Ivan Bounine nait àVoronej au sein d'unecélèbre famille(ru) de poètes — il est parent par son père des poètesAnna Petrovna Bounina(ru) (1774-1829) etVassili Joukovski (1783-1852) —, issue de l'ancienne noblesse dugouvernement d'Orel, d'une ascendance polonaise lointaine. Il y passe les trois premières années de sa vie et vit ensuite dans le domaine familial d'Oziorki, à Boutyrki près d'Ielets, où son éducation est confiée à des précepteurs. Il est envoyé au petit lycée d'Ielets à l'âge de onze ans en1881, mais retourne chez lui après cinq ans d'études. Son frère aîné,Iouli Bounine(ru)[note 1] (1857-1921), le fait étudier et l'encourage alors à lire les classiques russes et à écrire.
À dix-sept ans, il publie son premier poème dans un magazine littéraire deSaint-Pétersbourg,La Patrie, et devient correcteur pour un journal local,Le Moniteur d'Orel. Il part pourPoltava avec l'une des collaboratrices du journal, Varvara Pachtchenko, devenue sa maîtresse, en dépit de l'opposition de ses parents. Il publie àOrel son premier recueil de poèmes en 1891, puisSous le ciel ouvert en 1898, puisAutomne, pour lequel il reçoit le prix Pouchkine en 1901.
En 1889, il suit son frère àKharkov et correspond avecAnton Tchekhov, dont il fait la connaissance en 1895,Maxime Gorki etLéon Tolstoï. Il descend leDniepr sur le bateauTchaïka (La Mouette), expérience qu'il transpose dans un de ses récits en 1898, et se rend sur la tombe deTarass Chevtchenko, qu'il apprécie particulièrement et qu'il traduira régulièrement.
Il publie des nouvelles qui le font connaître, commeLes Pommes d'Antonov en 1900. Il reçoit le prix Pouchkine de l'Académie des sciences de Russie à deux reprises (1903, 1909). Grâce àMaxime Gorki, il intègre les éditions de la Connaissance[2]. Il fait partie du cercle littéraire moscoviteSreda.
Il traduitHenry Longfellow,George Gordon Byron,Alfred Tennyson, etAlfred de Musset. Il publie son premier roman,Le Village, en 1910. Reconnu par ses pairs comme l'un des écrivains russes les plus importants, il est élu, la même année, à l'Académie impériale de Russie[2]. Alors que, traditionnellement, depuisIvan Tourgueniev, on s'était habitué à idéaliser lemoujik, le portrait réaliste qu'il fait d'un village russe avec sa stupidité, sa cupidité, sa brutalité et sa violence provoque un certain scandale à la parution du roman àMoscou.
Il reçoit leprix Nobel de littérature en1933[5]. Dans les années qui suivent, il s'oppose aunational-socialisme. Il continue à publier en russe pour les Russes émigrés. Des extraits de ses récits paraissent régulièrement dansLa Pensée russe et certains sont traduits en français, mais c'est dans lesannées 1980 que son œuvre est diffusée de manière plus large en France. Son œuvre est interdite enURSS et n'y est publiée qu'après la mort deStaline.
Ivan Bounine rencontre son premier amour au lycée d'Ielets,Varvara Pachtchenko, une camarade de classe, fille d'un médecin et d'une actrice. Le père de la jeune fille est opposé à toute idée de mariage. Ivan Bounine et sa maîtresse s'enfuient et sont hébergés àPoltava dans la maison du frère aîné d'Ivan. Mais en 1892, leur relation se détériore et Varvara se plaint dans une lettre au frère d'Ivan de fréquentes querelles, lui demandant de l'aide pour mettre fin à sa liaison. En 1894, la rupture est consommée lorsque Varvara se marie avec l'écrivain de théâtre Arseni Nikolaïevitch Bibikov, un ami proche d'Ivan Bounine. Le jeune homme s'estime trahi et sa famille un temps craint qu'il ne se suicide.
Bounine épouse ensuite en secondes nocesVera Nikolaïevna Mouromtseva, rencontrée en 1906 chez son amiBoris Zaitsev (ainsi que celui-ci le raconte)[6]. Le mariage dure jusqu'à la mort de Bounine. Vera Bounina a par la suite publié un livre de souvenirs sur leur vie.
L'œuvre de Bounine exprime un lyrisme très personnel, aussi bien dans ses poésies que dans ses nouvelles en prose. Il écrit dans un texte de 1929 intitulé « Comment j'écris »:« Je n'ai jamais écrit sous une influence extérieure, mais toujours du fond de moi-même. Il faut que cela naisse du fond de moi-même, sans cela je ne peux écrire… »[7].
