Ne pas confondre l'islamisme (et leurs adeptes les islamistes) avec l'islam (et leurs croyants lesmusulmans).
L'islamisme est une doctrine prônant l'islam comme uneidéologie politique. Elle consiste à mobiliser les musulmans autour d’un projetsocio-politique fondé sur les normes et les lois religieuses (charia)[1]. Il s'agit du synonyme religieux de l'islam politique. Les adeptes de l'islamisme sont appelés lesislamistes.
Essentiellement politique, apparu auXXe siècle, l'usage du terme depuis sa réapparition dans lalangue française à la fin desannées 1970 a beaucoup évolué[2],[3]. Il peut s'agir, par exemple, du« choix conscient de la doctrine musulmane comme guide pour l’action politique »[4] – dans une acception que ne récusent pas certainsislamistes –, ou encore, selon d'autres, d'une« idéologie manipulant l'islam en vue d'un projet politique : transformer le système politique et social d'unÉtat en faisant de lacharia, dont l'interprétation univoque est imposée à l'ensemble de la société, l'unique source dudroit »[5]. C'est ainsi un terme d'usage controversé.
Voltaire, philosophe français desLumières, utilise le terme comme synonyme de « mahométisme », pour désigner la religion des musulmans.
Le mot « islamisme » dérive du mot « islam » et du suffixe « -isme ». Le terme est de création française et son usage est attesté en français depuis leXVIIIe siècle, quandVoltaire l'utilise à la place de « mahométisme » pour signifier « religion des musulmans »[6], cet usage est aujourd'hui « vieilli »[7],[8].
Le terme « islamisme » réapparaît en France à la fin des années 1970 pour répondre à la nécessité de définir les nouveaux courants posant une interprétation politique et idéologique de l'islam et les différencier de l'islam en tant que foi[3]. Pour l'islamologueBruno Étienne[n 1], l'acception actuelle du mot, qu'il est également possible d'appeler« islamisme radical », peut se résumer comme l'« utilisation politique de thèmes musulmans mobilisés en réaction à l'« occidentalisation » considérée comme agressive à l’égard de l’identité arabo-musulmane »[6], cette réaction étant« perçue comme une protestation antimoderne » par ceux qui ne suivent pas cette idéologie[6].
Certains analystes considèrent que lesFrères musulmans, groupe fondé parHassan el Banna en 1928, seraient à l'origine de l'islamisme[13][réf. incomplète]. Cette confrérie est le premier mouvement à entrer sur la scène politique pour réclamer l'application de lacharia, la loi islamique, dans un premier temps en opposition à l'occupation britannique enÉgypte.
Au début des années 1960,Sayyid Qutb, théoricien desFrères musulmans, introduit les notions de rupture par rapport à la société impie et de reconquête. C'est dans ces écrits, surtout dans son texteFī Ẓilāl al-Qur'ān(en) (À l'ombre du Coran), que certains groupes islamistes trouvent la justification théorique de l'usage de la violence pour islamiser les sociétésmoyen-orientales.
Drapeau de l’État islamique, une organisation terroriste islamiste. On peut y lire en arabe la première partie de lachahada, et le sceau deMahomet qui contient une autre partie de la profession de foi de l'islam.
À partir de la fin desannées 1960, s'accumulent des faits historiques, idéologiques, économiques et sociaux qui peuvent expliquer le développement de l'islamisme :
Les dirigeants des principaux pays perdent ainsi la légitimité historique (perte due à ladécolonisation), la légitimité idéologique, la légitimité économique. On peut concevoir la mouvance islamique comme un mouvement d'opposition politique dans un contexte souvent non démocratique ;
La hausse des cours dupétrole à partir desannées 1970 favorise les gouvernements de certains États (Arabie saoudite puisIran en particulier), qui peuvent financer l'islamisme pour étendre leur sphère d'influence sur d'autres États (qui peuvent à leur tour adopter des doctrines islamistes pour résister à la pression) ;
Laguerre civile libanaise, plus politique que religieuse à l'origine, va aussi devenir un foyer d'activité islamiste.
