Selon certainslinguistes[2], c’est une langue à part entière à égalité avec leroumain, l’aroumain et lemégléno-roumain. D’autres linguistes[3] considèrent l’ensemble des langues romanes orientales comme n’en formant qu’une seule qu’ils appellent « roumain », dont les quatre variantes seraient desdialectes qu’ils appellent daco-roumain, istro-roumain, aroumain et mégléno-roumain. Radu Flora[4] est d’un avis différent, affirmant qu’aroumain etmégléno-roumain sont les deux groupes de dialectes d’une même langue romane orientale du Sud, tandis qu’istro-roumain et daco-roumain sont les deux groupes de dialectes d’une même langue romane orientale du Nord[5].
Le terme « istrien » (istriano,istarski jezik) est unexonyme local tandis qu’« istro-roumain » (limba istro-română) est une création académique des linguistes roumains. Ses locuteurs ne l’appellent pas d’une façon unitaire :
ceux du sud du massif Učka disent qu’ils parlentvlåšca limba « la languevalaque » ouvlåški « valaque » (adverbe), terme provenant de l’exonyme « Valaques » qu’ils se sont approprié, et qui peut prêter à confusion, puisque lesGrecs, lesBulgares et lesSerbes l’utilisent pour lesAroumains et lesMéglénites, et que les Bulgares et les Serbes l’emploient aussi pour leurs minorités roumaines (roumanophones de Serbie et deBulgarie) ;
ceux de Žejane affirment qu’ils parlentžei̯ånsca limba oužei̯ånski (adverbe).
Les Istro-roumains subissant déjà depuis leur établissement en Istrie un processus d’assimilation, et leur langue n’étant pas utilisée sous forme écrite par ses locuteurs, elle est fortement influencée par lecroate. Par conséquent, l’UNESCO la considère en grand danger. Il existe à présent certaines actions visant à la sauvegarder, menées par desassociations culturelles, avec un certain appui de la part des autorités.
Les locuteurs d’istro-roumain ont rarement figuré en tant que tels dans lesstatistiques, c’est pourquoi leur nombre a toujours été plutôt estimé. Avant leXIXe siècle il aurait été de 10 000[6]. En 2001 on estimait que dans leurs villages il y avait encore 150 locuteurs performants en istro-roumain, qui l’avaient appris avec leurs parents. Il pourrait y en avoir deux ou trois fois autant éparpillés dans les villes et quelques centaines encore en dehors de la Croatie : Europe, États-Unis[7]. Tous ces gens sont d’âge moyen ou vieux. La transmission de la langue de parents à enfants a pratiquement cessé chez les générations nées dans les années1950-1960. Les locuteurs jeunes (âgés de 30 ans environ), peu nombreux, l’ont apprise avec leurs grands-parents comme une deuxième ou troisièmelangue étrangère[1].
Les Istro-roumains et leur langue ne sont pas présents en tant que tels dans les données des recensements mais ils pourraient se trouver parmi celles concernant laminorité nationale roumaine. Ainsi, en2011, on a enregistré pour toute la Croatie 955 personnes delangue maternelle roumaine[8] mais on ne peut pas savoir combien de ces personnes sont desBoyash, dont la langue maternelle est le daco-roumain. Dans lecomitat d'Istrie, 70 personnes se déclarent de langue maternelle roumaine et 6 de langue valaque. Dans lecomitat de Primorje-Gorski Kotar, où se trouve Žejane, on enregistre 40 personnes de langue maternelle roumaine.
Le fait que les locuteurs d’istro-roumain étaient plus nombreux est prouvé par destoponymes. Toute une région du nord de l’Istrie, pour la plus grande partie en territoire croate et partiellement enSlovénie, s’appelle toujoursĆićarija, en italien Cicceria, deĆići, l’un desethnonymes donnés aux Istro-roumains par lesCroates. Parmi les villages habités actuellement par des Istro-roumains, certains ont deux noms, l’un croate, l’autre istro-roumain, commeJesenovik-Sukodru (cf. roumainsub codru « sous la forêt ») ; d’autres ont un seul nom mais en deux variantes comme Kostârčån, en croateKostrčani. Il y en a bien davantage ayant de tels noms, mais dans lesquels on ne parle plus l’istro-roumain : Floričići (cf. roumainfloricică « fleurette »), Jerbulišće (roum.iarbă « herbe »)[9], Katun, Kature (roum.cătun « hameau »), Fečori (roum.feciori « jeunes hommes »)[10] ou Kerbune (roum.cărbune « charbon »)[11]. Il y a d’autres toponymes istro-roumains sur l’île deKrk, où les locuteurs se sont assimilés dans la première moitié duXIXe siècle : Fintira (cf.fântână « puits »), Sekara (cf.secară « seigle »)[12].
Il est admis en général que l’istro-roumain est le dernieridiome à s’être séparé duproto-roumain mais le lieu et la période où cela est arrivé ne sont pas documentés et sont donc l’objet d’hypothèses[5].
On distingue deux théories principales. Selon celle d’Ovid Densusianu, les Istro-roumains seraient originaires du sud-ouest de laTransylvanie et duBanat historique, d’où ils seraient partis auXe siècle. Il fonde sa théorie sur des traits de langue, par exemple lerhotacisme de [n]intervocalique simple ([n] > [r]), dans les mots d’originelatine, comme dans le parler desMoți[13]. Cette hypothèse est soutenue par d’autres chercheurs aussi[14].
