forme circulaire trouve sa tradition dans la représentation des péchés capitaux : rappel de l'omniprésence du péché dans le monde.
L'espace est divisé en trois parties délimitées par le paysage, partant du vert pour se dégrader vers un bleu lumineux, qui nous permet de distinguer au loin une ville. Ce paysage harmonieux plein de quiétude est mis en contraste avec la folie humaine.
Le chirurgien ou « tailleur de pierre » — appellation donnée au Moyen Âge — est représenté portant en guise de couvre-chef un entonnoir inversé — dans ce sens, l'objet symbolise la cupidité et ici la personnification de la folie même : on peut dire par conséquent que le tailleur de pierre exerçant en vertu de toute chose n'est en réalité que le roi des fous, celui ne sachant ce qu'il fait en réalité. Cet élément prend encore plus de signification quand on constate que la religieuse porte sur sa tête le livre de la connaissance médicale qu'elle ne daigne pas consulter : la symbolique de la bêtise humaine est ici à son paroxysme. De plus, la scène est troublante du fait que le patient en pleine opération regarde vers le spectateur de manière pathétique — cet homme symbolise la bourgeoisie cupide, celle subissant des mutations d'ordre social.
Un objet est posé sur la table mais nous ne savons pas s'il s'agit de l'objet extrait de la tête de l'opéré ou celui d'un précédent patient…
Bosch accentue l'effet caricatural de son œuvre en inscrivant autour du cadre:« Maître ôte la pierre, mon nom est Lubbert Das », nom qui signifie en flamand « personne simple ».
« L'extraction de la pierre de folie » montre qu'en dehors des péchés reconnus par les textes saints, il existe des menaces tout aussi mortelles : la crédulité, la stupidité, l'absurdité, la bêtise et la folie, qui poussent des hommes à s'en remettre à d'autres plus dangereux qu'eux-mêmes. Le fait que l'Église participe à ce charlatanisme montre la défaillance d'un système de culte.
Le Chariot montre les hommes lancés à la poursuite des biens terrestres, représentés par l'énorme charretée de foin (symbole d'existence éphémère et vaine), qu'ils soient puissants comme l'empereur ou lepape, chevauchant sur la gauche, ou misérables, comme lecharlatan, le moine glouton ou le mendiant qui veulent leur part, quitte à voler tricher, tuer… Le chariot et sapeccamineuse escorte sont traînés par des monstres représentant lespéchés capitaux[39] droit vers l'Enfer où chacun trouve son châtiment adéquat, dans une nuit éternellement ardente.
Lecorpus de dessins du maître passerait à une vingtaine de feuilles :monstres, animaux, personnages plus ou moins fantastiques, ainsi que des études de détails. Quelques-uns peuvent être mis en rapport avec des tableaux, commeLe Jugement dernier deBruges, aumusée Groeninge ouLe Jardin des délices dumusée du Prado, mais aucun ne se présente comme une étude préparatoire complète ou unmodello.
L'étude des dessins sous-jacents a permis de comprendre que Bosch travaillait vite, au fil de son inspiration, ce qui le rattache à la modernité de laRenaissance flamande[43].
Œuvres de Jérôme Bosch
Divers croquis et un mendiant, dessin à la plume et encre marron sur papier (20,2 × 12,7 cm),Kupferstichkabinett Berlin.
La forêt qui entend et le champ qui voit, dessin à la plume et encre marron (20,2 × 12,7 cm),Kupferstichkabinett Berlin.
L'Homme arbre, dessin à la plume et encre marron sur papier (27,7 × 21,1 cm),Vienne,Albertina.
Dans le catalogue raisonné[44] qui paraît à l'occasion de l'exposition, sous la direction des experts du projet de recherche (BRCP)[12], undessin, exposé pour la première fois àBois-le-Duc, est publié comme étant de la main du maître. Jusqu'à présent, cette feuille conservée en main privée était attribuée à un artiste actif dans l'atelier de Bosch, resté anonyme.
Il s'agit d'unPaysage de l'enfer, exécuté à laplume et à l'encre brune, avec quelques touches de rouge dans l'œil droit du monstre casqué, et ne présentanta priori aucun dessin sous-jacent à lapierre noire. On n'y trouve aucune étude de détail liée aux figures de saints, pourtant nombreuses dans l'œuvre de Bosch. Un répertoire détaillé sur papier servant de base de travail dans un atelier était monnaie courante à l'époque, mais le manque de documentation sur la vie de l'atelier laisse planer beaucoup de mystère sur cette question.
La feuille réattribuée s'inscrit parfaitement dans la lignée du corpus : le paysage présente le type de répertoire ci-dessus mentionné[45] ainsi que des références directes, fréquentes dans les dessins de Bosch, à des œuvres peintes. Par exemple, le monstre tenant un couteau dans la bouche se retrouve dansLe Jugement dernier, tandis que la trémie et la cloche sont similaires à celles dutriptyque duJugement dernier[46] deBruges, aumusée Groeninge. Le tonneau-monstre sur pattes, en bas à droite, apparaît aussi dans l'un des deuxpanneaux dits duDéluge dumusée Boijmans Van Beuningen àRotterdam — ou plutôt « apparaissait » ; celui-ci n'est plus visible que grâce aux photographies à infrarouge car il est désormais caché sous desrepeints.