Ladécennie noire enAlgérie oppose, à partir de1991, le gouvernement algérien et divers groupes islamistes intégristes qui attaquent au début l'armée et la police, puis les civils.
Les décennies suivantes sont marquées pardes actes terroristes meurtriers. L'idéologie islamiste est en effet portée par des organisations terroristes commeAl-Qaïda, l'État islamique ou encoreBoko Haram, qui multiplient les attentats et s'emparent parfois de territoires.
Par ailleurs, les islamistes sont arrivés au pouvoir, souvent par les urnes, dans plusieurs pays du monde musulman : Soudan (1989- ), Palestine (2006-2007), Tunisie (2011-2014), Maroc (2011-), Égypte (2012-2013).
Pays où la charia s'applique aux questions de statut personnel (mariage, divorce, héritage et autorité parentale).
Pays où la charia s'applique intégralement, aussi bien aux questions de statut personnel qu'aux procédures pénales.
Pays avec des variations régionales dans l'application de la charia.
Le projet politique islamiste repose sur le choix et l'interprétation des textes qui constituent lacharia (leCoran et lasunna, la jurisprudence). La diversité d'interprétation des textes est une cause de l'existence de plusieurs courants islamistes aux discours divergents.
Islamisme et traditionalisme
Le traditionalisme dépasse largement l'islamisme, c'est un discours lié à la tradition, pas forcément à la tradition musulmane. Il renvoie à tout ce qui estconservateur, nostalgique du passé. Ce dernier concept puise souvent dans lareligion, où se trouvent des éléments sur la moralité des mœurs. Le traditionalisme musulman est ainsi plutôt un islamisme.
« Islamisme » et « fondamentalisme »
Les islamistes 2012 àHyde Park àSydney avec l'affiche « Décapiter tous ceux qui insultent leprophète » et « Nos morts sont au paradis, vos morts sont en enfer! »
Le « fondamentalisme » participe largement à la démarche islamiste en cherchant à effectuer un retour aux fondements de la religion, et à la période des quatre premierscalifes.
Le terme « fondamentalisme » était utilisé dans le monde anglophone avant de l'être par emprunt dans le monde francophone. Mais dans ce dernier, dès la fin des années 1970, reviendra à l'usage du terme « islamisme », libéré de son usage ancien, pour désigner les nouveaux mouvements d'une part à cause de ses origines prestigieuses — Voltaire — et d'autre part du fait de la trop grande spécificité du terme « intégrisme » dans un contexte catholique. Le terme français, dans sa nouvelle acception, apparaîtra à son tour dans le monde anglophone à partir du milieu des années 1980 pour devenir progressivement un synonyme de « fondamentalisme »[3].
Ces usages seront débattus tant par les chercheurs français que leurs homologues anglophones – particulièrement américains. En France, dans les années 1990, on verra l'émergence des termes « postislamisme » – sous la plume d'Olivier Roy – et « néofondamentalisme », courant dont les tenants se consacreraient désormais à une islamisation de la société à la suite de l'échec des courantsislamistes à s'emparer du pouvoir[3].
Bernard Lewis rejette le terme fondamentalisme qu'il juge imprécis et fallacieux. Il précise la différence entre fondamentalistes et musulmans : les fondamentalistes souhaitent rétablir la charia et un État islamique, ils dénoncent l'adoption de « lois infidèles » ainsi que la modernisation sociale et culturelle de la société[14].
Conservateurs et réformistes
Selon Wendy Kristianasen, dansLe Monde diplomatique, les islamistes eux-mêmes se divisent en deux catégories[15] : les « conservateurs » et les « évolutionnistes ».
Fondements et principes de l'islamisme
Les principaux points défendus par certains islamistes sont l'instauration de lacharia (jurisprudence islamique), l'unité du monde musulman et, en particulier, le retour aucalifat par le mérite, ainsi que l'élimination de toute ingérence non-musulmane (principalement occidentale)[16].