Sextil Pușcariu est d’un autre avis. Il affirme l’origine sud-danubienne des Istro-roumains, et il situe le lieu de la séparation en Serbie actuelle, tout en admettant qu’ils étaient en contact avec les Roumains de la partie occidentale du territoire nord-danubien. Selon lui, ils se seraient séparés des autres Roumains auXIIIe siècle[15]. Avec des différences quant au lieu exact, la théorie de Pușcariu est elle aussi adoptée par plusieurs chercheurs[16].
Outre ces deux théories, il y en a une intermédiaire, celle d’Elena Scărlătoiu, selon laquelle les Istro-roumains proviendraient de plusieurs « noyaux » du centre, de l’ouest et du nord-ouest de la Transylvanie, ainsi que du sud du Danube, surtout de la vallée duTimok et de la région dePrizren[17].
L’istro-roumain a toujours été une langue essentiellement orale. Ses attestations ont d’abord paru transcrites par desérudits qui se sont intéressés aux Istro-roumains, puis par des linguistes qui ont enregistré desprières, des textes dechansons, descontes et d’autres textesnarratifs, desdictons et desproverbes.
La première attestation de l’istro-roumain paraît en1698, dans unehistoire deTrieste écrite par unmoine de cette ville,Ireneo della Croce[18]. Celui-ci mentionne l’endonymeRumeri utilisé à l’époque par les Istro-roumains et donne une liste de 13 noms seuls, 8 noms avec desdéterminants et deuxphrases simples dans leur langue, avec leur traduction en latin.
En1819, Ivan Feretić, unprêtre catholique de l’île deKrk, transcrit deux prières en « roumain de Krk »[19]. Ce sont les premiers textes considérés comme attestant l’istro-roumain.
Les attestations suivantes sont uneanecdote et une variante de lafableLa cigale et la fourmi, enregistrées par l’érudit istrien Antonio Covaz et publiées en1846 avec leur traduction en latin et enitalien[20].
Trois prières en istro-roumain sont publiées en1856, parmi lesquellesNotre Père[21], dans une revue de Slovénie[22].
Ce sont des chercheurs qui transcrivent et publient le plus de textes oraux, sur lesquels les linguistes travaillent pour décrire la langue[23].
Le premier ouvrage littéraire cultivé paraît en1905[24], restant aussi le seul jusqu’à quelques autres qui paraîtront dans lesannées 1990 et après2000[25].
N’étant pas écrit, l’istroroumain n’a pu être une langue d’enseignement. Les années1921-1925 ont été la seule période où il a été utilisé dans ce but en parallèle avec le roumainstandard, dans une école fondée par Andrei Glavina, un Istro-roumain qui avait fait des études enRoumanie.
À partir des années 1990 on a entrepris certaines actions pour sauvegarder cette langue. Étant signataire en1997 de laCharte européenne des langues régionales ou minoritaires[27], la Croatie est invitée par leConseil de l’Europe à prendre des mesures pour la protection de l’istro-roumain[28]. Dans le cadre des relations bilatérales avec legouvernement croate, le gouvernement roumain aussi œuvre dans une certaine mesure dans ce sens[29].
En effet, en Croatie on prend certaines mesures. Au niveau central, l’istro-roumain est inscrit sur la Liste des biens culturels immatériels protégés de la Croatie, faisant partie du Registre des biens culturels, en vertu de la Loi sur la protection et la conservation des biens culturels[30]. Au niveau local, au Statut du comitat d’Istrie, adopté en2009, il est inscrit que le comitat œuvre pour la sauvegarde des dialectes locaux, parmi lesquels l’istro-roumain[31]. En tant que mesure concernant l’enseignement, le Conseil du comitat d’Istrie confie à l’école élémentaire et collège Ivan-Goran-Kovačić deČepić le soin de promouvoir l’istro-roumain, raison pour laquelle elle bénéficie d’un régime spécial qui lui permet de ne pas appliquer la règle concernant le nombre minimal d’élèves inscrits[32]. En vertu de cette décision, son programme scolaire pour l’année 2022-2023 prévoit 70 heures par an, deux par mois, deistrorumunjski jezik « langue istro-roumaine » et d’autres activités liées aux traditions istro-roumaines, avec deuxenseignants[33].
Le Ministère de la culture croate, les conseils des deux comitats où on parle l’istro-roumain et deux mairies soutiennent un projet,Očuvęj vlåška ši žejånska limba (Sauvegarder la langue valaque et de Žejane), initié en2005 par la linguiste Zvjezdana Vrzić de l’Université de New York avec un groupe d’émigrés istro-roumains vivant aux États-Unis, et étendu à la Croatie en2007 par l’inclusion du Musée ethnographique d’Istrie, puis, depuis2011, de trois associations culturelles des Istro-roumains.
Deux autres associations d’Italie agissent dans le même sens : l’Association d’amitié italo-roumaineDécébale de Trieste, présidée par Ervino Curtis, fondée dès1987[34], et l’Association culturelle Andrei-Glavina deRome, fondée en1994 par Petru Emil Rațiu.
D’autres actions sont entreprises par l’intermédiaire dusite web Istro-Romanian Community Worldwide (Communauté istro-roumaine dans le monde) de Marisa Ciceran, qui publie de nombreux matériaux de toutes sortes concernant les Istro-roumains et leur langue[35].