Bounine est un écrivain de la tradition. Opposés à la modernité et l'avant-garde, ses textes revendiquent une culture littéraire classique[3]. Rapproché duréalisme, l'écrivain est le chantre de lanature et le peintre exhaustif de laRussie de sa jeunesse dont il ressuscite le folklore et les traditions rurales[8]. Il est également réputé pour délaisser l'intrigue, réduite au strict minimum, au profit de l'étude psychologique et l'art de la description[3]. Dans sa jeunesse, l'auteur publie des poèmes dans la tradition d'Alexandre Pouchkine,Mikhaïl Lermontov,Afanassi Fet,Iakov Polonski etAlexis Tolstoï[2].Nouvelles du pays (1893) etTerre noire (1904) reconstituent avec fidélité la vie rurale etAu hameau (1892) évoque lespropriétés nobiliaires reculées, abandonnées et délabrées[2],[3]. Sa nouvelleLes Pommes d'Antonov (1900) mêle souvenirs et observations charnelles de la campagne, détaillant avec minutie les sons, les images, les odeurs, les sensations, les saveurs et la splendeur de cette dernière[3]. Par le scandale qu'il provoque,Le Village (1910) lui vaut la célébrité en Russie et à l'international[3]. Ce roman décrit le quotidien pénible, la misère et la profonde mélancolie d'un village isolé et s'éloigne de l'image d’Épinal dumoujik exalté et jovial[2]. D'un profond pessimisme, Bounine continue à mettre en scène, avecConversation nocturne (1911) etZakhar Vorobiev (1912), la décadence de la sociététsariste et la pauvreté paysanne dans une série de tableaux violents et cruels[2].
Ses voyages enAsie lui donnent la matière de récits regroupés sous le titreLe Temple du soleil (1907-1912)[3].Le Monsieur de San Francisco (1915), sa nouvelle la plus connue, s'inscrit dans une interrogation métaphysique sur la fatalité des civilisations amenées à s'éteindre, les mirages de l'existence et l'attente de la mort[3].L'Amour de Mitia (1925) dénote une inspiration plus érotique et sensuelle à travers l'histoire d'amours malheureuses[3]. Dans son journalJours maudits, il évoque avec tristesse laRévolution bolchévique de1917 et son départ vers l'ouest[3]. Le romanLa Vie d'Arséniev (1938) puise une nouvelle fois des images de l'ancienne Russie et dévoile des motifs autobiographiques en évoquant la rupture douloureuse avec le pays natal et la souffrance de l'expatrié[3]. Son recueil de récitsLes Allées sombres (1946), qui a pour thème central l'amour et la femme, est publié sept ans avant son décès[3]. Une courte nouvelle de 1940,À Paris, évoque une vibrante histoire d'amour qui a pour cadre le milieu des émigrés russes dans la capitale française.
Bounine puise son inspiration dans la vie même, ainsi qu'il le rapporte:« le sentiment qui me pousse à écrire me vient dans la campagne, dans la rue, à la mer, chez moi, à la suite de l'une ou l'autre inspiration, de la rencontre avec un visage, parfois d'une lecture »[7]. Partant d'une veine réaliste, expressiontragique etlyrisme se condensent en une méditation sur l'âme russe et l'essence humaine[8]. Bounine est apprécié pour la puissance d'évocation de sa prose, la beauté de ses images, la rigueur et la concision de son écriture et sa capacité à magnifier les perceptions[3]. Considéré comme le maître des petites sommes littéraires (courts récits, nouvelles), il est souvent comparé auxfrères Goncourt,Gustave Flaubert etThomas Hardy pour son art du détail, ses tableaux de la vie provinciale, sa critique acerbe de la société et son culte de la perfection formelle[9].
Sur l'exemple d'Anton Tchekhov, son modèle (dont il a écrit une biographie), il est également connu pour mettre son lecteur à contribution dans sa représentation du monde et sa construction narrative[9]. Il est par ailleurs rapproché deTourgueniev pour son sens du rythme et la dimension musicale de son style[9].Gorki, qui admirait Bounine, le considérait comme le meilleur styliste de sa génération[2].
Mon cœur pris par la tombe, choix de poèmes traduits du russe et présentés par Madeleine de Villaine, avant-propos parVladimir Nabokov,Éditions de la Différence, coll. « Orphée », Paris, 1992.
↑Lui-même sera un poète, journaliste et écrivain pré-révolutionnaire notoire.
↑Le 3 juin 2017, une statue a été installé dans le jardin de la bibliothèque Saint-Hilaire deGrasse, statue offerte par le sculpteur russeAndrey Kovalchuk.
↑a etbArchives de Paris, « État civil : 1953, Décès, 16e arrondissement », Acte de décès de Jean De BOUNINE [sic] avec mentions naissance, profession, parents, épouses, et décès au domicile 1 rue Jacques-Offenbach, surarchives.paris.fr(consulté le),p. 25/31.
↑Il réside à Grasse successivement à la villa Montfleury, à la villa Belvédère où il rédigeLa vie d'Arséniev (1933), autobiographique, qui précède l'attribution du prix Nobel, puis à la villa Jeannette ; un buste de Bounine a été érigé dans le jardin de la princesse Pauline à Grasse (André Peyrègne, « Bounine, un prix Nobel de littérature à Grasse »,Nice-Matin,,p. 18).
↑Serge Raffalovich, « Ivan Bounine, le premier écrivain russe lauréat du prix Nobel »,La Revue de Paris,(lire en ligne)
(en)Autobiographie sur le site de lafondation Nobel (le bandeau sur la page comprend plusieurs liens relatifs à la remise du prix, dont un document rédigé par la personne lauréate — leNobel Lecture — qui détaille ses apports)