Cette feuille était apparue soudainement en2003 sur le marché de l'art àNew York, mise en vente parSotheby's. La notice évoquait une homogénéité de style entre le dessin etLe Jugement dernier conservé à Bruges. En cela, la maison de vente se conformait aux vues de Fritz Koreny, spécialiste des dessins nordiques desXVe et XVIe siècles et auteur d'un catalogue raisonné[47] ducorpus graphique de Bosch. À la tête du Bosch Research and Conservation Project, l'historien d'art Matthijs Ilsink ne connaissait, à l'époque, la feuille que par des reproductions. En étudiant celles-ci, il avait remarqué (comme la plupart des spécialistes) les traits « boschiens » du dessin, les ressemblances nettes avec le style pictural (évidentes dans les mains en forme de V ou encore les longs bras, par exemple). Tout cela avait fait pencher son jugement du côté d'un artiste travaillant dans l'atelier, comme si le dessin était « trop Bosch » pour être un vrai. C'est une fois confronté de près à la feuille que la vérité lui a sauté aux yeux : il ne pouvait« pas être exécuté par quelqu'un qui copie mais par quelqu'un qui crée[48] ».« Même pour dix euros au marché aux puces, je ne l'aurais pas acheté », a confié le propriétaire à Matthijs Ilsink, ajoutant que ce dessin ne lui plaisait pas et qu'il ne l'avait acheté, à l'époque, que dans un souci d'investissement.
« En 2003, il l'avait acheté 300 000 dollars ; aujourd'hui il vaut probablement près de 10 millions d'euros. »
En 1963,Jim Morrison, qui étudiait l'histoire médiévale européenne, écrivit un mémoire s'efforçant de montrer que le peintre avait fait partie desadamites.
En 1969, la pochette de l'albumDeep Purple représente les membres du groupe éponyme intégrés dans le voletL'Enfer duJardin des délices. La version de la pochette est en noir et blanc et son centrage diffère suivant les pressages (pressage néerlandais notamment).
En hommage au peintre, le personnage principal des romans policiers de l'écrivain américainMichael Connelly s'appelleHieronymus Bosch.
Pour commémorer les 500 ans de sa mort, la fondation Jheronimus Bosch 500 a sollicité la compagnie Les 7 doigts de la main. C'est ainsi qu'est né le spectacle « Bosch Dreams »[50].
En 2016, le film documentaire franco-espagnolLe Mystère Jérome Bosch, de Lopez-Linares illustre l'impact et les interrogations que suscite l'œuvreLe Jardin des délices. Lors de visites nocturnes aumusée du Prado, se succèdent musiciens et écrivains interpellés par le tableau.
Dans le jeu vidéoCivilization VI, il est le quatrième artiste illustre recrutable.
↑Le cygne existe non seulement dans le contexte deBois-le-Duc, ville natale de Bosch, mais aussi à la cour desducs de Bourgogne comme plat de fête.
↑Divine Comédie, « Le Paradis ». À la fin du parcours, les apôtres du Christ interrogent Dante, qui répond justement à leurs questions, et passe au dixième ciel ou empyrée.
↑Notizie del disegno d'opere, écrites de façon sporadique entre 1521 et 1543.
↑Les experts du Bosch Research and Conservation Projec, attribuent à Jérôme Bosch les trois polyptyques.
↑Aubrey Diller,Henri Dominique Saffrey, Leendert G. Westerink,Bibliotheca Græca manuscripta Cardinalis Dominici Grimani (1461-1523), Venise, Ed. della Laguna, Biblioteca nazionale Marciana, Collana di Studi, I, 2004.(it)(ISBN978-8883451508).
↑Bibliothèque royale de Belgique, cabinet des Estampes, collection : « L'Histoire de David et Saül », titre :Aber présente David avec la tête de Goliath, devant Saül (1556), gravure (in quatro) (20,5 × 25,3 cm).
↑Felipe de Guevara,Commentarios de la Pintura, 1560 ; cité et commenté dans Wolfgang Stechow,Northern Renaissance Art 1400-1600: Sources and Documents, 1966 (rééd. 1989).
↑. En 1560, Felipe de Guevara écrit à propos d'un des élèves de Bosch, undiscipulo, qui, selon lui, était aussi bon que son maître et signait parfois ses œuvres de son nom.
↑Frédéric Elsig, « La postérité de Jheronimus Bosch : le cas de Gielis Panhedel », in Hélène Verougstraete et Jacqueline Couver (dir.),La Peinture ancienne et ses procédés. Copies, répliques, pastiches, Peeters, 2006,p. 35-41.
↑Le Bosch Research and Conservation Project (BRCP), doté destechniques de pointe, explore la matérialité des œuvres, les techniques picturales, et permet une nouvelle compréhension,boschproject.org.
↑Voir bibliographie :Catalogue raisonné, Actes Sud Éditions.
↑Voir les liens également dans les paragraphes précédents.
↑Jugement dernier (vers 1486-1510), huile sur panneau de chêne (99 × 117,5 cm.).
↑Voir bibliographie :Le Dessin. L'atelier et le suivi de la fin duXVIe siècle, Brepols Publishers, 2012(ISBN978-2503542089).
↑La citation est reprise d'une phrase latine inscrite par Jérôme Bosch sur un autre dessin conservé auKupferstichkabinett Berlin :« Malheureux celui qui ne fait qu'imiter et ne développe pas ses propres inventions. ».
Florence Gombert, Didier Martens et Martine Aubry,Le Maître au feuillage brodé. Primitifs flamands. Secrets d'ateliers, Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Élysées,, 127 p.(ISBN978-2-7118-4891-1).
Larry Silver,Bosch, Citadelles & Mazenod, 2006(ISBN2850881163).
Hélène Verougstraete et Jacqueline Couver,Peinture ancienne et ses procédés. Copies, répliques,Peeters,(ISBN978-90-429-1776-7).