Chaque village istro-roumain a sonparler, avec de petites différences entre ceux du sud du massif Učka et relativement grandes entre ceux-ci et celui de Žejane, ce qui est dû au fait que les deux zones ont pendant longtemps été isolées l’une de l’autre par la montagne. Il y a des différencesphonétiques,morphologiques (par exemple la conservation de vestiges de ladéclinaison à Žejane et sa disparition dans le sud) etlexicales. Il y a environ 300 unités lexicales qui ne sont pas communes pour le sud et Žejane[36] (voir des détails sur les différences dialectales dans les sections suivantes).
Presque chaque chercheur a transcrit l’istro-roumain à sa façon. Celle qu’on utilise le plus est lagraphie de Kovačec, adoptée également par les linguistes roumains Richard Sârbu și Vasile Frățilă, inspirée en grande partie de celle de Sextil Pușcariu, avec des éléments de la graphie du croate. Vrzić propose une graphie plus proche de celle du croate, avec seulement trois lettres qui n’y sont pas. Cette graphie est destinée aux locuteurs d’istro-roumain, qui ont été ou sont scolarisés en croate, et à ceux qui veulent apprendre la langue. Voici lesgraphèmes différents de ceux du roumain standard au moins dans l’une de ces graphies :
L’istro-roumain présente certaines particularités de prononciation par rapport à celle du roumain standard (avec la transcription de Kovačec)[39] :
Lalettreå rend, en fonction du son qui la précède, parfois lavoyelle [ɒ], comme lea français dans le mot « pas » prononcé par lesQuébécois, (par exemple dansčåsta « celui-ci, celle-ci »), d’autres fois unediphtongue ([wɒ]), par exemple danscårle « qui, que » (pronom relatif). Cette voyelle est toujoursaccentuée et sa diphtongaison est plus systématique dans le parler du nord, celui de Žejane, que dans ceux du sud.
La lettreę rend, en fonction du son qui le précède, parfois la voyelle [ε], en français rendue parè (par exemple dansȘcužę-m « Excuse-moi »), d’autres fois la diphtongue [e̯a]:vedę « voir ». La diphtongaison de cette voyelle également est plus courante à Žejane.
À la différence du roumain, les voyelles [ǝ] et [ɨ] ne se distinguent pas nettement. On entend tantôt l’une, tantôt l’autre, tantôt une voyelle entre elles, là où dans les mots roumains correspondants il y l’une ou l’autre. C’est pourquoi Kovačec et Vrzić les transcrivent par une même lettre,â.
D’autres particularités communes aux parlers istro-roumains sont :
parfois la chute de [a] initial non accentué :(a)flå vs roumaina afla « apprendre, savoir, trouver » ;
absence de [j] après consonne en fin de mot :omir vsoameni ’gens’ ;
absence des diphtongues descendantes avec [w] :av dat vsau dat « ont donné » ;
voyelle + [v] vs voyelle + [u] :avzi vsa auzi « entendre ».
Certaines particularités sont spécifiques à tel ou tel parler :
Dans le parler deŠušnjevica il y a tendance à ne pas distinguer [s] de [ʃ]. Ainsi, le nom du village est ici prononcé Șușńevițę ou Sușńevițę. De même, à la différence des autres parlers, dans celui-ci on prononce [t͡s] au lieu de [t͡ʃ] et [z] au lieu de [ʒ] :țer « ciel »,fețor « garçon »,sânze « sang »,zeruŋclʼu « genou »,zos « en bas ».
Dans le parler de Žejane, /g/ se réalise le plus souvent comme [ɣ].
À Žejane également, au lieu de [ε]/[e̯a] à la fin desféminins on prononce [a], ce qui fait que, sanscontexte adéquat, on ne distingue pas au fémininsingulier la forme àarticle défini de celle sans article :limba signifie « langue » mais aussi « la langue ».
Enmorphologie on remarque non seulement l’influence du croate, mais aussi des différences entre les parlers du sud d’un côté et celui de Žejane de l’autre.
Quant augenre desnoms, il est à noter que leneutre tel qu’il existe en roumain, c’est-à-dire le nom neutre étantmasculin au singulier et féminin aupluriel, s’est conservé seulement dans le sud :un zid « un mur » –do zidure « deux murs » (le genre est visible à la forme du déterminant). À Žejane les neutres sont devenus masculins mais peuvent garder une désinence de pluriel spécifique au neutre :doi̯ zidure « deux murs » (doi̯ étant le masculin dedo). Par ailleurs, le neutre existe dans ce parler aussi, mais c’est celui spécifique auxlangues slaves, ce parler empruntant des neutres croates sans les adapter au système propre des genres (exemple :zlåto « or »)[5],[42].
Laformation du pluriel présente plusieurs particularités :
La disparition de [j] final après consonne provoque au masculin l’expression du pluriel seulement par le changement de la consonne finale ou de celle d’avant lee du singulier, accompagné ou non du changement de la voyelle de laracine du mot :ån –åń « années »,fråte –fråț « frères »,šårpe –šerp « serpents »,muľåre –muľer « femmes ». Les mots où il n’y a changement ni de consonne ni de voyelle restent inchangés au pluriel :lup « loup » –lup « loups ».
Les noms terminés en-l’e, -ńe, -če, -șe, -že ont également la même forme au singulier et au pluriel :fil’e « fille, filles » (par rapport à ses/leurs parents).