Le concept d'« islamisme » a été critiqué, notamment parThomas Deltombe qui le qualifie de« catégorie infiniment élastique »,« qu’aucun expert ne se risque à définir autrement que par des formules creuses », et qui« permet d’unifier toute une série de mouvements, de courants ou de personnalités sous une même bannière, indépendamment de leurs objectifs, de leurs modalités d’action et des contextes politiques, historiques et géographiques dans lesquels ils s’inscrivent »[18]. Critiquant également l'usage fourre-tout du mot « islamiste » dans les grands médias,Pierre Tevanian écrit que« le terme n’a pas de sens précis : dans ses usages dominants en tout cas, il ne signifie rien d’autre que « mauvais musulman » »[19].
De plus certaines personnes désignées comme islamistes (par exempleAbbassi Madani etMohammad Hussein Fadlallah) soutiennent que l'islam et l'islamisme sont une même chose et que le terme qui les définit le mieux est musulman[3].
À l'instar de quelques auteurs et de quelques polémistes, dans son ouvrageSoufi ou mufti ? Quel avenir pour l'islam[20], l'islamologue françaiseAnne-Marie Delcambre estime, quant à elle, que « islamisme » et « islam » désignent une réalité indistincte, posant que la nouvelle acception du terme « islamisme » – l'acceptionpolitique – puiserait sa source dans l'affirmation du juriste égyptien,Muhammad Sa'id al-'Ashmawi, qui avait déclaré que « Dieu voulait que l'islam fût une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique »[21]. Elle voit ainsi dans l'islam et l'islamisme une forme de continuité, une réalité inchangée, proposant une vision à laquelle s'oppose son préfacier américain, le journalisteDaniel Pipes qui argue, lui, que l'islamisme est une « manifestation spécifique, moderne et extrémiste de l'islam » s'inscrivant dans une réalité évolutive[22].
↑Guazzone (Laura) ed. The Islamist Dilemma - The Political Role of Islamist Movements in the Contemporary Arab World, Ithaca Press, Reading, Royaume-Uni, 1995, 390 pages[1]
↑Définition dans le glossaire du site de l'Académie de Lille, Les dossiers du Beffroi, dossier :Enseigner le nouvel ordre mondial :[2]
↑la liste des théoriciens défendant cette option se trouve dansla judéophobie des modernes, deVoltaire au Jihad International dePierre-André Taguieff avec une bibliographie complète et de nombreux extraits de textes
↑La racaille, l’islamiste, le revanchard et le censeur, version actualisée du texte publié dans l'ouvrage de Pierre TevanianLa république du mépris. Les métamorphoses du racisme dans la France des années Sarkozy, éditions La Découverte, 2007.
Mystique et politique. Lecture révolutionnaire du Coran par Sayyid Qutb, frère musulman radical, Presses FNSP & Cerf, 1984.
Mystique et politique : le Coran des islamistes. Commentaire coranique de Sayyid Qutb (1906–1966), nouvelle édition corrigée et augmentée de 3 chapitres et d'un livret de textes choisis traduits,Cerf 2004 ; en appendice, le lecteur trouvera un choix de textes éclairantFî zilâl al-qur'an
Amélie Chelly,Dictionnaire des islamismes,Éditions du Cerf, 2021.
Stéphane Dovert, Rémy Madinier,Les musulmans d'Asie du Sud-Est face au vertige de la radicalisation, Les Indes Savantes, 2003
Bernard Rougier,Le Jihad au quotidien, éd. P.U.F., 2004
Claude-Raphaël Samama,Perspectives pour lesislams contemporains. D'un texte à l'Histoire, 244p, L'Harmattan, 2016
Antoine Sfeir (dir.),Dictionnaire géopolitique de l’islamisme, éd. Bayard, 2009
Laurent Vinatier,L'Islamisme en Asie centrale : géopolitique et implantation des réseaux religieux radicaux dans les républiques d'Asie centrale, éd. Armand Colin/VUEF, 2002