Les noms masculins terminés en-u ont le pluriel en-i vocalique :ocľu « œil » –ocľi « yeux ».
La désinence de pluriel-ure s’est étendue du neutre à certains masculins :lup peut aussi avoir le pluriellupure.
La consonnel’ est tombée de la fin des mots au singulier, devenant leur désinence de pluriel :vițe « veau » –vițel’ « veaux ».
Dans le sud il y aalternance-ę au féminin singulier ~-e au pluriel (cåsę –cåse « maisons »), et à Žejane-a ~-e:cåsa (sans article) –cåse[42].
Les neutres en-o, d’origine croate, ne changent pas de forme au pluriel.
L’expression descasgénitif etdatif est plusanalytique qu’en roumain, ces deux cas s’exprimant généralement avec laparticulelu antéposée, le nom pouvant être avec ou sans article défini :fil’u lu țesåru « le fils de l’empereur »,spure lu fråț « il/elle dit aux frères »,cuvintę i̯e lu mul’ęre « dit-il à la/sa femme ». Dans le sud,lu est utilisé au féminin aussi, tandis qu’à Žejane on emploiele au féminin (le mul’åre « à la/sa femme »). De plus, dans ce parler, la formesynthétique aussi est présente, car des vestiges de ladéclinaison y sont conservés : « à la/sa femme » se dit aussimulʼerlʼei̭. Au génitif on utilisea devantlu/le, systématiquement à Žejane (filʼu a lu crålʼu « le fils du roi »), parfois dans le sud.A est employé seul au génitif des noms neutres d’origine croate :a zlåto « de l’or »[43].
Au masculin singulier, dans le sud, sa forme estun:un måre codru « une grande montagne ».
Au masculin singulier, à Žejane, sa forme estân, avec les formes conjointes-u (ânr-u loc « dans un endroit ») et-ŋ (popi po-ŋ ɣlåž de vir « boire un verre de vin »). Il a aussi sa forme de génitif-datif :urvę « d’/à un »[42].
Au féminin singulier sa forme esto partout, à Žejane avec la forme de génitif-datifurlʼę « d’/à une ».
Les formes de l’article défini :
masculin et neutre singulier, pour les noms terminés en consonne :-u, ce qui en roumain est une voyelle de liaison devant l’article proprement dit,-l (scåndu vsscaunul « la chaise ») ;
masculin et neutre singulier, pour les noms terminés en-e :-le (câre –cârele « le chien ») ;
féminin singulier (dans les parlers du sud) :-a qui remplace le-ę (cåprę –cåpra « la chèvre ») ;
masculin pluriel:-i (omir –omiri « les gens ») ;
féminin pluriel :-le (cåpre –cåprele « les chèvres ») ;
neutre pluriel dans le sud, les mêmes noms étant du masculin à Žejane :-le qui fait tomber lee de la fin des mots (pičore –pičorle « les jambes »).
Les noms neutres en-o sont employés sans article défini[44].
L’opposition nom à article défini vs nom à article indéfini a faibli, l’article défini étant utilisé là aussi où en roumain on utilise l’article indéfini. Ainsi,furåt-a åcu peut signifier aussi bien « il/elle a volé l’aiguille » que « il/elle a volé une aiguille »[36]. Dans le parler de Žejane, les féminins singuliers sans article se terminant en-a, les formes à article défini et sans article se confondent :fęta peut signifier « la fille », ainsi que « fille » :čåsta fęta če s-av asęra facut « cette fille qui est née hier soir » vsali fęta ali fečor « soit fille, soit garçon »[42].
Sous l’influence du croate, certainsadjectifs ont une forme de neutre aussi, marquée par la désinence-o (bur,burę,buro « bon, bonne »), d’autres non :tirer,tirerę « jeune ». Exemple avec l’adjectif au neutre :i̭åleburo cuhęi̭t-a si muŋcåt-a « elles ont préparé et mangé quelque chose de bon »[42].
L’une des particularités de l’istro-roumain est l’application de la terminaison-(i)le (qui contient l’article défini-le) en tant que marque de masculin singulier pour des adjectifs :do talii̯anskile rat « jusqu’à la guerre avec l’Italie »,totile ånu « toute l’année »[45].
Le comparatif de supériorité se forme avec l’adverbemai̯ non accentué, et pour obtenir le superlatif relatif de supériorité, on ne fait qu’accentuermai̯ :mai̯ mare « plus grand(e) »,mái̯ mare « le/la plus grand(e) ». Lacomparaison se construit avec laconjonctionde ou sa correspondante croatenego :mai̯ mușåt de/nego mire « plus beau que moi »[46].
Lenuméral istro-roumain est fortement influencé par le croate. Il n’y a de formes héritées du latin que les numéraux cardinaux correspondant auxnombres de 1 à 8, 10 et 1000.
Numéraux cardinaux :
1ur (masc.),urę (fém. dans le sud),ura (fém. à Žejane),uro (neutre). Ces formes sont différentes de celles de l’article indéfini, mais à Žejane il y a les mêmes formes de génitif-datif que celles de l’article :urvę « d’/à un » eturlʼę « d’/à une ».
2doi̯ (masc.),do (fém.)
3trei̯
4patru
5činč,ținț (à Šušnjevica)
6șåse
7șåpte
8opt (à Žejane),osân (à Šušnjevica),osâm (dans les autres villages du sud)
9devet
10zęče (dans le sud),deset (commun)
11i̯edânai̯st
12dvanai̯st
13trinai̯st
20dvadeset
21dvadeset și ur
30trideset
100sto
200dvisto
1000miľe,mil’år (du dialectevénitien),tisut″ (du croate, à Žejane),tå(v)žânt (de l’allemand, à Žejane)
Les formesnostri etvostri sont spécifiques au parler de Šušnjevica.
Les mêmes formes sont utilisées comme pronoms et comme adjectifs.
L’adjectif est antéposé, sous l’influence du croate :a mev nono « mon grand-père ».
Le génitif-datif de ces pronoms s’exprime aveclu/le :lu nostru « au nôtre ». À Žejane il y a aussi des formes déclinées :a melʼę sore « à ma sœur »,če-i̭ a melvę om? « qu’est-ce qu’il a, mon mari ? » (litt. « quoi est à mon mari ? »)[42].
dans le sud :čâsta « ce/cet …-ci, celui-ci »,čâstę « cette …-ci, celle-ci »,čeșt″i « ces …-ci, ceux-ci »,čâste « ces …-ci, celles-ci », mais à Šušnjevicațâsta, țâstę, țeșt″i, țâste ;
à Žejane :čåsta,česta,čeșt″i,čåste.
Pour l’éloignement :
dans le sud :čâla/čela « ce/cet …-là, celui-là »,ča/čå « celle …-là, celle-là »,čelʼ « ces …-là, ceux-là »,čale/čåle/čâle « ces …-là, celles-là », à Šušnjevicațâla/țela, ța/țå, țelʼi, țale/țåle/țâle;
à Žejane :(a)čela, (a)čå/(a)ča, (a)čelʼ, (a)čåle/(a)čale.
Le génitif-datif est en général exprimé analytiquement (par exemplelu ța « de/à celle-là »), mais à Žejane il y a des formes synthétiques aussi :čestvę « de/à celui-ci »,čeșt″ę « de/à celle-ci »,čestorę « de/à ceux-ci/celles-ci ».
Čire (țire à Šušnjevica) « qui » est unpronom interrogatif-relatif se référant aux personnes. Sa forme de génitif-datif estcui̭ (a cui̭ à Žejane) :čire-i̭ ånča? « qui est là? »,a cui̭ ai̭ ačå dåt? « à qui as-tu donné cela ? »[42],Lu cui̭ i̭ești tu, fęta? « Qui est ton père/ta mère, ma fille ? » (litt. « De qui es-tu, fille ? »[46],țire su åt i̭åma såpę ke vo scopę su sire « qui creuse une fosse pour les autres y tombe » (litt. « qui creuse la tombe sous autrui, qu’il la creuse sous soi »).
Če (țe à Šušnjevica) « quoi, que » se réfère auxinanimés. Dans les parlers du sud il est utilisé sans accent aussi, en tant queparticule interrogative, correspondant à peu près à « est-ce que » et, donc, perdant son sens d’origine :če nú știi̭? (l’accent passe sur le mot denégation) « est-ce que tu ne sais pas ? »
Cårle/cåre/care (masc. sg.),cåra/cårę (fém. sg.),cåro (neutre),cårlʼi/carlʼi/cåri/cari (pluriel) correspond à plusieurs pronoms relatifs français. À Žejane il a des formes de génitif-datif aussi :carvę (masc. sg.),carlʼę (fém. sg.),carorę (pluriel). Exemples ensyntagmes :cârstii̭ånu cåre vire « l’homme (litt. « le chrétien ») qui vient »,žensca cåra virit-a « la femme qui est venue »,våčile cåri dåvu bur låpte « les vaches qui donnent du bon lait »[42].
Le numéralur,urę/ura,uro est aussipronom indéfini :ur lu åt « l’un à l’autre ».
D’autres mots indéfinis sont :
nușcarle/nușcårle, nușcara, nușcarlʼi « quelqu’un » (au singulier), « un certain, une certaine, certains, certaines » :nușcarlʼi cu måkina žńescu « certains battent le blé avec la machine »,nușcarle brec « un chien (quelconque) » ;
saki/såki avec la variantesakile/såkile « chaque, chacun, n’importe quel, n’importe lequel »,saca/såca « chaque, chacune, n’importe quelle, n’importe laquelle :saki cârsti̭ån « chaque homme »,såkile ån « chaque année »,saca domaręța « chaque matin » ;
le correspondant du français « tout, toute, tous, toutes » :
– dans le sud :tot(u) « tout »,totę « toute »,tot « tout » (neutre),toț « tous »,tote « toutes » :tota nopta « toute la nuit »,toț omiri « tous les gens » ;
– à Žejane :tot(ile),tota,tot,toț, tote :totile pemintu « toute la terre »,i̭uva-i̭ tot a mevo puso? (avec la forme de neutre) « où est mis tout ce qui est à moi ? » ;
vrun, vro avec la variantevrur, vrurę « un/une (quelconque), l’un, l’une » :ț-ai̭ aflåt vro fętę? « tu t’es trouvé une fille ? »,vrurę de i̭åle « l’une d’entre elles ».
Avec la particulenușt″u, provenant denu știvu « je ne sais pas », précédant des pronoms interrogatifs, on forme deslocutions pronominales indéfinies telles quenușt″u čire « quelqu’un »,nușt″u če « quelque chose », etc.
Le correspondant du français « un autre, une autre, d’autres » eståt/åtu/åtile (masc. sg.),åtę/åta (fém. sg.),åto (neutre),ålʼț (masc. pl.),åte (fém. pl.) :åtile ɣlås « une autre voix ». À remarquer sur ce pronom-adjectif :
À Žejane il a des formes de génitif-datif aussi :atvę « d’/à un autre »,atlʼę « d’/à une autre »,atorę « d’autres, à d’autres ».
En tant que correspondant de « l’autre, les autres » il est utilisé parfois seul (ur lu åt ouur atvę « l’un à l’autre »), mais plus souvent précédé d’un pronom démonstratif d’éloignement :čela åt pičor « l’autre jambe »,čela åtu « l’autre » (pronom).
La forme neutreåto a le sens « autre chose » :ni cârbur ni åto « ni charbon ni autre chose ». Ce sens est exprimé également avec des mots interrogatifs ou négatifs antéposés :țevå åto « autre chose, quelque chose d’autre »,niș åto « rien d’autre ».
Précédé du motnușcårle, il forme la locution pronominalenușcårle åt « quelqu’un d’autre ».
Utilisé après les pronoms personnelsnoi̭ etvoi̭, il met en opposition ces personnes avec d’autres :noi̭ ålʼț « nous autres ». C’est uncalque d’après l’italiennoi altri.
Ničur, ničo « aucun, aucune » est pronom et adjectif. Sa forme de masculin a le sens « personne » aussi, qui a la forme de génitif-datiflu ničur dans le sud etničurvę à Žejane « de/à personne ».
Niș (nis à Šušnjevica) est le pronom négatif se référant aux inanimés :tu n-åri frikę nis « n’aie peur de rien »,niș tâmno « rien de mal »[42].
En istro-roumain, comme en roumain, le verbe peut être à ladiathèse active, passive ou réfléchie. Dans les parlers du sud, à côté du passif avec leverbe auxiliairefi « être » il y a une constructioncalquée sur l’italien, avec le verbeveri/viri « venir » :våca virit-a uțisę « la vache a été tuée »[47].
L’istro-roumain a emprunté au croate la manière dont celui-ci exprime lesaspectsinaccompli etitératif d’une part, et les aspectsaccompli etinchoatif de l’autre. Quant auxformes temporelles du passé, l’imparfait de l’indicatif, qui exprime implicitement l’inaccompli et l’itératif, a presque complètement disparu en istro-roumain. Lepassé composé, qui exprimait implicitement l’accompli et l’inchoatif existe bien en istro-roumain mais le verbe à cette forme peut être d’aspect accompli/inchoatif ou inaccompli/itératif. L’expression de ces aspects s’est étendue à d’autres formes verbales aussi. Exemple au passé composé :
m-a tunčebușnit « il/elle m’embrassait alors » (itératif) vsi̯el’ s-a pozdravit și s-apobușnitils se sont salués et embrassés (accompli)
Les aspects s’expriment surtout par l’absence ou la présence d’unpréfixe. Certains préfixes sont hérités du latin (a-,ân-/âm-,dis-), mais la plupart sontslaves :do-,iz-,na-/ne-,o(b)-,po-,pre-,pri-,ras-/res-,s-,za-/ze-. Paires de verbes d’aspects différents :
viså « voir en rêve » (inaccompli/itératif) –ânviså « lui apparaître en rêve » (inchoatif).
L’opposition d’aspect peut s’exprimer également par des paires desynonymes, le verbe inaccompli/itératif étant d’origine latine, l’accompli/inchoatif – slave :
av muŋcåt pâr la tot poi̭dit-a « il/elle a mangé jusqu’à ce qu’il/elle ait tout fini » (litt. « il/elle a mangé jusqu’à ce qu’il/elle ait tout mangé »);
se bęi̭e cafe « on boit du café » (itératif) –popę cafelu! « bois ton café ! » (accompli)[42].
L’aspect itératif peut s’exprimer par lessuffixes slaves-ęi̭ et-vęi̭ aussi. On peut les ajouter
à des verbes d’aspect inaccompli/itératif (en vęra cântåt-am « l’été je chantais » vsțâsta pul’ a våvic cantavęi̭t « cet oiseau chantait toujours ») ou
à des verbes devenus accomplis par préfixation :zâdurmi « s’endormir » –zâdurmivęi̭ « s’endormir d’habitude ».
À l’indicatif il y a pratiquement trois temps : leprésent, lepassé composé et lefutur, qui se forment de manière analogue à ceux du roumain[48]. Lepassé simple et leplus-que-parfait ont disparu complètement, et l’imparfait presque complètement, ayant des vestiges dans les parlers du sud. Il se forme différemment de l’imparfait roumain, à partir de l’infinitif, les désinences étant précédées de lasemi-voyelle de liaison-i̭-:lucråi̭am « je travaillais »,fațęi̭ai « tu faisais »,avzii̭a « il/elle entendait ».
Le conditionnel a les temps présent, passé et, à la différence du roumain, futur. Le présent se forme avec l’auxiliaire(v)rę « vouloir » à l’indicatif présent + l’infinitif du verbe à sens lexical. Le passé peut se former avec(v)rę à l’indicatif présent +fi « être » à l’infinitif + leparticipe ou avec(v)rę à l’indicatif présent +fost (participe defi) + infinitif du verbe à sens lexical :ręș fi cântåt ouręș fost cântå « j’aurais chanté ». Le conditionnel futur a une forme synthétique, provenant dufuturum exactum latin et ayant parfois la même valeur que celui-ci, celui defutur antérieur. Il est utilisé précédé desconjonctionsse « si »,când « quand »,pâr la ke (nu…) « jusqu’à ce que » :când tot fure gotova, i̭e va veri « quand tout aura été fait, il viendra »,neca nu rasclʼidu pâr la ke nu i̭å verire « qu’ils/elles n’ouvrent pas jusqu’à ce qu’elle soit venue »[42].
Lesubjonctif en tant que forme synthétique ne s’est conservé que pour le verbefi (fivu, fii̭i, fii̭e, fim, fiț, fivu), les autres verbes l’exprimant comme en croate, de façon analytique, avec le verbe à l’indicatif précédé de la conjonctionse « que » ou le synonyme croate de celle-ci,neca. Il n’y a pas d’autres formes temporelles de subjonctif que le présent.
Les modes impersonnels de l’istro-roumain sont l’infinitif, legérondif et le participe. À la différence du roumain, l’infinitif est utilisé sansa et sa forme longue, utilisée en roumain en tant que nom de l’action (par exemplea veni « venir » >venire « venue »), a disparu. L’infinitif istro-roumain a de nombreuses valeurs verbales, par exemple celle du participe présent français :åflu fętę durmi « je trouve la fille dormant ». Le gérondif a le suffixe-nda et il est rarement utilisé. Lesupin a disparu aussi bien sous sa forme latine que sous saforme roumaine, étant remplacé par l’infinitif :åto n-åv avut de bę « il/elle n’avait pas autre chose à boire »[42].
En istro-roumain il y a quatre classes deconjugaison héritées, analogues à celles du roumain, et de une à trois (selon les interprétations) pour les emprunts et les créations sur le terrain propre de l’istro-roumain[36] :
Exemples de conjugaison (les voyelles accentuées sont celles àdiacritique suscrit) :
-am -ai̭ -a (dans le sud),-av (à Žejane) -an (dans le sud),-am (à Žejane) -aț -a (dans le sud),-av (à Žejane)
avec l’auxiliaire antéposé, variantes en fonction du parler, du caractère tonique ou atone de l’auxiliaire, de son attachement ou non à un mot voisin, de la présence ou de l’absence du pronom personnelsujet et du caractère tonique ou atone de celui-ci :
åm / i̭ó am / i̭o-m åi̭ / tú ai̭ / tu-i̭ å / åv / i̭é a / i̭é av ån / åm / nói̭ an / nói̭ am åț / vói̭ aț å / åv / i̭él’ a / i̭él’ av
voi̭ ver va / vå ren (dans le sud),rem (à Žejane) veț vor
scapå țirę́ fåče avzí cuhę́i̭
Après certains mots on utilise des formes brèves de l’auxiliaire, liées au mot le précédant :ț-oi̭ fåče « je te ferai », i̭o-i̭ spure « je dirai »,če-r âŋ codru fåče? « qu’est-ce que tu feras dans la forêt ? »,tu n-er nicat fi påmetân « tu ne seras jamais intelligent »[42].
Une série deprépositions sont d’origine latine :ân « en, dans »,(â)ntru « en, dans »,de « de, au sujet de »,din/diŋ « de » (exprimant la provenance), « pour pendre/chercher » (virít-a diŋ cårne « il/elle est venu(e) chercher (de) la viande »)”,la « à »,pre « sur ». D’autres sont empruntées au croate, utilisées d’ordinaire avec des noms également empruntés et déclinés comme en croate :poi̭dina salåtu « manger quelque chose en salade ». Certaines prépositions croates forment des locution prépositive prépositives avec des prépositions d’origine latine :namesto de « à la place de »,i̭elʼ fost-aocoli de foc « ils étaient autour du feu »[42].
Parmi les conjonctions aussi il y en a qui sont romanes, dont certaines héritées du latin (și « et »,ke « que ») et d’autres empruntées à l’italien (ma « mais »,perke « parce que »,se « si »), d’autres conjonctions encore étant d’origine croate :ali « ou »,neca « que, pour que »,nego « que » comparatif.
Sous l’influence du croate, dans legroupe nominal, l’ordre des mots est en général déterminant ou/etépithète + nom (a mev nono « mon grand-père »,čâsta fečor « ce garçon »,o musåtę fętę « une belle fille »), mais il y a aussi des exemples contraires :betâr om nu pote ouomu betâr nu pote « le vieil homme ne peut pas ». Si le nom est déterminé par plusieurs mots, tous peuvent lui être antéposés, par exemple dans la phrase
čâsta lui̭ zelen mižol i̭e pre scånd « ce verre vert à lui est sur la table », mais il y a encore deux variantes d’ordre des mots du groupe nominal :
Laphrase interrogative se distingue en général par l’intonation mais il y a aussi des particules spécifiques qui la marquent,če dans les parlers du sud etâ à Žejane :Če tu ganești vlåșki? « Est-ce que tu parles valaque ? », tu cuvinți žei̭ånski? « Est-ce que tu parles la langue de Žejane ? »[50].
Pour la négation on utilise deux mots.Nu sert à nier le verbe (nu me abåte! « ne me bats pas ! ») etne est utilisé sans verbe, en tant que mot phrase ou pour opposer un terme à un autre :Gianni dåt-a listu lu Mario, ne libru « C’est la lettre que Gianni a donné à Mario, pas le livre »[51].
Par rapport au français et au roumain, l’ordre des mots dans la phrase simple est très libre.
Les éléments des temps verbaux composés ne sont pas toujours placés l’un après l’autre. Par exemple, entre l’auxiliaire et le verbe à sens lexical on peut placer :
le groupe du sujet :Cân s-amęle sorâr pogovaręi̭t « Quand mes sœurs ont parlé entre elles »[52] ;
le groupe ducomplément d’objet direct :Url’e betâre ženske avtot čå dåt « Il/elle a donné tout ça à une vieille femme »[52] ;
le sujet et lecomplément circonstancielCând remnoi̭ acåsa veri? « Quand est-ce que nous rentrerons chez nous ? »[42]
Dans une phrase à trois constituants dont l’une est un complément d’objet direct, l’ordre peut être sujet + verbe + COD ou COD + verbe + sujet. Si le sujet et le COD sont des noms d’animés et les deux du même nombre, comme ils ne sont pas marqués morphologiquement et que le COD n’est pas anticipé ou repris par un pronom personnel lui correspondant (en roumain le COD est marqué de ces deux façons), le sens d’une telle phrase dépend de la mise en relief de l’un ou de l’autre de ces constituants par l’accentuation et l’intonation. À la seule lecture, les phrases suivantes peuvent signifier :
Bovu ântręba åsiru « Le bœuf demande à l’âne » ou « L’âne demande au bœuf »[52] ;
Maria pi̭ažę Gianni « Maria plaît à Gianni » ou « Gianni plaît à Maria »[53].
Exemple de phrase simple à plus de trois constituants :De cârbur lemnu i̭e bur sakile « Pour faire du charbon n’importe quel bois est bon » (litt. « Pour charbon le bois est bon n’importe quel »)[42].
À la différence du roumain, sous l’influence du croate, lorsque deux actions ont le même sujet et que l’une est subordonnée à l’autre, l’istro-roumain préfère la construction à complément exprimé par un infinitif à la phrase complexe àproposition subordonnée :vreț âl ântrebå? vsvreți să-l întrebați? « vous voulez lui demander ? »,mere lucrå vsmerge să lucreze « il/elle va travailler » (« va » à sens lexical plein).
Selon Naroumov 2001, 65 % dulexique istro-roumain de base est constitué de mots hérités du latin[54] et laliste Swadesh de 110 mots est à 87 % de cette origine[55]. Quelques-uns sont spécifiques à l’istro-roumain, inexistants en roumain (par exemplecåi̭bę « cage à oiseaux ») ou ont un sens spécifique supplémentaire :scånd « chaise » mais aussi « table »,čęre « demander » mais aussi « chercher ».
Laformation de mots pardérivation est faible. Les préfixes verbaux ont plutôt un caractère grammatical, formant des verbes d’aspect accompli/inchoatif (voir plus haut la sectionAspects).
Il y a aussi quelques suffixes lexicaux, certains d’origine latine, d’autres slaves, qui forment :
diminutifs :porčič « petit cochon »,cåsițę « maisonnette ».
De toutes les langues romanes orientales, c’est l’istro-roumain le plus perméable aux influences étrangères, surtout dans le domaine du lexique[36].
La plupart des emprunts proviennent du croate, surtout de son dialecte tchakavien, mais aussi de la langue standard. Certains emprunts ont formé des paires de synonymes avec des mots hérités, puis ceux-ci ont changé de sens. Ainsi, on a emprunté le verbepoșni « commencer », et le sens du verbe hérité correspondantânčepå s’est réduit à « entamer » (exemple:ânčepå pâra « entamer le pain ») ; l’adjectifvęrde a pris le sens « pas mûr », alors que pour le sens « vert » on utilise l’empruntzelen. Certains noms ont été empruntés avec une préposition et avec la formecasuelle demandée par cette préposition :po svitu « par le monde »,na șetńu « à la promenade »,za večeru « à dîner »[36].
Des emprunts au dialecte vénitien ou à l’italien standard sont entrés directement ou par l’intermédiaire du croate :alora « alors »,i̭ardin « jardin »,i̭ardiner « jardinier »[36],oštarii̭a « bistrot »,urdinęi̭ « commander »[56].
Des mots allemands aussi ont été empruntés directement ou par l’intermédiaire du croate :fråi̭er/fråi̭ar „jeune homme, amant, fiancé”,fruștikęi̭ „prendre le petit déjeuner”,țucâr „sucre”[36].
Tous les emprunts ne sont pas présents et dans les parlers du sud, et dans celui de Žejane (les emprunts sont en caractères gras). Exemples[54],[57] :
↑Pour la prononciation du roumain standard, voirPhonétique et phonologie du roumain. On peut entendre la prononciation des sons de l’istro-roumain en mots sur le siteOčuvęj vlåška ši žejånska limba, pagePronunciation.
(en) « Indo-Europian family: Romance group » [« La famille indo-européenne : le groupe des langues romanes »], surThe Global Lexicostatistical Database (GLD)(consulté le)
Weigand, Gustav,« Nouvelles recherches sur le roumain de l’Istrie », dans Meyer, Paul et Paris, Gaston (dir.),Romania. Recueil trimestriel consacré à l'étude des langes et des littératures romanes, Paris, Émile Bouillon,(lire en ligne),p. 240-256